Le cabinet de conseil McKinsey n’a payé aucun impôt sur les sociétés en dix ans

Le cabinet de conseil McKinsey accusé d’évasion fiscale en France

Le géant américain, qui mène régulièrement des missions de conseil pour l’Elysée et le gouvernement, n’a payé aucun impôt sur les sociétés en dix ans. L’un de ses dirigeants avait affirmé l’inverse en janvier devant une commission d’enquête du Sénat. Dans leur rapport publié jeudi, les sénateurs évoquent un « exemple caricatural d’optimisation fiscale ».

Par Maxime Vaudano, Jérémie Baruch, Adrien Sénécat, Véronique Chocron, Aline Leclerc, Luc Martinon et Manon Romain

Publié aujourd’hui à 11h38, mis à jour à 12h07 • Lecture 4 min.

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Le cabinet McKinsey est l’acteur dominant du conseil en stratégie en France. Il mène de nombreuses missions pour le gouvernement. CHARLES PLATIAU / REUTERS

McKinsey avait fait l’objet, début 2021, d’une vive polémique quand l’implication de ses consultants dans la gestion de la pandémie de Covid-19 a éclaté au grand jour. Un an plus tard, le prestigieux cabinet de conseil américain est de nouveau dans la tourmente, cette fois pour des accusations d’optimisation fiscale agressive. « La Firme », comme elle est surnommée, n’a payé aucun impôt sur les sociétés en France depuis dix ans, selon le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les cabinets de conseil, rendu public jeudi 17 mars, et dont Le Monde a pris connaissance.

Cette révélation est d’autant plus embarrassante, à l’aune de la déclaration faite par l’un de ses dirigeants lors de son audition par les sénateurs, le 18 janvier : « Je le dis très nettement : nous payons l’impôt sur les sociétés en France », a témoigné, sous serment, Karim Tadjeddine, le responsable du pôle secteur public de McKinsey. Une affirmation en contradiction avec les informations obtenues par la commission d’enquête auprès de l’administration fiscale, qui a conduit les sénateurs à saisir le procureur sur cas de M. Tadjeddine. Le faux témoignage devant une commission d’enquête est passible de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

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Édition du jour Daté du vendredi 18 mars

En février 2021, Le Monde avait révélé que la branche française de McKinsey opérait en réalité depuis une structure basée dans l’Etat du Delaware (Etats-Unis), le principal paradis fiscal américain pour les sociétés, caractérisé par une imposition nulle et une grande opacité financière. Sans pouvoir détailler les mécanismes fiscaux utilisés par l’entreprise, faute de transparence sur ses comptes. Grâce à leurs pouvoirs étendus, les sénateurs ont pu poursuivre l’enquête, en allant directement récupérer à Bercy des documents relatifs à McKinsey & Company Inc France et McKinsey & Company SAS, les deux principales entités françaises du cabinet, sur la période 2011 à 2020.

Conclusion : McKinsey est bien, techniquement, assujetti à l’impôt sur les sociétés. Mais peut-on vraiment dire qu’il l’a « payé » ? Il n’a pas versé le moindre centime à ce titre entre 2011 et 2020, ont constaté les sénateurs. Et ce alors que le chiffre d’affaires français du cabinet était de 329 millions d’euros en 2020, dont
5 % dans le secteur public, pour six cents salariés.

Optimisation fiscale prisée de bien des multinationales

Pour parvenir à ce résultat, McKinsey utilise un mécanisme d’optimisation fiscale prisé de bien des multinationales : la déclaration des « prix de transfert » de ses entités en France à la société mère basée au Delaware. Concrètement, le cabinet déduit de ses bénéfices imposables en France de nombreux frais facturés à d’autres entités du groupe situées à l’étranger, comme s’il s’agissait de prestataires. Frais d’administration générale, usage de la marque, assistance interne au sein du réseau, mise à disposition de personnels… Autant de dépenses qui apparaissent comme des charges dans les comptes de la société, et permettent au cabinet de réduire son impôt sur les sociétés à zéro.

« Tout l’enjeu est de vérifier que McKinsey a évalué ces prix de transfert à leur juste valeur », soulignent les sénateurs

Le rapport sénatorial précise que McKinsey n’a pas subi de redressement fiscal, ce qui laisse supposer que l’administration fiscale n’a pas jugé, à ce stade, que ce montage dépassait les frontières, souvent mouvantes, de la légalité. « Tout l’enjeu est de vérifier que McKinsey a évalué ces prix de transfert à leur juste valeur », soulignent les sénateurs. En principe, ces prestations internes doivent être évaluées à un prix identique à celui qui aurait été pratiqué sur le marché entre deux entreprises indépendantes. Il ne s’agit pas moins d’un « exemple caricatural d’optimisation fiscale », tranchent les sénateurs.

Le cabinet McKinsey, dont l’implantation en France remonte à 1964, emploie aujourd’hui environ six cents salariés, en contrat de travail de droit français.
« 84 % des clients de McKinsey France sont Français », détaillait Karim Tadjeddine lors de son audition. Ce qui en fait l’acteur dominant du conseil en stratégie dans l’Hexagone, à la fois par sa force de frappe, par son entregent et l’aura de sa marque auprès des entreprises comme auprès des administrations. En témoigne le niveau de facturation de ses consultants, évalué par le rapport sénatorial à
2 708 euros TTC en moyenne par jour pour la mission sur la campagne vaccinale.

Des révélations qui posent question

Au-delà des enjeux de légalité, ces révélations sur McKinsey posent question sur le plan éthique, quand on connaît son influence sur la sphère publique française. Selon le rapport sénatorial, le cabinet américain a mené près de cinquante missions pour l’Etat au cours du quinquennat. En contribuant notamment à plusieurs chantiers clés, de la réforme des retraites à la campagne de vaccination contre le Covid-19, en passant la réforme du calcul des aides personnalisées au logement… Certaines missions, comme la mise en œuvre du bonus-malus sur les cotisations patronales d’assurance chômage en 2019, ont même à voir avec l’imposition des entreprises.

McKinsey a aussi été directement associé à Tech for Good, un sommet annuel organisé depuis 2018 par l’Elysée, avec les grands patrons du numérique. Le cabinet a travaillé bénévolement pour la présidence afin de préparer les débats, de produire des rapports pour nourrir les échanges, et même de vérifier la tenue des engagements sociaux pris par les géants du Web. Malgré l’absence de contrepartie, ces prestations pro bono contribuent à l’influence et au prestige du cabinet et posent des problèmes déontologiques, estime la commission d’enquête du Sénat.

Du début de sa carrière au sommet de son pouvoir, La Firme est étroitement liée au parcours politique d’Emmanuel Macron, à qui elle a fourni plusieurs collaborateurs et où ce dernier compte plusieurs amis. M. Macron avait ainsi travaillé aux côtés de Karim Tadjeddine dans la commission Attali, en 2007, avant que celui-ci ne contribue à sa campagne présidentielle en 2017, comme plusieurs autres consultants de McKinsey.

Maxime Vaudano, Jérémie Baruch, Adrien Sénécat, Véronique Chocron, Aline Leclerc, Luc Martinon et Manon Romain

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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