La pollution chimique a globalement franchi le seuil de danger pour la stabilité des écosystèmes.

La pollution chimique, cinquième limite planétaire franchie

Une quinzaine de chercheurs appellent à des « mesures urgentes » après avoir, pour la première fois, évalué la présence d’« entités nouvelles » introduites dans l’environnement par les activités humaines.

Par Publié le 28 janvier 2022 à 14h00 

Temps de Lecture 2 min.

https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/01/28/la-pollution-chimique-cinquieme-limite-planetaire-franchie_6111378_3244.html

Des « larmes de sirène » sur un tamis utilisé par les ONG Good Karma Projects et Surfrider pour sensibiliser à la pollution aux microplastiques, en Catalogne (Espagne), le 18 janvier 2022.
Des « larmes de sirène » sur un tamis utilisé par les ONG Good Karma Projects et Surfrider pour sensibiliser à la pollution aux microplastiques, en Catalogne (Espagne), le 18 janvier 2022.  BERNAT ARMANGUE/AP POUR «LE MONDE»

La pollution chimique a globalement franchi le seuil de danger pour la stabilité des écosystèmes. Une quinzaine de chercheurs européens ont évalué, pour la première fois, la quantité d’« entités nouvelles » (plastiques, pesticides, solvants, polluants organiques persistants, etc.) introduites dans l’environnement par les activités humaines, leur persistance, ainsi que le rythme auquel elles sont produites et dispersées dans la nature. Leurs conclusions, publiées mi-janvier dans la revue Environmental Science & Technology, indiquent que « l’humanité opère actuellement en dehors des limites planétaires », et les auteurs appellent à des « mesures urgentes »pour répondre à cette pollution multiforme et l’endiguer.

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Le cadre conceptuel des « limites planétaires » a été posé en 2009, puis précisé en 2015 dans la revue Sciencepar une équipe pluridisciplinaire internationale. Il consiste à segmenter le « système Terre » en neuf compartiments ou paramètres (climat, biodiversité, ozone stratosphérique, cycles biochimiques, eaux douces, acidité de l’océan, utilisation des terres, aérosols dans l’atmosphère, « entités nouvelles »), et à tenter d’établir pour chacun d’eux le niveau de perturbation au-dessous duquel le risque de déstabilisation du système Terre demeure faible. A l’inverse, le franchissement de ces limites induit le risque de voir basculer irréversiblement les équilibres naturels qui dominent la planète depuis le début de l’Holocène, il y a 11 000 ans.null

En 2015, quatre de ces limites planétaires avaient été considérées comme franchies : celles concernant les cycles biochimiques (azote et phosphore), le climat, l’érosion de la biodiversité et l’utilisation des terres. La pollution chimique globale, ou l’introduction et l’accumulation d’« entités nouvelles » dans l’environnement, n’avait, elle, pas pu être évaluée. Elle l’est désormais et constitue la cinquième des neuf limites planétaires à avoir été dépassée.Lire aussi   Article réservé à nos abonnés  Dans les océans, la pollution chimique menace toute la chaîne alimentaire

Système économique hors de contrôle

Les chercheurs ont d’abord considéré de nombreuses situations dans lesquelles de « nouvelles entités » dont les effets délétères ont été démontrés se retrouvent disséminées à grande échelle dans l’environnement et chez les êtres vivants. C’est notamment le cas des microplastiques dans les organismes marins, ou des polluants organiques persistants comme le célèbre insecticide DDT : ces substances affectent la plupart des animaux et des humains.

Ils ont ensuite montré que le système économique qui produit et disperse ces produits est hors de contrôle. Le volume de production de substances chimiques de synthèse a, par exemple, été multiplié par 50 depuis 1950 et continue de croître sans relâche. Or, les risques pesant sur la biosphère ou la santé humaine n’ont été évalués que pour une petite minorité des 350 000 substances en circulation. De même, la production de plastique augmente à un rythme débridé et pourrait encore tripler entre 2010 et 2050. Et la persistance de ces produits dans la nature est telle que même la fin de leur production laissera un héritage de dégâts à gérer pendant de nombreuses décennies.Lire aussi   Article réservé à nos abonnés  La quantité de plastique présente dans les océans réévaluée fortement à la hausse

« L’approche adoptée dans l’article est très intéressante : en gros, nous devrions tester toutes les “nouvelles entités” pour déterminer leur danger potentiel pour le système terrestre avant de les mettre en circulation, explique le chimiste Will Steffen, coauteur du concept des limites planétaires, qui n’a pas participé à ces travaux. Or, nous produisons des produits chimiques et des plastiques à un rythme qui dépasse de loin notre capacité à les tester. Sur cette base, les auteurs de l’article concluent que la limite planétaire pour les nouvelles entités a déjà été franchie. »

Stéphane Foucart

Pollution chimique : la planète a franchi la ligne rouge

Pollution chimique : la planète a franchi la ligne rouge

– Flickr/CC BY 2.0/Inspiration4 crewÉmilie Massemin (Reporterre)20 janvier 2022 à 09h07, Mis à jour le 21 janvier 2022

https://m.reporterre.net/Pollution-chimique-la-planete-a-franchi-la-ligne-rouge

Durée de lecture : 7 minutesPollutionsEau, rivières, océansPesticidesNanotechnologies

L’humanité a atteint le seuil de pollution chimique et plastique à ne pas dépasser, sous peine de conséquences brutales et imprévisibles, alerte une étude. Ses auteurs appellent à des mesures rapides.

https://pubs.acs.org/doi/pdf/10.1021/acs.est.1c04158

La limite planétaire en matière de pollution chimique et plastique est franchie. Telle est la conclusion d’une étude publiée le 18 janvier dans la revue Environmental Science & Technology.

Ce concept de limites planétaires a été proposé en 2009 par une équipe internationale de recherche menée par le Suédois Johan Rockström, directeur de l’Institut de recherche de Potsdam (Allemagne) sur les effets du changement climatique. Ces lignes rouges, au-delà desquelles l’humanité s’expose à des modifications brutales, imprévisibles et potentiellement catastrophiques de son environnement, sont au nombre de neuf : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère et l’introduction d’« entités nouvelles » dans la biosphère (dit simplement, la pollution chimique). Trois de ces limites, le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et la perturbation des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore, étaient alors dépassées, selon l’équipe de M. Rockström. En janvier 2015, les chercheurs y ajoutaient les changements d’usage des sols.

Deux des limites, la concentration des aérosols atmosphériques et la pollution chimique, n’avaient cependant jamais été quantifiées. D’où cette étude publiée dans Environmental Science & Technology, qui propose des réponses à deux questions : quel seuil fixer pour le niveau de pollution chimique à ne pas dépasser ? Ce seuil a-t-il déjà été franchi ?

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Rien ni personne n’est épargné

L’exercice est moins simple qu’il n’y paraît. Il faut d’abord se mettre d’accord sur les « nouvelles entités » à prendre en compte pour la définition de ce seuil. Leur nombre est considérable. Polluants organiques persistants tels que les PCB ou les HAP, métaux lourds tels que le mercure, pesticides, antibiotiques, matières plastiques… « On estime qu’il y a 350 000 produits chimiques (ou mélange de produits chimiques) sur le marché mondial », lit-on dans l’article.

Leur production augmente très rapidement. « L’industrie chimique est la deuxième plus grande industrie manufacturière au monde, précise l’étude. La production mondiale a été multipliée par cinquante depuis 1950 et devrait encore tripler d’ici 2050 par rapport à 2010. »Le plastique suit la même tendance : « L’utilisation mondiale des plastiques n’a cessé d’augmenter depuis les années 1950 et la production mondiale a crû de 79 % entre 2000 et 2015. La production mondiale cumulée devrait tripler d’ici 2050 pour atteindre 33 milliards de tonnes », écrivent les auteurs. « La masse totale des plastiques dépasse désormais la masse totale de tous les mammifères vivants. Pour moi, c’est une indication assez claire que nous avons franchi une limite », a résumé au Guardian la professeure Bethanie Carney Almroth, de l’université de Göteborg, membre de l’équipe de recherche.

Aucun écosystème n’est aujourd’hui épargné par ces polluants : « On trouve de plus en plus de nouvelles entités dans les endroits les plus reculés de la planète, par exemple des esters organophosphorés dans l’océan Arctique, et des particules microplastiques dans les profondeurs de l’océan et en haute montagne », s’alarme l’étude.

Les effets néfastes de ces polluants sur l’environnement peuvent être très divers : biologiques — le DDT décime les insectes — ou physiques — les particules noires de carbone, en souillant la glace et la neige, diminuent l’albédo [1] et accélèrent ainsi la fonte de la banquise. Ils sont parfois mal connus, voire insuffisamment étudiés. Ainsi, sur 12 000 substances chimiques enregistrées en décembre 2020 comme nécessitant la production de données de sécurité dans le cadre du règlement européen Reach, « environ 10 000 (80 %) devaient encore être évaluées dix ans après l’entrée en vigueur du règlement », lit-on dans l’étude.

Hors de contrôle

Étant donné toutes les variables — quantité produite, dissémination dans l’environnement, dangerosité — propres à chaque substance chimique, et les zones d’ombre qui persistent sur leurs effets sur la biosphère, il pourrait sembler impossible de définir un seuil de pollution chimique à ne pas dépasser. De fait, l’étude ne s’y risque pas. Mais elle affirme tout de même que cette ligne rouge a été franchie. Ceci, tout simplement parce que la production, la dissémination et la surveillance de tous ces produits sont désormais hors de contrôle. « La production et les rejets annuels augmentent à un rythme qui dépasse la capacité mondiale d’évaluation et de surveillance », écrivent ainsi les auteurs de l’étude.

Ces derniers ne se limitent pas au constat et appellent à des mesures rapides et radicales de limitation des polluants chimiques. « Les mesures visant à réduire les rejets et les émissions de nouvelles entités dans l’environnement sont essentielles, notamment un degré plus élevé d’économie circulaire dans les chaînes d’approvisionnement des produits, la conception des matériaux et des produits, la conception en vue du recyclage, et des produits chimiques sûrs et durables, plaident-ils. Nous devons également nous pencher sur la question de la distribution inéquitable des ressources et de la prospérité qui stimule l’utilisation des ressources et les émissions et empêche leur régulation efficace. » Ils préconisent également l’instauration de plafonds sur la production et l’utilisation de tous les produits chimiques « proportionnels aux capacités physique et chimique du système terrestre », à l’image de ce qui a été instauré pour les émissions de gaz à effet de serre. Sans chercher à dissimuler la difficulté de mise en œuvre de ces mesures, notamment à cause d’un « effet verrouillage » de l’industrie chimique.

Bien qu’elle n’y ait pas participé, cette étude n’a pas surpris la biologiste Barbara Demeneix, professeure au Muséum national d’histoire naturelle et autrice du livre Cocktail toxique — Comment les perturbateurs endocriniens empoisonnent notre cerveau (éd. Odile Jacob, 2017) : « Cette pollution chimique et plastique, ainsi que le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, sont liés à la surexploitation des énergies fossiles. Il est absolument essentiel d’instaurer un plafond d’émissions de ces nouvelles entités, même si la limite est déjà dépassée », dit-elle à Reporterre.

Certaines — timides — initiatives vont dans ce sens. Ainsi, le 15 décembre 2021, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a proposé d’abaisser considérablement la dose journalière admissible de bisphénol A, un puissant perturbateur endocrinien, de 4 microgrammes à 0,04 nanogramme par kilo de poids corporel et par jour. Mais ce type de mesure ne suffira pas à régler le problème, estime Mme Demeneix. « Entre 75 et 80 % des produits qui entrent dans l’Union européenne ne font pas l’objet de contrôles sur les perturbateurs endocriniens et sur les produits chimiques qu’ils contiennent, faute de moyens humains suffisants, alerte-t-elle. Il existe aussi des cas de substitution regrettables, comme lorsque le bisphénol A a été remplacé par les bisphénols F et S, tout aussi dangereux pour le système endocrinien. »

https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.est.1c04158#

Abstract

We submit that the safe operating space of the planetary boundary of novel entities is exceeded since annual production and releases are increasing at a pace that outstrips the global capacity for assessment and monitoring. The novel entities boundary in the planetary boundaries framework refers to entities that are novel in a geological sense and that could have large-scale impacts that threaten the integrity of Earth system processes. We review the scientific literature relevant to quantifying the boundary for novel entities and highlight plastic pollution as a particular aspect of high concern. An impact pathway from production of novel entities to impacts on Earth system processes is presented. We define and apply three criteria for assessment of the suitability of control variables for the boundary: feasibility, relevance, and comprehensiveness. We propose several complementary control variables to capture the complexity of this boundary, while acknowledging major data limitations. We conclude that humanity is currently operating outside the planetary boundary based on the weight-of-evidence for several of these control variables. The increasing rate of production and releases of larger volumes and higher numbers of novel entities with diverse risk potentials exceed societies’ ability to conduct safety related assessments and monitoring. We recommend taking urgent action to reduce the harm associated with exceeding the boundary by reducing the production and releases of novel entities, noting that even so, the persistence of many novel entities and/or their associated effects will continue to pose a threat.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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