Les psychiatres sont vent debout contre un décret qui pourrait conduire à juger des malades mentaux ayant arrêté leur traitement.

Irresponsabilité pénale : le flou d’un décret d’application du ministère de la justice alarme les psychiatres

La publication le 26 avril d’un décret d’application sur la loi votée après l’affaire Halimi crée la confusion

Par Jean-Baptiste JacquinPublié aujourd’hui à 10h04, mis à jour à 10h13  

Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/02/irresponsabilite-penale-le-flou-du-ministere-de-la-justice-alarme-les-psychiatres_6124421_3224.html

A peine refermée au Parlement, la bataille autour de la question de l’irresponsabilité pénale s’est rallumée à l’occasion de la publication, le 26 avril, d’un décret d’application de la loi du 24 janvier. De fait, ce décret semble prendre le contre-pied de ce à quoi le ministre de la justice, Eric-Dupond-Moretti, et la majorité s’étaient engagés lors du débat parlementaire au second semestre 2021.

L’un des objectifs de la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure était de répondre à l’incompréhension créée par l’affaire Sarah Halimi, dont le meurtrier a été jugé irresponsable pénalement. La Cour de cassation avait constaté que la loi ne permettait pas de distinguer les raisons ayant provoqué l’abolition temporaire de son discernement. Le législateur a donc créé une infraction permettant de juger une personne, non pour son crime pour lequel l’irresponsabilité serait retenue, mais pour le fait d’avoir consommé en amont une « substance psychoactive » en ayant conscience que cela pouvait lui faire perdre le lien avec le réel et commettre un crime.

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Cette infraction est censée concerner les cas très rares dans lesquels une consommation de drogue ou excessive d’alcool aurait provoqué une abolition temporaire du discernement. Il n’était pas question d’inclure le cas d’un malade atteint de troubles psychiques qui aurait arrêté son traitement. « Il ne faut pas confondre la prise volontaire de psychotropes et l’omission de soins », avait ainsi justifié M. Dupond-Moretti devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.

« Bronca générale »

Alors pourquoi est-il précisé dans le Journal officiel du 26 avril que les dispositions du nouvel article 706-120 du code de procédure pénale issu de la loi du 24 janvier s’appliquent « lorsque le trouble mental ne résulte pas d’une intoxication volontaire de la personne constitutive de ces nouvelles infractions, mais qu’il résulte, par exemple, de l’arrêt par celle-ci d’un traitement médical » ? Cette phrase ne figure pas dans le décret lui-même, signé par le ministre, mais dans la « notice » l’introduisant.

Un véritable chiffon rouge qui a fait bondir toutes les organisations de psychiatres. « L’arrêt d’un traitement, l’inobservance thérapeutique ou une adhésion partielle à une prescription sont des signes cliniques de la plupart des maladies mentales sévères (troubles psychotiques, troubles bipolaires notamment) », rappellent la section psychiatrie légale de l’Association française de psychiatrie biologique et de neuropsychopharmacologie, la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel (CNEPCA) et l’Association nationale des psychiatres experts judiciaires dans un communiqué commun publié le 28 avril. Ces organisations dénoncent de façon unanime un décret qui « rend donc le malade coupable de ses symptômes ».

« Face à ce texte, la bronca est générale et ne concerne pas que les experts psychiatres. Les soignants et les familles de malades sont également très inquiets », précise le docteur Manuel Orsat, expert à la cour d’appel d’Angers et secrétaire général de la CNEPCA. « On est d’autant plus étonné, que l’avis du Conseil d’Etat était très clair sur cette question », ajoute-t-il.

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Au ministère de la justice, on cherche à déminer ce sujet en relativisant la portée de cette notice. De fait, ce décret ne porte pas sur l’article du code pénal créant l’infraction nouvelle imputant à l’auteur jugé irresponsable d’une infraction la responsabilité du fait antérieur, mais sur le code de procédure pénale. Cet article 706-120 expose les modalités de renvoi devant la cour d’assises (pour un crime) ou le tribunal correctionnel (pour un délit) pour trancher la question de la responsabilité pénale d’une personne pour laquelle les experts judiciaires seraient divisés entre l’abolition du discernement ou sa simple altération.

C’est dans cet article de procédure que les sénateurs ont introduit lors de la commission mixte paritaire le cas où « l’abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait ». Une notion imprécise, écartée par l’Assemblée et le gouvernement lors des débats parlementaires, mais que les députés membres de la commission ont pourtant validée.

« Dérive qui touche aussi les juges »

Une ambiguïté a bel et bien été introduite dans la loi. La notice du décret n’a pas de valeur normative, rappelle la chancellerie, mais les juges s’y réfèrent lorsqu’il y a des difficultés d’interprétation d’un texte. C’est pourquoi, promet aujourd’hui le ministère de la justice, une « prochaine circulaire » de la direction des affaires criminelles et des grâces, viendra clarifier les choses et rassurer les médecins sur le fait qu’on ne criminalise pas la maladie mentale.

« Il ne faut surtout pas rallumer la polémique », s’inquiète de son côté la députée Naïma Moutchou (La République en marche), rapporteuse du projet de loi et coautrice, avec Antoine Savignat (Les Républicains), d’une mission flash menée sur la réforme de la responsabilité pénale. Elle se dit néanmoins « surprise » de la rédaction de la notice

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Au-delà de la malfaçon de ce texte paru au JO, la réactivité des experts psychiatres s’explique par les difficultés qu’ils voient dans la mise en œuvre de la nouvelle infraction créée par la loi.  « Ce n’est pas une complexification fertile », constate Manuel Orsat, qui travaille avec des juristes à la formation des médecins au nouveau texte. « Il est sûr que cela va complexifier le travail des psychiatres, mais pas sûr que cela contribue à mieux éclairer la justice », dit-il.

Paul Jean-François, psychiatre à l’hôpital Paul-Guiraud de Villejuif (Val-de-Marne) et membre du bureau du Syndicat des psychiatres des hôpitaux, s’inquiète de « l’état d’esprit ainsi créé au niveau national ». Selon lui, le cas de cet étudiant renvoyé le 19 avril devant la cour d’assises des Hauts-de-Seine pour tentative d’assassinat malgré les conclusions d’irresponsabilité pénale portées par les quatre experts mandatés au cours de l’instruction illustre « cette dérive qui touche aussi les juges ». Après quatre jours d’un étrange procès, le verdict a reconnu l’irresponsabilité de l’individu qui a été immédiatement hospitalisé sans consentement.

Jean-Baptiste Jacquin

Publié le 29/04/2022

Polémique sur un décret qui incrimine les patients psychiatriques arrêtant leur traitement 

Paris, le vendredi 29 avril 2022

https://www.jim.fr/medecin/actualites/pro_societe/e-docs/polemique_sur_un_decret_qui_incrimine_les_patients_psychiatriques_arretant_leur_traitement__192312/document_actu_pro.phtml

Les psychiatres sont vent debout contre un décret qui pourrait conduire à juger des malades mentaux ayant arrêté leur traitement.

La question de l’irresponsabilité pénale des personnes souffrant d’un trouble psychiatrique fait régulièrement débat, depuis que le vieux principe selon lequel on ne juge pas les « fous » se heurte au refus croissant de la fatalité dans la population et face à cette recherche permanente des responsables qui marque notre époque. On se souvient que l’affaire Sarah Halimi, du nom de cette femme de 65 ans tué par un homme en proie à une bouffée délirante après avoir consommé du cannabis, avait provoqué un vif émoi, la justice ayant déclaré l’auteur des faits irresponsable pénalement en application de l’article 122-1 du code pénal.

La loi promulguée le 24 janvier dernier a pour but de répondre à l’émotion suscitée par cette affaire tout en veillant à conserver le principe de l’irresponsabilité pénale des malades mentaux. Cette loi a ainsi créé un nouveau délit d’intoxication volontaire qui punit de 10 ans d’emprisonnement celui qui, après avoir volontairement consommé des substances psychoactives, en vient, sous l’effet du délire, à tuer autrui.

Peut-on être responsable de sa folie ?

Mais la loi a également ajouté à un deuxième alinéa à l’article 706-120 du code de procédure pénale qui dispose que « lorsque le juge d’instruction estime que l’abolition temporaire du discernement de la personne résulte partiellement de son fait » et qu’il existe un débat parmi les experts sur le point de savoir si ce discernement est aboli (irresponsabilité totale) ou seulement altéré (irresponsabilité partielle), alors il devra renvoyer l’individu vers la juridiction de jugement compétente qui statuera à huis clos sur la question de l’irresponsabilité pénale. Il y aura donc dans ce cas, une sorte de jugement sur la folie. 

Reste à savoir ce que signifie l’expression « partiellement de son fait ». Une question auquel devait répondre le décret interprétatif du 25 avril 2022 publié ce mardi au Journal Officiel. A première vue, le texte du décret ne donne aucun éclaircissement sur ce point. En revanche, la notice du décret précise que le nouvel alinéa de l’article 706-120 du code de procédure pénale s’appliquera « lorsque le trouble mental ne résulte pas d’une intoxication volontaire de la personne mais qu’il résulte, par exemple, de l’arrêt par celle-ci d’un traitement médical ». En d’autres termes, une personne souffrant d’une maladie mentale qui arrêterait son traitement et qui, en conséquence, en viendrait à commettre un crime, pourrait in fine être considéré comme partiellement responsable pénalement. Une interprétation qui va à l’encontre de celle du Conseil d’Etat qui avait retenu dans son avis du 8 juillet 2021 que « l’arrêt d’un traitement psychoactif ne pourra pas être incriminé ».

« Une régression civilisationnelle »

La publication de ce décret interprétatif (qui prête lui aussi beaucoup à interprétation !) a provoqué une levée de boucliers chez de très nombreux psychiatres qui ont exprimé leur désapprobation sur les réseaux sociaux. « C’est inquiétant, populiste et simpliste » déclare le Pr Olivier Bonnot, chef du service de pédopsychiatrie du CHU de Nantes, tandis que la Fédération française de psychiatrie estime que « la pénalisation des patients arrêtant leur traitement est une régression civilisationnelle ». Deux associations d’experts psychiatriques judiciaires, la CNEPCA et l’ANPEJ, rappellent quant à eux dans un communiqué commun que « l’arrêt d’un traitement est le signe clinique de la plupart des maladies mentales sévères » et que « ce décret rend donc le malade coupable de ses symptômes ». Deux associations de patients, la FNAPSY et l’UNAFAM ont également dénoncé un « décret stigmatisant ».

Difficile de dire en pratique quels seront les conséquences de ce décret et si des personnes seront effectivement tenus responsables du fait qu’ils n’aient pas pris leurs traitements. Une chose nous semble sûre : il aurait sans doute mieux fallu de la part de la majorité ne pas céder à l’émotion populaire et ne pas remettre en cause un principe dont les origines remontent à la Rome antique.

Quentin Haroche

COMMUNIQUE DE PRESSE

Nous découvrons avec stupeur et consternation le décret N°2022-657 d’application de la loi publiée fin janvier, réformant le régime de l’irresponsabilité pénale en cas de consommation de produits psychoactifs. Dans son préambule ce décret introduit une petite phrase lourde de conséquences, précisant que l’article 706-120 du CPP s’applique « lorsque le trouble mental ne résulte pas d’une intoxication volontaire de la personne constitutive de ces nouvelles infractions, mais qu’il résulte, par exemple, de l’arrêt par celle-ci d’un traitement médical ». Contrairement au projet initial, il a été rajouté une deuxième circonstance pouvant conduire à la responsabilité du patient à savoir l’arrêt de son traitement médical.

Nous déplorons qu’un décret si lourd de conséquence pour les patients n’ait pas été concerté en amont avec les professionnels, les usagers et leurs familles. L’introduction dans ce décret d’application de la notion d’arrêt du traitement médical qui n’existe pas dans le Code de Procédure Pénale représente une régression et n’est pas admissible d’autant que le Conseil d’Etat dans son avis sur la loi rendu en juillet 2021 spécifiait sur cette question : « l’arrêt du traitement psychoactif ne pourra pas davantage être incriminé ».

Pourtant le législateur a choisi de pénaliser l’arrêt du traitement et établit de fait un lien de causalité entre cet arrêt et le passage à l’acte. Ce point constitue d’une part un raisonnement simplificateur concernant la dynamique d’un passage à l’acte et d’autre part ne tient pas compte du fait que les patients n’ont pas toujours conscience de leurs troubles ce qui est une caractéristique de certaines maladies mentales. L’arrêt du traitement n’intervient pas alors suite à l’exercice de la libre volonté du patient. Garder cette disposition revient à accepter de punir les patients parce qu’ils sont malades.

Cet ajout constitue par ailleurs une atteinte grave aux droits du patient. Tout patient a le droit de choisir de suivre ou non un traitement médicamenteux. De nouveau les personnes souffrant de troubles psychiques sont stigmatisées et n’ont plus cette liberté élémentaire. Cela créée une contrainte démesurée pour les patients souffrant de troubles psychiques à moins que la prochaine étape soit de pénaliser l’arrêt par exemple des traitements anti diabétiques ou anti-épileptiques …

Nous dénonçons avec la plus grande force cette dérive inquiétante contraire aux droits et libertés et qui stigmatise une fois de plus les personnes vivant avec des troubles psychiques.

Laurent BEAUMONT
Président de l’Association Nationale des Responsables Qualité en PSYchiatrie (ANRQPSY)

Marie BUR, Marc FEDELE, Pascale GIRAVALLI
Co-Présidents de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire (ASPMP)

Jean-François CIBIEN
Président d’Action Praticiens Hôpital (APH)

Marie-José CORTES
Présidente du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH)

Sabine DEBULY
Présidente du Collège National pour la Qualité des Soins en Psychiatrie (CNPP)

Claude FINKELSTEIN
Présidente de la Fédération Nationale des Associations d’usagers en Psychiatrie (FNAPSY)

Claude GERNEZ
Président de la Fédération Française de la Psychiatrie (Fédépsychiatrie)

Delphine GLACHANT
Présidente de l’Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)

Thierry GODEAU
Président de la Conférence nationale des Présidents de Commissions Médicales d’Etablissement de Centres Hospitaliers

Béatrice GUINAUDEAU
Présidente de l’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé (AFPEP – SNPP)

Ilia HUMBERT
Présidente de l’Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie (AFFEP)

Christophe LIBERT
Président de l’Association des Psychiatres de secteur Infanto-juvénile (API)

Emmanuel LOEB
Président de Jeunes Médecins

Pascal MARIOTTI
Président de l’Association des Etablissements du service public de Santé Mentale (AdESM)

Gladys MONDIERE
Présidente de la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie (FFPP)

Nidal NABHAN ABOU et Mathieu LACAMBRE
Co-Présidents de la section psychiatrie légale de l’Association Française de Psychiatrie Biologique et Neuropsychopharmacologie (AFPBN)

Annick PERRIN-NIQUET
Présidente du Comité d’Etudes des Formations Infirmières et des Pratiques en Psychiatrie (CEFI-Psy)

Marie-Noëlle PETIT Présidente de l’

(ANPCME)

Carole POUPON
Présidente de la Confédération des Praticiens des Hôpitaux (CPH)

Marie-Jeanne RICHARD
Présidente de l’Union Nationale de Familles et Amis de personnes malades et/ou handicapés psychiques (UNAFAM)

Christophe SCHMITT
Président de la Conférence nationale des Présidents de Commissions Médicales d’Etablissement de Centres Hospitaliers Spécialisés

Déborah SEBBANE
Présidente de l’Association des Jeunes Psychiatres et des Jeunes Addictologues (AJPJA)

Norbert SKURNIK
Président de l’Intersyndicale de la Défense de la Psychiatrie Publique (IDEPP)

Olivier TELLIER
Président de l’Association française des Unités pour Malades Difficiles (UMD)

Michel TRIANTAFYLLOU
Président du Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public (SPEP)

Pierre VIDAILHET
Président du Collège National des Universitaires de Psychiatrie (CNUP)

Association Nationale des Psychiatres Présidents et Vice-Présidents de Commissions Médicales d’Etablissements des Centres Hospitaliers

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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