Maîtriser les risques, gérer l’urgence et souvent la pénurie sans jamais communiquer son stress, c’est le métier de directeur d’hôpital.

« Ma priorité est de protéger l’emploi soignant » : dans les pas d’une directrice d’hôpital

Entre maîtrise des risques et traitement de l’urgence, Elisabeth Calmon, la directrice des centres hospitaliers de Rambouillet et Houdan, dans les Yvelines, gère la crise au quotidien. 

Par Eric NunèsPublié le 25 juillet 2022 à 04h47 – Mis à jour le 25 juillet 2022 à 10h50  

Temps de Lecture 6 min. https://www.lemonde.fr/sante/article/2022/07/25/ma-priorite-est-de-proteger-l-emploi-soignant-dans-les-pas-d-une-directrice-d-hopital_6135984_1651302.html

Elisabeth Calmon durant la première réunion de sa journée pour parler de différents sujets de communication, investissement, logiciels etc., le 30 juin 2022.
Elisabeth Calmon durant la première réunion de sa journée pour parler de différents sujets de communication, investissement, logiciels etc., le 30 juin 2022.  JULIE BALAGUE POUR « LE MONDE »

C’est une marathonienne par destination. Elisabeth Calmon, 55 ans, directrice des centres hospitaliers de Rambouillet (464 lits) et Houdan (292 lits), dans les Yvelines, court. Elle court contre son agenda. Il est 8 h 30 ce mercredi de la fin juin, et sur ses sandales à talons compensés, elle dégringole les deux étages qui mènent à son bureau, remonte une rue, râle contre son arthrose mais trotte encore dans un souterrain décrépi de l’établissement pour rejoindre la énième réunion de sa semaine.

Cette fois, il s’agit de faire un point de situation avec 25 cadres hospitaliers (dont 21 femmes) sur l’audit qu’a mené la Haute Autorité de santé (HAS), la semaine précédente, sur ses établissements. Un large sourire aux lèvres, Mme Calmon remercie chaleureusement l’ensemble des responsables de service et les équipes à travers eux. A l’issue d’une semaine d’enquête, « un inspecteur a dit qu’il viendrait se faire soigner dans nos hôpitaux. C’est le plus beau compliment que l’on puisse nous faire », lance-t-elle à ses troupes, enthousiaste.

Quelques minutes plus tôt, dans son bureau, elle concevait pourtant un plan de contre-mesures pour convaincre la HAS d’accorder son accréditation, « parce que là, on a chaud aux fesses ». Maîtriser les risques, gérer l’urgence et souvent la pénurie sans jamais communiquer son stress, c’est le métier de directeur d’hôpital.

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Deux critères manquants

Pour évaluer la qualité des soins d’un établissement, les inspecteurs de la HAS réalisent sur les services de soins un audit sur 110 critères. Le groupe hospitalier de Rambouillet obtient cette année un score de 92 %, une bonne note. Mais là où le bât blesse, c’est qu’il existe quinze critères à valider pour obtenir la certification. Deux manquent : la traçabilité des chariots d’urgence et la gestion des médicaments à risques.

10 heures. De retour à son bureau, Elisabeth Calmon, accompagnée de Marine Faure, ingénieure qualité, finalise une réponse à mettre en œuvre sur le terrain et une autre à apporter à la HAS. Un groupe de travail est rapidement mis en place afin de comprendre pourquoi la procédure n’a pas été respectée. Viendront un cycle de formation, de rappels des bonnes pratiques, puis une traçabilité et des audits internes pour s’assurer que le message est bien passé. « Il faut transmettre ce plan d’action à la HAS, avec les copies des feuilles de traçabilité comme élément de preuve », conclut la directrice.

Elisabeth Calmon lors d’une réunion d'urgence pour parler du circuit patient dans le cadre d'un cluster au sein d'un service.
Elisabeth Calmon lors d’une réunion d’urgence pour parler du circuit patient dans le cadre d’un cluster au sein d’un service.  JULIE BALAGUE POUR « LE MODNE »

La certification est-elle nécessaire au fonctionnement de l’hôpital ? « Vous monteriez dans un avion qui n’a pas de certificat de navigabilité ? », répond Pascal Dufour, directeur adjoint. La mission des inspecteurs fait ou défait la réputation d’un hôpital.

La matinée avance, une délégation de Force ouvrière (FO) vient rendre compte des inquiétudes du terrain, il se murmure dans les couloirs de l’établissement de Houdan qu’une fusion avec celui de Rambouillet serait dans les projets de l’agence régionale de santé. Mme Calmon rassure : « Aujourd’hui il n’en est pas question ! » Du côté de FO, on aimerait la croire sur parole, mais la réforme de 2016, qui a vu 891 hôpitaux fusionner en 135 groupements hospitaliers de territoire, a laissé de mauvais souvenirs et des suppressions de postes à force de mutualisation.

Pour les directions hospitalières, cette réforme a aussi changé le métier. « Il s’agissait de constituer des regroupements d’établissements publics à l’échelle d’un territoire pour offrir une offre de soins étendue et graduée, expose en aparté Elisabeth Calmon. Cela change fondamentalement notre exercice car l’équipe de direction, dorénavant, exerce sur plusieurs sites. Il est essentiel que nous arrivions malgré tout à conserver un exercice de proximité, au plus proche des services. »

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Tenir vaille que vaille

Lucas Le Hetet, secrétaire FO de l’hôpital de Houdan, revient à la charge : « La mutualisation a ses limites ! La charge de travail de cinq personnes est assumée à deux ! Nous manquons d’un informaticien, de manipulateurs radio. Le personnel est acculé et les infirmières sont prêtes à se mettre en grève ! » La directrice désamorce en se rangeant à l’avis du syndicaliste : « On fait tout pour recruter, on fait tout ! Ma priorité est de protéger l’emploi soignant. » « On ne vous tient pas responsable de la situation », lui répond-on. Tout le monde semble s’accorder pour tenir vaille que vaille. Midi sonne. La patronne hospitalière a quinze minutes pour rejoindre la cantine et engloutir une salade.

Elle jette un œil dans le rétroviseur de sa carrière :

« Le problème du recrutement infirmier, je l’entends depuis trente-trois ans. Nous sommes en pénurie de manière cyclique. C’est un métier qui prend la lumière, tout le monde en a une conception, et puis ceux qui font ce choix de carrière sont confrontés à la réalité et ils la prennent en pleine poire ! Même si les revalorisations issues des consultations du Ségur de la santé de 2020 ont été importantes, cela ne répond pas à l’ensemble du malaise. Pour exercer, il faut y mettre sa tête, ses jambes, son cœur et ses tripes. Il faut donc trouver du sens. Parallèlement, les soins sont de plus en plus techniques, les soignants sont de mieux en mieux payés mais de moins en moins nombreux et donc sous une pression permanente. Ensuite, il y a un effet générationnel, on ne fait plus aujourd’hui toute une carrière dans le même métier. »

Le frugal repas de la cantine hospitalière avalé, une autre épreuve bouscule l’ordre du jour : un deuil. Une aide-soignante invite, dans la chapelle de l’établissement, ses collègues à rendre un dernier hommage à sa fille, également soignante, décédée d’un cancer à 31 ans. Un mur de blouses blanches s’est formé et fait bloc pour soutenir leur collègue. Elisabeth Calmon prononce quelques mots de soutien, mais c’est la soignante endeuillée qui encourage l’assemblée silencieuse : « Il faut continuer à se battre, pour les soins, pour l’hôpital public ! »

Elisabeth Calmon, de retour d'un déjeuner pris en 15 minutes à la cantine le 30 juin 2022.
Elisabeth Calmon, de retour d’un déjeuner pris en 15 minutes à la cantine le 30 juin 2022.  JULIE BALAGUE POUR « LE MONDE »

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La bataille à mener en début d’après-midi concerne l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad). L’hôpital de Rambouillet est constitué de plusieurs générations de bâtiments. Les plus anciens, en briques et pierres de meulière, construits il y a quatre-vingt-dix ans, tiennent bon. Les bâtiments en béton ajoutés dans les années 1970 aussi. Mais l’Ephad, sorti de terre en 2000, est entouré de casquettes de béton dont plusieurs menacent de s’écrouler. Pour protéger les 156 résidents, une forêt d’étais entoure l’immeuble. La solution serait de supprimer les éléments à risques. Une option économique qui ne sied pas à l’architecte des bâtiments de France, favorable à des travaux de restauration lourds. A l’hôpital de trouver le financement.

D’autres aménagements sont aussi nécessaires sur le même bâtiment. Quelques résidents, un peu farceurs, s’amusent à déclencher régulièrement l’alarme incendie. Avec Lionel Lacaze, ingénieur travaux, Elisabeth Calmon imagine un système mécanique qui limiterait les déclenchements intempestifs sans compromettre la sécurité. Enfin, de nouveaux travaux sont encore à prévoir depuis l’arrivée d’une nouvelle résidente : Mme S., ancienne gymnaste atteinte de dégénérescence mentale mais physiquement en pleine forme. La sportive escalade sans mal les garde-corps pour se faire la belle, au risque de se défenestrer. Ils devront être rehaussés.

La partie EPHAD de l'Hôpital de Rambouillet qui doit être renover, le 30 juin 2O22.
La partie EPHAD de l’Hôpital de Rambouillet qui doit être renover, le 30 juin 2O22.  JULIE BALAGUE POUR « LE MONDE »

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Pour financer cette immense machine, toutes les ficelles sont bonnes à tirer même les plus petites. Par exemple, deux tournages cinématographiques sont prévus dans les locaux de l’hôpital cet été. « Le réalisateur voulait du moche »,explique en souriant Marine Lebris, directrice adjointe. Une aile désaffectée leur sera louée au tarif de 21 000 euros hors taxes.

La révolution financière des établissements de santé date de 2004, avec la mise en place de la tarification à l’activité (T2A). Alors que les hôpitaux disposaient jusqu’alors d’une enveloppe de fonctionnement annuelle, ils ont désormais des budgets en lien avec leurs activités réelles : c’est-à-dire les soins qu’ils donnent aux patients. « Cela a eu un caractère inflationniste avec la prise en charge de plus de patients souffrant de pathologies mieux valorisées. Mais l’enveloppe allouée à la santé n’est pas infinie. Pour rester dans les clous d’un budget global national, les tarifs ont eu tendance à diminuer d’une année sur l’autre. Les établissements de santé ont fait des efforts de rationalisation. Mais, à partir de 2010, c’est devenu difficile », explique Elisabeth Calmon. L’hôpital est à l’os.

Un événement a mis fin au mécanisme du « toujours moins ». Le tournant « c’est le Covid, c’est la guerre sanitaire, poursuit la directrice. Avant mars 2020, l’objectif c’était d’avoir moins de lits de réanimation, de patients lourds qui coûtent cher. La ligne était qu’il fallait restructurer et que les lits de réa n’étaient pas utiles dans tous les hôpitaux. Plus personne ne tient ce discours. Les pouvoirs publics ont compris que c’était nécessaire ». L’étau est desserré.

Les besoins en santé sont exponentiels, les progrès de la médecine, le vieillissement de la population, l’explosion des maladies chroniques… « Tout concourt à l’inflation des dépenses alors que les compétences médicales soignantes sont des ressources de plus en plus rares. Il y aura toujours un déséquilibre entre les besoins et l’offre de soins », analyse Elisabeth Calmon. L’hôpital est en crise et il n’est pas près d’en sortir.

Eric Nunès

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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