En Angleterre, plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue.

« Plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue »

TRIBUNE

Jérôme Barthélemy

professeur de stratégie et management, ESSEC

Selon une étude portant sur les hôpitaux anglais, l’impact des consultants provoque des effets négatifs sur le secteur public, révèle dans une tribune au « Monde », le professeur à l’Essec Jérôme Barthélémy.

Publié aujourd’hui à 06h00    Temps de Lecture 2 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/26/plus-un-hopital-fait-appel-a-des-consultants-plus-son-efficience-diminue_6132066_3232.html

Tribune. Un rapport du Sénat intitulé « Un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques », a révélé en mars que les dépenses de conseil de l’Etat français avaient dépassé le milliard d’euros en 2021. Les services publics ont-ils intérêt à faire appel à des consultants ? D’un côté, leurs méthodes et leur regard extérieur leur permettraient de résoudre la plupart des problèmes auxquels leurs clients sont confrontés. D’un autre côté, on leur reproche parfois de faire à leurs clients des promesses qu’ils ne parviennent pas à tenir.

Alors que le recours aux consultants dans les services publics a fait couler beaucoup d’encre, on n’a pas vraiment répondu à cette question cruciale. En France, des consultants ont notamment travaillé à l’amélioration du fonctionnement des hôpitaux. Ces investissements ont-ils été rentables ? Si les données qui permettraient de répondre à cette question ne sont pas disponibles en France, elles existent en Angleterre.

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Dans une étude à paraître, cinq chercheurs ont utilisé ces données pour étudier la relation entre les dépenses de conseil et l’efficience des hôpitaux anglais (A. J. Sturdy, I. Kirkpatrick, N. R. Alvarado, A. Blanco‐Oliver, G. Veronesi : « The management consultancy effect : Demand inflation and its consequences in the sourcing of external knowledge ». Public Administration, à paraître). L’efficience a été mesurée à l’aide d’un indicateur appelé « reference cost index » qui compare les coûts de réalisation d’une même prestation d’un hôpital à un autre.

Une mauvaise connaissance du fonctionnement des hôpitaux

L’étude montre qu’il existe une relation entre les dépenses de conseil et l’efficience des hôpitaux. Le problème est que cette relation est négative. Plus un hôpital fait appel à des consultants, plus son efficience diminue. Notons que cette relation ne provient pas du fait que les hôpitaux les moins performants sont plus susceptibles de faire appel à des consultants.

Il n’y a pas de lien entre l’efficience d’un hôpital et la décision de faire appel à des consultants l’année suivante. Elle ne s’explique pas non plus par un manque de manageurs. Les hôpitaux qui emploient le plus grand nombre de manageurs sont également ceux qui font le plus appel à des consultants.

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Comment expliquer l’impact négatif des dépenses de conseil sur l’efficience des hôpitaux ? D’après les chercheurs, les coûts induits par les prestations de conseil réduiraient la capacité des hôpitaux à investir dans leurs propres compétences. Dans certains cas, les consultants ne semblent pas non plus suffisamment connaître le fonctionnement des hôpitaux pour améliorer leur performance.

L’agressivité commerciale des consultants

Enfin, les consultants ont tendance à recommander aux hôpitaux d’externaliser les activités non médicales à des prestataires et de céder leurs locaux à des investisseurs privés. In fine, cela se matérialise par une hausse de leurs coûts. Les chercheurs ont également été surpris de constater que plus un hôpital a fait appel à des consultants, plus il continue à le faire… alors que nous venons de voir que cela ne lui permet pas d’améliorer sa performance.

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Comme l’a écrit un journaliste du Financial Times : « Le recours aux consultants devient une habitude. Une fois qu’ils sont sur place, il est difficile de s’en débarrasser. » D’après certaines sources, le « repeat business » représenterait entre 50 et 70 % de l’activité des consultants. En conclusion, il existe un véritable paradoxe du conseil dans les services publics. Alors que l’impact des consultants n’est pas toujours bénéfique, les dépenses de conseil continuent d’augmenter.

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Ce paradoxe s’explique en partie par l’agressivité commerciale des consultants. Mais un autre facteur joue également un rôle non négligeable. Pour certains fonctionnaires, le recours aux consultants ne doit pas être un privilège des entreprises du secteur privé. Cette volonté de ne pas être en reste par rapport à leurs homologues du privé les pousse à se jeter à corps perdu dans les bras des consultants…

Jérôme Barthélemy(professeur de stratégie et management, ESSEC)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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