Retour aux 90 km/h en Ardèche : « C’est le grand bonheur ! Le 80 rend fou »
Au 1er septembre, le département s’ajoutera à la longue liste de ceux qui ont relevé la limitation de vitesse sur leurs routes secondaires. Si des conducteurs s’en réjouissent, notamment pour faciliter les dépassements, les écologistes s’alarment.
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Sur les routes d’Ardèche l’été, les véhicules des touristes donnent le tempo. Des camping-cars, des automobiles immatriculées à l’étranger, des voitures tirant des caravanes, des cars, des cyclistes aux vélos chargés se succèdent. Alors que de somptueux paysages se dessinent à l’horizon, le trafic devient plus lent. En pleine période estivale, la route qui mène d’Aubenas à Privas, la D 104, confirme l’attrait touristique de ce département, coincé entre les Cévennes et la Drôme. Parfois, un « 07 », synonyme d’Ardéchois, un peu pressé, s’immisce dans cette longue file et ose un dépassement.
Dans ce secteur, les vacanciers semblent peu concernés par la nouvelle réglementation, qui autorisera, au 1er septembre, la vitesse maximale de 90 kilomètres à l’heure sur les routes de l’Ardèche, qui, comme l’Yonne d’ici à la fin de l’année, rejoindra la liste des quarante-trois départements ayant déjà choisi de rehausser la limitation de vitesse sur leurs réseaux secondaires de 10 km/h. Selon un sondage réalisé en mai par le quotidien régional Le Dauphiné, 75 % des 2 800 personnes interrogées approuvaient la décision du président du département, Olivier Amrane (Les Républicains), élu en 2021, après vingt-trois ans de présidence socialiste.
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« C’est le grand bonheur, témoigne Florence Lacombe, une habitante du sud du département. Le 80 rend fou ! Ça irrite les conducteurs. Ici, nous avons beaucoup de routes sinueuses. Alors quand il y a une ligne droite, on aimerait pouvoir accélérer un peu. »L’Ardéchoise, victime il y a plusieurs années d’un grave accident de la route et qui a passé « deux ans entre parenthèses », en est convaincue : « Quatre-vingts ou 90 km/h, c’est un faux problème et ce n’est pas ça qui augmente le nombre d’accidents. Par contre, ça rend service à ceux qui se déplacent en voiture pour travailler. »
« Nous sommes enclavés »
Installé plus au nord, à Privas, Jean-Loup Blachier, âgé de 63 ans et à la tête de trois centres de contrôle technique, applaudit également : « Cette vitesse de 80 km/h oppresse les automobilistes, ça stresse les gens. Vous ne pouvez même pas doubler les camions, les gens deviennent nerveux au volant. » Pour le cycliste Guy Astier, habitant de Chomérac, le retour aux 90 km/h est aussi « une bonne chose ». « A 80, les gens papillonnent et ne sont pas attentifs, à 90, ils sont plus concentrés. Et cette vitesse est quand même intéressante pour doubler. Il m’arrive de mettre une heure pour faire les 32 kilomètres entre Chomérac et Valence. En Ardèche, on ne parle pas en kilomètres, mais en temps. »
D’Annonay à Vallon-Pont-d’Arc, sur les bords des routes, les agents du département installent les nouveaux panneaux. En revenant aux 90 km/h, qui concerneront 3 400 kilomètres de voirie départementale (172 portions dangereuses resteront à 70 km/h), pour un coût d’un peu plus de 50 000 euros, le président du département souhaite « réaffirmer la place de la voiture dans les départements ruraux » et faire un pied de nez à Paris. « Il faut souligner le vrai décalage avec des décisions prises dans la capitale. On veut diaboliser la voiture, mais ici, c’est impossible de se déplacer à vélo, à moins de faire partie des meilleurs du Tour de France, et encore…, ironise Olivier Amrane. Nous vivons la ruralité au quotidien. Nous sommes enclavés. Nous ne pouvons pas calquer ce qu’il se passe à Lyon ou à Saint-Etienne. »

Consultée comme il se doit, la commission départementale de sécurité routière a rendu un avis défavorable au retour aux 90 km/h, début juillet. Située dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’Ardèche est un territoire majoritairement rural et faiblement peuplé. Seul département à ne pas posséder de gare ferroviaire, l’Ardèche est aussi dépourvue d’autoroute. Au département, l’entourage du président assure que cette décision peut faire gagner « entre dix et vingt minutes par jour sur un déplacement de 100 kilomètres ». Des chiffres « calculés », explique Olivier Amrane, par ses propres collaborateurs, lors de leurs déplacements quotidiens.
La commission départementale de sécurité routière a rendu un avis défavorable au retour aux 90 km/h, début juillet
Aucune étude ne confirme cette affirmation et l’argument a de quoi faire douter les écologistes. « Pour cela, il faudrait rouler à 90 km/h sur l’ensemble du trajet, et en Ardèche, c’est tout simplement impossible »,conteste Guillaume Vermorel, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts, qui voit dans cet assouplissement « une décision politicienne ». Les écologistes dénoncent un choix « déconnecté de la réalité ». « Emettre plus de CO2 va à l’encontre du bon sens, alors que nous vivons des épisodes répétés de forte chaleur depuis la fin mai et que nous nous dirigeons vers un changement climatique important. »
« Les élus ont une responsabilité »
Cyril Richard et Emma Martinez, deux randonneurs croisés dans le centre d’Aubenas, et qui ne se déplacent qu’en bus lorsqu’ils ne marchent pas, partagent le point de vue des écologistes. « Nous avons eu des retards avec le bus, mais ce n’est pas très grave. La crise écologique devrait ouvrir les yeux aux élus, affirme le vacancier. Ils ont une responsabilité. Passer à 90 km/h ne va pas faire gagner beaucoup de temps aux Ardéchois, alors que cela risque d’affecter le climat. »
Instaurée en 2018, sous le premier mandat d’Emmanuel Macron, pour diminuer la mortalité sur les routes, cette mesure avait provoqué la fronde des automobilistes dans le pays. L’Ardèche et sa voisine la Drôme étaient parmi les premiers départements à se mobiliser contre la réduction de la vitesse. Dès janvier 2018, des manifestations avaient réuni plusieurs centaines de motards et d’automobilistes, notamment aux abords de la nationale 7, la fameuse « route des vacances », abritant alors un tronçon test, avant que cette mesure de l’Etat n’entre en vigueur sur l’ensemble du territoire.
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Depuis décembre 2019, les départements sont autorisés à relever cette limitation à 90 km/h. Le socialiste Laurent Ughetto, alors à la tête de l’Ardèche, avait qualifié cette proposition de « mascarade », estimant que cette responsabilité devait revenir à l’Etat. Au contraire, son successeur depuis le 1er juillet 2021 n’a pas perdu de temps pour tenir sa promesse, annoncée fin mai et instaurée sur une simple décision de la majorité départementale.
Franck Parat, qui habite l’Ardèche et travaille à Nîmes, s’inquiète de l’augmentation de la vitesse autorisée : « Tous les jours, j’assiste à des comportements dangereux sur la route, je ne suis pas certain que ce choix soit pertinent. » Olivier Amrane, au contraire, le répète : « Notre boussole reste la même : celle de la sécurité routière avant tout, et il n’y a pas eu moins d’accidents quand nous sommes passés à 80 km/h. » Contactée aux niveaux local et national, l’association Prévention routière n’a pu être jointe.
A quelques kilomètres de l’Ardèche, à Pont-Saint-Esprit (Gard), l’information est reçue dans une certaine indifférence aux Ambulances du Vieux-Pont : « Cela ne changera pas grand-chose pour nos déplacements, mais ce qui va être plus compliqué, c’est de s’adapter. En Ardèche, ce sera 90 km/h, dans le Gard et l’Hérault, 80 km/h… Une harmonisation serait plus simple pour beaucoup de monde. »
Agathe Beaudouin(Nîmes, correspondante )
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