EELV doit devenir « le grand parti de la décroissance populaire dont nous avons un impérieux besoin »

Un collectif d’élus et de militants EELV : « Nous voulons décroître pour vivre, et pour mieux vivre »

TRIBUNE

Collectif

Europe Ecologie-Les Verts, dont le prochain congrès doit avoir lieu avant la fin de l’année, doit devenir « le grand parti de la décroissance populaire dont nous avons un impérieux besoin », soulignent, dans une tribune au « Monde », seize élus et militants écologistes.

Publié aujourd’hui à 16h00    Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/19/un-collectif-d-elus-et-de-militants-eelv-nous-voulons-decroitre-pour-vivre-et-pour-mieux-vivre_6138466_3232.html

Dans quelques mois, Europe Ecologie-Les Verts (EELV) tiendra son congrès, après une année marquée par une déception électorale qui n’a pas permis de placer l’écologie aussi haut que l’exigent les impératifs climatiques. L’alliance avec les gauches, grâce à laquelle nous avons retrouvé une place à l’Assemblée nationale, nous laisse aujourd’hui dans l’ombre politique et médiatique.

Ce bilan, c’est aussi celui de trop longues années de tergiversations sémantiques et politiques, qui ont dilué notre capacité à faire entendre un projet de rupture et à imposer un nouvel imaginaire.

Dans un monde qui, partout, s’effondre et pose la question, abyssale, de la survie même de l’humanité, nos ambiguïtés n’ont pas permis de répondre aux aspirations de celles et de ceux qui, dans l’angoisse de l’avenir, désirent se battre pour préserver une terre habitable. Nous nous sommes fait dépasser par l’accélération des effondrements en cours et des bouleversements qu’ils charrient.

Lire aussi :  « Il est temps de cesser de confondre croissance et développement »

Pourtant, face à l’emballement des crises, nous savons bien que l’horizon d’un futur désirable ne réside ni dans la croyance béate en l’innovation technologique ni dans une croissance verte et prétendument décarbonée. Nous savons bien que la croissance infinie engendre un système de prédation tant sur les écosystèmes que sur les vivants, qu’elle exerce d’ores et déjà des pressions insupportables sur les ressources énergétiques, laissant prospérer des dictatures puissantes et des va-t-en-guerre, tout comme des multinationales et des super-riches profiteurs de crises et ennemis de la Terre.

Des modes de vie à changer

Nous savons bien que nous ne pourrons pas continuer à vivre comme nous le faisons aujourd’hui, que ceux qui disent le contraire propagent des chimères mortelles, que la voiture individuelle partout et tout le temps, l’avion « open bar », la viande à tous les repas, la mode en click and collect, tout cela constitue des modes de vie qu’il nous faut changer. Ce dont nous avons tellement besoin, c’est de composer autrement avec le vivant, humains comme non-humains et, dans ce sens, nous savons bien que le chemin, le seul viable, c’est celui d’une diminution drastique et rapide de la charge écologique des activités humaines.

Il ne s’agit pas seulement de petits efforts, mais bien de porter un projet clair et sans ambiguïté de décroissance, démocratiquement consentie et profondément sociale. Notre parti doit être celui qui, sans concession, porte la réorientation massive de nos activités vers l’éducation, la culture, la santé, la justice, bref, une réorientation vers une économie du bien-être plutôt que vers l’ultraconsommation matérielle, qui absorbe de manière immodérée nos ressources et produit jusqu’à la nausée des déchets étouffant nos sols, notre air, nos rivières et nos océans.

Lire aussi :  Dennis Meadows : « Il faut mettre fin à la croissance incontrôlée, le cancer de la société »

Notre projet, c’est celui qui réhumanise nos métropoles, en les préservant de l’hubris de toute puissance, et qui fait revivre les villes petites et moyennes, et les campagnes, en retrouvant un tissu économique et citoyen viable. Notre projet, c’est celui de l’harmonie avec les vivants.

A ce titre, il s’oppose aux criminels climatiques, qui usent et abusent de leurs richesses pour gaspiller en toute impunité, tout comme il combat toutes les dominations, celles que subissent les femmes, les animaux, les minorités, les derniers de cordée.

Ceux à qui nous devons imposer cette bifurcation, ce sont d’abord les multinationales et les multimillionnaires

Notre projet, enfin, c’est celui qui ne se trompe pas dans la désignation des responsabilités et des efforts à produire. Ceux à qui nous devons imposer cette bifurcation, ce sont d’abord les multinationales et les multimillionnaires, qui échappent, par la dérégulation de l’économie et la course aux paradis fiscaux, à leur devoir de contribution à l’effort collectif.

Ces richesses, aujourd’hui accaparées par une extrême minorité, doivent servir à financer ce nouveau modèle collectif et redonner un vrai « pouvoir de vivre » à celles et ceux qui subissent de plein fouet le cynisme et la violence du système. Pour éviter le désastre social et la destruction d’une partie de l’humanité, la résolution de la crise climatique et la réduction des inégalités sont des impératifs intimement liés, en plus d’être la condition sine qua non à une adhésion massive et démocratique.

Lire aussi :  Luc Semal : « Les résultats décevants de l’écologie politique en 2022 confirment que la question des limites à la croissance reste un impensé politique »

Pour nous, militantes et militants écologistes et du vivant, les choses sont claires. Quels que soient les choix personnels que nous ferons pour le prochain congrès, nous sommes animés par cette profonde conviction : nous voulons décroître pour vivre, et pour mieux vivre. C’est vital, mais c’est aussi possible.

Il s’agit maintenant de définir les transitions nécessaires et les conditions de réalisation. Et c’est aujourd’hui de la responsabilité politique et éthique d’EELV de devenir, de revendiquer, et de travailler, à tous les niveaux, à être le grand parti de la décroissance populaire dont nous avons un impérieux besoin.

Liste des signataires : Antoine Alibert, maire adjoint Paris 20e ; William Aucant, conseiller régional Pays de la Loire ; Edwige Bazerole, conseillère fédérale et activiste politique ; David Belliard, maire adjoint de Paris ; Galla Bridier, porte-parole d’EELV Montpellier (Hérault) ; Julien Brunel, militant EELV Pays basque ; Mélissa Camara,conseillère municipale Lille (Nord), ancienne porte-parole de la campagne présidentielle de Yannick Jadot ; Claire Desmares, présidente du groupe écologiste de la région Bretagne ; Damien Deville, responsable mission territoires EELV ; Guillaume Durand, maire adjoint Paris 14e ; William Lejeanne, porte-parole EELV Bretagne ; Dan Lert, maire adjoint de Paris, Jean-Baptiste Pegeon, conseiller régional Ile-de-France ; Rachel Savin-Puget, coresponsable de la commission santé EELV, militante en Normandie ; Amine Smihi, maire adjoint de Bordeaux (Gironde), Alice Timsit, conseillère de Paris.

Décroissance, généalogie d’une idée

Si le constat des limites de la croissance et la critique du progrès ne sont pas nouveaux, il reste à en faire les prémisses d’un système économique et social durable et démocratique.

Collectif

*« En opposant la décroissance à la croissance verte, on continue de maintenir le PIB au cœur de nos réflexions »

TRIBUNE

Aurore Lalucq

Economiste et eurodéputée

L’enjeu n’est plus le développement matériel de nos sociétés, mais la transition écologique et sociale, rappelle l’économiste et eurodéputée Aurore Lalucq dans une tribune au « Monde ».

Publié le 24 septembre 2021 à 15h00 – Mis à jour le 27 septembre 2021 à 08h49    Temps de Lecture 4 min.  https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/24/en-opposant-la-decroissance-a-la-croissance-verte-on-continue-de-maintenir-le-pib-au-c-ur-de-nos-reflexions_6095897_3232.html

Tribune. Le débat sur la croissance arrive à la fois au pire et au meilleur moment. Au meilleur, car il est plus que temps de nous interroger sur les finalités de notre modèle économique. Au pire, car notre débat public est incapable de supporter la moindre nuance. Or c’est bien de nuance qu’il va falloir nous armer si nous voulons éviter l’impasse à laquelle nous conduit l’opposition entre croissance verte et décroissance.

D’un côté, les tenants de la décroissance nous expliquent qu’il est urgent de « décroître » du fait de la corrélation entre croissance et émissions de gaz à effet de serre (GES). S’ils ont raison sur le diagnostic, ils négligent trop la manière dont ce discours peut être perçu.

Lire aussi   Les théories de la décroissance sont-elles vraiment applicables ?

En effet, pour bon nombre de personnes, la référence à la décroissance agit comme un repoussoir, véhiculant un imaginaire de privation. Ses détracteurs ne manquent d’ailleurs pas de la caricaturer comme un retour forcé à la bougie. Un discours particulièrement efficace, car nous avons été collectivement conditionnés par l’importance de la croissance et par la peur de sa disparition.

Difficile par ailleurs de parler de réduction de la consommation à des personnes qui n’ont jamais pu totalement y goûter. Et si cela est vrai en France, ne parlons même pas des pays qui n’ont pas eu accès aux mêmes possibilités de développement, car nous les avons privés de leur « droit à polluer ».

Vision partielle

De l’autre côté, les hérauts de la croissance verte nous expliquent qu’il serait possible de découpler émissions de GES et croissance, autrement dit de produire plus en polluant moins, et ce, grâce au progrès technique. Malgré des innovations certaines, la promesse du découplage permis par une rupture technologique reste à l’état de chimère.

L’Agence européenne de l’environnement estime que le découplage semble « peu probable », rappelle qu’« aucun consensus scientifique n’a jamais émergé au fil des années » et que, pour atteindre nos objectifs climatiques, nous allons être obligés de mettre la croissance de côté.

Lire aussi   Montée des inégalités, changement climatique… Faut-il en finir avec la croissance ?

Parier sur le découplage serait donc irresponsable, alors que toute la communauté scientifique s’accorde sur l’urgence d’agir pour limiter l’impact du dérèglement climatique. Mais on ne peut pour autant disqualifier en bloc la logique qui sous-tend ce discours, à savoir la peur de renoncer à la prospérité. Mais croissance et prospérité vont-elles encore de pair ? Rien n’est moins sûr tant on observe, dans nos économies développées, un décrochage entre l’évolution du produit intérieur brut (PIB) et celle du bien-être depuis plus de quarante ans.

Tentons de reposer les termes du débat : un indicateur est fait pour indiquer si les politiques publiques vont dans le bon sens. Or, au cœur du débat autour de la croissance se niche la question du PIB, un indicateur instauré aux Etat-Unis après la crise de 1929 pour suivre la relance de Roosevelt et mesurer la production.

Décryptage :  La décroissance : d’où vient ce concept politique qui fait débat à la primaire écologiste ?

Le PIB agrège des éléments à la fois positifs et négatifs pour la société. D’où le fameux discours de Robert Kennedy, qui dira du PIB qu’il comptabilise positivement la destruction des forêts, la fabrication d’armes, mais laisse de côté la santé et l’éducation de nos enfants. Le PIB donne une vision partielle, voire déformée, de la réalité. Mesurant uniquement les flux, il peut nous donner l’illusion de nous enrichir, alors même que nous détruisons notre patrimoine naturel. Le problème, c’est qu’il est devenu bien plus qu’un indicateur.

Lire aussi   « Les partisans de la décroissance abandonnent de fait l’objectif du plein-emploi »

Sa généralisation, au lendemain de la seconde guerre mondiale, coïncide avec le début d’une ère de développement matériel sans précédent, les « trente glorieuses ». C’est le début de la consommation de masse, l’accès pour une grande partie de la population à l’eau courante, au chauffage central… Le PIB devient synonyme de prospérité et de plein-emploi. Un objet fétiche auquel nous sommes attachés de manière quasi affective.

Choix ni anecdotique, ni technocratique

S’il est nécessaire d’accepter que le PIB représente tout cela dans l’imaginaire collectif, il nous faut entendre le rejet qu’il provoque. Pour toute une génération, la croissance va, en effet, de pair avec la mise en péril de notre existence

.Lire la chronique de Stéphane Lauer :  L’écologie face au piège de la décroissance***

Ce débat n’est pourtant pas indépassable. En opposant la décroissance à la croissance verte, on continue de maintenir le PIB au cœur de nos réflexions. Or l’enjeu, aujourd’hui, n’est plus le développement matériel de nos sociétés mais la transition écologique et sociale. De passer du toujours plus au mieux. De partager les richesses plutôt que de poursuivre une croissance sans fin qui nourrit aujourd’hui les inégalités.

Il faudra ainsi décroître dans certains secteurs polluants et encourager dans le même temps le développement d’activités dont l’impact est positif en matière écologique et sociale. Pour y parvenir, nous avons besoin d’indicateurs sociaux et environnementaux à même de guider nos politiques. Il nous faudra également étudier les conséquences pratiques d’un changement de modèle : par quoi remplacer le PIB dans les négociations collectives et le vote du budget ? Comment financer notre modèle social ? Et quid des marchés financiers, dont l’existence même est intrinsèquement liée à une croissance perpétuelle ?

Lire aussi   Derrière la décroissance, de la gauche à la droite identitaire, une multitude de chapelles

Ce choix d’indicateur n’est ni anecdotique ni technocratique. Il renvoie à un véritable choix de société et nous conduit à nous interroger sur ce qui compte vraiment. A repenser notre rapport à la nature, à l’idée de limite. A réfléchir à comment et par quoi remplacer ce qu’Ivan Illich appelle notre « ethos de l’insatiabilité ». Et, plus largement, à redéfinir notre vision de la prospérité. Autant de questions majeures qui ne nous permettent pas de nous perdre dans de faux débats ni de faire semblant de ne pas nous comprendre.

Aurore Lalucq est économiste et députée européenne (Alliance progressiste des socialistes et démocrates)

Décroissance, généalogie d’une idée

Si le constat des limites de la croissance et la critique du progrès ne sont pas nouveaux, il reste à en faire les prémisses d’un système économique et social durable et démocratique.

Aurore Lalucq(Economiste et eurodéputée)

**« Les débats des Verts sont loin de refléter la profondeur du champ de la décroissance »

TRIBUNE

Timothée Parrique

Economiste

Même si les cinq candidats à la primaire des écologistes ont tous pris position sur le sujet, leur réflexion demeure encore embryonnaire, observe l’économiste Timothée Parrique, dans une tribune au « Monde ».

Publié le 24 septembre 2021 à 15h00    Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/24/les-debats-des-verts-sont-loin-de-refleter-la-profondeur-du-champ-de-la-decroissance_6095896_3232.html

Tribune. Au cours des débats à la primaire d’EELV, un mot est souvent revenu : « décroissance ». Les cinq candidats ont tous pris position sur la question. Si la députée Delphine Batho en a fait son cheval de bataille, ses concurrents sont apparus sur la réserve. Eric Piolle se dit « ni croyant dans la croissance ni croyant dans la décroissance ». Yannick Jadot « se fout complètement » de la question, tout comme Sandrine Rousseau, qui estime que « la décroissance, ça n’a pas tellement de sens économique, en vrai », constat partagé par Jean-Marc Governatori. Le sujet est pourtant en train de devenir incontournable chez les écologistes, au risque, malheureusement, de s’enliser dans quatre faux débats.

Décryptage :  La décroissance : d’où vient ce concept politique qui fait débat à la primaire écologiste ?

La croissance est-elle positive ou négative ? La décroissance est bien plus qu’une simple réduction du PIB. Sur ce point, le véritable clivage se situe aujourd’hui entre l’« économisation » du monde et sa « déséconomisation », c’est-à-dire le constat, partagé au cours des débats des Verts, que certaines activités seraient mieux organisées en dehors de la logique de l’accumulation monétaire. L’objectif serait alors de construire une économie du bien-être qui ne soit pas obnubilée par l’argent, une économie où la production serait socialement utile et écologiquement soutenable : moins de PIB, certes, mais plus d’égalité, de convivialité et de soutenabilité.

Pour ou contre le PIB ? Il y a un consensus chez les écologistes sur le fait que le PIB mesure mal ce qui compte vraiment. Ce qu’il faut changer, ce n’est donc pas la mesure, mais le système que l’on cherche à mesurer. L’économie ressemble à une voiture lancée à pleine vitesse contre un mur écologique. L’urgence est de la ralentir avant l’accident. Le véritable apport de la décroissance est de mettre l’accent sur des stratégies socialement acceptables pour ralentir cette économie hors de contrôle. Réduction du temps de travail, garantie de l’emploi, redistribution des richesses, relocalisation de la production, rationnement du budget carbone… C’est une économie alternative – et un chemin de transition – à concevoir entièrement.

Qualité ou quantité ? Les débats autour de la décroissance s’embourbent souvent dans des listes de « plus » ou de « moins » : plus de panneaux solaires et de pistes cyclables, moins de pesticides et de pollution, etc. Chacun fait ses courses, mais on oublie que les crises environnementales sont avant tout une affaire d’échelle. Passé une certaine taille critique, toute activité économique – aussi désirable soit-elle – devient écologiquement problématique.

Lire la chronique de Stéphane Lauer :  L’écologie face au piège de la décroissance***

Pour les décroissants, l’économie d’un pays comme la France est démesurée par rapport aux capacités des écosystèmes. En situation d’obésité écologique, réduire les volumes de production et de consommation est la manière la plus sûre d’alléger nos impacts ; d’où la notion d’une décroissance vers une économie stationnaire, dont la taille permettrait de satisfaire les besoins de tous sans dépasser les limites planétaires.

L’environnement ou le social ? La décroissance dépasse de loin la question environnementale, car il existe aussi des limites sociales à la croissance. Toute économie fonctionne avec un budget temps limité. Le but de l’économie devrait être de libérer du temps pour des activités intellectuelles, culturelles et spirituelles, et pas de produire encore et toujours plus. Une économie en poursuite d’une croissance infinie se retrouve dans la même position que Sisyphe, condamné à pousser son PIB jusqu’à épuisement social (et écologique), et puis à recommencer.

Lire aussi   Derrière la décroissance, de la gauche à la droite identitaire, une multitude de chapelles

La décroissance recouvre plusieurs réalités : une stratégie de transition, un mouvement, une mosaïque de pratiques, une idéologie, une théorie et un domaine d’étude. Au sein du mouvement écologiste, si Delphine Batho la défend, les autres candidats s’y opposent, mais connaissent mal le sujet, qu’ils réduisent à une croissance négative du PIB. Les débats des Verts sont par conséquent loin de refléter la profondeur du champ de la décroissance, qui fait aujourd’hui partie des grandes idées qui façonnent l’écologie politique.

Timothée Parrique est docteur en sciences économiques, auteur d’une thèse sur la décroissance (« The Political Economy of Degrowth », 2019).

Décroissance, généalogie d’une idée

Si le constat des limites de la croissance et la critique du progrès ne sont pas nouveaux, il reste à en faire les prémisses d’un système économique et social durable et démocratique.

Timothée Parrique(Economiste)

***L’écologie face au piège de la décroissance

CHRONIQUE

auteur

Stéphane Lauer

éditorialiste au « Monde »

L’innovation et la technologie ne sont pas les ennemies de la cause environnementale. Surmonter les défis écologiques sans elles revient à proposer un projet de décroissance qui mènera à une impasse.

Publié le 06 juillet 2020 à 02h27 – Mis à jour le 06 juillet 2020 à 13h59    Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/06/l-ecologie-face-au-piege-de-la-decroissance_6045290_3232.html

Chronique. Parmi les combats que le nouveau maire Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Bordeaux, Pierre Hurmic, a menés au cours de sa carrière politique, la lutte contre les lignes de train à grande vitesse fut sans doute l’un des plus acharnés. Pourtant, ce mode de « transport de niche et de riches qui ne profite qu’aux métropoles », selon lui, a sans doute joué un rôle dans sa victoire lors des élections municipales du 28 juin. Le TGV a contribué à réveiller « la belle endormie » qu’était Bordeaux en accélérant un changement sociologique de la population, sans lequel ce bastion de droite réputé imprenable pendant soixante-treize ans n’aurait sans doute jamais basculé dans le camp écologiste.

Quelle ironie ! La modernité et la technologie seraient donc parfois susceptibles, malgré elles, de faire avancer la cause environnementale. Pour être honnête, ces derniers jours, on avait fini par croire que les deux étaient définitivement incompatibles.

Lutte contre la 5G

Il y a eu d’abord cette improbable polémique sur les dangers potentiels de la cinquième génération de téléphonie mobile (5G). Que voulez-vous, Pierre Hurmic « n’aime pas les techniques imposées ». Il n’est pas le seul : à Strasbourg, Lyon ou encore Besançon, les maires écologistes fraîchement élus ont fait de la lutte contre la 5G leur cheval de bataille.

Lire aussi   A Marseille, Lyon, Bordeaux, Montpellier ou Strasbourg, les nouveaux maires enfilent leur écharpe tricolore

Il est plus facile de nourrir des thèses ésotériques sur la propagation des ondes ou d’affirmer comme le maire EELV de Grenoble, Eric Piolle, que la 5G sert surtout à regarder du porno, que d’expliquer ce que cette technologie peut apporter, parfois de façon contre-intuitive, au développement durable : l’essor des villes intelligentes appelées à devenir moins gourmandes en énergie, permettre la circulation des véhicules autonomes afin de réinventer les déplacements dans les centres urbains, encourager la télémédecine ou l’enseignement à distance, dont la récente pandémie a montré toute l’utilité.

Peu importe si les maires n’ont pratiquement aucun levier pour réglementer l’implantation des antennes relais de 5G sur leur territoire, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans une décision d’octobre 2011. Faire semblant d’avoir la main sur le sujet en menaçant de décréter des moratoires est sans doute beaucoup plus facile et plus payant sur le plan électoral que d’imaginer comment mettre l’innovation au service de l’environnement.

Bonneteau énergétique

La politique à courte vue a aussi fini par l’emporter dans l’interminable feuilleton sur la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin). Une alliance électorale de circonstance entre le Parti socialiste de François Hollande et EELV remontant à 2012 a conduit à une fermeture définitive du site, contestable aussi bien sur le plan économique qu’environnemental.

Les climatologues du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ainsi que l’Agence internationale de l’énergie (AIE), affirment pourtant qu’il sera impossible de limiter le réchauffement climatique de 1,5 °C, comme le préconise l’accord de Paris sur le climat, sans augmenter considérablement la production nucléaire.

La France se paie donc le luxe de s’astreindre à décarboner une production d’électricité qui n’émet quasiment pas de CO2

Le nucléaire présente des défauts incontestables, notamment en matière de recyclage des déchets. Mais le remplacer par du solaire et de l’éolien, qui, à production identique, consomment plus de métaux, de ciment, tout en occupant plus d’espace au détriment de la biodiversité, pose aussi question. Sans parler de la dégradation de notre balance extérieure. Le temps que la bascule vers ces énergies renouvelables se réalise, nous serons contraints d’importer plus d’électricité, dont la légèreté de l’empreinte carbone n’a rien de garanti.

Dans cette affaire, la France se paie donc le luxe de s’astreindre à décarboner une production d’électricité qui n’émet quasiment pas de CO2. Comme si le pays avait les moyens et le temps d’investir des centaines de milliards d’euros dans ce bonneteau énergétique qui n’améliorera pas d’un iota notre bilan carbone. Les Shadoks n’auraient pas fait pire.

Au nom d’un combat antinucléaire, qui peine à s’adapter aux nouvelles contingences de la lutte contre le réchauffement climatique, on prend le risque de fragiliser la position énergétique de la France, dont les émissions de CO2 par habitant sont plutôt basses, comparées à celles des autres pays industrialisés.

Chaque source d’énergie non fossile a ses avantages et ses inconvénients. Ne pas étudier sérieusement l’équilibre entre les deux, sans dogme ni a priori, revient à se condamner à faire des choix hasardeux en jouant sur la méconnaissance de l’opinion sur ces sujets. Dès lors que 69 % des Français sont convaincus que le nucléaire contribue au dérèglement climatique, il semble difficile d’instaurer un débat apaisé et constructif.

Responsabilité des politiques

Au-delà de la méconnaissance de l’opinion, les dirigeants politiques ont aussi leur part de responsabilité dans ce gâchis. Incapables de se projeter sur le long terme, certains préfèrent surfer sur des effets d’annonce sans lendemain pour flatter des électorats volatils.

Emmanuel Macron semble vouloir de nouveau inscrire la politique en ce domaine dans le temps long en se fixant pour objectif de « réindustrialiser le pays en réinventant un modèle industriel écologique », affirme-t-il dans l’entretien qu’il a accordé à la presse quotidienne régionale le 3 juillet. C’est un premier pas dans le bon sens à condition d’être au clair sur nos priorités. « On ne peut pas parler de réindustrialisation et de relocalisation si on ne s’attend pas à ce que la France consomme plus d’énergie pour produire tout cela », a rappelé Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, lors des Rencontres économiques d’Aix-en Seine, vendredi 3 juillet, soulignant le rôle majeur que devra jouer le nucléaire.

Lire aussi   Comment Emmanuel Macron veut contrer la poussée écologiste

L’innovation et la technologie ne sont pas les ennemies de l’écologie. Sans elles, surmonter les défis de la préservation de la planète revient à proposer un projet de décroissance qui mènera à une impasse. Les deux mois de confinement ont constitué un test utile pour mesurer ce que cela signifie, notamment pour les plus démunis. Ce peut être un choix, mais il faut qu’il soit clairement assumé par ses promoteurs.

Stéphane Lauer(éditorialiste au « Monde »)

****« La décroissance n’est ni un programme ni même une théorie, mais une aspiration »

TRIBUNE

François Jarrige

Historien

L’historien François Jarrige retrace, dans une tribune au « Monde », les évolutions de ce concept depuis le XIXe siècle, quand il a fait surface en même temps que les premiers débats sur l’industrialisation du monde.

Publié le 24 septembre 2021 à 15h01 – Mis à jour le 26 septembre 2021 à 17h48    Temps de Lecture 4 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/24/la-decroissance-n-est-ni-un-programme-ni-meme-une-theorie-mais-une-aspiration_6095900_3232.html

Tribune. Chaque société a ses tabous ; ils s’accrochent parfois à des mots anodins ou étranges, comme celui de « décroissance », sans cesse repoussé et disqualifié depuis vingt ans. Anxiogène, peu mobilisateur, négatif, réactionnaire, lubie de riche ou concept (déjà) dépassé, tous les arguments éculés pour le discréditer ne peuvent résister au constat implacable, énoncé depuis des décennies maintenant, selon lequel l’extraction et l’accumulation matérielle atteignent leurs limites alors que les imaginaires dominants de la croissance nous poussent vers l’abîme.

Les grands médias s’intéressent aujourd’hui à la décroissance après des décennies de silence ou de déni. Ils y sont évidemment poussés par la force des choses, alors que le dernier rapport du GIEC conclut que « le changement climatique se généralise, s’accélère et s’intensifie ». Les pires prévisions, répétées depuis des décennies par ceux qui se disaient « décroissants », ne cessent de se confirmer, alors que s’impose l’urgence d’une réduction massive des émissions de CO2, c’est-à-dire de la plupart des flux de matières qui constituent le fondement de nos existences.

Décryptage :  La décroissance : d’où vient ce concept politique qui fait débat à la primaire écologiste ?

La décroissance n’est ni un programme d’action précis ni même une théorie, mais une aspiration née de la conscience aiguë des contradictions et impasses qui caractérisent nos modes de vie, nos infrastructures et nos imaginaires. Ce terme s’inscrit à la fois dans la longue durée des débats sur l’industrialisation du monde, et dans les temporalités plus courtes de l’évolution de l’écologie politique depuis les années 1970.

Envie d’en savoir plus sur la croissance et la décroissance ?Test gratuit

Externalités négatives

Longtemps, l’idée même de croissance économique n’avait aucun sens, la croissance renvoyant d’abord à la biologie pour décrire l’augmentation de taille des êtres vivants. Le terme fut repris par la théorie économique. Jusqu’au XIXe siècle, les sociétés vivaient dans un monde relativement stable, gérant la pénurie et des ressources contraintes. Dès les débuts de l’essor industriel, de nombreux doutes sont exprimés à l’égard du projet d’expansion continue de la production, et de nombreuses alertes sont formulées contre le projet moderne d’artificialisation du monde.

Lire aussi   Montée des inégalités, changement climatique… Faut-il en finir avec la croissance ?

La question de la décroissance émerge surtout au XXe siècle, lorsque la croissance devient l’idéologie dominante et l’horizon principal. Le projet moderne d’accumulation matérielle s’intensifie en effet au milieu du XXe siècle ; de nouveaux critères économiques s’imposent afin de la mesurer et d’en faire une référence pour l’action publique (c’est le fameux PIB). C’est ce qui pousse certains observateurs et intellectuels à tenter d’ouvrir la « boîte noire » de la croissance, de pénétrer dans son fonctionnement, d’évaluer ses effets et ses impasses.

Alors que la théorie économique héritée du XIXe siècle s’était développée en laissant de côté les effets délétères sur la nature, la question des « externalités négatives » émerge ainsi avec Arthur Cecil Pigou (1877-1959), qui propose l’instauration des premières taxes sur les pollutions. L’économiste germano-américain Karl William Kapp (1910-1976) décortique, de son côté, les coûts sociaux et environnementaux de la croissance, alors qu’à la fin des années 1960, le Britannique Ezra J. Mishan publie The Costs of Economic Growth (1967), un traité ambitieux qui annonce les théories hétérodoxes de la bioéconomie. La pollution y est analysée comme un frein à la poursuite du développement.

Lire aussi   Derrière la décroissance, de la gauche à la droite identitaire, une multitude de chapelles

Le débat s’intensifie surtout dans les années 1970, à la suite des chocs pétroliers, des crises énergétiques et des alertes écologistes formulées dans un contexte de vives conflictualités sociales. En 1972, le rapport Meadows sur les « limites à la croissance » suscite d’abondants débats. L’opposition entre croissance et décroissance surgit en lien avec l’essor d’une économie hétérodoxe nourrie par la théorie des systèmes et l’écologie fonctionnelle.

Nouveau paradigme

Le mathématicien et économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) publie des travaux majeurs qui remettent en cause l’orthodoxie économique, comme les illusions des promoteurs du « développement durable ». A leur place, il propose un nouveau paradigme autour d’une « perspective bioéconomique » qui vise à réduire l’empreinte matérielle en contestant la folie de la croissance soutenue par la science économique, qu’elle soit d’inspiration marxiste ou néoclassique. Mais cet auteur fut mis de côté dans les années 1980 alors que la mondialisation, couplée à l’informatisation du monde, devait inventer une « croissance verte » censée être immatérielle

.Lire aussi   Les théories de la décroissance sont-elles vraiment applicables ?

Le concept de « décroissance » ressurgit dans le champ politique et militant au début du XXIe siècle, pour qualifier un sous-groupe de l’écologie politique attaché à la critique du développement économique comme objectif cardinal. Le terme lui-même a été inventé par le philosophe Jacques Grinevald pour contrer les opérations idéologiques de « greenwashing ». L’économiste et philosophe Serge Latouche a été l’un de ses principaux promoteurs en France.

Le thème s’impose parmi les déçus de l’écologie institutionnelle, il gagne en audience dans un fourmillement d’expérimentations et de querelles. Plusieurs conceptions s’affrontent, alors que les tentatives pour circonscrire cette constellation complexe se multiplient. Mais la « décroissance » est surtout un « mot-obus », une stratégie discursive provocatrice qui entend porter l’attaque au cœur du système idéologique dominant, en laissant peu de prise aux récupérations. C’est en France que le mot a sans doute le plus circulé.

Lire la chronique de Stéphane Lauer :  L’écologie face au piège de la décroissance

Une nouvelle phase s’ouvre aujourd’hui : le terme circule de plus en plus dans divers pays, les initiatives se multiplient et la décroissance devient à la fois un thème dans le débat présidentiel, mais aussi un programme de recherche académique qui mobilise économistes, ingénieurs, chercheurs en philosophie et en sciences sociales. L’enjeu est toujours de dénaturaliser la « croissance », qui demeure la boussole des politiques publiques et la cause des crises écologiques à répétition que nous vivons. Alors que les plans de relance continuent de célébrer la croissance comme seul horizon, il s’agit de rompre avec cette évidence pour rouvrir le champ des possibles, et imaginer d’autres façons de vivre dans un monde « post-croissance ».

François Jarrige est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne.

Décroissance, généalogie d’une idée

Si le constat des limites de la croissance et la critique du progrès ne sont pas nouveaux, il reste à en faire les prémisses d’un système économique et social durable et démocratique.

François Jarrige(Historien)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire