Critique de la gestion de crise par Barbara STIEGLER et François ALLA dans Tracts Gallimard

Tracts Gallimard (N°37) – Santé publique année zéro

Barbara Stiegler

François Alla

«Allons-nous enfin, dans un cadre républicain, affronter ensemble le bilan scientifique, éthique et politique de deux ans de crise sanitaire ?» Barbara Stiegler et François Alla Le 17 mars 2020, le confinement était décrété sur tout le territoire national, ouvrant une longue période de suspension de la vie démocratique au nom du risque pandémique. Pour les deux auteurs de cet essai, philosophe et praticien de santé publique, cette opposition entre santé et liberté, imposée par un nouveau libéralisme autoritaire et contraire à l’esprit de la « Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé » (1986), remettait en cause tous les acquis de notre histoire récente. Relevant de l’argument d’autorité et de l’erreur politique, elle a, parmi d’autres effets délétères, transformé le terrain de la santé publique en un grand champ de ruines. Revenir à cette faute matricielle, source de toutes les défaillances dans la gestion de la crise, c’est réaffirmer la centralité des déterminants sociaux et environnementaux de la santé publique, lesquels n’auraient jamais dû cesser d’inspirer et orienter les politiques, au nom même de l’intérêt général. Après De la démocratie en Pandémie de Barbara Stiegler (janvier 2021), ce Tract offre la première grande lecture critique des années Covid.Afficher

Extrait:

https://www.edenlivres.fr/p/745357

Commentaires:

Pr André Grimaldi

«  Le tract Gallimard n°37 « Santé publique année zéro » rédigé par une philosophe et un professeur de santé publique a le mérite d’affronter la question des rapports entre le respect des libertés individuelles et l’application d’une politique de santé publique en situation de crise et d’incertitude scientifique. Ils le font à la lumière d’une analyse critique de la gestion de la pandémie de COVID 19.  Ils insistent à juste titre sur l’aggravation des inégalités sociales de santé à la fois par la pandémie et par sa gestion. Pour les pauvres ce fut en effet (et c’est toujours) la triple peine :1 pour des raisons sociales, leur isolement est plus difficile et la contamination plus facile ; 2 les formes graves sont plus fréquentes en raison de la prévalence accrue de de l’obésité et du diabète ; 3 ils ont moins recours aux tests et sont moins vaccinés. Résultat : la mortalité est plus élevée. Le 93, département le plus jeune de France est aussi celui où la mortalité est a plus élevée.

Les auteurs soulignent notre carence en matière de santé communautaire de terrain prenant en compte les conditions de vie et les représentations des populations et tissant des liens de confiance entre les soignants et les habitants grâce à la médiation de militants associatifs, de représentants communautaires, de bénévoles formés et d’élus locaux (cf. le livre à paraître de Didier Ménard et cf. le livre de Renaud Piarroux La Vague).

Médecine communautaire mais pas communautariste. Il ne s’agit pas de céder au relativisme et de cautionner les préjugés et les croyances anti-scientifiques. Étonnement, la philosophe se prononce en faveur d’une « élaboration collective de la vérité » (page 22) Le professeur de santé publique co-auteur de ce tract réussit lui le tour de force d’analyser la gestion de la pandémie sans dire un mot de la stratégie « tester-tracer-isoler » et sans analyser les conditions de sa mise en œuvre en pratique (et a fortiori sans comparer en la matière la France avec d’autres pays, ne serait-ce que des pays européens). Ce qui lui permet de présenter les confinements successifs non pas comme les échecs de la stratégie « tester-tracer-isoler’ mais comme des décisions politiques en grande partie arbitraires, ayant pour but de restreindre les libertés, suivant la dérive autoritaire du néolibéralisme macronien, alors qu’il aurait suffi d’augmenter le nombre de lits de réanimation. 

Ce tract laisse en effet entendre qu’avec plus de lits de réanimation, on aurait pu se passer et de confinements et de plans blancs de déprogrammation…sans toutefois se prononcer sur le nombre de lits et de professionnels nécessaires pour ce faire et sans évoquer le nombre de morts supplémentaires. (On a plus de 100 morts du COVID tous les jours et on est passé à autre chose. C’est fou comme on s’habitue à la mort des autres. Le tour de l’Ukraine viendra si cette sale guerre se prolonge…). Leur argumentation essentielle repose sur l’affirmation de la grande similitude entre l’épidémie du SIDA et la pandémie de COVID. » Potentiellement aussi létale l’une que l’autre ». Pour les deux affections, « les probabilités d’être contaminé, de tomber malade ou de contracter une forme grave de la maladie dépendaient largement du mode de vie et de l’état de santé préexistants, eux-mêmes sous la dépendance des déterminants sociaux de santé et des facteurs d’environnement »

« Comme le SIDA, le COVID était une menace pour la population dans son ensemble » (pages 29,30). Seule différence, selon eux, « aucune communauté de patients COVID n’a réussi à émerger pour faire valoir ses intérêts particuliers » (page 21). Et la « démocratie en santé qui jusque-là fonctionnait parfaitement » (sic page18) « s’est retrouvée sans voix ».

Sans être sidologue, on peut être surpris par cette affirmation répétée de similitude entre les deux épidémies. Le SIDA avant la trithérapie était une maladie mortelle pratiquement à 100% alors que la mortalité du COVID avant la vaccination était inférieure à 1%. Si le taux de létalité par rapport à la population générale était comparable cela tenait à la différence fondamentale de mode de contamination.

Certes on peut suggérer une analogie entre le port du masque et l’usage du préservatif. Mais il n’était pas besoin de mettre un préservatif en entrant dans un magasin et on ne risquait pas d’attraper le SIDA au cinéma ou au restaurant. Cela explique qu’il n’y ait pas eu de mouvement anti-trithérapie (même s’il y a eu, ce qui est « normal » des problèmes d’observance) comme il a un mouvement antivax. On aurait bien aimé et on aimerait bien avoir pour le SIDA un vaccin aussi efficace que les vaccins contre le SARS-CoV2. Comment peut-on affirmer pour le SIDA que « la plupart du temps, on n’était pas malade et on ne mourrait pas du seul fait d’avoir contracté un virus. On était malade et on mourrait, le plus souvent, de sa position dans la société » ?

Le délai entre la contamination et l’hospitalisation puis la mort n’avait strictement rien à voir. Les patients et patientes atteints du SIDA avaient plusieurs mois et années à vivre en se sachant condamnés. Au lieu de s’isoler (ou d’être isolés) et d’attendre la mort, en laissant le pouvoir aux soignants comme lors de la tuberculose avant les antibiotiques, ils ont collectivement décidé de comprendre et d’agir.

Rien de semblable n’était possible pour les patients Covid. Une association de patients Covid+ n’a tout simplement pas de sens mais il y a ou il y aura des associations des patients et patientes Covid long

Enfin au lieu de critiquer la politisation abusive (et délétère pour la santé publique) de la vaccination par le pouvoir exécutif (cf. le discours Président Macron du 12 Juillet 2021), les auteurs reprennent les arguments des vaccinoseptiques. Les vaccins n’empêchent pas les contaminations répètent-ils, omettant de dire qu’ils la réduisent de moitié (et c’était beaucoup plus avec le variant alpha), ils risquent de « déclencher de graves réactions immunitaires dans l’organisme « et des myocardites chez les jeunes, soulignent-ils, en oubliant de dire que ces risques sont beaucoup plus élevés avec le virus lui-même. Ils défendent donc la thèse qu’il fallait convaincre mais pas contraindre au nom du respect de la liberté individuelle, au lieu de « liquider les principes fondamentaux de notre République » (page 47). Oubliant que la liberté des non vaccinés était payée par la non-liberté des patients déprogrammés ayant d’autres pathologies nécessitant des soins mais ne présentant pas d’urgence vitale (pontages, poses de prothèses, greffes de rein, diabètes déséquilibrés…). Le moi-je du libéralisme marchand triomphant depuis la fin du siècle dernier a transformé la santé en un bien de consommation individuelle. Mais contrairement à ce qu’affirment les deux auteurs du tract, je n’ai jamais proposé de « fermer l’hôpital aux non vaccinés » (page 58), j’ai simplement rappelé que si les médecins doivent soigner uniquement en fonction des besoins des patients, ces derniers ont la liberté de ne pas consentir aux soins. La personne qui, parfaitement informée, refuse d’être vaccinée, au nom de sa liberté a également la liberté de refuser de bénéficier d’une réanimation invasive. En cas de forme grave du COVID. Il est d’ailleurs conseillé à toutes et à tous, de rédiger des directives anticipées (directives que l’on peut d’ailleurs changer à tout moment). Ce qui a scandalisé les antivax qui ne veulent pas être vaccinés mais veulent bien, en cas de besoin, être prioritaires pour être réanimés. 

De même, contrairement à ce que laissent entendre les auteurs en écrivant « L’obligation vaccinale des enfants de plus de douze ans se révélait en rupture majeure avec les principes éthiques en santé » (page 52), il n’a jamais été décidé d’obligation vaccinale pour les enfants. Dénoncer « la dictature sanitaire » a l’immense avantage de prendre la posture avantageuse du défenseur des victimes de la dictature (dont certains n’hésitaient pas à se coller une étoile jaune sur la poitrine) et d’appeler à la Résistance. 

On est effectivement dans la Santé publique, année zéro »

Amitiés

André Grimaldi

Commentaire de Frédéric PIERRU, sociologue :

Les deux auteurs disent, avec raison, que la dernière grande épidémie qui a touché l’Occident c’est l’épidémie de SIDA. Mais, et c’est là qu’André squeeze l’argument des deux auteurs, Stiegler et Alla soulignent, avec raison – et personne ne peut le réfuter –, que cette épidémie a accouché de la « démocratie sanitaire », avec la loi Kouchner de 2002.

Autrement dit, ils soulignent qu’une pandémie peut être vectrice de lois liberticides comme de lois démocratiques. 

Ils ne nient à aucun moment la spécificité de la pandémie de Covid-19. 

Dès lors, mais je ne devrais pas, car je suis sociologue, je suis d’accord avec Barbara et François Alla : la pandémie a renforcé des dérives liberticides déjà à l’œuvre, même couvertes par l’urgence sanitaire. 

Quand ils soulignent que pour les deux ans du début de la pandémie, il n’y a eu AUCUN retour d’expérience, et a fortiori de débat, ils tapent juste. Quand on voit que la Présidentielle de 2022 ne traite pas de santé, ils tapent juste. 

Je comprends bien les effets conservateurs du vieillissement qui est d’abord et toujours social. André s’est senti visé, non sans raison, par le tract. 

Mais sa réponse se construit un diable de confort, donc bien commode. 

F

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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