« Le système français de protection sociale » : la rupture
Dans l’édition 2021 de leur ouvrage, le sociologue Jean-Claude Barbier et les économistes Michaël Zemmour et Bruno Théret analysent les changements dans l’organisation et le financement des systèmes nationaux qui, depuis la création du Conseil national de la Résistance en 1943, ont permis de réduire les inégalités entre les personnes actives et les retraités, les personnes en emploi et celles qui sont au chômage. Par Anne RodierPar Anne RodierPar Anne RodierAujourd’hui à 06h00.Lecture 3 min.Article réservé aux abonnés
Le livre. L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017 a radicalement rebattu les cartes de la protection sociale, et le Covid-19 en a bouleversé la gestion politique. Le Système français de protection sociale (La Découverte), publié pour la première fois en 2004, est à l’origine une description de ses dispositifs, prestations et caractéristiques nationales de la couverture des risques sociaux.
L’édition 2021 analyse le tournant pris par cette institution au cours des cinq dernières années. Le sociologue Jean-Claude Barbier et les économistes Michaël Zemmour et Bruno Théret expliquent les changements dans l’organisation et le financement des systèmes nationaux qui, depuis la création du Conseil national de la Résistance en 1943, avaient permis de réduire les inégalités entre les personnes actives et les retraités, les personnes en emploi et au chômage, entre autres exemples.
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Ce recueil de la collection « Repères » paru fin 2021 répond dans le détail à des questions vitales pour la protection sociale : Quelle est l’architecture du système ? Comment a évolué le financement depuis 2018 ? Qu’est-ce que l’activation à la française des politiques de l’emploi ? Le vieillissement est-il une bombe à retardement ?
Basculement
Ce faisant, les auteurs décryptent les tendances de long terme. Que reste-t-il, par exemple, du modèle « bismarckien » ? Ils expliquent comment à travers la fiscalisation et l’étatisation de la protection sociale, la France passe sans le dire du modèle « bismarckien » de gestion paritaire au modèle « beveridgien » né au Royaume-Uni en 1942, qui privilégie une couverture universelle, pour tous, fut-elle minime, avec un système géré par l’Etat.
En France, en 2018, une partie des cotisations famille, maladie, et chômage a en effet été remplacée par un impôt – la contribution sociale généralisée (CSG) – ; les employeurs ont bénéficié d’exonérations de cotisations ; et c’est de l’impôt – un « panier de recettes fiscales » – qui a été apporté aux assurances, afin qu’elles puissent continuer à jouer leur rôle. Pour accompagner ce basculement, l’Etat a progressivement remis en cause la gestion des assurances sociales par les assurés.
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Le monde du travail est ainsi le théâtre d’une rupture avec « la tradition de la démocratie sociale, dans laquelle une partie de l’organisation du travail (conventions collectives) et la gestion de la protection sociale sont l’affaire des assurés-salariés et de leurs représentants », écrivent-ils. Dès 1996, le pilotage de la Sécurité sociale avait été transféré des mains des partenaires sociaux à celles de l’Etat, les syndicats n’ayant plus qu’un rôle consultatif. C’est désormais au tour de la retraite (Agirc-Arrco) et du chômage (Unédic) d’affronter ce « long processus de dépossession des syndicats de la gestion des assurances sociales au profit de l’Etat ».
Une accusation réfutée
En toile de fond de ce choix politique de rupture, les critiques récurrentes sur l’inefficacité d’un système dont le niveau de dépenses serait insoutenable. Une accusation que les auteurs réfutent, chiffres à l’appui. Ils démontrent comment des pommes et des poires ont été additionnées pour déclarer que les dépenses sociales représentaient 33 % du produit intérieur brut (PIB) en 2018. « Non, la France ne consacre pas un tiers de ses revenus à la protection sociale », affirment-ils.
Les déficits sociaux n’en restent pas moins importants et ont depuis le Covid-19 atteint le record de 45 milliards d’euros pour 2020. Ce qui donne aux auteurs l’occasion d’expliquer le mécanisme de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) qui recourt aux marchés financiers pour gérer sur le long terme la dette – somme des déficits accumulés – de la sécurité sociale, remboursée in fine par les assurés.
Ce sont ainsi 136 milliards d’euros de « dette Covid » que le gouvernement a décidé de transférer à la Cades et que les assurés devront rembourser d’ici à 2033 au détriment des nouveaux besoins sociaux. Enfin ultime question des auteurs, qui restera ouverte : conçue dans un monde de croissance, que deviendrait la protection sociale dans un monde sans croissance ?

« Le Système français de protection sociale », de Jean-Claude Barbier, Michaël Zemmour et Bruno Théret. La Découverte, 2021, 128 pages, 10 euros.Anne Rodier