« Nous réclamons un véritable plan Marshall pour l’hôpital »
TRIBUNE
Collectif
Afin de sauver l’hôpital public et de rétablir la confiance du personnel hospitalier, des spécialistes de la santé et des universitaires appellent les pouvoirs publics, dans une tribune au « Monde », à agir selon cinq priorités, à commencer par un moratoire sur les fermetures de lits et la création de 50 000 postes de soignants.
Publié hier à 05h00 Temps de Lecture 5 min.
Tribune. En mars 2020, les Français découvrent avec stupeur une crise sanitaire inédite. Confinés chez eux, ils applaudissent chaque soir les personnels hospitaliers. Nos hôpitaux ont fait face avec beaucoup d’inventivité et de dévouement à l’afflux des hospitalisations et aux multiples pénuries, à commencer par l’absence de stocks de masques de protection.
Si le Ségur de la santé, en juin 2020, a concrétisé le « quoi qu’il en coûte » promis par le président de la République à l’issue de cette première vague, les attentes du personnel hospitalier sont encore très fortes sur plusieurs plans. Le système hospitalier, soumis depuis plus de quinze ans aux seuls impératifs de rentabilité et de restructuration, est aujourd’hui à bout de souffle.
Quel constat en 2022 ? Une gestion des activités et des ressources à flux tendus au prix d’une dégradation des conditions de travail ; une logique de regroupement des moyens et de polyvalence dictée par des impératifs de rentabilité au détriment du collectif de soins ; des rémunérations des soignants et des médecins peu attractives ; une diminution considérable de la capacité en lits en trente ans (soit cent mille lits), dont on perçoit aujourd’hui les conséquences en termes d’accès aux soins des populations éloignées des grands centres urbains ou défavorisées.
Renforcer les moyens
Les hospitaliers sont épuisés et désabusés. Un nombre significatif d’entre eux démissionne faute de perspectives, les jeunes professionnels délaissent l’hôpital public devenu peu attractif. La refondation de notre système hospitalier, si souvent évoquée en 2020, n’est plus mentionnée que marginalement dans la campagne présidentielle. Elle est pourtant indispensable.
Nous réclamons un véritable plan Marshall pour l’hôpital avec cinq grandes priorités :
– Il faut renforcer les moyens des hôpitaux.
Nous demandons un moratoire sur les fermetures de lits dès le début du prochain quinquennat afin qu’une concertation puisse être engagée à l’échelle des régions pour définir dans une perspective pluriannuelle les besoins en lits en fonction des données démographiques et épidémiologiques, de l’évolution des prises en charges et des effectifs nécessaires. Il faut créer sur 2022 et 2023 cinquante mille postes de soignants dans les établissements en tension et engager, dès à présent, les mesures indispensables pour revaloriser les métiers du soin.
Lire aussi Hôpital : « Ce fut une erreur d’avoir pensé que le marché pouvait réguler l’offre de soins »
– Il faut réformer le mode d’allocation des ressources et renforcer l’expertise des agences régionales de santé (ARS).
La tarification à l’activité (T2A) mise en place depuis 2004 sur la base de coûts standards est conjuguée avec un objectif national de dépenses hospitalières fixé par les pouvoirs publics en dessous de l’évolution des coûts réels. Les ajustements nécessaires pour tenir dans cette enveloppe n’ont été obtenus que par la pression sur les effectifs, la stagnation des salaires réels et l’intensification du travail.
Une programmation financière pluriannuelle
Nous demandons la limitation de la T2A aux seules activités standardisables en médecine et en chirurgie, d’autres modalités de financement (dotations ou forfaits) étant nécessaires pour prendre en charge des pathologies complexes et chroniques, les urgences ou la réanimation.
Il faut en outre remplacer la fixation d’un objectif national de dépenses, par une programmation financière pluriannuelle déclinée dans chaque région par les ARS à partir d’une véritable analyse des besoins de santé. Les ARS ne peuvent plus se cantonner à la seule régulation financière de l’offre de santé. Elles sont les garantes de l’équité entre les territoires et de la cohérence entre politique nationale de santé et besoins de santé au niveau local.
Elles devraient disposer de véritables marges de manœuvre financière pour réguler l’offre de soins au plus près des besoins. Il est indispensable, de plus, de renforcer leurs échelons départementaux et locaux en termes d’expertise (épidémiologie et santé publique, gestion de projets) afin de leur permettre de piloter les politiques de santé en lien étroit avec les acteurs locaux. Une véritable déconcentration est donc nécessaire.
– Il faut renforcer les interactions entre les hôpitaux et les autres acteurs du système de santé.
Coordination et coopérations
Les groupements hospitaliers de territoires (GHT) ont été créés par la loi Touraine (2016) pour mutualiser les moyens entre hôpitaux et organiser les filières hospitalières de prise en charge. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), créées par la même loi, regroupent des professionnels de santé de toutes spécialités exerçant en ville et qui souhaitent se coordonner pour organiser les soins de proximité dans un territoire défini.
Les hôpitaux peuvent participer à leurs travaux et, le cas échéant, contractualiser avec eux pour mener à bien des projets communs sans pour autant qu’ils en aient légalement l’obligation. Le découpage actuel des GHT en vastes ensembles géographiques ne favorise pas leur coordination avec les CPTS qui correspondent à des aires plus restreintes.
Lire aussi « La crise de l’hôpital est une crise démocratique »
Il est nécessaire de modifier le découpage des GHT pour faciliter les coopérations nécessaires avec les CPTS, coopérations qui devraient faire partie expressément de leurs missions. Il faut fluidifier les carrières des professionnels entre exercice à l’hôpital et en ville en favorisant la pratique mixte, et poursuivre le développement des délégations coordonnées des tâches au profit des paramédicaux.
– Il faut rééquilibrer la gouvernance des hôpitaux.
Pour promouvoir un management réellement participatif et mieux ancrer l’hôpital dans son territoire, il faut renforcer significativement au sein de ses instances délibératives la présence des représentants des personnels non médicaux, des usagers et des élus locaux. Il est légitime que les professionnels de santé libéraux investis au sein des CPTS soient également représentés.
Recherche et prévention
– Enfin, il est nécessaire d’impliquer les hôpitaux dans les actions de recherche et de prévention.
Les hôpitaux pourraient contribuer à une nouvelle dynamique en matière de prévention, en développant, notamment avec les acteurs locaux (professionnels de santé et du médico-social, CPTS, associations de patients, etc.) et les mutuelles, des programmes de prévention et d’éducation à la santé.
Entre un hospitalo-centrisme inadapté aux enjeux actuels du système de santé et l’hôpital-entreprise désastreux, l’hôpital du XXIe siècle doit préserver son caractère de service public tout en se transformant en établissement plus communautaire entre tous ses personnels mais aussi avec les patients et leurs proches dont l’écoute doit être mieux respectée.
Aux candidats à l’élection présidentielle de mesurer l’urgence de la situation et de faire les choix qui s’imposent.
Les signataires : Etienne Caniard, ancien membre du collège de la Haute Autorité de santé (HAS), président honoraire de la Mutualité française ; Edouard Couty, ancien directeur général de l’hospitalisation et de l’offre de soins au ministère de la santé, Bernard Elghozi, praticien hospitalier honoraire ; Patrick Goudot, professeur de médecine ; Agnès Jeannet, inspectrice générale honoraire des affaires sociales (Inspection générale des affaires sociales, IGAS) ; Bruno Liffran, directeur d’hôpital honoraire ; Jean Mallot, ancien député de l’Allier, Denis Mechali, médecin interniste, Dominique Méda, professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine, Antoine Pelissolo, professeur de médecine, chef de service de psychiatrie au CHU Henri-Mondor, Claude Pigement, ancien vice-président de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), membre du conseil de surveillance l’agence régionale de santé Ile-de-France (ARS-IDF) ; Marielle Rengot, formatrice santé, Thierry Philip, professeur de cancérologie, Alfred Spira, professeur de santé publique et Emmanuel Vigneron,professeur des universités, géographe.
Collectif
Commentaire Dr Jean SCHEFFER:
Toutes ces personnalités des mondes administratif, universitaire, politique … sont plein de bonnes idées pour refonder l’hôpital public, sauf qu’il y a une grande urgence, c’est d’arriver à recruter des médecins très rapidement. Sans médecins pas d’hôpital (40% de postes vacants dans nos hôpitaux généraux, source principale de fermetures de services, d’hôpitaux et d’éloignement d’accès aux soins). La majorité des actes dans notre pays sont réalisés au sein des hôpitaux généraux. Il exsiste une solution immédiate pour solutionner l’ensemble des postes vacants dans tous les lieux de soins et dans toutes les spécialités. Il s’agit d’un « Clinicat-Assistanat pour tous » de trois ans obligatoire pour tous les internes futurs généralistes comme futurs spécialistes, ne créant aucune disparité entre eux. L’ activité serait partagée entre différents lieux de soins, à l’image de l’assistanat partagé entre CHG et CHU. Pour plus de précisons, voir: