La privatisation de la santé pénètre les soins de proximité

Santé : les centres de la Croix-Rouge en Ile-de-France bientôt rachetés par Ramsay Santé

La filiale française du groupe australien devrait devenir propriétaire des six établissements de l’organisation humanitaire. Cette cession, justifiée par un déficit, suscite l’inquiétude parmi les personnels ainsi que dans les communes concernées. 

Par Line Chopin

Publié aujourd’hui à 12h00, mis à jour à 12h10  

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/04/26/les-centres-de-sante-de-la-croix-rouge-en-ile-de-france-bientot-rachetes-par-ramsay-sante_6123726_3224.html

Temps de Lecture 4 min. 

Si les négociations vont à leur terme, le logo de la Croix-Rouge devrait prochainement disparaître des vitrines de ses centres de santé franciliens. Les six établissements que gère l’association sont en effet sur le point d’être rachetés par le groupe Ramsay Santé (ex-Générale de santé, aujourd’hui filiale du géant australien Ramsay Health Care), avec qui la Croix-Rouge est en négociation exclusive. Deux sont situés à Paris, le reste dans les Hauts-de-Seine, à Boulogne-Billancourt, Antony, Meudon, et Villeneuve-la-Garenne. Si le calendrier exact de la cession n’est pas connu, les deux parties évoquent le mois de juillet. Les discussions sont toujours en cours. Interrogé sur le montant du rachat, le groupe Ramsay n’a pas souhaité s’exprimer

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Motif de cette vente : une activité déficitaire « depuis plusieurs années », selon la direction de la Croix-Rouge, qui ne donne pas de chiffre précis en raison d’un accord de confidentialité. En 2021, pour trouver un repreneur, l’association fondée par Henry Dunant avait lancé une consultation au cours de laquelle Ramsay Santé s’était positionné. La filiale française du groupe australien revendique 350 établissements à travers cinq pays (la France, la Suède, la Norvège, le Danemark et l’Italie), dont 130 en France. Si elle prévoit la création d’un statut associatif pour la gestion des centres de la Croix-Rouge, l’inquiétude demeure du côté des élus du personnel. « C’est un groupe privé, qui n’aura pas comme modèle économique des centres déficitaires. Comment vont-ils arriver à les rendre bénéficiaires ? », s’interrogent-ils.

« Système à deux vitesses »

A l’heure actuelle, les centres de la Croix-Rouge pratiquent des tarifs de secteur 1 (sans dépassements d’honoraires) pour les consultations de médecine générale. Sur les soins spécialisés, comme les soins dentaires, des dépassements « très modérés » existent, précisent les élus du personnel. Chaque année, les centres accueillent 62 000 patients, dont près de 30 % sont en situation de précarité. François Demesmay, directeur de l’innovation médicale et de l’expérience patient chez Ramsay Santé, assure que le groupe continuera à « avoir la même politique d’accueil ».  « Au sein du groupe, 10 % des patients accueillis dans nos cliniques sont des patients bénéficiaires de la CMU. Ce n’est pas une population que l’on va découvrir du jour au lendemain », appuie-t-il.

Les élus du personnel redoutent en revanche une optimisation des soins, afin de combler le déficit. Selon eux, elle se traduirait par des soins plus coûteux pour les patients disposant d’une bonne mutuelle, créant alors un « système à deux vitesses ». Une option que M. Demesmay réfute : pour ramener les comptes à l’équilibre, il indique vouloir augmenter le nombre de praticiens salariés. Quant au personnel actuel, « cette cession devra permettre de maintenir l’ensemble des emplois des établissements », souligne la direction de la Croix-Rouge

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Eric May, vice-président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé, dit porter un regard « extrêmement réservé » sur cette cession. Précisant vouloir éviter tout « procès d’intention », il craint, tout comme les élus du personnel, un « fléchage » des patients, c’est-à-dire « une orientation des usagers du centre de santé vers un établissement lucratif Ramsay ». Si François Demesmay s’en défend, il reconnaît de possibles passerelles, d’ailleurs déjà existantes : « Il y a des endroits où on a des structures hospitalières qui ne sont pas très loin des centres de la Croix-Rouge, et où on reçoit des patients de ces centres. Mais celui qui choisit, in fine, c’est le patient. »

« Maintenir une offre de soins »

Dans les communes où sont situés les centres de la Croix-Rouge, le sentiment est à la prudence. A Antony, la municipalité est propriétaire des locaux qu’utilise l’association. Elle se dit prête à les mettre à disposition du groupe Ramsay Santé, « à condition qu’il s’engage réellement à rendre les services que la Croix-Rouge rendait auparavant », explique le maire, Jean-Yves Sénant (Les Républicains, LR).

A Meudon, les murs appartiennent également à la mairie. Pour l’édile, Denis Larghero (Union des démocrates et indépendants), l’objectif est « de pouvoir maintenir une offre de soins, notamment en secteur 1, accessible à toute la population ». La ville envisage de louer les locaux à Ramsay, comme c’est actuellement le cas avec la Croix-Rouge

.Lire le reportage :  A Vaulx-en-Velin, un centre de santé où « les gens se sentent écoutés »

Du côté de Boulogne-Billancourt, la situation est légèrement différente, puisque la ville n’est pas propriétaire des bâtiments. En plus du centre de santé, la Croix-Rouge possède notamment un institut médico-éducatif, un Ehpad, et un espace d’accueil et de soutien pour les parents et leurs enfants en bas âge. Surpris de la cession du centre, Pierre-Christophe Baguet (LR), le maire, tente pourtant de voir le verre à moitié plein : « Ici, la Croix-Rouge est très présente et rend des services à beaucoup de Boulonnais. Si l’activité sanitaire [du centre] est maintenue, et que, grâce à ça, la Croix-Rouge peut poursuivre les autres activités sur la ville, ça me convient. »

Line Chopin

*Dans la Drôme, la médecine générale s’ouvre à un géant de la santé privé

Le groupe Ramsay Santé a ouvert, à Pierrelatte, son premier centre de santé en France et expérimente un nouveau mode de rémunération des médecins. 

Par Angela Bolis(Pierrelatte (Drôme), envoyée spéciale)

Publié aujourd’hui à 01h31, mis à jour à 10h57  

Temps de Lecture 6 min. 

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/04/26/dans-la-drome-le-secteur-prive-fait-son-entree-dans-la-medecine-generale_6123658_3224.html

Accueil du centre médico-social Ramsay à Pierrelatte (Drôme), le 20 avril 2022.
Accueil du centre médico-social Ramsay à Pierrelatte (Drôme), le 20 avril 2022.  ALEXA BRUNET POUR « LE MONDE »

A Pierrelatte, c’est peu de dire que le nouveau centre de santé était attendu. Trois jours après son ouverture, le 31 janvier, le carnet de rendez-vous d’Anne Dubois, médecin généraliste, était déjà plein jusqu’au mois de juin. Dans cette petite ville de la Drôme, l’offre de soins était « catastrophique », selon le maire (divers droite) Alain Gallu : « On avait cinq médecins pour 14 000 habitants, et aucun de garde depuis des années. On a tout fait pour l’accueillir. »

Et peu importe que ce centre d’un nouveau genre soit géré par le groupe Ramsay Santé, filiale européenne du géant australien Ramsay Health Care et leader de l’hôpital privé en France. Peu importe, aussi, qu’il inaugure l’entrée du privé à but lucratif dans le champ de la médecine de ville. « Quand on a une rage de dent un vendredi soir, ce n’est pas le sujet pour le patient », balaie l’édile.

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Le centre de soins primaires (accès aux soins, prévention…) de Pierrelatte est le premier d’une expérimentation pilotée par le ministère de la santé et la Caisse nationale de l’Assurance-maladie dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale, permettant de tester des innovations dans l’organisation du système de santé.

Et, en l’occurrence, un nouveau mode de rémunération des soignants. Le principe : l’Assurance-maladie verse un forfait au centre, calculé en fonction du nombre et du profil de ses patients – le coût des soins n’est pas le même pour un octogénaire diabétique ou un trentenaire sans pathologie chronique. A partir de cette somme, le centre salarie une équipe de médecins et d’autres professionnels de santé.

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Outre Pierrelatte, ce modèle sera testé par Ramsay Santé dans quatre autres centres des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Ile-de-France, tous situés dans des déserts médicaux. Il est censé apporter une solution à la pénurie de médecins, qui devrait se poursuivre jusqu’en 2030 et devient particulièrement alarmante dans certaines zones. S’il démontre son efficacité d’ici à cinq ans, il entrerait dans le droit commun français. Ramsay Santé veut prendre de l’avance : il pourrait ouvrir d’autres centres – une centaine au maximum – dans les années à venir et ambitionne de racheter ceux de la Croix-Rouge en Ile-de-France.

Partage des tâches

Dans le centre de santé de Pierrelatte, tout est fait pour optimiser le temps médical. Dans quelques mois, quatre médecins y exerceront, épaulés par plusieurs infirmières. Celles-ci sont en première ligne pour recevoir le patient, le prendre en charge ou l’orienter vers d’autres soignants.

« Le médecin n’est plus un soliste mais un chef d’orchestre, explique François Demesmay, directeur innovation médicale chez Ramsay Santé. Il fait ce qu’il est le seul à pouvoir faire, et délègue le reste aux infirmières, aux psychologues, aux assistantes sociales… » Grâce à ce partage des tâches, « on espère soigner 50 % de patients de plus par médecin », calcule Janson Gassia, directeur des soins primaires. La télémédecine fera aussi partie de l’équation. Le centre devrait accueillir à terme au moins 7 000 patients.

Le centre médico-social Ramsay à Pierrelatte (Drôme), le 20 avril 2022.
Le centre médico-social Ramsay à Pierrelatte (Drôme), le 20 avril 2022.  ALEXA BRUNET POUR « LE MONDE »

La rémunération au forfait doit aussi permettre de consacrer plus de temps à la prévention et à l’éducation thérapeutique (accompagnement des patients atteints de pathologie chronique). « Ces actes ne sont pas valorisables dans le cadre du paiement à l’acte, et très difficiles à mener dans un cabinet classique, où le médecin est seul et débordé », explique Janson Gassia.

Le modèle est directement inspiré de la Suède, où Ramsay Santé est déjà très implanté, avec 10 % de la population soignée dans ses centres. « Tous les indicateurs de santé sur les maladies chroniques sont meilleurs là-bas », affirme M. Gassia.

Autre atout, selon le groupe : le travail en équipe et le salariat apporteraient des conditions d’exercice plus attractives pour les médecins, dans des zones où leur recrutement est compliqué. « Le modèle du médecin de campagne qui travaille seul, sept jours sur sept, et reste lié à sa patientèle toute sa vie, c’est fini », affirme le directeur des soins primaires à Ramsay Santé. Cette évolution est d’ailleurs prise en compte bien au-delà de l’expérimentation de Ramsay Santé : les regroupements de médecins libéraux ou salariés dans des centres et des maisons de santé progressent partout, parfois à l’initiative des élus locaux.

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Mais les contraintes économiques pèsent fortement sur ces projets, alors qu’un groupe comme Ramsay Santé a une assise financière qui lui permet d’investir et de tenir plusieurs années avant d’atteindre un équilibre économique. « Ce projet a au moins l’intérêt de montrer le sous-financement des soins primaires en France,relève Jacques Battistoni, président du syndicat de médecins généralistes MG France. Le cadre actuel ne permet plus aux médecins d’embaucher des collaborateurs et de réorganiser l’offre de soins sur le territoire en lien avec les pouvoirs publics. »

« Logique marchande »

Les soins primaires « ont été laissés à l’abandon par les précédents gouvernements, et cela laisse le champ libre au privé, alors qu’il faudrait que ce soit l’Etat qui organise ce maillage territorial. Est-ce à des grands groupes de sauver les déserts médicaux ? », interroge de son côté Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé.

Le dispositif de Ramsay découle d’ailleurs d’une autre expérimentation nationale, également sur la rémunération au forfait, et suivie par seize centres et maisons de santé déjà existants. Parmi les 119 expérimentations retenues dans le cadre de l’article 51, 5 % sont menées par des sociétés privées, selon le ministère de la santé. Qui précise que ces sociétés peuvent « gérer un centre de santé, mais cette gestion ne peut être lucrative » : il leur est interdit de redistribuer leurs bénéfices à des actionnaires.

Bureau de l’infirmière au centre médico-social Ramsay à Pierrelatte (Drôme), le 20 avril 2022.
Bureau de l’infirmière au centre médico-social Ramsay à Pierrelatte (Drôme), le 20 avril 2022.  ALEXA BRUNET POUR « LE MONDE »

Les organisations professionnelles s’interrogent en tout cas sur le maintien de la qualité des soins face aux exigences de rentabilité du groupe. « La garantie de la qualité ? C’est moi, mon éthique, je pratique exactement la même médecine que dans n’importe quel cabinet », rétorque Anne Dubois, première médecin à travailler dans le centre de soins de Pierrelatte.

Autre interrogation : Ramsay Santé créera-t-il des ponts entre ses centres de soins et ses hôpitaux ? – à Pierrelatte, par exemple, une clinique du groupe est implantée juste à proximité. « Des liens, il y en aura, mais le patient et le médecin seront libres de faire leur choix avec les autres structures, privées ou publiques »,assure François Demesmay.

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Plus largement, l’intérêt de Ramsay Santé pour les soins de proximité s’inscrit dans une stratégie globale du groupe qui, après les cliniques, souhaite poursuivre son développement dans d’autres secteurs de la santé. « On veut être le partenaire des patients pendant toute leur trajectoire de vie », explique M. Demesmay.

L’entreprise exerce déjà la médecine de ville dans les quatre autres pays européens où elle est implantée. En Suède et au Danemark, le groupe se revendique déjà comme le leader des soins primaires grâce aux rachats du suédois Capio en 2018 et du danois WeCare en 2021. En Allemagne, au contraire, le groupe a préféré céder ses activités, jugeant qu’il serait « très complexe », dans ce pays, d’accomplir sa stratégie « visant à renforcer sa présence dans les territoires où il a la capacité de devenir un leader dans le secteur de la santé ».

Anne Dubois, médecin généraliste, conduit sa patiente dans les couloirs du centre médico-social Ramsay à Pierrelatte (Drôme), le 20 avril 2022.
Anne Dubois, médecin généraliste, conduit sa patiente dans les couloirs du centre médico-social Ramsay à Pierrelatte (Drôme), le 20 avril 2022.  ALEXA BRUNET POUR « LE MONDE »

Cette dynamique inquiète Jérôme Marty, médecin et président du syndicat de l’Union française pour une médecine libre : « A force de rachats et de concentration, on arrivera au final à une santé privée avec une logique marchande, dominée par quelques grands groupes qui tiennent toutes les filières du soin. »

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Mercredi 20 avril, le fonds d’investissement KKR a déposé une offre publique d’achat sur la maison mère Ramsay Health Care pour un montant de 13 milliards d’euros. Ce fonds américain est déjà le premier actionnaire d’Elsan, qui domine avec Ramsay Santé l’hospitalisation privée en France. Et qui s’intéresse désormais, comme son concurrent, à la médecine de ville : il doit lui aussi ouvrir cette année son premier centre de soins primaires, à Saint-Denis.

Angela Bolis(Pierrelatte (Drôme), envoyée spéciale)

Des groupes privés à but lucratif au secours des déserts médicaux : « Le jour de l’ouverture à 8 heures du matin, il y avait déjà 14 personnes »

https://www.ecologie.gouv.fr/obligation-mention-sedeplacermoinspolluer-dans-publicites-automobiles#xtor=RSS-22

Des centres de santé d’un nouveau genre arrivent en France. Ils salarient des médecins généralistes et rationalisent la prise en charge des patients. Exemple à Pierrelatte, dans la Drôme, où le groupe Ramsay Santé, un géant de la santé privé, a ouvert son premier centre et où franceinfo s’est rendu.Article rédigé par 

Boris Loumagne – franceinfo

Publié le 04/05/2022 06:41Mis à jour le 04/05/2022 09:09

 Temps de lecture :  3 min.

Un cabinet médical, à Belfort (illustration). (LIONEL VADAM  / MAXPPP)
Un cabinet médical, à Belfort (illustration). (LIONEL VADAM / MAXPPP)

Un géant de la médecine privée pour régler le problème des déserts médicaux : le groupe Ramsay Santé, multinationale australienne et leader de l’hôpital privé en France, a ouvert en 2022 quatre centres de santé d’un nouveau genre. Les médecins y sont salariés, ne travaillent pas plus de 40 heures par semaine et l’organisation des soins est rationalisée pour accueillir plus de patients.

>> Déserts médicaux : les maires ruraux alertent sur la « dégradation » de l’offre de soins, constatée par une étude

Le premier de ces centres de santé a ouvert à Pierrelatte, dans la Drôme, où il était très attendu. Parmi les 15 000 habitants de la ville, un tiers n’a pas de médecin traitant. C’était le cas de Simone, 69 ans, que nous avons rencontrée dans la salle d’attente du nouveau centre Ramsay qui a ouvert fin janvier : « Il n’y en a pas beaucoup de médecins dans la ville. Le nôtre est parti au mois de décembre en retraite. J’ai quand même une pathologie assez lourde donc il me fallait absolument un médecin. Le jour où le cabinet a ouvert, je suis venue devant la porte à 8 heures du matin et il y avait 14 personnes. »

Simone, 69 ans, dans la salle d’attente du nouveau centre Ramsay qui a ouvert fin janvier. (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE)
Simone, 69 ans, dans la salle d’attente du nouveau centre Ramsay qui a ouvert fin janvier. (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE)

Quatre jours après l’ouverture du centre, il y avait déjà 600 patients inscrits dans les plannings. L’objectif de l’établissement étant que chacun de ses quatre généralistes soigne 50 % de patients en plus qu’un médecin libéral. Pour y parvenir, le centre optimise le temps médical : deux secrétaires gèrent l’administratif et le paiement. Une infirmière constitue un dossier complet des patients avec les antécédents, le ou les traitements en cours et les modes de vie du patient. En délégant toutes ces tâches, le médecin gagne du temps et peut traiter ainsi plus de patients.

Un tri des patients selon la rentabilité ?

Le mode de rémunération des médecins est également remanié. Dans ces centres, les généralistes ne sont pas payés à la consultation mais au forfait. L’Assurance maladie verse au centre Ramsay une somme annuelle pour chaque patient. Plus le patient est âgé, plus sa maladie est grave et plus la somme est importante. Un fonctionnement qui soulève l’inquiétude de certaines organisations professionnelles.

« Le groupe ne dépense pas un centime, déplore Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’Union française pour une médecine libre. En revanche, le centre a des médecins qui sont payés par la solidarité nationale. Pour eux, c’est tout bénef ! Ils ont calculé le nombre de patients diabétiques qu’ils vont avoir et le coût de la prise en charge du diabète à l’année. Ils présentent la note à l’Assurance maladie en disant : ‘Ça fera tant, donnez-nous une enveloppe, on la gère et on paye les salariés.‘ Mais la clinique a la charge de ne pas dépasser l’enveloppe. »

« On ne veut pas de cette médecine de supermarché. Ce n’est pas la place de ces groupes-là de venir sur une médecine indépendante qui protège le patient. »Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre

à franceinfo

Jérôme Marty et d’autres évoquent un tri des patients en fonction de leur rentabilité. Il est encore un peu tôt pour le dire. Ramsay réfute d’ailleurs cette accusation.

Un salariat attirant pour les médecins

Avec ce forfait versé à Ramsay, l’entreprise salarie les généralistes. Ce salariat est synonyme de stabilité : salaire fixe, un nombre d’heures limité et 40 heures par semaine. Ce qui a convaincu la Dr Anne Dubois Garnier, qui vient de rejoindre le centre. Elle y a trouvé un confort de vie qu’elle n’avait pas quand elle exerçait en libéral : « Il y a une pression liée à la paperasse et tout simplement au nombre de patient. On n’est pas des machines ! On dit oui, mais au prix d’heures et d’heures de travail. Pour moi, faire de la médecine générale, le métier que j’adore, 40 heures par semaine sur quatre jours, ça change tout. Je pense que c’est ce qui pourra permettre à des jeunes médecins de se mettre dans cette dynamique. »

La Dr Anne Dubois-Garnier à son bureau du centre Ramsay. (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE)
La Dr Anne Dubois-Garnier à son bureau du centre Ramsay. (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE)

Et le salariat semble fonctionner : la mairie de Pierrelatte l’a bien constaté. Depuis des années, elle tente d’attirer, sans succès, de nouveaux praticiens sur sa commune alors qu’en quelques mois, le groupe Ramsay va permettre l’installation de quatre généralistes d’un coup. Un premier succès donc pour le géant de la santé qui ne compte pas s’arrêter là. Si cete expérimentation locale est probante, Ramsay souhaite créer de nombreux centres un peu partout en France.

Voir aussi:

https://environnementsantepolitique.fr/2022/04/19/les-centres-de-sante-ouverts-au-lucratif-depuis-2018-ce-serait-terrible-davoir-a-choisir-entre-solidarite-et-profit/

https://environnementsantepolitique.fr/2022/02/11/des-centres-de-sante-associatifs-croix-rouge-rachetes-par-le-groupe-ramsay-sante/

https://environnementsantepolitique.fr/2021/10/25/le-modele-francais-de-privatisation-applique-a-la-sante-ramsay-sante-vivalto-sante-domusvi/

https://environnementsantepolitique.fr/2021/08/27/si-la-crise-construisait-lavenir-de-la-sante-mais-pour-les-cliniques-lucratives-est-ce-pour-aller-dans-le-sens-du-bien-commun/

https://environnementsantepolitique.fr/2021/06/13/region-paca-lancement-dun-reseau-de-maisons-de-sante-et-durgences-msu-par-le-biais-de-la-filiale-urgencemed-du-groupe-sante-cie/

Commentaire Dr Jean SCHEFFER

Pas besoin de faire un dessin: la clientèle de ces centres va devenir captive à travers un réseau de soins géré par l’assurance privée ou le fond de pension, avec orientation préférentielle vers tel cabinet de spécialité, telle clinique lucrative. Quant aux professionnels de santé ils seront soumis à des cadences, des protocoles, du matériel qu’ils n’auront pas choisi !

La privatisation des centres de santé non lucratifs a été rendue possible après la publication d’un décret datant du 12 janvier 2018, permettant à des organismes lucratifs (Réseaux de soins, Fonds de pension, Assurances privées…) de racheter ou de créer des centres de santé avec salariat des médecins.

(https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjTk6ug48X3AhWggs4BHS1sB2AQFnoECAsQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.seban-associes.avocat.fr%2Fle-nouveau-regime-des-centres-de-sante-et-de-leurs-antennes-issu-de-lordonnance-du-12-janvier-2018-complete-par-un-decret-et-un-arrete-en-date-du-27-fevrier-2018%2F&usg=AOvVaw1TEX957DBK2q0R9HexJUbj )

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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