L’affaire Orpéa: le dossier

Comment Orpea rationnait la nourriture de ses résidents âgés en Ehpad

Des fiches recettes de repas, que « Le Monde » a pu consulter, montrent que les portions sont à peine suffisantes pour assurer les besoins minimaux. 

Par Samuel Laurent Publié aujourd’hui à 03h19, mis à jour à 12h11  

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/19/comment-orpea-rationnait-la-nourriture-de-ses-residents-ages_6114353_3224.html

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L’entrée d’un Ehpad à Rezé (Loire-Atlantique), près de Nantes, le 2 février 2022.
L’entrée d’un Ehpad à Rezé (Loire-Atlantique), près de Nantes, le 2 février 2022.  LOIC VENANCE / AFP

Soixante-quinze grammes de viande, 8 grammes de biscotte concassée, 12 grammes de crème liquide, sel, poivre, un peu de bouillon : telle est la recette d’une portion individuelle de « bœuf mixé » servie au sein des établissements Orpea.

Le rationnement de l’alimentation des résidents du géant français des maisons de retraite, raconté dans l’ouvrage du journaliste Victor Castanet Les Fossoyeurs(Fayard, 400 pages, 22,90 euros), a choqué l’opinion. Auditionné, mardi 15 février, par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, l’ancien directeur général délégué du groupe Jean-Claude Brdenk a balayé ces accusations*, assurant que la nourriture était adéquate, en quantité comme en qualité, avec un argument quelque peu cynique : « Quel serait l’intérêt de rationner l’alimentaire ? (…) Si vous baissez le nombre de résidents en ne leur donnant pas assez à manger, vous baissez votre chiffre d’affaires. »

Les extraits des « Fossoyeurs » :  « Déjà, il y avait cette odeur de pisse terrible, dès l’entrée »

Un document destiné aux équipes de cuisine du groupe, que Le Monde a pu consulter, montre pourtant que les portions de nourriture sont à peine suffisantes pour assurer les besoins minimaux des résidents. « Un objectif, donner envie », précise ce guide daté de 2012, qui comporte les fiches de recettes détaillées pour produire la nourriture « mixée » servie aux résidents éprouvant des difficultés à s’alimenter. Pour chaque recette, le guide indique, au gramme près, les quantités à utiliser. Il donne également les apports énergétiques. Pour le bœuf mixé, ils se situent à 206,3 kilocalories et 15,6 grammes de protéine. Même complété d’une mousseline carotte-céleri (77 kilocalories, 1,6 gramme de protéine) et d’une tarte aux pommes recomposée (213 kilocalories, 2,6 grammes de protéine), le repas reste chiche, à moins de 500 kilocalories.

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Avec moins de 20 grammes d’apports protéiniques, il est surtout peu nourrissant, confirment des nutritionnistes consultés par Le Monde. Les personnes âgées doivent consommer autant de protéines qu’un adulte plus jeune, entre 1,2 et 1,5 gramme par kilo et par jour, selon les recommandations de la Haute Autorité de santé, soit une centaine de grammes de protéines pour une personne de 70 kilos. Or, les menus d’Orpea, même en comptant petit déjeuner et dîner, sont le plus souvent sous les 70 grammes journaliers. Contacté, le groupe assure que ce guide n’est plus d’actualité et préfère mettre en avant le ratio du Programme national nutrition santé, qui recommande 1 gramme de protéine par kilo et par jour. Il assure aussi que « le poids moyen d’une personne âgée est de 65 kilos ».

« Pas assez de budget »

« 70 grammes par jour, c’est suffisant pour quelqu’un de 45 kilos, mais pas pour quelqu’un de plus grand », confirme pourtant au Monde Emmanuelle Di Valentin, diététicienne-nutritionniste spécialisée en gériatrie à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Elle note aussi que l’apport calorique, nécessaire à l’assimilation des protéines, est tout juste adéquat dans les menus. Une recette de « salade verte » mixée, composée, pour dix personnes, de 100 grammes de salade, 50 grammes d’eau et 20 grammes d’épaississant végétal, laisse ainsi perplexe, avec ses 12 kilocalories et 0,5 gramme de protéine.

Vincent, un chef de cuisine encore en poste chez Orpea, raconte qu’il doit « tout justifier » sur son budget de 4,40 euros par résident et par jour

Cette alimentation mixée, « coupée au pain, donc très bourrative », constitue la majorité des repas de l’établissement de Jean (les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat), un directeur d’établissement Orpea contacté par Le Monde« Si demain tous mes résidents se mettaient à manger normalement, on n’aurait pas assez de budget », avoue-t-il, à regret.

Comme partout chez Orpea, le budget alimentation est réduit au strict minimum. Si le groupe assure que « les chefs ont toute latitude pour commander ce dont ils ont besoin », les témoignages sur le terrain révèlent autre chose : Vincent, un chef de cuisine encore en poste chez Orpea, raconte au Monde que, après avoir obtenu de haute lutte un supplément « de 20 centimes », il doit « tout justifier » sur son budget de 4,40 euros par résident et par jour. « Un suivi budgétaire est réalisé, sans toutefois être limitatif », élude le groupe, qui met en avant une étude menée en 2018 selon laquelle, « sur la base des besoins en produits » correspondant à ses menus, des achats en grande surface aboutiraient à entre 5 et 6 euros par jour et par personne.

Reste que les portions sont congrues. « Le grammage, le midi, c’est 80 grammes de viande nette, le soir, 40 grammes. J’ai pesé, sur un sauté de dinde, ça représente un seul morceau de viande », poursuit Vincent. Des quantités d’autant plus ténues qu’il faut, selon lui, « inclure les repas du personnel sur les quantités de viande, car ce n’est pas compté à part ». Guillaume Gobet, ancien chef de cuisine chez Orpea et délégué national CGT-Santé et action sociale, se souvient, lui aussi, des « portions de 50 grammes de steak haché » qu’on lui imposait. « Dans l’établissement, il y avait des résidents de corpulences différentes. Je ne sais pas si c’était assez », assure-t-il.

« Un gloubi-boulga qui puait l’œuf pourri »

La dénutrition est un phénomène fréquent dans les Ehpad. Pour y remédier, Orpea – qui admet compter 51 % de résidents dénutris – peut recourir à des compléments alimentaires hyperprotéinés, sous forme de desserts, de céréales, mais aussi de poudre, le Protipulse, qui est ajouté aux préparations. Des protocoles « très structurés », affirme le groupe, qui met en avant une meilleure nutrition des résidents « après six mois de mise en œuvre de cette politique ». 

« On en ajoute dans la soupe », raconte Jean, dont la majorité des résidents sont dénutris. « C’est pour cela qu’elle est servie tiède. Si on dépasse les 70 degrés, la soupe coagule à cause des protéines. » Si le groupe insiste sur le fait que ces suppléments, remboursés par l’Assurance-maladie, « ne peuvent en aucune manière être une source d’économies puisqu’ils (…) s’ajoutent aux nourritures servies lors des repas », le directeur prend l’exemple des céréales hyperprotéinées, qui remplacent un petit déjeuner normal, pour expliquer qu’au contraire il s’agit bien d’une « grosse économie » pour Orpea.

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D’autres témoignages mettent en doute l’allégation du groupe, qui assure que ces suppléments sont donnés « exclusivement sur prescription médicale », et après information des patients et de leur famille. Vincent raconte ainsi que, pendant le deuxième confinement, à l’automne 2020, alors que les résidents, isolés dans leurs chambres, déprimaient et se nourrissaient de moins en moins, il « avait ordre d’enrichir la soupe de tout le monde ». « Selon les consignes, on devait mettre deux boîtes [de Protipulse] pour 120 personnes. C’était immangeable, un gloubi-boulga qui puait l’œuf pourri », déclare-t-il.

Pour la docteure Di Valentin, s’il ne faut pas diaboliser les recours aux compléments protéiniques, parfois « efficaces », la clé du problème réside justement dans l’incitation à les consommer. « Ce qui est réellement mangé ne correspond pas aux doses prévues, car ce n’est pas bon », déplore-t-elle. Autre problème, la nécessité d’inciter les résidents à manger, qui requiert un personnel présent à leurs côtés. C’est loin d’être souvent le cas, se remémore Guillaume Gobet : « Le soir, on a des équipes réduites au minimum. Les repas, c’est au galop : trente minutes au maximum. Donc tout le monde ne mange pas correctement. »

Samuel Laurent

*Affaire Orpea : l’ancien « cost killer » du groupe d’Ehpad entendu par les députés

Mis en cause pour ses méthodes de gestion dans le livre « Les Fossoyeurs », Jean-Claude Brdenk a répondu à ce qu’il estime être des « contre-vérités ». 

Le Monde avec AFPPublié le 16 février 2022 à 02h03 – Mis à jour le 16 février 2022 à 08h25  

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/16/affaire-orpea-l-ancien-cost-killer-du-groupe-d-ehpad-entendu-par-les-deputes_6113839_3224.html

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L’ancien directeur général délégué du groupe Orpea, Jean-Claude Brdenk, a défendu mardi 15 février son bilan devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Dépeint dans le livre enquête Les Fossoyeurs, du journaliste Victor Castanet, comme « l’exécutant zélé » d’un « système Orpea », le responsable de l’exploitation et du développement du groupe de maisons de retraite médicalisées à but lucratif entre 1997 et 2020 a répondu à ce qu’il estime être des « contre-vérités ».

Les membres de la commission des affaires sociales l’ont interrogé sur la falsification de contrats ou la maltraitance de résidants évoquées dans l’ouvrage. Des allégations réfutées en bloc. « Nous avons été les premiers à mettre en place un programme de prévention de la maltraitance », a affirmé M. Brdenk, mentionnant les résultats positifs de contrôles diligentés par les autorités de santé.

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« Je pense avoir été intègre, juste et équitable »

Entendue plus tôt dans la journée par la même commission, Elodie Marchat, directrice générale adjointe du pôle solidarités du conseil départemental des Hauts-de-Seine, a expliqué que les données comptables dont disposait sa collectivité ne permettaient pas de repérer une anomalie. A l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Les Bords de Seine de Neuilly-sur-Seine, particulièrement visé par les accusations de Victor Castanet, le montant des dépenses était « conforme au taux d’occupation », a-t-elle fait valoir.

M. Brdenk a relativisé le nombre de départs contraints de directeurs d’établissement en désaccord avec la politique de réduction des coûts d’Orpea. « Je pense avoir été intègre, juste et équitable. J’ai mis en place tous les moyens nécessaires » au bon fonctionnement des établissements, a-t-il affirmé, tout en reconnaissant du bout des lèvres avoir pu être « maladroit ».

Celui qui a quitté la direction d’Orpea en décembre 2020 pour le groupe médical Bastide a justifié ses indemnités de départ de 2,5 millions d’euros brut en les présentant comme conformes aux pratiques en vigueur dans des entreprises cotées en Bourse.

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Commission d’enquête parlementaire

« J’ai eu l’impression à de nombreuses reprises que vous noyiez le poisson », lui a asséné le numéro deux de La France insoumise (LFI), Adrien Quatennens. « De nombreux points sont restés en suspens », a regretté pour sa part la présidente de la commission, Fadila Khattabi (La République en marche, LRM), au bout de trois heures d’audition.

Dans une tribune publiée par Le Monde, quelque 70 députés, principalement de gauche, les numéros un de la CFDT, Laurent Berger, de la CGT, Philippe Martinez, et de FO, Yves Veyrier, ainsi que des représentants des collectifs de familles et de personnels ont de nouveau et « solennellement » demandé la création d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale.

« Seule une commission d’enquête parlementaire permettrait d’auditionner immédiatement et sous serment les dirigeants du groupe Orpea (…) et de se faire communiquer tout document qu’elle jugerait utile. De telles garanties interdiraient les réponses floues et imprécises », rappellent les signataires, dont les candidats à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon (LFI) et Fabien Roussel (Parti communiste français, PCF).

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Le Monde avec AFP

Après l’affaire Orpea, le modèle des Ehpad privés lucratifs remis en cause

Le scandale a ravivé le débat politique sur la dépendance, y compris parmi les candidats à l’élection présidentielle. Du renforcement des contrôles de l’Etat à la disparition pure et simple du secteur à but lucratif, les propositions se multiplient. 

Par Véronique Chocron Publié le 10 février 2022 à 05h38 – Mis à jour le 10 février 2022 à 15h00  

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https://www.lemonde.fr/scandale-orpea/article/2022/02/10/apres-l-affaire-orpea-le-modele-des-ehpad-prives-lucratifs-remis-en-cause_6113073_6113065.html

Une résidente de l’Ehpad DomusVi, qui figure parmi les leaders des groupes privés, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), en janvier 2021.
Une résidente de l’Ehpad DomusVi, qui figure parmi les leaders des groupes privés, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), en janvier 2021.  BENOIT TESSIER / REUTERS

C’est un scandale à fragmentation qu’a déclenché la publication du livre-enquête Les Fossoyeurs, du journaliste Victor Castanet (Fayard, 400 pages, 22,90 euros), dénonçant de graves défaillances et des maltraitances dans les établissements du groupe de maisons de retraite Orpea. Derrière la défiance à l’égard de cette entreprise cotée en Bourse, c’est le modèle même des Ehpad privés lucratifs qui se voit désormais remis en question dans le débat public.

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« Ce livre a servi de catalyseur. S’il a un tel retentissement, c’est que le sujet était mûr dans l’opinion », analyse Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies d’entreprise de l’IFOP, auteur, avec Jean-Laurent Cassely, de La France sous nos yeux (Seuil, 2021). « La société française vieillit et le thème de la dépendance s’invite dans les préoccupations des concitoyens qui se voient vieillir. Le pays compte par ailleurs beaucoup plus d’Ehpad que dans les années 1980, le poids économique et social de ce secteur progresse, on a d’ailleurs vu que de nombreux salariés de ces établissements avaient rejoint le mouvement des “gilets jaunes”. Le début de la crise du Covid a aussi focalisé l’attention sur les conditions de vie des pensionnaires et du personnelPar quelque bout qu’on attrape le sujet, il va s’imposer dans la campagne présidentielle. »

Déjà des voix s’élèvent pour mettre à bas le modèle privé commercial. « Les établissements qui accueillent des personnes âgées dépendantes ou en perte d’autonomie ne devraient pas être à but lucratif », a tranché le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, sur France Inter, le 27 janvier. « L’or gris, c’est pas du business », a-t-il ajouté, en prenant l’exemple de son département du Finistère, qui ne compte que deux établissements privés commerciaux.

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A gauche, le candidat écologiste à l’élection présidentielle, Yannick Jadot, souhaite pour sa part en finir avec « toute nouvelle autorisation d’Ehpad privé à but lucratif », et le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, voudrait confier les maisons de retraite « à des structures non lucratives qui ne distribuent pas de bénéfices ». Marine Le Pen (Rassemblement national) propose quant à elle de « réfléchir à un système mutualiste où le profit ne soit pas la priorité et où le bien-être de nos aînés le soit ». Les candidates Valérie Pécresse (Les Républicains, LR) et Anne Hidalgo (Parti socialiste, PS), comme le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour (Reconquête !), ont préféré à ce stade mettre l’accent sur le renforcement des contrôles des maisons de retraite.

« Des objectifs de rentabilité très élevés »

Sous le feu des révélations et de critiques unanimes, les trois groupes d’Ehpad cotés – Orpea, Korian et LNA Santé – ont vu leurs titres chuter en Bourse ces derniers jours. L’action Orpea, la plus exposée, a perdu plus de 60 % de sa valeur depuis le début de l’année. Si de nombreux investisseurs et petits actionnaires ont vendu, le gestionnaire d’actifs américain BlackRock, lui, a progressé au capital d’Orpea, et détient désormais 5,27 % de la société. Il est l’un des principaux actionnaires du groupe de maisons de retraite.

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Signe que les poids lourds de la finance ne croient pas à la fin du modèle lucratif ? « Le secteur privé commercial représente 20 % de l’offre actuelle de places en Ehpad. Peut-on s’en passer ? Et à quelle échéance ? Ce n’est pas en supprimant un pan du secteur qu’on réglera le problème », estime la députée du Loiret (La République en marche, LRM) Caroline Janvier, rapporteuse du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’autonomie et le secteur médico-social.

Sur le constat, tout le monde s’accorde. Les investisseurs se sont intéressés au secteur des maisons de retraite privées commerciales car le modèle économique génère, intrinsèquement, une forte rentabilité. Les dotations proviennent en grande partie de fonds publics (pour les soins et la dépendance) mais, concernant l’hébergement – à la charge du résident –, les tarifs y sont en moyenne 30 euros par jour plus élevés que dans un Ehpad public.

« Même si ce tarif est en partie consommé par une qualité supérieure du bâtiment, souvent implanté dans des quartiers plus coûteux, il reste une part importante à l’opérateur », indique Jean-François Vitoux, aujourd’hui directeur général du premier groupe associatif consacré à l’accueil des personnes âgées, Arpavie, mais qui fut auparavant à la tête de DomusVi, groupe privé commercial de maisons de retraite.

Avec l’argent levé, les gestionnaires d’Ehpad commerciaux se développent très rapidement à partir des années 2000, en France et à l’étranger. Leur capacité d’emprunt leur permet de réaliser de grosses opérations immobilières. « La financiarisation du secteur a commencé par la cotation en Bourse de ces acteurs, mais elle est encore beaucoup plus puissante depuis que des fonds d’investissement s’y intéressent », poursuit Jean-François Vitoux, qui pointe « des niveaux d’endettement considérables, des objectifs de rentabilité très élevés et un intéressement des manageurs beaucoup plus important ».

« Le vrai sujet serait de réguler par la qualité »

Dans le même temps, « la sphère publique, très atomisée, ne s’est jamais dotée d’une réelle capacité d’investissement, ou alors erratique », constate Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale.

Non seulement la puissance publique a permis le développement d’un secteur privé commercial prospérant sur le grand âge, mais elle ne l’a pas contrôlé, ou du moins pas assez. « L’analyse économique du secteur est très faible du côté de l’Etat, ce n’est d’ailleurs dans les attributions de personne de suivre les Ehpad privés commerciaux, de regarder les comptes, le niveau de rentabilité, constate M. Libault. Le vrai sujet serait aussi de réguler par la qualité. Le taux d’absentéisme, de maladie professionnelle, le turnover des personnels sont des indicateurs à regarder en priorité. »

Un constat partagé par Marc Bourquin, conseiller stratégie de la Fédération hospitalière de France et ancien directeur du pôle médico-social de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France : « Les ARS n’ont pas de visibilité sur l’ensemble des budgets du secteur privé : les flux financiers sur la partie hébergement, personne ne les voit passer, explique-t-il. Ce qui peut permettre à certains Ehpad de payer une femme de ménage sur le forfait soin, alors que son poste relève de la partie hébergement, cela existe. » Aussi demande-t-il une évolution de la loi, pour que les comptes du secteur lucratif puissent être entièrement examinés par les pouvoirs publics.

Un thème qui sera au cœur des travaux du Sénat, qui s’apprête à lancer une commission d’enquête sur « le contrôle » des Ehpad. « Remettre en question la totalité des établissements privés lucratifs ? Probablement pas ! Mais nous devons revoir le rapport entre la puissance publique et ces établissements, on ne peut pas laisser faire n’importe quoi », souligne le sénateur (LR) Bernard Bonne, corapporteur de la future commission d’enquête. Son rapport devrait être rendu avant l’été, « mais nous ferons des points d’étape, prévient-il. L’idée est de profiter de la campagne électorale pour pousser les candidats à s’engager réellement, en faveur d’une véritable loi grand âge et d’un cinquième risque de la Sécurité sociale ».

De nombreux rapports consacrés à la dépendance sont toutefois restés jusque-là lettre morte, et des réformes inaccomplies. « Nous avons créé la cinquième branche de la Sécurité sociale mais la question du financement demeure, reconnaît Caroline Janvier. Il manque 8 à 9 milliards d’euros par an à l’horizon 2030 pour baisser le reste à charge des personnes dépendantes et augmenter le personnel en Ehpad. Tout le monde s’indigne, mais lorsqu’il faut trancher la question du financement, il n’y a plus personne : actifs, retraités, employeurs, tout le monde se renvoie la balle. »

Mise à jour le 10 février à 15 heures : BlackRock indique que l’augmentation de sa participation dans Orpea cette semaine n’est pas le résultat d’une stratégie d’investissement mais provient d’actions qui lui ont été transférées par des contreparties.

Véronique Chocron

« Les responsables d’Orpea doivent s’expliquer devant les représentants de la nation »

TRIBUNE

Collectif

Un collectif d’élus et de responsables d’associations appelle à l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire à l’Assemblée sur les pratiques du groupe dans les Ehpad.

Publié le 15 février 2022 à 06h30 – Mis à jour le 15 février 2022 à 07h35    Temps de Lecture 3 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/15/les-responsables-d-orpea-doivent-s-expliquer-devant-les-representants-de-la-nation_6113718_3232.html

Tribune. Toutes et tous, nous avons été profondément choqués par les révélations du livre Les Fossoyeurs [Fayard, 400 pages, 22,90 euros] de Victor Castanet. Loin de révéler des actes de maltraitance isolés, son auteur dénonce l’existence au sein du groupe Orpea d’un système industrialisé de réduction des coûts. Un tel système, s’il était avéré, impliquerait des conséquences directes sur la qualité de la prise en charge de dizaines de milliers de personnes âgées ainsi que sur les conditions de travail de milliers de collaborateurs du groupe.

Les extraits des « Fossoyeurs » :  « Déjà, il y avait cette odeur de pisse terrible, dès l’entrée »

Un certain nombre de pratiques dénoncées dans cet ouvrage nous interrogent : le groupe Orpea a-t-il effectivement mis en place un rationnement des produits de santé, notamment des protections, avec les impacts sur la dignité et la santé des personnes âgées qui y sont dévoilés ? A-t-il rationné les produits d’alimentation en imposant à ses résidences un coût de repas d’environ 4 euros par jour et par personne, soit à peine plus d’un euro par repas ? A-t-il eu, comme le rapporte l’auteur, une gestion pour le moins critiquable de l’argent public qui lui était alloué chaque année par les agences régionales de santé et les conseils départementaux ?

Les accusations contenues dans cet ouvrage sont graves. Elles s’appuient sur les témoignages de plus de 250 personnes dont un nombre conséquent d’anciens salariés du groupe Orpea et de multiples documents.

Auditions sous serment

Face à ces accusations, toute la lumière doit être faite. Plus largement, un débat public doit s’ouvrir sur la question complexe de la prise en charge de la dépendance de nos aînés, de son financement et de ses métiers durs.

Seule une commission d’enquête parlementaire permettrait d’auditionner immédiatement et sous serment les dirigeants du groupe Orpea, faisant dès lors peser une responsabilité pénale sur leurs propos, et de se faire communiquer tout document qu’elle jugerait utile. De telles garanties interdiraient les réponses floues et imprécises qui ont été apportées par ces mêmes dirigeants lors de l’audition à l’Assemblée nationale le 2 février.

Cette commission d’enquête parlementaire nous paraît dès lors absolument nécessaire. Nous demandons solennellement ici de la créer !

Le lancement de cette commission d’enquête parlementaire à l’Assemblée nationale ne serait pas contradictoire avec celle que le Sénat vient d’annoncer, dont le périmètre concerne la politique de contrôles des Ehpad et non les pratiques du groupe Orpea.

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Elle ne serait pas non plus contradictoire avec la suspension des travaux à l’Assemblée nationale à la fin du mois de février : une commission d’enquête parlementaire a toute latitude pour se réunir en dehors des sessions parlementaires.

Rien ne fait donc obstacle à la création de cette commission d’enquête parlementaire. Au contraire, elle est d’une impérieuse nécessité. Dans notre histoire récente, tous les scandales sanitaires, de la crise de la « vache folle », en 2001, à la gestion de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1), en 2010, en passant par celle de la canicule, en 2003 ont débouché sur une commission d’enquête parlementaire.

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Sans attendre, la nation, par l’intermédiaire de ses représentants, doit interroger les dirigeants du groupe Orpea. Sans attendre, la nation doit comprendre comment ce groupe a géré son argent, de l’argent public. Sans attendre, si les pratiques dénoncées sont avérées, la nation doit entendre son administration pour comprendre comment elles ont pu se produire.

Pour établir les faits et déterminer les réformes à mener pour prévenir tout futur scandale, il est urgent que l’Assemblée nationale crée une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Orpea !

Nous le devons aux résidents, aux familles et à tous les personnels de ces Ehpad.

Premiers signataires : Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT ; Annie Chapelier, député (Agir) ; André Chassaigne, député (PCF), président du groupe Gauche démocrate et républicaine ; Patrick Collardot, association TouchePasMesVieux ; Jeanine Dubié, députée (PRG) ; Pascale Fontenel- Personne, députée (MoDem) ; Françoise Geng, vice-présidente de la Fédération syndicale européenne des services publics ; Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT ; Mathilde Panot, députée et présidente du groupe La France Insoumise ; Christine Pirès-Beaune, députée (PS) ; Valérie Rabault,députée, présidente du groupe « Socialistes et apparentés » ; Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière ; Annie Vidal, députée (LRM) ; Stéphane Viry, député (LR).

Liste complète des signataires de la tribune sur l’affaire Orpea by LE MONDE sem on Scribdhttps://fr.scribd.com/embeds/558873002/content?start_page=1&view_mode=scroll&access_key=key-UqS6YJRLVh6X0vL8NRDs

Retrouvez nos tribunes sur la question des Ehpad et du grand âge

Collectif

Scandale dans les EHPAD privés: il y avait déjà eu des informations, des reportages les années précédentes

Le pire c’est qu’il y avait déjà eu des informations, des reportages les années précédentes

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/19/comment-orpea-rationnait-la-nourriture-de-ses-residents-ages_6114353_3224.html

La crise sanitaire, une occasion manquée de réformer le modèle des Ehpad

Le rapport annuel de la Cour des comptes souligne un soutien financier massif sans les « contreparties » et les « réformes nécessaires ». 

Par Béatrice JérômePublié le 16 février 2022 à 09h45  

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« Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise », a ironisé Pierre Moscovici en présentant, mercredi 16 février, le rapport annuel de la Cour des comptes pour 2022. La sentence du premier président de la haute juridiction – empruntée à Churchill – résume à elle seule le chapitre consacré aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

La pandémie, regrette l’institution, a été une occasion manquée de prendre à bras-le-corps les mesures pour remédier au manque chronique de personnel dans les Ehpad, à l’insuffisante médicalisation des établissements, autant de « fragilités structurelles » qui ont pourtant « amplifié » le « dramatique » tribut humain payé par leurs pensionnaires. L’Etat a accordé à ces établissements des « soutiens financiers considérables » sans « les contreparties » ni « les réformes nécessaires », estime le rapport.

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Sur 600 000 personnes âgées dans 7 500 Ehpad, le virus a coûté la vie à 34 000 d’entre elles entre mars 2020 et mars 2021. Soit 36 % des décès constatés en France du fait du Covid-19. « La présence de matériels de protection individuelle[masques, surblouses], la connaissance des protocoles et les partenariats sanitaires n’ont pas suffi à réduire le nombre de décès », pendant la deuxième vague, de juillet 2020 à janvier 2021, souligne la Cour.

Des « causes structurelles » au « lourd bilan humain »

Face à cette tragédie, le gouvernement a orchestré des financements conjoncturels « d’une ampleur inédite ». Entre 2020 et 2021, l’Assurance-maladie a affecté 2,25 milliards d’euros de crédits pour compenser les pertes de recettes des Ehpad, l’achat de matériels, le renfort de personnel, payer des primes exceptionnelles aux aides-soignantes.

Se sont ajoutées des dépenses pérennes. Avec les accords du Ségur de la santé de juillet 2020, la Sécurité sociale a ainsi pris « à sa charge, de manière totalement inédite, insiste la Cour, des revalorisations salariales de personnels non soignants, qui n’entrent pas dans son périmètre de compétence ». Avec un coût de 2, 2 milliards d’euros.

Pour rénover les Ehpad publics ou privés non lucratifs, une enveloppe de 1,5 milliard d’euros est programmée de 2020 à 2024. Auxquels s’ajoutent 600 millions sur trois ans pour développer le numérique dans les établissements. Ces deux postes de dépenses s’élèveront, sur la période, à 11 milliards d’euros cumulés.

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Au total, entre 2020 et 2024, la crise sanitaire se sera soldée par 13,25 milliards d’euros supplémentaires consacrés au secteur médico-social pour les personnes âgées.

Les magistrats financiers de la rue Cambon ne contestent pas cette manne, mais le « lourd bilan humain » a eu des « causes structurelles », insistent-ils : l’insuffisante présence de médecins, l’absentéisme et la rotation du personnel, l’« application trop peu effective » des partenariats avec les hôpitaux.

Des recommandations pas suivies

La Cour observe que, malgré les hausses de salaire, « les tensions suscitées par le manque de personnel demeurent très fortes ». Des recommandations « pourtant moins coûteuses » et présentées comme indispensables par des rapports récents pour remédier au manque d’attractivité de ce secteur n’ont pas été suivies, déplore le rapport.

Le rapport El Khomri sur les métiers du grand âge remis en octobre 2019 ne prévoyait que « 170 millions d’euros, concentrés sur la seule remise à niveau des rémunérations inférieures au smic », indique la Cour. « Il demandait l’amélioration de la qualité de vie au travail, une simplification des formations, la possibilité de progressions de carrière ». Des mesures qui « n’ont que peu avancé ». 

La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022, note la Cour, amorce « tout juste » une meilleure médicalisation des Ehpad grâce à la généralisation, d’ici à 2023, des astreintes d’infirmières de nuit, le renforcement de la présence des médecins coordonnateurs… Mais les « réponses structurelles » aux « faiblesses des Ehpad » ont « été repoussées ». Il y va ainsi de la simplification des règles financières du jeu, qui supposerait de supprimer la double tutelle agences régionales de santé-conseils départementaux sur ces structures.

C’est « le modèle de l’Ehpad en lui-même qui doit encore évoluer », estime M. Moscovici, qui compte faire prochainement des propositions afin que la rue Cambon puisse « contrôler mieux ce secteur d’activité ».

Béatrice Jérôme

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Jean Pascal DEVAILLY

Le scandale actuel de l’or gris est le résultat d’une dégénérescence réglementaire qui masque une dérégulation massive des conditions techniques de fonctionnement. Elle se conjugue à l’absence de contrôles robustes assortis de sanctions. Cet échec manifeste contraste avec une incontinence de production de règles et de recommandations censées garantir la qualité des soins. 

Ce laisser-faire et ce laisser-aller érigés en modèle de gouvernance permettent de faire n’importe quoi en sacrifiant la qualité de soins à la recherche de la performance vue sous un aspect purement financier. 

Cela ne concerne pas seulement le secteur privé à but lucratif et de loin mais aussi les secteurs publics et ESPIC soumis aux mêmes contraintes de performance à courte vue.

Le mouvement de dérégulation actuelle est soutenu par le lobbying d’acteurs divers, facilité par le processus de décision qui exclut plus qu’il n’inclut le point de vue des soignants et des patients, étant de plus en plus soumis au dictat de la performance financière. 

Les CNP, certes souvent le faux nez des sociétés savantes, ne sont pas directement convoqués dans les groupes de travail et comités techniques sur la plupart des sujets, notamment s’agissant des composantes du PMSI, de la classification tarifaire et des composantes du financement.  

Les syndicats n’existent plus depuis longtemps comme interlocuteurs sur les questions de gestion, s’agissant du secteur des établissements.

Il faut toutefois ajouter qu’aucun syndicat de PH horizontal, en tout cas ne s’intéresse au secteur des SSR, pourtant 25% des lits hospitaliers français.

Voici la suite des replays possibles (compte gratuit vite ouvert) ou bien sur votre TV

Dépêchez vous tant que c’est en ligne.

Je n’aurai pas cru écrire cela un jour, mais écoutez Patrick Pelloux sur le grand âge et le handicap, ainsi que sur la fragmentation en silo des missions attribuées aux acteurs successifs du système, MCO, SSR, ville et secteur de l’action sociale et médico-social. Il a tout compris et je n’ai rien à redire.

Bonne écoute, bonne fin de semaine

Jean-Pascal DEVAILLYMédecin des Hôpitaux, AIHP – ACCAService de Médecine Physique et de Réadaptation (MPR)Groupe hospitalier Lariboisière – Fernand Widal – Saint Louis 01 40 05 42 05Hôpitaux Universitaires Paris Nord-Val de Seine 01.40.25.84.49Mobile: 06 60 65 25 51jean-pascal.devailly@aphp.fr

Ehpad : les dérives d’un système, la

colère des familles C dans l’air 

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diffusé le mar. 08.02.22 à 17h44  disponible jusqu’au 10.03.22 

https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/3057687-emission-du-mardi-8-fevrier-2022.html

présenté par : Caroline Roux, Axel de Tarlé

Deux semaines après la sortie du livre-enquête « Les fossoyeurs », une vague de témoignages submerge la plateforme de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et handicapées. Dans le sillage des révélations sur les groupes Orpea et désormais Korian, des proches de résidents en Ehpad et des soignants se décident à appeler le 3977, pour des faits qui remontent parfois à plusieurs années. Le phénomène est d’ampleur inédite et il gagne le terrain judiciaire alors que chaque jour apporte un nouveau scandale.

Ainsi selon France Info, deux aides-soignantes ont porté plainte contre le leader mondial des Ehpad et cliniques privés pour « faux et usage de faux ». Elles accusent le groupe Orpea d’avoir utilisé leurs noms pour recruter de multiples CDD abusifs. Concrètement, Orpea aurait indiqué que les plaignantes étaient en CDI et avaient besoin d’être remplacées par des CDD, alors qu’elles ne travaillent même pas au sein de l’entreprise. Selon Sylvia Lasfargeas, l’avocate des deux plaignantes, une troisième aide-soignante doit se joindre à cette plainte.

Parallèlement, ce mardi, une enquête du Monde relate comment Clinea serait aussi une « cash machine » du groupe Orpea. Cette autre branche, spécialisée dans les soins de suite et la psychiatrie, est accusée des mêmes dérives que dans les Ehpad de la société : maltraitance des patients, coûts des soins démesurés, violences managériales…

Dans la tourmente, le groupe Orpea est déjà visé par une double enquête, administrative et financière, diligentée par le gouvernement pour faire la lumière sur la situation dans ses établissements. Les conclusions de cette mission devraient faire l’objet d’un « rapport définitif » le 14 mars prochain. Deux actions collectives doivent être également prochainement lancées à l’encontre des groupes Orpea et Korian. Elles seront menées par l’avocate parisienne Sarah Saldmann, qui collecte actuellement les plaintes des familles. Par ailleurs la CGT, la CFDT et FO ont indiqué qu’elles comptaient aussi porter plainte contre Orpea, qu’elles accusent de « discrimination syndicale » et de s’être appuyé sur un syndicat « maison » à ses ordres. « Nous avions depuis longtemps des soupçons sur des agissements inacceptables de la direction, mais les témoignages et les preuves apportés par le livre de Victor Castanet vont nous permettre d’agir en justice », a expliqué à l’AFP Guillaume Gobet, responsable CGT et ancien cuisinier à Orpea.

Et l’affaire, qui éclabousse d’ores et déjà l’ensemble du secteur, semble loin d’être close. Des enquêtes sont en cours et le magazine de France 2, Cash Investigation, qui prépare une émission, depuis plus d’un an, annonce de nouvelles révélations prochainement. De son côté le gouvernement a d’ores et déjà affirmé qu’il comptait revoir les procédures d’accréditation des Ehpad privés pour les rendre plus strictes. Le Premier ministre, Jean Castex, a également indiqué « des plans de contrôle plus nombreux, plus performants », quand candidats à l’élection présidentielle et élus s’emparent de la question du grand âge, les regards tournés pour certains vers nos voisins européens, notamment les Pays-Bas.

Alors jusqu’où ira le grand déballage ? Que dit cette affaire du modèle des Ehpad privés ? Comment les séniors sont-ils choyés aux Pays-Bas ?

Invités :

– Dr. Patrick Pelloux, médecin urgentiste au SAMU de Paris – Président de l’AMUF

–  Samuel Laurent – journaliste – Le Monde

– Bernard Vivier, directeur de l’Institut Supérieur du Travail

– Valentine Trépied, sociologue spécialiste du vieillissement

Scandale des Ehpad : et maintenant Korian !C dans l’air 

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diffusé le lun. 07.02.22 à 17h45  disponible jusqu’au 09.03.22 

https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/3060861-zemmour-le-pen-la-guerre-est-declaree.html

présenté par : Caroline Roux, Axel de Tarlé

Après Orpea, c’est au tour du groupe Korian, leader français des maisons de retraite, d’être pointé du doigt pour des soupçons de maltraitance. « Des dizaines et des dizaines » de témoignages de familles affluent dans le bureau de Maître Sarah Saldmann qui annonce vouloir lancer une procédure collective au mois d’avril. Car « ce sont sensiblement les mêmes problèmes que chez Orpea », développe l’avocate déjà à l’origine d’une autre action collective contre Orpea. « Il y a de la dénutrition avec des patients qui maigrissent très vite alors qu’on paye 4 500-5 000 euros la chambre environ. Les patients sont déshydratés. Il y a par exemple un patient qu’on couche à 16 heures et qu’on ne lève pas de la journée. Il y a des patients qui ne sont pas stimulés. Ce qui ressort beaucoup ce sont de graves problèmes d’hygiène. Il y a aussi toutes les humiliations, on méprise les patients, on leur parle mal. C’est un manque total d’humanité parce que c’est une pompe à fric », énumère Sarah Saldmann.

Depuis la publication du livre-enquête « Les Fossoyeurs », la parole sur les maltraitances dans les Ehpad s’est libérée. La plateforme téléphonique du 3977 a enregistré « une montée en flèche » des signalements de maltraitances. De plus en plus de familles ainsi que des soignants se tournent vers la justice alors que le magazine de France 2 « Cash Investigation » promet de nouvelles révélations dans son prochain numéro.

Un nouveau séisme à venir donc, et une situation qui pousse à moins de trois mois du premier tour de la présidentielle les politiques à s’emparer de la question sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes dans notre pays. La nouvelle direction du groupe Orpea a été auditionnée la semaine dernière à l’Assemblée nationale par des députés exaspérés devant l’absence de réponse. Deux enquêtes sont en cours pour vérifier la véracité des faits, démentis par le groupe, et le président de l’Assemblée nationale LREM Richard Ferrand a plaidé pour « privilégier les établissements qui sont à but non lucratif ».

Mais c’est insuffisant selon les nouveaux prétendants à l’Élysée qui ne manquent pas de rappeler l’abandon par l’exécutif de la loi « grand âge » et en profitent au passage pour présenter leurs mesures pour les personnes en perte d’autonomie. Certaines sont communes à plusieurs candidats, comme les revalorisations salariales ou l’augmentation des personnels et des contrôles. D’autres préfèrent mettre l’accent sur l’aide à domicile ou prônent pour des Ehpad 100 % publics, sur le modèle de ce qu’il se fait déjà dans les Landes.

Là-bas, neuf établissements sur dix sont publics. C’est le résultat d’une politique assumée depuis longtemps par le département, d’abord par le socialiste Henri Emmanuelli puis par son successeur Xavier Fortinon. « L’idée est de ne pas délivrer d’agréments à des établissements privés. Quelqu’un qui rentre dans une maison de retraite, il n’est pas là pour financer les dividendes des actionnaires de ces grands groupes », assure-t-il, avant d’ajouter « qu’on accompagne pour que le prix d’hébergement demeure le plus faible possible ». Il s’agit d’un vrai choix budgétaire : chaque année pour la collectivité départementale landaise, le budget affecté aux Ehpad représente un peu plus de 50 millions d’euros, soit environ 200 euros par an et par foyer fiscal.

De son côté, la patronne du groupe Korian a défendu le modèle privé dans une interview aux Echos et a demandé à l’Etat un effort financier. Estimant que le secteur souffre d’un manque de financement public, avec dans le cas de Korian une dotation moyenne pour les soins et la dépendance de 60 euros par patient et par jour, Sophie Boissard a indiqué qu’il est « insuffisant au regard des besoins de la grande dépendance ». Aux Pays-Bas, la dotation est de 200 euros.

Alors que se passe-t-il dans les Ehpad ? Comment éviter les dérives ? Que proposent les candidats à l’élection présidentielle ? 95 % des Ehpad landais sont publics, est-ce un modèle extensible ? Faut-il interdire les Ehpad privés à but lucratif ?

Invités :

– Philippe Dessertine, directeur de l’Institut de Haute Finance

– Solveig Godeluck, journaliste spécialiste des questions de protection sociale – Les Echos 

– Sophie Aurenche, rédactrice en chef –  RTL 

– Soazig Quéméner, rédactrice en chef du service politique – Marianne

Orpéa, les profits … et le malaiseC dans l’air 

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diffusé le jeu. 03.02.22 à 17h44  disponible jusqu’au 05.03.22 

https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/3049967-emission-du-jeudi-3-fevrier-2022.html

présenté par : Caroline Roux, Axel de Tarlé

C’est un « incroyable coup de Bourse » a titré le Canard enchaîné dans son édition, ce mercredi. Selon les informations de l’hebdomadaire satirique, le DG du groupe Orpea limogé dimanche soir, Yves Le Masne aurait revendu 5.456 actions de son entreprise en juillet dernier, trois semaines seulement après avoir été informé de la future parution du livre « Les Fossoyeurs ». Une enquête qui met au jour de graves dysfonctionnements et des maltraitances dans les établissements du groupe Orpea au nom de la rentabilité. En vendant ses titres, le PDG aurait empoché 588.000 euros, ce qui « pourrait s’apparenter à un délit d’initié », explique le journal. L’action, qui cotait à l’époque 107,80 euros, s’est effondrée depuis l’éclatement du scandale : le titre valait environ 40 euros mardi après-midi, après un plus bas à 37,77 euros.

« On est là au cœur d’un système, je pense », a commenté la ministre déléguée à l’Autonomie Brigitte Bourguignon. « Si, en plus, des personnes quittent le navire au moment où il y a des accusations, en n’acceptant pas de répondre et d’assumer des responsabilités, et au passage en se servant, là c’est grave ! », s’est-t-elle exclamée, évoquant son « dégoût ».

Dans « Les Fossoyeurs », le journaliste Victor Castanet décrit le rationnement des couches et de la nourriture dans des établissements aux tarifs pourtant très élevés, des patients mal soignés et délaissés, un personnel en sous-effectif, des objectifs financiers imposés à des directions contrôlées de très près par le siège. Des accusations rejetées en bloc par le groupe.
Mais au-delà de cette affaire devenue politique, c’est la question du grand âge et de la financiarisation impressionnante de ce secteur depuis dix ans qui est aujourd’hui en débat dans la campagne. La dépendance est devenue un marché, le terrain de chasse de fonds d’investissements très actifs qui favorisent l’émergence de grands groupes privés, cotés en Bourse.

Des marchés financiers qui sont également dans le collimateurs de nombreux candidats alors que l’on apprend que les géants du CAC 40 devraient voir leurs profits excéder 137 milliards d’euros en 2021. Du jamais-vu. Ainsi LVMH a donné le ton en dévoilant, jeudi 27 janvier, un bénéfice net record de 12 milliards d’euros au titre de 2021. Total Energies (ex-Total) serait également bien parti pour annoncer la semaine prochaine le résultat net le plus élevé jamais réalisé par une entreprise française, autour de 15 milliards d’euros.

Les montants sont vertigineux après deux ans de pandémie et de politique du « quoi qu’il en coûte », et ils relancent le débat sur les méga profits des multinationales et leur répartition. Si à gauche à l’image de La France insoumise (LFI), on appelle à l’instauration d’une taxe sur les « profiteurs de la crise », le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, s’est engagé à ne pas augmenter les impôts et il entend bien s’y tenir. « Ces beaux résultats sont une bonne nouvelle pour les entreprises au moment où elles doivent investir afin de répondre au défi numérique et écologique », explique-t-on à Bercy.

Pour autant, la bonne fortune des géants du CAC 40 qui ont reversé à leurs actionnaires près de 70 milliards d’euros l’an dernier survient alors que la colère sociale grandit dans le pays, nourrie par l’inflation et les inquiétudes sur le pouvoir d’achat ainsi que la frustration face aux promesses faites pendant la crise aujourd’hui non tenues. Ainsi la semaine dernière plus de 150 000 personnes se sont mobilisées selon la CGT, lors de 170 manifestations et rassemblements, pour réclamer notamment une revalorisation des salaires. »Le patronat, il faut qu’il comprenne que, maintenant, il faut rendre un peu (…) Heureusement qu’il y a eu la puissance publique pour financer l’économie pendant cette période » avait déclaré ce jour-là Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.

Les invité(e)s : 


– Dominique Seux, directeur délégué de la rédaction – Les Echos
– Nicolas Bouzou, économiste – Directeur fondateur d’Asterès, société d’analyse économique et de conseil.
– Sophie Aurenche, journaliste – RTL
– Soazig Quéméner, rédactrice en chef du service politique – Marianne

EHPAD : révélations et onde de chocC dans l’air 

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diffusé le mar. 01.02.22 à 17h45  disponible jusqu’au 03.03.22 

https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/3043611-emission-du-mardi-1-fevrier-2022.html

présenté par : Caroline Roux, Axel de Tarlé

Quelques jours après la sortie du livre « Les Fossoyeurs » qui dénonce de graves dysfonctionnements et des maltraitances dans les établissements du groupe Orpea, le leader mondial des Ehpad est dans le viseur de l’exécutif. Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée chargée de l’Autonomie, a annoncé ce mardi 1er février l’ouverture d’une enquête administrative de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et d’une enquête financière. « De plus, toutes les Agences régionales de santé iront voir tous les établissements de ce groupe », a-t-elle ajouté.

Ces annonces interviennent quelques jours après les révélations de Victor Castanet. Dans son livre-enquête, le journaliste révèle la part d’ombre des Ehpad : les couches et la nourriture rationnées, les patients mal soignés et délaissés, le personnel en sous-effectif ainsi qu’une gestion « contestable de l’argent public ». Depuis la publication de l’ouvrage, les langues se délient, les témoignages se multiplient sur les conditions de vie dans les maisons de retraite. Et une action collective regroupant un ensemble de plaintes pour « violence par négligence, mise en danger de la vie d’autrui et homicide involontaire » est envisagée contre le groupe Orpea d’ici début mars, a indiqué l’avocate au barreau de Paris Sarah Saldmann.

La ministre déléguée chargée de l’Autonomie a de son côté reçu ce mardi matin les dirigeants d’Orpea : le directeur général pour la France, Jean-Christophe Romersi, et le nouveau P.-D.G. du groupe, Philippe Charrier. Mais « on ne va pas se contenter des explications lors d’un rendez-vous à une convocation », a expliqué la ministre, invitée ce mardi de la matinale de France Inter ajoutant : ces deux enquêtes sont lancées aujourd’hui « parce qu’il faut taper fort pour montrer qu’on ne fait pas n’importe quoi » dans les Ehpad, « une activité lucrative mais qui ne doit pas l’être au détriment de la bientraitance », a-t-elle précisé.

Le groupe privé, qui continue à rejeter en bloc les accusations, a tenté de son côté d’allumer un premier contre-feu dimanche soir en limogeant son directeur général depuis plus de dix ans, Yves Le Masne. Ce mardi, il a également adressé une lettre aux familles, publiée dans une page payante achetée dans la presse, pour dire qu’il ne se reconnaît pas dans les témoignages de mauvais traitements infligés aux pensionnaires et qu’il fera toute la lumière sur ces accusations.

Mais au-delà de cette affaire, c’est le sujet du grand âge qui s’invite dans la campagne. Car si quinquennat après quinquennat, la réforme de la dépendance a été repoussée aux calendes grecques, la question de « bien vieillir » préoccupe les Français, et en particulier nombre de retraités qui ont vu leur pouvoir d’achat diminuer ces dernières années, en raison notamment d’une hausse de la CSG et de l’inflation.

Alors que se passe-t-il dans les Ehpad ? Comment financer la dépendance et le vieillissement de la population ? Que proposent les candidats ?

Invités :

– Christophe Barbier, éditorialiste politique, directeur de la rédaction – Franc-Tireur

– Dr. Patrick Pelloux, médecin urgentiste au SAMU de Paris – Président de l’AMUF

– Solveig Godeluck, journaliste spécialiste des questions de protection sociale – Les Echos

– Emmanuelle Souffi, journaliste spécialiste des questions sociales – Le Journal du Dimanche 

La Cour des comptes est impuissante à contrôler les Ehpad privés

Dans le nouveau rapport de la juridiction financière sur les Ehpad, il n’est fait aucune mention des malversations des groupes privés révélés ces dernières semaines. Car le champ du contrôle est si restreint qu’ils s’en jouent facilement. 

Caroline Coq-Chodorge

18 février 2022 à 18h45

https://www.mediapart.fr/journal/france/180222/la-cour-des-comptes-est-impuissante-controler-les-ehpad-prives?utm_source=20220218&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-20220218&M_BT=115359655566

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Chargée de contrôler le bon usage de l’argent public, la Cour des comptes semble s’émouvoir, un peu, des récentes révélations sur les pratiques du groupe Orpea. Son président Pierre Moscovici a annoncé, à l’occasion de la présentation du rapport annuel de la Cour mercredi 16 février, qu’il plaiderait auprès des parlementaires pour des évolutions législatives visant à « mieux contrôler ce secteur d’activité »

Et pour cause : dans son dernier rapport sur les Ehpad, rendu mercredi, la juridiction financière n’a rien vu des malversations récemment révélées. 

Dans un Ehpad à Port-Vendres. © Crédit photo: Aline Morcillo / Hans Lucas / AFP

Ce rapport s’appuie sur 57 contrôles d’Ehpad par la Cour des comptes ou les chambres régionales des comptes : 23 établissements publics, 15 privés non lucratifs et 19 privés commerciaux, du groupe Korian et Colisée.

Tout y est attendu : les « tensions sur le personnel », le manque de professionnels de santé pour prendre en charge des personnes âgées de plus en plus dépendantes, « l’absentéisme, le manque de formation ». 

À peine la Cour relève-t-elle que le taux d’encadrement des résident·es est encore « moins élevé » dans les Ehpad privés commerciaux, qui accueillent pourtant les personnes âgées « aux pathologies les plus lourdes nécessitant plus de soins ». 

Sans surprise, ces Ehpad privés ont donc « été significativement plus touchés que les autres structures » par le Covid-19. 

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Jamais la Cour des comptes n’évoque les profits faramineux réalisés par les groupes privés d’Ehpad. Korian, le leader du secteur en France, a réalisé 7 % de marge nette en 2020, malgré les ravages de la pandémie dans plusieurs établissements qui ont abîmé sa réputation en même temps que son cours en bourse. Le leader mondial Orpea (deuxième en France) a lui réalisé une marge nette de 11,9 %. 

Les chiffres bruts sont plus évocateurs encore : en 2020, Korian affiche un résultat opérationnel (la différence entre les recettes et les dépenses, avant impôts) de 366 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 3,8 milliards d’euros, Orpea un résultat opérationnel de 467 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de près de 4 milliards d’euros.

Magnanime, Pierre Moscovici estime lui que « ce n’est pas la nature publique et privée de l’Ehpad qui fait une différence » dans la prise en charge des personnes âgées.

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Depuis plusieurs semaines, les révélations sur les malversations financières des mastodontes du secteur pleuvent pourtant. Mediapart a révélé le recours massif par Orpea à des CDD en remplacement de CDI fictifs. Dans son livre Les Fossoyeurs (Fayard), Victor Castanet confirme cette pratique d’Orpea visant à sans cesse ajuster au minimum le personnel en fonction du taux d’occupation des Ehpad. 

Victor Castanet révèle aussi les audacieuses techniques d’optimisation financière du groupe Orpea, qui traque les économies à tous les étages de ses Ehpad premium, allant jusqu’à rationner les protections hygiéniques et les repas des résident·es. 

Denis Morin, président de la 6e chambre, chargée du contrôle des Ehpad, explique être « bouleversé par ces révélations ». Mais il n’a « pas lu le livre », confie-t-il à l’issue de la présentation du rapport annuel. 

13 milliards d’euros d’argent public 

Il révèle pourtant comment Orpea se joue de la complexité du financement du médico-social en France, divisé en trois parties : le budget soins, financé par l’assurance-maladie, le budget dépendance, financé par le département, et le budget hébergement, financé par les résident·es. 

En 2021, plus de 13 milliards d’euros d’argent public ont été dépensés pour financer les soins et la dépendance des personnes âgées dans les établissements médico-sociaux publics et privés. 

Longtemps, les Ehpad privés lucratifs ont échappé à tout contrôle de la Cour des comptes, juridiction financière pourtant chargée du contrôle de l’argent public. Ils ne sont entrés dans son champ d’action que depuis la loi santé de 2016, mais seulement partiellement. 

« Le Conseil constitutionnel a clairement dit que notre compétence se limitait à l’argent public, qui sert à financer le soin et la dépendance,explique le président de la 6e chambre, Denis Morin. S’il y a des mouvements vers le budget hébergement, on ne peut pas les objectiver. »

Or Victor Castanet révèle qu’Orpea ainsi que Korian détournent une partie de l’argent public alloué par l’assurance-maladie ou les départements, en exigeant de leurs fournisseurs de protections hygiéniques ou de matériel médical des rétrocommissions reversées directement au groupe. 

Le Journal du dimanche a également révélé que l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France a repéré ces mouvements de fonds chez Korian : son directeur général, Claude Évin, a alerté dès 2014 sur « des avoirs de la part de ses fournisseurs de dispositifs médicaux, ces avoirs venant en déduction de leurs dépenses mais sans être comptabilisés dans les comptes administratifs des établissements »

« Le fond de l’affaire, c’est que 60 à 70 % des dépenses et des recettes des Ehpad privés échappent au regard des pouvoirs publics, à la différence des Ehpad publics et privés non lucratifs », explique Marc Bourquin. C’est un fin connaisseur du secteur médico-social : il a dirigé le pôle médico-social de l’ARS Île-de-France pendant 10 ans, avant de rejoindre comme conseiller la Fédération hospitalière de France (FHF), qui défend les intérêts des hôpitaux publics ainsi que de leurs Ehpad. « L’hébergement dans les Ehpad privés est considéré par la législation comme de l’hôtellerie, il n’y a donc pas de contrôle, poursuit-il. On ne peut pas se contenter de cris d’orfraie, le législateur doit exiger de la transparence sur l’ensemble des comptes. »

Aujourd’hui, l’opacité est totale : « On a une limitation à la fois verticale et horizontale, reconnaît Denis Morin, le président de la 6chambre de la Cour des comptes. On ne peut pas remonter au niveau des groupes, on ne peut pas déborder sur les autres activités d’un Ehpad que celles financées par l’argent public. » 

Il y a des questions qui ne peuvent pas être posées, des contrôles qui ne peuvent pas être faits.

Denis Morin, président de la 6e chambre de la Cour des comptes

En 2021, la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur a par exemple contrôlé l’Ehpad Korian Les Parents à Marseille (Bouches-du-Rhône). Dans son rapport, la chambre explique que « la gestion financière des plus de 300 Ehpad du groupe Korian est assurée par la direction financière du siège », sur laquelle la juridiction n’a donc aucune prise. 

L’Ehpad Les Parents verse aussi chaque année des frais de siège au groupe, qui ont « augmenté sensiblement en 2019 (+ 107 057 euros) à la suite de la mise en place d’une politique au “juste coût” », rapporte la chambre régionale des comptes. Elle constate aussi « des changements importants d’imputations comptables sur la période, qui s’expliquent, selon la direction financière, par le travail d’harmonisation des pratiques comptables des groupes Medica et Korian à la suite de leur fusion en 2014 ». La juridiction financière n’en saura pas plus.

Car les groupes privés savent fixer des limites à la curiosité des autorités publiques : « On est dans un univers privé, très judiciarisé, confie Denis Morin. On nous rappelle de temps à autre que notre légitimité, c’est le bon usage de l’argent public dans ces structures. Il y a des questions qui ne peuvent pas être posées, des contrôles qui ne peuvent pas être faits. »

Korian débauche à la Cour des comptes

Ces limites, les groupes privés savent d’autant mieux les poser qu’ils débauchent largement des compétences dans les structures publiques chargées de les contrôler, que ce soient les ARS ou la Cour des comptes. En mars 2020, Raphaëlle Bove, rapporteure de la 6e chambre, celle chargée de contrôler les Ehpad, a par exemple rejoint Korian, dont elle est aujourd’hui la directrice éthique.

Sur ce pantouflage, la Cour des comptes n’a rien eu à dire, car Raphaëlle Bove est une magistrale de l’Ordre judiciaire. Seul le ministère de la justice a un droit de regard officieux sur le départ de ses juges vers le privé. Raphaëlle Bove a-t-elle travaillé sur le contrôle des Ehpad à la Cour des comptes ? Quelles précautions a-t-elle prises, dans ses nouvelles fonctions, pour éviter tout conflit d’intérêts vis-à-vis de son ancien employeur ? Ces questions, que nous lui avons adressées, sont restées sans réponse. Le groupe Korian n’a pas non plus répondu à nos questions.

Caroline Coq-Chodorge

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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