Macron et Le Pen ont su s’adresser à une plus grande diversité d’électeurs que leur plus proche poursuivant, Jean-Luc Mélenchon.

« Macron et Le Pen se sont imposés au premier tour par leur capacité à être des candidats “attrape-tout” »

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TRIBUNE

Collectif

Quatre chercheurs à l’origine du site La Boussole présidentielle estiment, dans une tribune au « Monde », que les deux candidats qualifiés au second tour se sont démarqués car ils ont su s’adresser à une plus grande diversité d’électeurs que leur plus proche poursuivant, Jean-Luc Mélenchon.

Publié hier à 02h38, mis à jour hier à 05h46   Temps de Lecture 6 min. 

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Le second tour de l’élection présidentielle du 24 avril, qui s’est soldé par la réélection d’Emmanuel Macron au terme d’une campagne d’entre-deux-tours pleine de suspense, laisse de nombreuses questions sans réponse.

S’il est acquis que les deux candidats finalistes incarnent deux France profondément clivées sur les plans sociologique, politique, générationnel et territorial, comment ceux-ci sont-ils d’abord parvenus à se distinguer de leurs concurrents ? Quel rôle ont ensuite joué leur programme et leur capacité à apparaître comme présidentiable dans la course finale ?

Les données tirées de La Boussole présidentielle, un site développé par une équipe de chercheurs du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) auquel plus de 350 000 personnes ont contribué par leurs réponses, fournissent des enseignements éclairants sur ces questions.Lire aussi l’éditorial du « Monde » :Présidentielle 2022 : une réélection au bord de l’abîme

La Boussole présidentielle, comme toutes les applications du type Système d’aide au vote, repose sur la notion de proximité entre un électeur et son « candidat naturel ». Autrement dit, elle permet à l’utilisateur d’identifier le candidat dont il est le plus proche. Pour ce faire, on procède d’abord à un travail de codage qui permet de placer les candidats, selon leurs propositions programmatiques sur différents enjeux, dans un espace politique à deux dimensions : une dimension socio-économique et une dimension socio-culturelle. Ensuite, les utilisateurs de La Boussole, en fonction de leurs réponses sur ces mêmes enjeux, sont positionnés dans cet espace.

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Pour toute élection présidentielle, la capacité des candidats à fidéliser leur « noyau dur » mais aussi à attirer des électeurs qui leur sont moins proches est une dimension stratégique fondamentale de ce scrutin à deux tours. Vote par conviction et vote stratégique (appelé « vote utile » dans le langage courant) peuvent se mêler dans les scores du premier comme du second tour pour produire la victoire. Dans une élection comme celle de 2022, avec des repères idéologiques brouillés et un système partisan en pleine recomposition, le « vote sur enjeu » et « l’effet candidat » (la capacité à convaincre de sa « présidentialité ») deviennent des clés de compréhension majeures de la compétition électorale.

Des centres de gravité électoraux

Les données de La Boussole présidentielle du Cevipof, recueillies auprès d’électeurs sûrs de leur choix pour le premier tour, révèlent les dessous de l’intrigue qui s’est dénouée le 24 avril. Deux grands enseignements peuvent en être tirés : l’un concerne la distance des électeurs envers les programmes des candidats, l’autre concerne l’image que ces mêmes électeurs ont des candidats.Lire l’entretien :  Article réservé à nos abonnés  « Quand, en démocratie, la moitié de l’opinion vote pour des partis antisystème ou s’abstient, la Constitution mérite d’être révisée »

La distance entre l’électeur et le candidat dans l’espace politique à deux dimensions de La Boussole est résumée par une coordonnée : la distance euclidienne. En termes mathématiques, ce paysage politique est un espace géométrique avec des candidats « centres de gravité » (ou barycentres, pour employer un vocabulaire statistique) autour desquels gravitent des électeurs (illustré ci-dessous par les graphiques en nuages de points). Plus la valeur de la coordonnée (ou distance euclidienne) est forte, plus l’électeur est éloigné du candidat qu’il a déclaré comme étant son choix de vote le plus probable. L’analyse statistique révèle un tableau fascinant des raisons du succès des uns et de l’échec des autres, en fonction de leur distance avec leurs électeurs.

INFOGRAPHIE LE MONDE

Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont imposés à l’issue du premier tour par leur capacité à être des candidats « attrape-tout ». Chacun des deux s’est adressé à une galaxie d’électeurs répartie sur un espace assez vaste du champ politique et plus hétérogène que celles des autres candidats. En outre, leur galaxie 2022 est encore plus diversifiée que celle de 2017. Leurs électorats potentiels ont adhéré de manière variable à leurs idées sans pour autant démontrer une cohérence d’ensemble, phénomène encore accru par le « dégagisme » propre à cette élection.

Si ce résultat était assez attendu chez le candidat « et de gauche, et du centre, et (surtout) de droite », il peut sembler plus paradoxal chez Marine Le Pen, dont certaines propositions (ou leur interprétation) semblent avoir séduit une part de répondants se situant dans l’espace traditionnellement occupé par la gauche, soit libérale culturellement, soit souverainiste et plus conservatrice.

Le président sortant a cumulé deux avantages

La différence entre le graphique de Jean-Luc Mélenchon et ceux des deux finalistes est éclairante. La distance entre le candidat « insoumis » et ses « électeurs déclarés » est beaucoup plus faible. En d’autres termes, il a attiré essentiellement des électeurs se situant politiquement dans l’espace traditionnel de la gauche, interventionnistes sur le plan économique et libéraux sur le plan culturel.

Cet « alignement du vote » (forte cohérence entre le candidat et ses électeurs) indique la capacité du leader « insoumis » à être en phase avec les attentes de son électorat, mais il a aussi son revers. L’échec de Jean-Luc Mélenchon à se hisser au second tour peut être lu comme une incapacité à élargir suffisamment son électorat vers d’autres espaces politiques, ainsi qu’en témoigne le faible nombre d’électeurs mélenchonistes potentiels dans les trois autres cadrants du graphique, en dehors de son seul pré carré.

Cette difficulté a sans doute été accentuée par la multitude des candidatures à gauche, menant à un éparpillement des voix entre des candidats disposant chacun d’un électorat en cohérence avec ses positions, mais replié sur sa base.

Lire aussi l’éditorial du « Monde » : Election présidentielle : l’alerte du vote RN des outre-mer

Le second enseignement de nos données concerne le lien entre la distance et l’image des candidats dans les électorats (graphique en bas à droite). Il apparaît clairement qu’Emmanuel Macron a su prendre l’ascendant sur ses concurrents par son image présidentielle, déterminante dans sa victoire.

Nos données montrent que les trois premiers candidats bénéficient d’une image de présidentialité élevée auprès de ceux qui affichent une proximité avec leurs idées. Mais une différence majeure apparaît entre Emmanuel Macron et ses deux concurrents. Alors que la présidentialité du premier ne se dégrade que lentement et progressivement au fur et à mesure que la distance avec lui s’accroît, elle chute très brutalement pour Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon dès qu’on s’éloigne des électeurs très proches d’eux.

INFOGRAPHIE LE MONDE

Emmanuel Macron aura donc cumulé deux avantages décisifs : un large spectre d’électeurs potentiellement acquis à sa candidature, même lorsqu’ils n’étaient pas parfaitement alignés avec ses propositions, et le maintien dans ce large spectre d’une bonne image, même loin de son « centre de gravité ». Si Marine Le Pen a pu résister à la forte compétition interne au bloc nationaliste-identitaire [notamment en raison de la candidature d’Eric Zemmour] grâce à sa capacité à élargir son spectre électoral sur le plan des enjeux, elle n’a, en revanche, toujours pas réussi à convaincre sur son image, au-delà de ses soutiens immédiats.

Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, cumule deux stigmates : une galaxie électorale trop limitée et une détérioration rapide de son score à la question portant sur son étoffe, ou sa stature, présidentielle. Mais tout stigmate peut être retourné : ce qui verrouille l’accès à un second tour peut s’avérer pertinent pour des législatives, dès lors que l’homogénéité idéologique trouve à s’incarner.

Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au Cevipof ; Vincent Martigny, professeur de science politique à l’université de Nice, chercheur associé au Cevipof ; Sylvie Strudel, professeure de science politique à l’université Paris-Panthéon-Assas, chercheuse associée au Cevipof ; Thomas Vitiello, docteur en science politique, enseignant à Sciences Po.

Collectif

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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