« Pourquoi en France n’arrive-t-on plus à avoir suffisamment de médecins et de praticiens hospitaliers ? »
TRIBUNE
Philippe Eymerit
Cardiologue, praticien hospitalier, chef de service, et exerçant en cabinet de ville à Sarlat, en Périgord
Les raisons des défaillances du système hospitalier, comme celles des carences de la médecine de ville, n’ont guère été abordées pendant la campagne pour l’élection présidentielle regrette, dans une tribune au « Monde », le cardiologue Philippe Eymerit, qui préconise une réorganisation de la santé.
Publié le 19 mars 2022 à 11h00 – Mis à jour le 19 mars 2022 à 11h16 Temps de Lecture 4 min.
Tribune. Il y a une vingtaine d’années, les services hospitaliers fonctionnaient avec des médecins dans tous les services, et les postes de praticiens hospitaliers (PH), via un concours national, étaient assez recherchés.
Aujourd’hui, pas un seul hôpital en France, sur tout le territoire – grands hôpitaux de type centre hospitalier universitaire (CHU), centre hospitalier régional ou local –, n’est pas en difficulté pour des recrutements.
Tous sont en recherche de PH et pratiquement pour toutes les disciplines (cf. rapport du Centre national de gestion 2021 sur le site du Centre national de gestion, CNG). En moyenne, il y a plus de 30 % de postes vacants de praticiens hospitaliers, et pour des « petits » hôpitaux qui sont déjà à effectifs médicaux réduits vue leur taille, ce chiffre dépasse souvent les 50 %. Il est même de 75 % en Guyane.
Quelque 30 % de postes vacants, cela veut dire des services qui font appel en permanence à des remplaçants via des agences d’intérim soumises à l’offre et à la demande. Ce système conduit encore aujourd’hui, malgré les prétendues réformes qui ne sont pas appliquées, à des tarifs de journée pour ces médecins remplaçants totalement indécents. Qui plus est, ce sont les plus petits hôpitaux qui en pâtissent le plus.
Un fonctionnement hyperbureaucratique
Dans certains hôpitaux, des « lignes de gardes » sont supprimées, notamment aux urgences, parfois uniquement sur un ou plusieurs jours, et puis, petit à petit sur plusieurs mois. Cette situation peut conduire, par exemple, à ne plus avoir une équipe du service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) disponible, ou bien à ce que la direction impose un système « dégradé » en faisant accepter qu’un seul médecin soit présent aux urgences pour tout un établissement.
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Et si on parlait de l’organisation de la santé en France ? Pourquoi en France n’arrive-t-on plus à avoir suffisamment de praticiens hospitaliers ? Comment se fait-il que les instances, comme les agences régionales de santé (ARS) et le ministère, qui sont au courant, ne font rien. Et pourtant, il s’agit aussi d’un service public essentiel.
Une grande partie des réponses à cette situation se trouve dans le management hospitalier, instauré depuis la loi Hôpital, patient, santé, territoire (HPST) de juillet 2009. Roselyne Bachelot était alors ministre de la santé. Cette grande réforme prévoyait un regroupement des hôpitaux en renforçant les grands centres hospitaliers et une quasi-disparition des petits, et surtout un pouvoir très accru du directeur de l’hôpital qui finalement peut prendre toutes les décisions même contre l’avis de la communauté médicale (« un seul patron à l’hôpital »,disait le président Nicolas Sarkozy).
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On en est arrivé à un fonctionnement hyperbureaucratique, avec tous les mauvais côtés des administrations et très souvent des ruptures avec la communauté médicale et soignante. Des réaménagements du management avaient été prévus par la ministre de la santé Agnès Buzin, mais sont restés non appliqués.
Inégalité territoriale
Parallèlement au mauvais fonctionnement des hôpitaux, on se trouve confrontés aujourd’hui à une inégalité territoriale pour la médecine dite de ville ou « libérale ».
Que ce soit pour la médecine générale ou de spécialité, les disparités régionales sont très fortes (mais aussi au sein d’un même département), avec des accès aux soins très difficiles et des délais de prise en charge en consultation pouvant dépasser six mois.
Pourquoi ? On se heurte à la sacro-sainte « liberté d’installation » des médecins sur le territoire français. Comment se fait-il, alors que les études médicales universitaires sont en très grande partie financées par l’Etat, qu’un médecin peut s’installer où il veut même s’il y a déjà pléthore dans la ville où il s’installe ? Pourquoi n’appliquerait-on pas une régulation comme cela se pratique pour d’autres professions de santé ou d’autres professions dites libérales ?
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Une proposition par un candidat à l’élection présidentielle en 2017 (Benoît Hamon) avait ouvert le débat sur ce sujet, en proposant qu’un médecin voulant s’installer dans une zone déjà bien pourvue dans sa spécialité, n’aurait pas de convention avec la Sécurité sociale, c’est-à-dire finalement une absence de remboursement pour les patients. Cette mesure serait très facilement applicable, car on connaît pour chaque spécialité médicale le nombre de médecins nécessaires par milliers d’habitants, et cette régulation permettrait immédiatement une répartition homogène sur tout le territoire français.
Progression constante
Cependant, on voit déjà la levée de boucliers de la corporation médicale, confrontée à une absence de courage politique.
On nous a fait croire, et on veut toujours nous faire croire, qu’il s’agit du nombre de médecins qui seraient insuffisants en France et que cela viendrait du fameux numerus clausus des études médicales, qui a d’ailleurs été aboli à la dernière loi de 2020. Il n’en est rien.
Il suffit de prendre le nombre de médecins inscrits au conseil de l’ordre pour s’en rendre compte et de suivre les données de la démographie médicale (cf. « Atlas de la démographie médicale en France », Dr Patrick Bouet, ordre national des médecins, 2021) : au 1er janvier 2020, plus de 300 000 médecins sont inscrits au conseil de l’ordre, soit 1,60 % de plus en un an, et la progression est constante, bien que modérée, depuis dix ans au moins (+ 7,5 % depuis 2010).
Tout est un problème d’organisation et de répartition de l’installation des médecins. Si l’on ne s’attaque pas à ce problème crucial, il y aura de plus en plus de disparités et donc de difficultés à l’accès aux soins et d’inégalités dans la prise en charge des pathologies, surtout en milieu rural et pour les personnes âgées.
Philippe Eymerit(Cardiologue, praticien hospitalier, chef de service, et exerçant en cabinet de ville à Sarlat, en Périgord)
Commentaires Dr Jean SCHEFFER:
Je vois avec satisfaction qu’à travers cette tribune de mon confrère cardiologue et voisin de Sarlat (moi-même étant ancien chef de service à Albi), le journal « le Monde » met l’accent sur le drame des déserts hospitaliers qui atteint 40% de postes vacants dans nos hôpitaux généraux, principale cause de fermeture des services et d’inégalité d’accès aux soins. J’ai proposé une solution rapide pour solutionner l’ensemble des tous les déserts médicaux sans créer de disparité entres les futurs généralistes et spécialistes: il s’agit du « Clinicat-Assistanat pour tous » de 3 ans obligatoire en fin d’internat, proposition jamais reprise en particulier par les journalistes de mon quotidien favo
ri. Il y aurait une activité partagée entre plusieurs lieux de soins à l’image des assistants partagés CHU-CHG. Ma proposition est explicitée sur: « Vision Globale -Solution globale »: