Articles sur la crise hospitalière

Manque d’infirmières, lits fermés, soignants épuisés… A l’hôpital, on craint « des vacances terrifiantes »

Par L.C. le 28-04-2022

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Partout en France depuis plusieurs semaines, les établissements de santé redéclenchent tour à tour le plan blanc, faute de personnels. Dans les hôpitaux parisiens, la situation est elle aussi instable. Selon le directeur de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), 15% des lits sont actuellement fermés et il manque 8% d’infirmières.

Jusqu’où ira la crise de l’hôpital public ? Depuis plusieurs semaines, partout en France, des établissements de santé ferment des services ou redéclenchent le plan blanc, deux ans et demi après le début de l’épidémie de Covid-19, faute de personnels. Dans le Nord, les hôpitaux de Roubaix et Tourcoing sont dans ce cas, à la suite d’un « absentéisme » historiquement élevé et à l’épuisement des professionnels. Les autres départements ne sont pas épargnés.

« Le Covid a mis à mal un hôpital qui était déjà malade avant de rentrer dans la crise », a expliqué Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France, sur franceinfo ce jeudi. « C’est la première fois qu’on voit au mois d’avril, au printemps, un absentéisme aussi fort », a-t-il déploré, se montrant particulièrement inquiet à l’approche de la période estivale. De son côté, Etienne Martinot, secrétaire départemental Force Ouvrière Santé dans le Pas-de-Calais, a prédis « des vacances terrifiantes » pour les hôpitaux français, si rien n’est fait pour éviter leur naufrage.

A Paris, « on est perpétuellement sur la brèche, a indiqué le directeur général de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) la veille, mercredi 27 avril, au micro de franceinfo. La situation est vraiment difficile pour tout le monde. On ne tourne pas comme on devrait tourner. Les professionnels font un énorme travail pour ne pas refuser de patients, pour fonctionner 24h/24, mais dans des conditions anormalement difficiles. »

« Il nous manque 8% d’infirmières depuis six mois », a-t-il en effet expliqué, déplorant « une sorte de désaffection, de ras-le-bol, de difficultés, de fatigue depuis cet été ». Conséquence : les fermetures de lits ont explosé. « D’habitude on a à peu près 4 ou 5% des lits qui ne sont pas ouverts parce qu’il y a un problème ponctuel ou qu’on désinfecte, etc. Depuis six mois, ça oscille entre 14 et 16%. On a 10% de lits de plus fermés. »

« On essaie de ne pas fermer de services, a assuré Martin Hirsch, mais il y a beaucoup de services qui la moitié, à peine deux tiers, de leurs lits ouverts. » Selon le DG de l’AP-HP, le manque de personnels (arrêts maladie, postes vacants) touche d’autres pays européens, notamment nos voisins allemands. « A Berlin, le grand hôpital de la Charité avait 43% de leurs lits fermés au mois de janvier. »

Hôpital : mais où sont passées les infirmières ?

Début avril, le président de la commission médicale d’établissement (CME) de l’AP-HP, Rémi Salomon, lançait déjà l’alerte sur TF1, indiquant que « l’hôpital arrive à un point de rupture ». Un drapeau rouge brandi à son tour par Martin Hirsch : « Le modèle sur lequel on a construit l’hôpital – qui était bien adapté à la fin du XXème siècle – n’est plus adapté aujourd’hui », a-t-il confié. « Depuis le début des années 2000 et le passage aux 35 heures, il y a un dérochage des salaires à l’hôpital qui m’a fait dire depuis des années que ça craquerait si on n’augmentait pas les infirmières », a-t-il reconnu.

« Quand les infirmières sortant d’école préfèrent l’intérim plutôt que de prendre un emploi stable, c’est qu’il y a un problème […] C’est comme s’il y avait l’uberisation au milieu du statut de la fonction publique du XXème siècle »,a-t-il analysé, constatant que malgré le Ségur de la santé, les revalorisations et les efforts d’adaptation, « la crise est toujours là, aigüe ». « Visiblement, ça n’est pas suffisant. » Un constat partagé ce jeudi par le président de la FHF qui a appelé à poursuivre les efforts du Ségur.

Le directeur général de l’AP-HP a suggéré une réflexion sur l’hôpital, notamment à « repenser les statuts ». « Les jeunes médecins ne sont plus attirés par la carrière de leurs prédécesseurs et on ne leur propose que cela. »

Réorganiser les congés

Le président de la FHF a lui aussi interpellé le Gouvernement : « On voit des soignants qui sont partis pendant la crise Covid, ça n’était pas des vagues énormes, mais ça peut être plus important si demain on ne montre pas très vite qu’on prend le sujet à bras le corps. »  Ce dernier a réclamé dans un premier temps de réorganiser les congés. « Dans l’urgence, on ne va pas faire émerger 25 000 professionnels de santé, ça va prendre du temps, mais déjà on peut prendre des mesures ».

« Seuls 39% des généralistes font des gardes » : Frédéric Valletoux veut rétablir la permanence des soins obligatoire

Frédéric Valletoux a estimé nécessaire « d’organiser la permanence des soins avec la médecine de ville » et « d’organiser les vacances territoire par territoire pour que tout le monde ne parte pas en même temps », en particulier en août. « Je ne dis pas : ‘Ne partez pas en vacances’, je dis : ‘Organisons les plannings' », a-t-il précisé. « On est capables, en France, d’organiser la permanence des boulangeries, mais on n’est pas capable d’organiser la permanence des médecins ? », a-t-il finalement lâché.

[avec franceinfo]

Martin Hirsch directeur général de l’APHP: il nous manque 6% d’infirmières

Selon le patron des hôpitaux d’Ile de France , 15% des lits sont fermés par manque de personnel .

France Info 27 Avril

Dans les hôpitaux, le manque de soignantsdevient un problème aigu. Dans plusieurs régions, des établissements ont déclenché le « plan blanc ». En Ile-de-France, la situation est moins tendue, mais elle est sérieuse, alerte le directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, invité éco de franceinfo : « Il nous manque 8% d’infirmières« .

« Pendant le Covid, tout le monde a donné le meilleur de lui-même, et on a sauvé des vies« , rappelle-t-il, mais, « depuis l’été 2021, il y a une sorte de désaffection, de ras-le-bol, de difficulté« . Le manque de personnel crée de gros problèmes d’organisation : « On est perpétuellement sur la brèche. On ne tourne pas comme on devrait tourner« .  

D’habitude, on a à peu près 4% ou 5% de nos lits qui ne sont pas ouverts, parce qu’il y a un problème ponctuel ou parce qu’on désinfecte. Depuis six mois, ça oscille entre 14% et 16%.  Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP sur franceinfo

Comment redonner de la valeur à ces métiers, au-delà des augmentations annoncées lors du Ségur de la santé ? « Visiblement, ça n’est pas suffisant« , répond le directeur général de l’AP-HP, pour qui le problème est plus large. « Le modèle sur lequel on a construit l’hôpital (…) n’est plus adapté aujourd’hui : quand les infirmières, sortant d’école, préfèrent l’interim, en choisissant les jours où elles travaillent, plutôt que de prendre un emploi stable, c’est qu’il y a un problème« , estime-t-il. Il le résume autrement : « C’est comme s’il y avait l’uberisation au milieu du statut de la fonction publique du XXème siècle« .

« Nous sommes inquiets parce que nous sommes confrontés à un manque de personnel important », a déclaré sur franceinfo, dimanche 19 décembre, Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Personnels Infirmiers, alors que la cinquième vague de Covid-19 continue de monter dans les hôpitaux.

Des infirmiers « dégoûtés par le gouvernement »

« Il y a 60 000 postes infirmiers vacants dans les hôpitaux aujourd’hui, et parmi ceux qui restent, 10% sont en arrêt maladie pour épuisement professionnel ou dépression », a-t-il constaté.Thierry Amouroux rappelle que l’hôpital a connu une vague de départs depuis le mois de juin. Il observe que les soignants « sont épuisés, ça fait depuis février 2020 que nous sommes sous pression avec le Covid ». D’autant qu’entre les vagues épidémiques, « il faut prendre en charge les patients chroniques qui ont été déprogrammés ».

Selon Thierry Amouroux, ces départs sont en grande partie liés au fait que certains soignants ont été « dégoutés par le gouvernement « qui a « continué à mettre en place des plans d’économie dans les hôpitaux, on est le seul pays qui a fermé des lits en période épidémique. » Selon le ministère de la Santé, 5 700 lits ont effectivement été fermés en 2020.

« Un cercle infernal »

Pour ceux qui restent, la situation devient de plus en plus compliquée. Lors de la première vague, le porte-parole du Syndicat National des Personnels Infirmiers  explique « qu’il y avait six patients Covid par infirmière, et lors de la dernière vague on était à huit. » Les départs entretiennent alors « un cercle infernal parce que plus la charge augmente, plus vous avez de départs, mais plus avez de départs, plus la charge de travail augmente. »

Le doublement de la rémunération des heures supplémentaires annoncé par Jean Castex ne sera pas suffisant selon lui. : « Ça va permettre de résoudre certains problèmes particuliers pour des soignants très mal payés »,reconnaît-il, « mais il faut bien comprendre que demander des heures supplémentaires à des gens épuisés, c’est augmenter le risque d’erreurs de soin. »

Les soignants ne sont pas de simples variables d’ajustement pour l’équilibre financier des hôpitaux – BLOG

Ne plus être capable de soigner, voilà la réalité sociale de la crise hospitalière.

Par Philippe Bizouarn Médecin anesthésiste-réanimateur au CHU de Nantes, membre du Collectif Inter Hôpitaux

https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-soignants-ne-sont-pas-de-simples-variables-dajustement-pour-lequilibre-financier-des-hopitaux-blog_fr_625846a7e4b066ecde114287

Manifestation à Paris du 7 avril 2022
Manifestation à Paris du 7 avril 2022

SOIGNANTS – Aux Urgences de l’hôpital d’Orléans, la majorité des infirmières, infirmiers, aides-soignantes et aides-soignants s’est mise en arrêt maladie, pour dénoncer la maltraitance dont ils se sentent, avec les patients, les victimes. Il ne s’agit plus alors de lutter en leur lieu de soin pour une amélioration de leurs conditions de travail, mais de se mettre en retrait du soin, ayant perdu, à leurs yeux, son sens même. Le retrait, comme le silence, serait-il devenu une nouvelle forme de lutte pour défendre le travail du soin dont les soignants sont les acteurs, avec les patients de toute condition? Mais ce retrait ne risque-t-il pas de prendre la forme d’un abandon de poste, que les directions s’empresseraient de sanctionner?

La crise hospitalière comme crise économique et moral

L’hôpital est en crise, depuis si longtemps, par défaut de moyens, conséquence des politiques publiques. Quand on a cru que la crise sanitaire allait permettre une remise en question des politiques néo-libérales de santé publique, il s’avère qu’en 2022, rien n’a été fait – au contraire de ce qu’affirme le gouvernement en répétant que des milliards ont été alloués à l’hôpital public. Dès lors, l’absence ressentie par les professionnels de réponses adéquates à la crise hospitalière a conduit ceux-ci à douter de l’avenir de leur profession.

Par le retrait, les agents orléanais signifieraient deux choses au sujet de la crise ressentie. D’un côté, la crise hospitalière est bien une crise économique et financière, qu’on peut reconnaître à certains traits quantitatifs comme le manque de lits et de personnel, obligeant les décideurs à trouver des solutions économiques et financières. D’un autre côté, la crise hospitalière et celle vécue par les soignants est bien une crise morale. En s’élargissant à l’humanité du soin, la notion de crise perdrait tout contour matériellement identifiable. Une crise économique se traite économiquement, une crise de l’humanité du soin s’éprouve au cœur des corps soignants, sans possibilité de se résoudre uniquement par des mesures matérielles.

«Si la crise hospitalière nécessite un traitement économique et financier, elle doit d’abord être considérée comme un problème humain et social.»

N’est-ce pas parce que la crise, vécue au sein de ces Urgences, touchait à leur propre humanité – à leur identité de soignants – que les travailleurs d’Orléans, ayant compris que quelque chose n’allait plus dans leur hôpital, que les soins prodigués n’avaient justement plus de sens, qu’ils se sont mis en retrait ? N’est-ce pas parce que leurs propres valeurs professionnelles n’étaient plus respectées, voire bafouées, que ces travailleurs en crise se sont mis en arrêt maladie, parce que malades de mal faire?

Nommer l’innommable du soin dégradé

Edgar Morin précise : « Le mot [crise] sert désormais à nommer l’innommable ; il renvoie à une double béance : béance de notre savoir (au cœur même du terme de crise) ; béance de la réalité sociale elle-même où apparaît la crise ». Nous, travailleurs du soin, ne savons plus soigner, accueillir, consoler, accompagner. Nous ne savons plus quel rôle jouer dans cette institution ressentie comme maltraitante – risquant de nous conduire nous-mêmes de manière maltraitante. Nous ne savons plus quels citoyens nous sommes devenus, non reconnus dans notre travail réel, empêché. Ne pas être reconnu comme acteur de notre propre agir professionnel au sein des hôpitaux conduit à une forme de mésestime de soi détruisant tout désir de poursuivre le travail

L’innommable est le mot de la crise hospitalière vécue par ces soignants épuisés, dégoûtés, devenus étrangers à eux-mêmes, comme déracinés. En décidant de quitter le service, ils sont devenus à la fois invisibles car absents, et à nouveau visibles en se retirant ensemble des lieux de maltraitance et en publicisant leur geste. Ils ont préféré « ne pas », à la manière de Bartleby du roman de Melville. Pour ne plus subir et se sentir coupables quand un drame survient : la mort sur un brancard de ces services d’Urgences débordés. Ne plus être capable de soigner, voilà la réalité sociale de la crise hospitalière.

L’humanité du soin comme fin et non comme moyen

Embaucher, augmenter le nombre de lits, revoir les modes de financements des hôpitaux, sont des préalables indispensables à la sortie de la crise. Si la crise hospitalière nécessite un traitement économique et financier, elle doit d’abord être considérée comme un problème humain et social. La nécessité de donner aux travailleurs du soin la place qu’ils méritent au sein de l’hôpital public demeure un impératif catégorique, selon la maxime kantienne : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». Les soignants ne peuvent être considérés comme les variables d’ajustement pour l’équilibre financier de l’hôpital. N’est-ce pas parce que le soin est devenu production que les travailleurs du soin ont perdu ce qui fait que le soin est soin : accueil, hospitalité, accompagnement, sollicitude ? La considération de leur propre humanité, fragile parfois, doit rester le but même d’une politique de santé publique digne de ce nom, au nom de l’humanité du soin envers tous nos concitoyens.

Ce n’est qu’à ce prix que la crise hospitalière, dont pour le moment nous ne voyons aucune issue, pourra se résoudre, à moins d’imaginer – cyniquement – que le mal-être des soignants ne regarde qu’eux, bien heureux de profiter des prébendes de la Sécurité soc

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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