Réactions aux propos du Pr Guy Vallancien qui sous prétexte d’innovation en oublie ce qu’est la vraie médecine

Etre médecin au XXIe siècle

Face aux bouleversements humains et technologiques qui transforment l’univers de la médecine, il faut aujourd’hui réformer en profondeur le secteur de la santé, souligne Guy Vallancien, le rôle de médecin doit notamment être repensé au sein d’une communauté territoriale de professionnels soignants.

Par Guy Vallancien (membre de l’Académie de médecine et président de CHAM)

Publié le 26 avr. 2022 à 16:00Mis à jour le 26 avr. 2022 à 16:28

Guy Vallancien

https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/etre-medecin-au-xxie-siecle-1403056

Alors qu’un énième rapport sénatorial sur la désertification médicale égrène 32 propositions pour les résorber, les avancées technoscientifiques nous obligent à repenser intégralement l’ordre sanitaire actuel. La simplification de la démarche diagnostique, facilitée par les moyens de l’imagerie et de la biologie explorant le corps sans y pénétrer, transforme le rôle des soignants. Le stéthoscope posé en bandoulière qui signait le statut du bon docteur n’est plus que décoratif.

La facilitation des nouveaux moyens chirurgicaux et endoscopiques, telles la robotisation opératoire, l’implantation percutanée des valves cardiaques et la vidéo-endoscopie digestive, le développement des vaccins pour s’attaquer aux cancers et prévenir les maladies neurodégénératives, toutes ces avancées chamboulent un ordre sanitaire hautement hiérarchisé, dominé par la toute-puissance médicale.

L’irruption de l’intelligence artificielle avec ses algorithmes d’aide à la décision diagnostique et à l’action thérapeutique rebat à son tour les cartes de la réalisation des actes. Dans cet univers en mutation accélérée, que deviendra le généraliste, médecin d’une famille aujourd’hui éclatée ? Que fera le chirurgien dont la main est remplacée par celle du radiologue interventionnel ? Que sera le psychiatre à l’aune des découvertes récentes dans le champ des neurosciences ?

Faudra-t-il encore suivre dix années d’études avant de signer un bon de transport en ambulance, un certificat d’arrêt de travail, d’aptitude au sport ou de décès ? Finalement, le diagnostic et la prescription thérapeutique sont-ils des actes exclusivement médicaux ? Questions triviales qui, pour dérangeantes qu’elles soient, appellent à une complète révision des métiers du soin.

Edictés il y a près d’un siècle, les grands principes de la médecine libérale ne répondent plus aux enjeux actuels. Le paiement à l’acte n’est quasiment plus direct, la liberté d’installation sera bientôt régulée et la liberté de prescription validée par des algorithmes. L’organisation de l’hôpital est en friche et la collaboration avec les cliniques privées au point mort alors qu’une concentration de l’activité s’impose afin d’éviter la perte de chance d’une prise en charge des pathologies complexes dans des établissements à l’expérience insuffisante.

N’en déplaise aux aboyeurs, il y a trop de lits en France (5,7/1.000 habitants contre 2,1 en Suède), proximité et qualité étant loin de faire toujours bon ménage, n’en déplaise aux élus locaux. 20 % des établissements de soins devront être transformés en « cités santé », intervenant sur la prévention, les soins quotidiens et la réhabilitation des patients. Dans un tel schéma, quel sera, demain, le rôle du généraliste ? Se convertira-t-il en gériatre, pédiatre, psychiatre, gynécologue et andrologue dont on manque tant, ou en coordonnateur de soins ? Quel partage faudra-t-il organiser avec les pharmaciens, les sages-femmes et les autres soignants dont les infirmiers, en pratique avancée, capables de poser un diagnostic, proposer une thérapie et suivre les patients tout en se rendant là où on les appellera pour des soins non programmés dits de « première ligne », désengorgeant des urgences saturées.

Une telle mutation dans l’ordre sanitaire visant à élever le niveau de qualité de chaque professionnel concerné ne pourra s’accomplir qu’au prix d’un changement de logiciel des diverses instances en charge de la régulation du système. Elle devra aussi faire fi de certaines revendications syndicales d’un autre âge. Gros chantier pour les cinq ans à venir, tant les habitudes freinent l’émergence d’une prise en charge holistique des patients dont le rôle d’experts ne fera qu’augmenter. Penser que nous aurons simplement à combler quelques déserts avec des médecins juniors et des consultations à 30 euros n’est pas à la hauteur des enjeux.

C’est une collaboration quotidienne des professionnels de proximité qu’il faut déployer. Le médecin, seul maître à bord, est mort. En revanche, il aura toute sa place au sein d’une communauté territoriale de professionnels soignants comme il en existe déjà certaines qui fonctionnent admirablement. En l’absence d’une telle politique, notre système de santé continuera à se déliter dans un désordre indescriptible et dispendieux. Voilà l’urgence !

TRIBUNE

Qui veut prolétariser les métiers de santé ?

par Roland Gori, Psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie à l’université d’Aix-Marseille et Odile Buisson , Gynécologue-obstétricienne, membre du conseil de l’ordre des médecins des Yvelines

publié le 11 avril 2012 à 19h07

https://www.liberation.fr/societe/2012/04/11/qui-veut-proletariser-les-metiers-de-sante_811034/

Le professeur Guy Vallancien, urologue à l’institut mutualiste Montsouris, a rédigé un rapport sur «la place et le rôle des nouvelles instances hospitalières» dans le cadre de la réforme de la gouvernance des établissements de soins.

Dans ce rapport, l’expression de «culture managériale» en arrive à jouer, en tant que remède, le rôle que le foie jouait naguère chez les médecins de Molière. La culture managériale devient le fétiche, la panacée de tous les maux de l’hôpital, le parangon de toutes les vertus. Ce rapport est un hymne énamouré aux bienfaits de la libre entreprise appliquée aux dispositifs de soins, un éloge emphatique et naïf à un «management serein» de la «chaîne de production de soins». Cette philosophie transformant l’hôpital en entreprise, exigeant que le «vrai médecin» devienne une «denrée rare», est à nouveau réaffirmée avec force.

Ce type de déclarations, au-delà de la personne de celui qui les tient, nous semble emblématique des réformes des politiques de santé du gouvernement actuel, et plus encore de sa volonté politique d’en finir avec la culture des métiers. Cette philosophie néolibérale prescrit de ne plus penser «métier» avec «tous les cloisonnements qu’une telle division génère», mais penser «entreprise santé» où «des employés travaillent à un même projet». Le médecin, «denrée rare»,devrait apporter une «valeur ajoutée» aux autres soignants auxquels il aurait délégué «ses compétences» incorporées dans des protocoles standardisés qu’il suffirait d’appliquer. De nouveaux «officiers de santé» sont déjà programmés dans des chaînes de montage universitaires destinées à prendre en charge 85 % à 90 % de la population. Les 10 % à 15 % restants des patients, demeurant «hors protocole», seraient confiés à des «vrais médecins» parce que «différents socialement, philosophiquement, culturellement, religieusement ou encore socioprofessionnellement». On constate, non sans ironie, l’absence de critère médical dans ce tri discriminant. Mais la dimension artisanale du «médical» a-t-elle encore le moindre intérêt pour ceux qui appareillent les professionnels à de nouvelles machines numériques fournissant le «mode d’emploi» des actes à accomplir ?

Tout le vocabulaire de la finance est invoqué pour convaincre des bienfaits de l’industrialisation de la médecine et de la prolétarisation constante de ceux qui les prodiguent : médecins, sages-femmes, infirmiers, psychologues, orthophonistes…

Prolétaire le mot est lâché. La médecine, comme bien des métiers aujourd’hui, subit de plein fouet les réformes d’un nouvel art de gouverner consistant à confisquer aux professionnels leur savoir-faire et à détruire la dimension artisanale de leur métier. Le mode d’emploi de la machine numérique a remplacé le jugement et la décision du travailleur, confisqués par les procédures. C’est la définition même que Marx donne du prolétaire : l’ouvrier est devenu un prolétaire quand son savoir et son savoir-faire sont passés dans la machine. Cette révolution, «conservatrice» selon nous, appelle à une prolétarisation de l’ensemble des métiers. Ne nous y trompons pas, c’est bien d’un enjeu de société qu’il s’agit. Enjeu cruellement absent de la campagne actuelle de la présidentielle. Il est probable qu’un jour, un autre de ces experts contaminés par le virus de cette logique des marchés déclare : «Il faut que l’enseignant des écoles, collèges et lycées devienne une denrée rare, un tri sélectif des enfants sera fait en fonction de leurs capacités cognitives, seuls 10 % à 15 % d’entre eux devraient bénéficier de vrais einseignants, la masse des 85 % à 90 % n’en a pas besoin». Et puis un autre expert dira la même chose du juge, un autre du chercheur, un autre du journaliste, un autre de l’artiste, un autre de… Enfin, on reviendrait à un gouvernement des «vrais», des meilleurs, des denrées rares. Ce qui permettrait enfin à la démocratie de se réconcilier avec ce gouvernement des «meilleurs», étymologie du mot «aristocratie». Nous sommes de plain-pied dans la pensée sarkozyste. Mais où donc se niche celle des autres prétendants ?

(1) Remis à Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, en juillet 2008.

Commentaires d’amies/amis

Delphine Glachant – Psychiatre

Donc le médecin est promis à la haute technologie, la relation étant définitivement hors de son champ de compétences. Même s’il est vrai que beaucoup ne sont pas compétents à ce niveau là, c’est assez désastreux. Ah quoi bon un médecin généraliste ? Frédérick Stamback peut nous répondre ?

Sans parler de l’examen clinique de base… Les téléconsultations font florès mais je me demande comment on palpe un abdomen sans les mains et comment on écoute un cœur sans sthéto. Mes études remontent à trop loin, j’ai dû louper la case innovation. 

Sauf en psychiatrie, où je sais ce qu’il en est  du neuroscientisme, des anti-inflammatoires  pour soigner la dépression ou la psychose résistante….

Je suis bien d’accord pour dénoncer la toute-puissance médicale mais en mettant le médecin dans une bulle technologique, il ne me semble pas qu’il l’intègre dans un exercice collectif des soins, où les autres professionnels auraient toute leur place. Vallancien déconnecte encore plus les médecins des patients qu’ils sont censés soigner. C’est le monde à l’envers.

Visionnez si vous avez le temps ce documentaire sur le centre de santé d’Echirolles (Village2santé). Là, oui, c’est intéressant. https://youtu.be/TPn_edifie0

Ce serait bien que ce soit l’avenir.

Sinon, je me demandais quel âge avait cet homme (76) alors j’ai regardé sa fiche wikipédia.

Je n’ai pas été déçue de ce court passage, pas du tout anecdotique je trouve. 

En octobre 2015, sa réaction à la révélation d’examens vaginaux pratiqués sans leur consentement sur des patientes endormies, notamment par des externes de Lyon-Sud6, suscite une vive polémique7. Interrogé par la BBC dans le cadre d’une émission sur les violences gynécologiques, il affirme : « Mes chefs m’ont appris à m’entraîner à pratiquer des examens rectaux et vaginaux à des personnes sous anesthésie, sans aucun consentement du patient. (…) C’est normal, c’est comme ça qu’on apprend. Doit-on avoir un formulaire de consentement, un de plus ? »8. Ses propos, ainsi que ceux des autres professionnels défendant sa position, sont dénoncés par la conférence des doyens de faculté de médecine, qui déclare dans un communiqué : « Quelles que soient les modalités de pratique médicale (…), aucun geste, examen clinique, acte de diagnostic ou de traitement, ne saurait être réalisé sans l’information et le consentement du patient »9.

Roland GORI – Psychiatre:

Le sire Guy Vallancien avait remis un rapport sur les réformes nécessaires à la meilleure  gouvernance des établissements de santé (du temps de Sarkozy). Il pronait déjà la transformation de l’hôpital en « aéroport » et avait chanté les louanges de l’homme entreprenrurial que les obscurantismes syndicaux empêchaient de s’épanouir !! Nous avions avec Marie José Del Volgo puis avec le Dr Odile Buisson fait paraître à l’époque une analyse de ce texte saturé de fautes de français et d’arrogance jubilatoire ( que l’on me pardonne cette syllepse oratoire). On doit en trouver des traces dans Libération et dans une revue « savante » généraliste, Connexions. Guy Vallancien était même parvenu à l’époque  à dépasser la volonté managériale de casser le soin et le soignant que prônait le rapport Larcher qui l’avait précédé. 

Laurent Sadel Chirurgien:

Valencien , un collègue ; Je l’ai beaucoup vu , entendu et critiqué. Et même cosigné avec lui une tribune sur l’innovation en chirurgie (Les Échos avec Frydman). 

Pour le comprendre , il a raté le poste de professeur , chef de service à l’APHP. 

A l’IMM  il additionnait un salaire négocié très élevé et un salaire de professeur des universités. Il se targuait de politique de santé et de gestions des hôpitaux sans connaitre les difficultés des urgences d’un hôpital public, quand il faut soigner tout le monde de la même façon. Proche de Sarkozy , de Xavier B Bertrand , il voyait déjà la médecine et la chirurgie comme un actuaire, au servie d’un système assurante privé et dominant. les HMO introduits par De Kervasdoué à l’origine  du numerus clausus étaient une formidable réponse à la rationalisation des couts.  

Comme Laurent Alexandre, il se projette dans l’idéal d’une médecine technologique qui va profondément modifier l’activité médicale. Il n’a pas réalisé que , à l’instar de tout progrès , il y a de bonnes choses , et de moins bonnes ; il y a la poussée de certaines industries très voraces. Ayant personnellement fait une rapport à la demande de l’APHP sur les robots chirurgicaux , je connais très bien les limites et insuffisances de ces technologue innovantes quand le gain apporté est nul ou très mal mesuré en termes de qualité des soins. Il en est ainsi de multiples « progrès »; il en est d’autres très positives  : je pense aux valves cardiaques remplacées par voie endovasculaire , ou à plusieurs avancées (anesthésiques et techniques)  permettant de réaliser une prothèse de hanche ou de genou en ambulatoire. 

Est ce que ces innovations  modifient   le role du médecin? je ne le crois pas. 

Nous traversons une phase de pénurie : pénurie de médecins,  de chirurgiens , de gériatres, de pédiatres . Cela va demander des années d’efforts pour arriver à un étiage acceptable. La radiologie interventionnelle remplace souvent les gestes chirurgicaux , c’est très bien si les résultats sont équivalents et cela va continuer. Mais cela ne change rien à la nécessité d’un contact , de paroles échangées en dehors de consultations par Zoom. 

Est ce que les infirmières/iers peuvent remplacer le médecin?  oui certainement à étape du soin, moins à l’étape du diagnostic ou des prises de décision sur l’imagerie ou les gestes à effectuer. 

Actuellement les procédures, les normes , les programmes informatiques , les dossiers multiples à implémenter  éloignent les soignants des malades : c’est le coté négatif de l’intelligence artificielle dont tout le monde se réjouit mais qui transforme en réalité souvent le soignant lui même en robot au servie de la gestion financière.  

les progrès ne peuvent venir que de la confiance des décideurs  envers les professionnels , les bons , ceux de terrain. Les infirmières sans le carcan de leurs horaires , et de leurs cadres , sauraient très bien organiser leur travail sans la tutelles prégnante de l’administration. Les médecins et chirurgiens sauraient bien eux aussi organiser leur activité au mieux , je n’en doute pas mais pour cela il faudrait un élément rare : la confiance. 

On peut rêver. 

Laurent Sedel

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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