Nucléaire : le projet de centre d’enfouissement des déchets Cigéo déclaré d’utilité publique
Le gouvernement a reconnu l’intérêt général de ce projet contesté, qui vise à enfouir sous terre les déchets radioactifs les plus dangereux.
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Le dossier était déjà sur la table de son prédécesseur, mais c’est finalement Elisabeth Borne qui a acté l’intérêt général du centre d’enfouissement des déchets nucléaires Cigéo. Le décret déclarant le projet d’utilité publique, signé par la cheffe du gouvernement ainsi que par la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, et le nouveau ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, a été publié au Journal officiel, vendredi 8 juillet. L’opposition à ce projet, mobilisée depuis plusieurs décennies, a dénoncé un « passage en force »au « mépris des interrogations et propositions » émanant de la société civile.
Cigéo vise à enfouir, sous 500 mètres de roches argileuses, les déchets nucléaires dits « de moyenne et haute activité à vie longue », soit les plus dangereux, sur un terrain situé à cheval sur les départements de la Meuse et de la Haute-Marne. Afin de préparer ce projet, un laboratoire souterrain a été mis en service sur ce site en 2000 par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).
Attendue depuis plusieurs mois, cette déclaration d’utilité publique (DUP) constitue, selon l’Andra, une « étape importante ». « C’est un choix d’avancer, pris en responsabilité, pour donner l’assurance aux générations futures qu’elles ne seront pas laissées sans option de gestion des déchets dans un monde toujours plus incertain, explique Pierre-Marie Abadie, le directeur général de l’Andra. C’est tout cela et rien que cela : la DUP n’est pas une autorisation de travaux et ne préempte pas les décisions à venir. »
Ce décret, en effet, n’est pas un accord au démarrage du chantier du centre d’enfouissement proprement dit, qui sera construit à côté de l’actuel laboratoire. L’Andra prévoit de déposer d’ici à la fin de l’année une demande d’autorisation de création, qui déclenchera une instruction de plusieurs années par l’Autorité de sûreté nucléaire. Au terme de celle-ci, les travaux de construction pourraient véritablement débuter.
Les associations veulent attaquer en justice
La déclaration d’utilité publique aura toutefois des conséquences concrètes. Elle permettra de mettre en conformité les documents d’urbanisme avec les besoins du projet et de lancer des travaux préparatoires, tels que la rénovation d’une voie ferroviaire, l’installation d’un transformateur électrique, le déplacement d’un rond-point ou le renforcement de l’alimentation en eau potable. « La DUP n’exempte pas ces travaux des procédures administratives », précise Pierre-Marie Abadie.
Cette déclaration ouvre également la voie au lancement de procédures d’expropriation, au cas où les négociations entamées pour acquérir les derniers terrains nécessaires aux éventuelles futures installations de surface n’aboutiraient pas. L’Andra a encore besoin d’une centaine d’hectares de terres – soit 13 % de la superficie totale du projet – qui couvrent en majorité des chemins communaux et des parcelles agricoles et forestières.
En parallèle de la déclaration d’utilité publique, un second décret publié vendredi inscrit Cigéo parmi les opérations d’intérêt national, des opérations d’urbanisme dotées d’un « régime juridique particulier » en raison de leur « intérêt majeur ». Sur le périmètre du projet Cigéo, la gestion de l’urbanisation, normalement sous la responsabilité des communes, pourra ainsi être déléguée aux services de l’Etat.
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Le Réseau Sortir du nucléaire et le collectif d’associations locales et nationales hostiles à Cigéo ont annoncé leur intention d’attaquer en justice les deux décrets et dénoncent une tentative déguisée « d’ancrer physiquement sur le territoire » un site industriel encore non autorisé. « C’est un non-sens de faire passer ces textes alors que Cigéo n’a pas fait, et ne fera pas, la preuve de sa faisabilité technique », estime Corinne François, membre du collectif Bure Stop.
Un projet « à la fois opportun, pertinent et robuste »
« Quel sens cela aurait-il de commencer les travaux préparatoires alors que tant de lacunes persistent ? », ajoute l’ONG Réseau Sortir du nucléaire, en pointant la persistance de certains risques liés aux incendies et aux explosions souterraines.« Ces points techniques sont connus et identifiés depuis longtemps, répond Pierre-Marie Abadie. Ils seront instruits dans le cadre de la demande d’autorisation de création, qui elle-même ne sera pas un chèque en blanc, puisqu’il y a aura ensuite une phase pilote, des réexamens de sûreté… »
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L’Andra avait déposé en août 2020 les trois mille pages de son dossier de demande de déclaration d’utilité publique auprès du ministère de la transition écologique. En janvier 2021, l’Autorité environnementale a rendu un avis critique sur l’évaluation environnementale du projet. Après la consultation de collectivités et d’établissements publics, dont certains ont délivré des avis négatifs, la commission d’enquête publique a rendu en décembre 2021 un avis favorable, affirmant que Cigéo était un projet « à la fois opportun, pertinent et robuste ». Les opposants dénoncent les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette procédure. « Elle a eu lieu à un niveau très local et n’a pas du tout été à la hauteur des enjeux pour un projet de cette ampleur, estime Joël Domenjoud, administrateur de Réseau Sortir du nucléaire. Et elle n’a retenu qu’une infime partie des interrogations qui subsistent. »
Si le projet allait à son terme, le centre de stockage pourrait être mis en service en 2035, date à laquelle il accueillerait dans un premier temps des déchets de moyenne activité. Les déchets de haute activité, qui resteront radioactifs jusqu’à des centaines de milliers d’années, seraient entreposés de manière industrielle à compter de l’horizon 2080. Les combustibles usés, qui constituent l’essentiel de ces déchets, se trouvent actuellement dans les installations d’Orano (ex-Areva), à La Hague (Manche), sous forme de « colis » vitrifiés.
Perrine Mouterde