Sous prétexte de la guerre soutien du gouvernement a l’agriculture industrielle

« Vouloir produire plus au nom de l’indépendance agricole, c’est comme vouloir mettre plus d’automobiles sur les routes au nom des économies d’énergie »

CHRONIQUE

auteur

Stéphane Foucart

Face à la guerre en Ukraine, la tentation est forte de renoncer aux objectifs de verdissement de l’agriculture européenne. Comme le rappellent près de 200 scientifiques, le conflit montre au contraire toutes les limites de nos systèmes productifs actuels, explique dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 04h44, mis à jour à 05h46    Temps de Lecture 4 min. 

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Chronique. Lorsque les cours sont au plancher, il faut produire le plus possible pour éviter la ruine ; lorsqu’ils s’envolent, il faut produire le plus possible pour rafler la mise. La guerre en Ukraine n’est pas perdue pour tout le monde et ce ne sont pas les vendeurs de bicyclettes qui en tirent, ces jours-ci, le meilleur profit.

Depuis le début du conflit, les lobbys agro-industriels ont poussé leurs arguments avec un succès éclatant. Jusqu’à remettre en cause, en France au moins, la stratégie « Farm to Fork » (« de la ferme à la fourchette »), le volet agricole du Pacte vert de la Commission européenne. Le président candidat Emmanuel Macron l’a annoncé jeudi 17 mars : le projet de verdissement de l’agriculture européenne sera « adapté » à l’aune de la crise. Le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, ayant déjà annoncé la fin des jachères en France, on peut s’attendre à ce que cette adaptation s’apparente à une volonté de démantèlement en bonne et due forme.

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Réduction des pesticides et des engrais de synthèse, sortie progressive de l’élevage industriel, augmentation des surfaces cultivées en agriculture biologique : tout cela nous mènerait à une « décroissance » incompatible avec la crise ukrainienne. « Nous demandons à pouvoir produire plus », a exigé Christiane Lambert, présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le 3 mars sur Franceinfo. « L’Europe ne peut en aucun cas se permettre de produire moins », a obtempéré, deux semaines plus tard, M. Macron.

Emballement inédit des cours

Cela semble tomber sous le sens. Plus d’un quart des exportations mondiales de blé venant de Russie et d’Ukraine, il paraît à première vue criminel de ne pas chercher à produire plus, d’être non autonome et de ne pas nourrir le monde affamé, en particulier les pays du Sud, dont l’approvisionnement en blé dépend de l’hémisphère Nord. Ce narratif plein d’humanité a le mérite d’être facile à comprendre. Mais, hélas !, il est faux.

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Un obstacle majeur à l’approvisionnement des pays du Sud en céréales est, outre les quantités disponibles, leurs prix. Or ceux-ci sont fixés par les marchés. Ces dernières semaines, l’emballement des cours des matières premières agricoles a été inédit et il a, jusqu’à présent, eu bien plus à voir avec l’affolement et/ou la spéculation qu’avec de réelles pénuries. Ce qui motive l’agro-industrie à produire plus – c’est-à-dire les cours élevés – est donc exactement ce qui entrave l’accès des plus pauvres à la nourriture.

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Une petite augmentation de la production européenne (sans doute pas plus de quelques pourcents) pourrait-elle faire baisser substantiellement ces cours ? C’est peu probable. Les marchés agricoles sont si financiarisés que les fluctuations des cours reflètent de moins en moins la disponibilité et/ou la qualité réelles des ressources. En outre, nul ne sait comment fonctionnent ces marchés dans une situation où la folie d’un seul homme détermine le sort de plus d’un quart de la production de blé mondiale.

Pour garantir la sécurité alimentaire, les aides aux plus pauvres sont sans doute plus efficaces qu’une augmentation marginale de la production européenne – obtenue au prix d’une dégradation encore accrue du climat et de la biodiversité.

Tour de bonneteau

Quant à la supplique des milieux agro-industriels pour plus d’indépendance alimentaire, elle relève du tour de bonneteau. Car l’agriculture conventionnelle ne fonctionne que sous perfusion d’hydrocarbures, dont il n’a échappé à personne qu’ils sont peu abondants en Europe. Les pesticides de synthèse ? Des dérivés de la pétrochimie. Les engrais azotés (dont la Russie est le premier exportateur mondial et la France le premier importateur européen) ? Ils sont produits grâce au gaz naturel et leur prix a plus que triplé en un an. Dans le système actuel, vouloir produire plus au nom de l’indépendance agricole, c’est donc un peu comme vouloir mettre plus d’automobiles sur les routes au nom des économies d’énergie.

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Que faire, alors ? « Il faut écouter les scientifiques »demandait Mme Lambert, le 28 février sur Public Sénat. Cela tombe bien : près de 200 agronomes, agroéconomistes et agroécologues européens ont pris fortement position, vendredi 18 mars, dans un texte demandant aux décideurs de « ne pas abandonner les pratiques agricoles durables pour augmenter la production de céréales ».

« Les efforts politiques visant à faire abandonner les objectifs de durabilité de la stratégie “Farm to Fork” (…) ne nous protègent pas de la crise actuelle, expliquent les signataires, ils l’aggravent plutôt et la rendent permanente. » Pour ces chercheurs, trois grands leviers peuvent être actionnés face à la crise actuelle. D’abord, réduire la consommation de viande et de laitages, ce qui permettrait de produire et d’exporter bien plus de céréales de consommation humaine (plus de 60 % des terres arables européennes sont dévolues à l’alimentation des animaux). Ensuite « verdir » les modes de production pour réduire la dépendance aux engrais de synthèse et aux pesticides. Enfin, réduire le gaspillage systémique (le blé gaspillé dans l’Union européenne représente environ la moitié des exportations ukrainiennes).

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Tout cela est-il possible ? L’agronome et économiste Xavier Poux, et le politiste Pierre-Marie Aubert l’ont montré dans un ouvrage copieux (Demain, une Europe agroécologique. Se nourrir sans pesticides, faire revivre la biodiversité, avec Marielle Court, Actes Sud, 320 pages, 22 euros), qui dessine avec précision le scénario de transformation de nos systèmes productifs vers une agriculture indépendante, non toxique et durable. Quant à savoir si une telle mutation est réaliste, la crise actuelle nous pose la question symétrique : n’est-ce pas plutôt le maintien du statu quo qui manque de réalisme ?

Stéphane Foucart

Plan de résilience : le gouvernement donne des gages aux tenants du productivisme agricole

a+a- Retour 17 mars 2022 https://m.actu-environnement.com/actualites/plan-resilience-agriculture-guerre-ukraine-engrais-jachere-souverainete-alimentaire-39282.html#xtor=ES-6

L’exécutif a annoncé plusieurs mesures portant sur l’agriculture dans son plan de résilience destiné à faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine. Sécurisation des engrais, mise en culture des jachères et souveraineté alimentaire sont au menu.L’Union européenne est très dépendante de l’Ukraine pour son alimentation animale.
© helenedevun

« Nous devons assumer notre rôle nourricier », a déclaré le ministre de l’Agriculture, le 16 mars, lors de la présentation du plan de résilience du gouvernement en vue de faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.

« Les filières françaises doivent (…) continuer à produire, car l’Europe et la France, grande puissance agricole, ont une responsabilité : celle de nourrir son peuple et, au-delà, contribuer à nourrir le monde. Or, de l’autre côté de la Méditerranée, des pays pourraient faire face à des famines, compte tenu de la situation en Ukraine, un des greniers du monde, et à cause de sècheresses qui frappent certains pays d’Afrique du Nord », a explicité Julien Denormandie. Dans cet objectif, le ministre a annoncé une série de mesures portant notamment sur les engrais, sur les jachères et sur le renforcement de la souveraineté alimentaire du pays.

Si la FNSEA a salué « un premier pas indispensable pour continuer à produire », la Confédération paysanne a, au contraire, dénoncé un plan « de compensation des dépendances de l’agriculture productiviste ». Pour le syndicat paysan, cette initiative « cautionne la logique libérale du marché mondial, qui fait flamber les prix, au détriment de la société ». Celui-ci rappelle au ministre que « la faim à l’échelle mondiale est beaucoup plus un problème de répartition que de production ».

Sécurisation des matières importées

« Si les besoins en engrais du printemps sont couverts, un plan de sécurisation des engrais pour la prochaine campagne d’automne 2022 sera mis en œuvre », a annoncé Julien Denormandie. Dans ce cadre, ont été annoncés la mise en place d’une « task-force de sécurisation » des matières premières importées, l’adaptation ou le report de mesures réglementaires pouvant impacter la disponibilité des engrais en 2022, ainsi que le développement de l’usage des engrais organiques.

Le deuxième point interroge sur le devenir des projets de textes destinés à renforcer les risques liés au stockage des ammonitrates élaborés à la suite d’une mission de hauts fonctionnaires mise en place après l’explosion du stockage de nitrates d’ammonium dans le port de Beyrouth, en août 2020. Les représentants des fabricants d’engrais et des coopératives agricoles se sont en effet opposés à ces textes au nom de la souveraineté, craignant qu’ils pénalisent les ammonitrates haut dosage, fabriqués en France. Examinés lors d’une réunion du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT), le 15 mars, ces projets, modifiés par rapport à la version soumise à la consultation du public en janvier dernier, ont cependant été approuvés à la majorité, avec toutefois l’opposition des représentants agricoles et le refus du Medef de se prononcer. Leur publication pourrait, par conséquent, restée d’actualité.

Produire plus de protéines végétales

Julien Denormandie a ensuite rappelé qu’il avait porté l’idée, au niveau européen, de valoriser les jachères, dans l’objectif de produire plus de protéines végétales. Le ministre précise que cette proposition devrait connaître une issue favorable. En complément, le gouvernement annonce la promotion de systèmes « trois cultures en deux ans ». Mais aussi, faisant feu de tout bois, un plan de lutte contre les dégâts de gibier sur les cultures « stratégiques », ainsi qu’un suivi de l’irrigation afin d’optimiser la ressource en eau.“ L’Europe et la France, grande puissance agricole, ont une responsabilité : celle de nourrir son peuple et, au-delà, contribuer à nourrir le monde. ”Julien Denormandie, ministre de l’AgricultureEnfin, le ministre de l’Agriculture a annoncé une accélération de la reconquête de la souveraineté alimentaire, en complément du soutien déjà apporté par le plan de relance et par le plan France 2030. Car l’Union européenne est actuellement très dépendante de l’Ukraine, avec 57 % de son approvisionnement en maïs, 47 % des importations de tourteaux de tournesol et 30 % des importations de blé, mais aussi de la Russie, notamment pour les tourteaux de colza (50 % de l’approvisionnement) ou de tournesol (34 %).

Pour cela, le gouvernement va ouvrir l’appel à projets « Capacités agroalimentaires 2030 » en vue de relocaliser les produits agricoles jugés stratégiques, c’est-à-dire les engrais et les produits transformés pour l’alimentation animale, et d’industrialiser les projets innovants portant sur les agroéquipements et l’alimentation durable.

À ce titre, l’exécutif annonce aussi la mise en œuvre d’un plan « souveraineté azote », qui doit privilégier la production d’engrais vert et le développement de filières de valorisation d’engrais organiques, de même que le renforcement du plan « protéines végétales », qui avait été présenté en décembre 2020. Julien Denormandie a également annoncé l’élaboration d’un plan de souveraineté destiné aux fruits et légumes. Un autre plan de souveraineté va, quant à lui, être consacré à l’énergie, en vue « d’accélérer le développement des énergies renouvelables et la décarbonation de l’amont agricole et des industries agroalimentaires ».

« Souveraineté alimentaire de façade »

Les préconisations de la Confédération paysanne étaient, quant à elles, bien différentes. « Pour stopper la concurrence des cultures énergétiques sur les fourrages, il aurait été urgent d’interdire l’utilisation des cultures pour la méthanisation et la fabrication d’agrocarburants. Cela aurait permis de libérer 3 à 5 % de la surface agricole française pour l’autonomie alimentaire et fourragère », indique le syndicat agricole.

D’autre part, selon ce dernier, le « produire plus » avec « son cortège de chimie de synthèse et d’énergies fossiles, nie les autres enjeux majeurs qui n’ont pas disparu avec la guerre en Ukraine : dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, protection des droits paysans, précarité alimentaire… ». Et d’enfoncer le clou : « Les solutions de ce nouveau plan construisent une souveraineté alimentaire de façade qui n’est absolument pas basée sur l’autonomie. Aucun mot sur la polyculture-élevage, sur la sortie de l’industrialisation de l’agriculture, sur l’affranchissement des engrais de synthèse, ni sur la durabilité des modes de production. »

Globalement satisfaite des annonces, la FNSEA salue au contraire des propositions qui redonnent « une place stratégique à l’enjeu de la souveraineté alimentaire ». « Débloquer les situations qui freinent la production, encourager la production d’intrants en France, investir dans la production d’énergies renouvelables, renforcer le plan protéines et mettre en place un plan souveraineté en fruits et légumes, tout en s’inscrivant dans une transition écologique équilibrée, sont autant de signaux positifs pour les agriculteurs français », se félicite le syndicat majoritaire.

Laurent Radisson

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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