Une gériatrie ambulatoire à Rodez: « La crise nous a conduits à mettre en place des dispositifs innovants sur lesquels nous ne reviendrons pas »

A Rodez, une gériatrie ambulatoire pour optimiser les ressources hospitalières

Durant la crise sanitaire, le centre hospitalier aveyronnais a mis en place une équipe mobile afin de pouvoir répondre plus efficacement aux besoins des patients âgés. Un système qui sera maintenu. 

Par Eric Nunès(envoyé spécial à Rodez)Publié le 09 août 2022 à 09h45  

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Il est 8 h 30 en ce lundi de juillet, la docteure Daniele Kaya-Vaur, cheffe du service gériatrie du centre hospitalier de Rodez, débarque dans son bureau. Elle jette un œil à son agenda et file en « réunion de staff ». Devant son équipe soignante de 9 personnes (100 % féminine), elle s’empresse de raconter son week-end. Il est vrai qu’il a fait beau et doux dans l’Aveyron, la ville est en fête, elle vient d’accueillir le rallye automobile du Rouergue et s’apprête à être ville étape du Tour de France cycliste.

Elle commence donc : « Samedi matin, chambre 402, la radio de contrôle indique un écoulement ; chambre 404, j’ai suspecté une infection vertébrale et négocié une IRM, en plus le patient est positif au Covid ; chambre 406… » D’astreinte gériatrique mobile, la médecin a contrôlé deux jours durant, avec l’appui de quatre infirmières et autant d’aides-soignantes, l’état de santé des occupants de trente lits de l’unité de soins de longue durée, plus seize de soins de suite et de réadaptation, et encore trente et un de courts séjours gériatriques. Aux patients de l’hôpital s’ajoute le suivi des cent trente-cinq résidents de l’Ehpad voisin Les Peyrieres. En prime, elle assure la permanence téléphonique gériatrique qui fait le lien entre l’hôpital, la médecine de ville et les Ehpad du territoire.

La docteure Daniele Kaya-Vaur, à l’hôpital de Rodez , le 18 juillet 2022.
La docteure Daniele Kaya-Vaur, à l’hôpital de Rodez , le 18 juillet 2022.  ERIC NUNÈS POUR « LE MONDE »

Cette équipe de spécialistes du grand âge a été constituée lors de la première vague de Covid-19, en 2020. Alors que la pandémie faisait des ravages parmi ces personnes, « il a fallu rapidement mettre en place une équipe dédiée, composée d’un médecin infectiologue, d’un hygiéniste et d’un gériatre, pour instaurer sur le terrain un système d’isolement des patients Covid », explique la docteure Kaya-Vaur. Ensuite, un médecin coordinateur a été chargé de flécher les prises en charge en tenant compte de la dimension polypathologique des personnes âgées, afin qu’elles soient tout de suite orientées dans la filière adéquate sans nécessairement passer par les urgences. Une manière de prévenir une embolie du service.

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La garde du week-end terminée, Daniele Kaya-Vaur passe le téléphone d’astreinte à sa consœur, la docteure Elise Carrez, qui va à son tour répondre aux appels, prioriser les urgences, flécher les parcours. « Le téléphone maudit », lâche-t-elle. Car la médecin sait qu’elle ne pourra pas, à chaque appel, répondre positivement aux sollicitations des médecins et donner suite à l’hospitalisation qu’ils attendent pour leur patient. Le service est plein et les prévisions de sortie sont rares. Le taux d’occupation des lits frôle les 100 %.

Un effectif de médecins « à 50 % »

Les docteures Kaya-Vaur et Carrez commencent leur tournée matinale, elles contrôlent l’état des patients, prescrivent, analysent les tests biologiques et les résultats d’imagerie. Le nombre de patients positifs au Covid-19 est à nouveau à la hausse, mais l’hôpital ne dispose plus d’unité allouée. Il faut donc isoler chaque patient et « se changer des pieds à la tête à chaque consultation, poursuit Daniele Kaya-Vaur, c’est chronophage ! ». Le « téléphone maudit » sonne régulièrement, entre deux auscultations, Elise Carrez s’échappe dans un couloir et pare au plus pressé : à un généraliste qui l’appelle pour une patiente déshydratée, elle conseille une perfusion, un contrôle sanguin et un examen clinique, à un psychologue qui s’inquiète d’une surdose d’antidépresseurs, elle le redirige vers le médecin traitant. A un troisième appel concernant une personne qui a fait une chute, elle accepte la prise en charge en ambulatoire. La journée ne fait que commencer.

Les docteures Daniele Kaya-Vaur et Elise Carrez, à l’hôpital de Rodez, le 18 juillet 2022.
Les docteures Daniele Kaya-Vaur et Elise Carrez, à l’hôpital de Rodez, le 18 juillet 2022.  ERIC NUNÈS POUR LE MONDE

Daniele Kaya-Vaur poursuit également ses consultations, consciencieusement et au pas de course, car si le service est saturé de patients, les médecins manquent. « Aujourd’hui, j’ai un interne en arrêt maladie et deux médecins en vacances, notre effectif est à 50 %. Nous sommes sous pression constante et les journées sont longues. Parallèlement, nous ne parvenons pas à recruter. Mais comment convaincre un médecin de nous rejoindre dans cette galère ? », interroge-t-elle.

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Coup de fil des urgences : on demande à la gériatre de mesurer l’état de santé d’un vieil homme nouvellement arrivé. Daniele Kaya-Vaur descend à la hâte les quatre étages qui séparent les deux services en se remémorant l’état de ses patients pour trouver lequel pourrait sortir afin de libérer un lit. Sur place, Yves Bares, médecin urgentiste, fulmine : « Des familles débarquent aux urgences, elles y laissent leurs aînés dépendants et partent en vacances ! » Les urgences sont parfois un dernier recours pour les aidants d’un proche en perte d’autonomie. La docteure Kaya-Vaur admet dans son service le patient atteint de démence, un lit de plus est occupé. Jongler avec les arrivées, organiser les sorties et les transferts vers d’autres services ou vers un Ehpad occupe les médecins presque autant que les soins qu’ils portent.

La création de cette équipe gériatrique ambulatoire donne à ses soignants une vision transversale de l’état des forces humaines à l’hôpital, dans les Ehpad, et elle renforce le lien avec la médecine de ville. « La crise nous a conduits à mettre en place des dispositifs innovants sur lesquels nous ne reviendrons pas », observe Vincent Prévoteau, directeur de l’hôpital. Il s’agit d’une optimisation des moyens disponibles pour que chaque patient soit à la place que nécessite son état de santé. Un système rationnel, efficace, mais qui ne doit pas conduire à l’épuisement de celles et ceux qui s’investissent sans compter pour le faire tourner.

Eric Nunès(envoyé spécial à Rodez)

*https://environnementsantepolitique.fr/2022/08/09/fermetures-multiples-en-geriatrie-hospitaliere-publique/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/08/11/les-seniors-affrontent-inegalement-leur-perte-dautonomie-selon-leur-niveau-et-leur-lieu-de-vie/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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