Les Focus – 9 mai 2022
Ma Santé 2027, la grande transformation : dix chantiers prioritaires pour le futur ministre de la Santé (Analyse)

Analyse initialement publiée sur le site du Laboratoire d’idées Santé Autonomie (Lisa), dont nous sommes partenaires.
Qu’au sortir de deux ans de crise sanitaire, on n’ait finalement guère évoqué la Santé dans le débat présidentiel est assez vertigineux : ou bien, il s’agit là d’un sujet secondaire pour la population, ou bien la joute électorale majeure de notre Cinquième République apparaît aujourd’hui bien décalée.
L’autre hypothèse, celle d’un effet saturation après deux années de crise, n’apparaît pas fondée tant la thématique de la fracture sanitaire est aujourd’hui prégnante dans la population.
Les think tanks se sont pourtant essayés à faire vivre un débat, certaines organisations professionnelles aussi mais rien n’y a fait : la Santé n’est sans doute pas un marqueur de modernité, d’audace réformatrice ou de grand dessein. A tort.
Éclairer la future grande concertation en santé
Alors, maintenant que l’élection est passée, balisons le terrain pour le futur ministre, en nous efforçant très immodestement de prendre en charge l’ensemble des sujets et de faire système, à rebours des slogans ordinaires. Façon aussi d’éclairer la grande concertation qu’on nous promet et d’en déterminer le cadre stratégique.
Le président réélu a en effet promis une telle concertation. Bonne idée si on la joue grand angle et sans tabou, si on met tout, vraiment tout sur la table. Certains préfèreraient un exercice confiné, histoire de repartir rapidement avec quelques gains et guère de remise en cause. L’Etat, de son côté, sera d’autant plus crédible ici qu’il mettra en jeu ses propres façons de fonctionner.
Nous évoquons ci-dessous un certain nombre de dossiers possibles. Nous ne nous embarquons pas pour autant dans un grand récit. Nous nous « contentons » de dix chantiers clés. Nous le faisons sur le champ de la Santé mais le domaine du soutien à l’autonomie pourrait bénéficier du même traitement et dans des termes proches.
Chantier n°1 – Prévention et promotion de la santé : passer enfin à l’acte
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de formuler le vœu pieux incontournable de tout programme qui se respecte mais de faire de la prévention un enjeu clé autour du triptyque expertise-acteurs-financements[1]. Foin des réformes de structures en la matière au niveau national (le meccano des agences sanitaires).
En revanche, la leçon de la crise est là pour ce qui de la dimension européenne : il faut renforcer la protection contre les épidémies au niveau supranational, consolider l’homologation des produits au niveau européen et mieux articuler l’évaluation des technologies à cette échelle.
Au niveau national – et infranational, il faut donner des moyens à l’expertise sur les déterminants (et les inégalités) de santé et s’efforcer de convaincre encore et toujours sur le tabac, l’alcool, les autres addictions, la malbouffeou les risques professionnels.
Sur ces sujets, il nous faut faire comprendre aux décideurs et à l’ensemble des acteurs que c’est d’abord dans les environnements que la santé se joue : environnement physique, social, organisationnel, etc. Faire comprendre en particulier que les manières d’agir des gens sont le plus souvent une « réaction comportementale » à des environnements plus ou moins favorables, alors qu’on a encore trop tendance à considérer qu’ils relèvent de choix individuels de personnes mal informées. De très nombreuses expériences montrent que les modifications environnementales sont les interventions les plus efficaces en termes de changement de comportement (exemple de l’urbanisme et de l’activité physique, de l’offre alimentaire et de la nutrition, etc.).
Des politiques offensives menées en proximité
L’amélioration de l’espérance de vie en bonne santé de nos concitoyens et donc le rattrapage par rapport aux pays européens les plus avancés (ceux du Nord en particulier) passent par l’engagement de politiques offensives menées en proximité, auprès de ceux qui se trouvent éloignés du système de santé ; elles passent donc par une consolidation de l’accès aux soins primaires et par une meilleure intégration de la prévention et de la promotion de la santé dans les pratiques des soignants.
Evoquer les soins primaires ne revient pas à s’en remettre comme souvent à la seule prévention médicalisée.
Il faut renforcer (restaurer dans certains cas) les moyens de la santé en population : tissu associatif, intervenants sociaux, réseaux de médecine collective (dont ceux dédiés à la périnatalité et à l’enfance), en lien avec les structures de soins primaires.
Il faut développer l’implication des différents ministères – Agriculture, Aménagement du territoire, Logement, Education nationale, etc. (« la Santé dans toutes les politiques ») – et l’engagement des collectivités locales, tout en affirmant le leadership du ministère de la Santé, en tant que stratège et ensemblier plutôt que pour sa frénésie normative.
Pour sérier et prioriser les programmes d’action, il faut enfin renforcer l’évaluation : tout ne se vaut pas, toutes les interventions ne sont pas pertinentes.
Rien de spectaculaire ici mais rien de sérieux ne se fera si on ne s’attelle pas enfin à ce chantier dans le cadre d’une stratégie nationale de santé enfin assumée et déclinée territoire par territoire.
Chantier n° 2 – Des compétences soignantes en phase avec les besoins des territoires : réduire la fracture sanitaire
A côté du sujet des rémunérations, les questions des compétences, de la répartition des tâches entre les soignants et de l’amélioration des carrières sont aujourd’hui au cœur des problèmes d’attractivité de professionnels de santé.
Alors même que la pénurie est avérée ou guette, selon les professions et selon les territoires, les compétences des professionnels sont souvent sous-utilisées, facteur de frustration pour les intéressés et de gaspillage pour la collectivité.
L’exercice coordonné permet pourtant d’améliorer l’articulation entre les professionnels et entre les professions, de partager les connaissances sur le rôle des uns et des autres, d’utiliser de façon plus pertinente les compétences de chacun. Cette reconfiguration des rôles, en exercice interprofessionnel, contribue en outre à améliorer l’attractivité d’un territoire pour des jeunes diplômés et facilite l’accès aux soins. En effet, les collaborations choisies et le partage des compétences contribuent à retrouver du temps médical.
Le développement du travail en équipe avec de nouveaux partages de responsabilité entre les médecins, les infirmiers et les autres professionnels paramédicaux, les pharmaciens n’est pas seulement nécessaire pour redonner du sens et de l’attractivité, il est la condition pour avoir des services de soins primaires forts partout et donc pour prendre à bras le corps la crise de la démographie médicale.
Attractivité des métiers
Il faut aussi parler carrière. En effet, comme pour beaucoup de professions, les médecins et les autres personnels ne se projettent plus dans un seul métier tout au long de leur vie professionnelle.
Les contraintes de l’exercice, le manque de reconnaissance et la perte de considérationexpliquent pour une part ce désenchantement au sein des professions de santé, mais le défaut de perspectives de carrière y a aussi sa part, de même que les conditions de travail. Les choix de spécialité des internes sont parlants à cet égard : ils prennent en compte la qualité de vie et donc les activités où les gardes et les astreintes sont limitées, où l’amplitude horaire est raisonnable.
Le secteur privé peut parfois être privilégié du fait d’une meilleure rémunération que dans de la fonction publique hospitalière mais les conditions de travail, assorties de moins d’astreintes, comptent aussi. D’autant que les grilles de rémunération de l’hôpital sont largement insensibles aux différences de pénibilité subies par les praticiens.
La gradation des soins sur le territoire et la répartition des tâches au sein des établissements ne visent pas seulement une plus grande efficience. Elles sont aussi susceptibles de rendre plus claires les missions. Faute de quoi, les praticiens se voient déborder, avec le devoir de tout faire et, bien souvent, de faire face à des injonctions contradictoires.
Numérique en santé
Parmi les évolutions considérables de ces dernières années, il faut enfin faire toute sa place au digital, qui a entraîné une évolution fondamentale des pratiques des soignants au quotidien : il contribue certes à améliorer les conditions de travail (facilitation de tâches répétitives sans valeur ajoutée), à créer potentiellement de nouveaux métiers mais il augmente aussi le temps devant un écran au détriment du temps consacré au patient. Le digital contribue en outre à repositionner les différents acteurs d’un parcours de santé et donne de fait des perspectives de carrières différentes et complémentaires.
Face à ces transformations et à ces contraintes, il est indispensable de construire des trajectoires de travail et de formation correspondant aux aspirations des professionnels tout au long de leur vie. Il faut redonner aux personnels l’envie de progresser professionnellement, notamment en leur offrant des passerelles permettant de se hisser vers de nouvelles compétences, d’autres métiers, d’autres horizons.
Aujourd’hui, les silos sont partout ! Il est indispensable de redonner de la souplesse, levier puissant d’attractivité et donc de casser les silos, pour donner des perspectives.
Nous proposons ici quelques pistes :
- Ouvrir « pour de vrai » le chantier des champs de compétences des métiers de la santé et donc accepter de répartir différemment ces activités au travers de plus de professionnels, pour ainsi montrer un chemin d’évolutions de carrière larges et diversifiées ;
- Faire évoluer des carrières médicales exclusivement tournées vers le soin vers des fonctions de management, de formation ou de santé publique ;
- Proposer à l’ensemble des professionnels paramédicaux des trajectoires de carrières horizontales (entre métiers de même niveau) ou verticales (par le biais de la promotion professionnelle, en développant massivement les formations en cours de carrière et les dispositifs de validation des acquis) ;
- Relancer le chantier du cadre unique d’exercice pour les professions de santé : ni libéral ni salarié ou bien plutôt et libéral et salarié.
Méthode et constance
Dans ces affaires qui touchent aux métiers et aux compétences, où la controverse surgit à tout propos, il faut un peu de méthode et beaucoup de constance.
On a de fait beaucoup innové au cours des dernières années : partage des tâches, pratique avancée, accès direct, réformes multiples dans le champ des formations. Parfois avec un dessein clair. Parfois de façon un peu brouillonne.
Il faut une expertise précise et approfondie en ces matières (comparaisons internationales, connaissances statistiques fines, conditions de la régulation juridique et financière, etc.), il faut une concertation globale, c’est-à-dire non parcellisée (ne pas jouer les acteurs les uns contre les autres ou les uns après les autres), une trajectoire de transformation claire et un schéma de mise en œuvre réaliste :