Le captage et stockage du CO2, solution d’avenir pour le climat ou mirage ?
Les techniques qui consistent à capter le CO2 lors de sa production ou dans l’atmosphère bénéficient d’une attention renouvelée dans la lutte contre le réchauffement. Mais leur intérêt et leur efficacité restent débattus.
Par Garric et Perrine Hiet à 02h08, mis à jour hier à 18h04.
Lecture 14 min.
Elles sont de plus en plus souvent présentées comme l’une des solutions à mettre en œuvre pour faire face au changement climatique. Les technologies de captage et de stockage du CO2 – qui consistent à récupérer ce gaz à effet de serre lors de sa production ou dans l’atmosphère, avant de le stocker dans le sous-sol –, développées depuis des décennies mais sans avoir jusqu’ici réussi à percer, se voient offrir une nouvelle chance à la faveur de l’accélération du réchauffement.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) ou la Commission européenne les considèrent comme « incontournables » pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Les milliardaires de la tech, comme Bill Gates ou Elon Musk, investissent massivement dedans, tandis que de plus en plus de gouvernements les soutiennent.
Ces technologies font toutefois toujours débat : pour leurs défenseurs, si elles ne sont pas la solution face au dérèglement climatique, elles sont incontestablement l’une des solutions – aux côtés des naturelles, comme la plantation d’arbres, la préservation des sols ou des océans, qui captent le carbone. Pour leurs contempteurs, elles dédouanent les industries polluantes en les exonérant de modifier leurs activités et repoussent donc la véritable action : réduire les émissions de gaz à effet de serre en décarbonant l’économie.
Dans tous les cas, captage et stockage doivent encore relever beaucoup de défis : un coût élevé, une mise en œuvre complexe, une importante consommation d’énergie ou d’eau et surtout l’acceptation de la société, encore loin d’être acquise.
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- Qu’est-ce que le captage et le stockage de CO2 ?
Sur le papier, la technologie du captage et stockage du CO2 (Carbon Capture and Storage, CCS en anglais) est simple : il s’agit de piéger ce gaz à effet de serre produit par la combustion de ressources fossiles avant qu’il ne soit émis dans l’atmosphère, puis de le stocker dans le sous-sol sur des temps très longs. Le CCS peut être utilisé tant pour réduire les émissions des centrales à charbon qu’à gaz, des raffineries, de la sidérurgie et de la cimenterie, de la chimie et de la pétrochimie. Mais dans le détail, ses différentes étapes – le captage, le transport et le stockage – sont complexes.
Différents procédés permettent de récupérer le CO2. Le captage « postcombustion » – le plus mâture et le plus utilisé – consiste à « laver » les fumées émises par la combustion des ressources fossiles grâce à un solvant (généralement des amines, des composés azotés qui dérivent de l’ammoniac) qui capte le CO2. En moyenne, 90 % du CO2 des fumées est récupéré. Alors que ces installations sont très coûteuses et consomment des quantités importantes d’énergie, d’autres procédés ont été développés ou sont à l’étude (oxycombustion, combustion en boucle chimique, etc.) pour réduire le surcoût énergétique ou développer de nouveaux solvants.
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Une fois le CO2 récupéré et comprimé, il est acheminé par canalisation, bateau, train ou camion, parfois sur plusieurs centaines de kilomètres, vers un lieu de stockage. Le CO2 est alors injecté dans le sous-sol, généralement entre 1 000 mètres et 2 000 mètres de profondeur, dans des zones géologiques adaptées à un stockage de long terme : d’anciens réservoirs d’hydrocarbures, des aquifères salins ou des veines de charbon, onshore ou offshore. Le CO2doit être stocké au moins plusieurs centaines d’années et le site doit être fiable et hermétique, de manière à se prémunir de toute remontée de gaz.
En Islande, l’entreprise Carbfix a démontré la faisabilité, à petite échelle, d’une autre méthode de stockage : dissoudre le CO2 dans l’eau, puis l’injecter dans du basalte à 800 mètres de profondeur. « 95 % du CO2 est transformé en roches carbonatées solides en moins de deux ans, un processus qui prend des milliers d’années à se produire dans la nature. Elle est stable aux échelles de temps géologiques », assure Thomas Ratouis, ingénieur réservoirs à Carbfix.
A noter que le CO2 capté, au lieu d’être stocké, peut aussi être réutilisé. Il est majoritairement injecté dans des gisements d’hydrocarbures afin de récupérer davantage de pétrole et de gaz. Il peut aussi servir à la production de biocarburants ou de matériaux (conglomérats, briques, etc.). Cette chaîne, appelée CCU (Carbon Capture and Utilization, en anglais), ou valorisation du CO2, présente un faible potentiel de réduction d’émissions comparé à la filière CCS, selon l’Ademe.
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Aux côtés du CCS, d’autres technologies permettent non plus d’éviter les émissions mais de retirer de l’atmosphère le CO2 qui y est déjà présent. C’est pourquoi les scientifiques les appellent « émissions négatives ». C’est notamment le cas de la bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS). L’idée est de faire pousser des arbres ou des plantes à croissance rapide – comme l’eucalyptus, le peuplier ou le miscanthus – afin qu’ils captent du CO2. On brûle ensuite cette biomasse pour produire de l’énergie, et on récupère le dioxyde de carbone issu de la combustion, avant de le stocker dans des formations géologiques profondes, selon le principe du CCS.

Une autre voie réside dans la capture directe dans l’air (DAC) par des procédés physico-chimiques. Plusieurs entreprises développent cette technologie, comme le groupe canadien Carbon Engineering ou l’entreprise suisse Climeworks, qui a inauguré en 2021 le plus grand site de captage de CO2 dans l’air, en Islande. Au milieu des fumées de l’usine de géothermie attenante, des grands ventilateurs aspirent l’air ambiant et captent le CO2 grâce à un matériau filtrant – chauffé à 100 °C une fois saturé de gaz –, avant de le stocker dans le basalte grâce à leur partenaire Carbfix. La difficulté réside dans le fait de capter le gaz dans l’air, où il est 200 à 300 fois moins concentré que dans les fumées d’installations industrielles. Capturer une tonne de CO2 exige alors de filtrer l’équivalent de 800 piscines olympiques.
- Où en sont ces technologies ?
Les premières installations datent des années 1970-1980. En 1972, du CO2 issu de plusieurs usines de gaz naturel de la région de Val Verde, au Texas, commence à être capturé puis transporté jusqu’aux réservoirs d’un champ pétrolier. En 1996, la Norvège devient le premier pays au monde à mettre en place un projet de stockage de carbone à grande échelle dans une formation géologique, dans le champ gazier de Sleipner.
Mais depuis ces débuts, la filière ne s’est développée que très lentement, bien en deçà des attentes du secteur. Manque de débouchés commerciaux, coûts prohibitifs, absence d’incitations financières ou réglementaires et de soutien politique, secteur associé aux énergies fossiles…
En octobre 2021, à l’occasion du premier forum sur le captage, l’utilisation et le stockage de CO2, la commissaire européenne à l’énergie a dressé un bilan sévère de la décennie écoulée. « Nous avions l’ambition de développer douze projets à grande échelle dans toute l’Europe d’ici à 2015, a rappelé Kadri Simson. Nous avons adopté une législation et même réservé des ressources importantes pour sept de ces installations dans le plan de relance de 2009. En outre, un programme spécial a été créé (…). Combien de ces projets ont été construits ? Pas un seul. »
Au niveau mondial, même constat : alors que l’AIE prévoyait la création d’une centaine d’installations entre 2010 et 2020, seules vingt-sept sont actuellement en activité, qui peuvent capter jusqu’à 40 millions de tonnes de CO2 par an. La moitié d’entre elles sont situées aux Etats-Unis, les trois quarts sont adossées à des centrales au gaz et la majorité vend ou utilise le CO2 pour optimiser le potentiel de réservoirs pétroliers.Lire aussiEn France, aucune installation de captage et de stockage du CO2 en activité, mais des projets
Après ce mauvais départ, l’heure est-elle toutefois à un nouvel élan, comme le pensent un certain nombre d’experts ? Le nombre d’installations en développement a atteint un record en 2021, avec 71 nouveaux projets enregistrés au cours des neuf premiers mois de l’année, selon le Global CCS Institute, un centre de réflexion qui promeut ces technologies.
Ils portent sur des secteurs diversifiés, autres que le gaz naturel (ciment ou acier, mais aussi hydrogène ou biocarburants), sont moins liés aux hydrocarbures et reposent davantage sur des sites de stockage réservés à cet effet. De plus en plus, la stratégie est aussi de mettre en place des « hubs », qui doivent permettre à différents acteurs et pays de mutualiser les étapes du transport ou du stockage du CO2, et donc contribuer à faire baisser les coûts. Avec le projet Northern Lights en mer du Nord par exemple, la Norvège se positionne comme un possible « stockeur de carbone » européen.
Les technologies de captage direct de l’air, de leur côté, ont généré des investissements publics et privés conséquents depuis 2019. Selon l’AIE, dix-neuf installations de petite taille sont aujourd’hui opérationnelles et le premier projet d’envergure, en cours de développement aux Etats-Unis, pourrait voir le jour en 2024 et capturer jusqu’à un million de tonnes de CO2 par an.
« La combinaison d’objectifs climatiques renforcés, d’un environnement d’investissement amélioré et de nouveaux modèles commerciaux a préparé le terrain pour un plus grand succès dans les années à venir », espérait, fin novembre 2021, Samantha McCulloch, responsable de l’unité utilisation et stockage du captage du carbone de l’AIE.
- Ces technologies sont-elles indispensables pour le climat ?
Aujourd’hui, les scénarios de neutralité carbone de toutes les grandes institutions, dont le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), intègrent les technologies de captage et de stockage du carbone. « On a besoin de retirer du CO2 de l’atmosphère pour atteindre la neutralité carbone car nous avons déjà trop émis de carbone et nous devons compenser des émissions inévitables, comme celles de l’industrie lourde », explique Heleen de Coninck, professeure à l’université d’Eindhoven (Pays-Bas) et autrice principale pour le troisième volet du sixième rapport du GIEC – qui abordera ces questions, en avril. En 2018, ce groupe d’experts jugeait que les « émissions négatives » étaient indispensables pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C et la majorité de ses scénarios incluaient des technologies de captage et de stockage du CO2(essentiellement avec bioénergie) – aux côtés de solutions naturelles, comme l’afforestation.

Dans son scénario visant à l’atteinte de la neutralité carbone, publié en mai 2021, l’AIE prévoit que 1,6 milliard de tonnes (Gt) de CO2 soit capté chaque année d’ici à 2030 grâce aux solutions technologiques, pour atteindre 7,6 Gt en 2050. Sur ce volume, 2,4 Gt (soit 30 %) sont récupérées dans l’atmosphère grâce à la bioénergie avec captage du CO2 et au captage direct de l’air. La Commission européenne, dans une communication du 15 décembre 2021, note aussi que le développement de ces technologies à grande échelle est « indispensable à la neutralité climatique et nécessite un soutien ciblé important dans les prochaines décennies ». Elle espère que 5 millions de tonnes de CO2 pourront être éliminées chaque année de l’atmosphère grâce à des solutions technologiques, et stockées grâce à des projets pilotes d’ici à 2030. A l’horizon 2050, jusqu’à 600 millions de tonnes pourraient être capturées.
L’idée d’un recours nécessaire au captage et au stockage de carbone pour lutter contre le réchauffement est pourtant contestée, notamment par des associations environnementales. « Le CCS n’est pas une solution au problème climatique, écrivaient ainsi les représentants de 500 organisations (dont 350.org ou Les Amis de la Terre Etats-Unis) dans une lettre adressée en juillet 2020 aux plus hauts dirigeants américains et canadiens. Le CCS n’arrête pas les principaux moteurs de la crise climatique – production et consommation de combustibles fossiles – ni ne réduit considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Au contraire, il prolonge la dépendance aux combustibles fossiles et, de manière perverse, augmente la production de pétrole. » Selon leurs détracteurs, ces technologies risquent donc de détourner les industriels de la décarbonation de leurs processus de production (grâce aux énergies renouvelables ou à l’efficacité énergétique) et de retarder la transition.
« Il y a un risque moral lié à ces technologies, celui de diminuer la motivation à réduire les émissions. Elles ne sont pas une solution miracle et c’est dangereux de le penser », reconnaît Heleen de Coninck. « Aujourd’hui, on ne sait pas retirer tout le carbone de l’atmosphère nécessaire pour rester sous 2 °C, et rien n’assure que ces technologies seront prêtes à temps à l’échelle désirée », ajoute Philippe Ciais, directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, et spécialiste du cycle du carbone.
Les opposants aux technologies de captage et de stockage s’inquiètent aussi de leurs possibleseffets adverses pour l’environnement. Les BECCS par exemple, en nécessitant de très larges ressources en biomasse, entrent en concurrence pour l’usage des sols avec d’autres productions, notamment alimentaires, et demandent d’importantes ressources en eau, en azote et en phosphore, sans compter les impacts pour la biodiversité. Leur potentiel est au final limité. Le DAC entraîne également une consommation énergétique importante, et son coût élevé (entre 750 dollars et 1 000 dollars la tonne de CO2) peut freiner son usage. Enfin, les opposants craignentdes problèmes de sécurité liés à des fuites du lieu de stockage ou des canalisations.
Des arguments rejetés par les partisans de ces technologies, qui soulignent qu’elles ne sont qu’une des multiples solutions à mettre en œuvre. « Eviter les émissions de gaz à effet de serre devrait être la priorité politique, et les objectifs de neutralité carbone devraient être explicitement divisés en objectifs de réduction et en objectifs d’élimination, estime Felix Schenuit, spécialiste des questions énergétiques et climatiques à l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité. Mais aujourd’hui, la science nous dit que les puits naturels ne suffiront pas à atteindre les objectifs climatiques. »
- Quels sont les défis qui persistent ?
Pour espérer atteindre les objectifs fixés par l’AIE, le secteur devra connaître un changement d’échelle gigantesque : la capacité totale des installations devra être multipliée par 100 en quinze ans ! Un pari encore loin d’être gagné, qui nécessitera des investissements considérables mais aussi des efforts de recherche et développement.
Si certaines technologies sont matures, une bonne partie d’entre elles n’en sont encore qu’au stade de la démonstration ou du prototype. Les procédés de captage direct de l’air n’ont, par exemple, pas encore prouvé leur faisabilité à grande échelle. Le site de Climeworks en Islande a ainsi une capacité de 4 000 tonnes de CO2 par an. Une goutte d’eau par rapport aux 43 milliards de tonnes émises annuellement dans le monde. Mais la start-up prévoit une progression rapide, avec une usine dix fois plus grande dans deux ou trois ans, avant de pouvoir capter plus d’un million de tonnes en 2030. « On est comme le solaire et l’éolien il y a vingt ans. Notre technologie modulable permet une croissance rapide, et les économies d’échelle permettront de faire chuter le coût », espère Julie Gosalvez, de Climeworks.
Il faudra aussi que soient mises en place des politiques volontaristes et coordonnées, pour que l’ensemble de la chaîne puisse voir le jour. « Des émetteurs sont prêts à investir dans le captage de CO2 sur leurs installations mais ils veulent être sûrs qu’une fois que ce sera en place quelqu’un va être capable de transporter et de stocker ce gaz, explique Florence Delprat-Jannaud, coordinatrice CO2 à IFP Energies nouvelles et présidente du Club CO2, qui rassemble les acteurs industriels français de la filière. L’enjeu est d’aligner toutes les planètes que sont le captage, le transport et le stockage. » « Chaque brique est relativement mâture mais la combinaison des trois ne l’est pas et chaque brique coûte très cher », ajoute Alix Bouxin, ingénieure à l’Agence de la transition écologique et spécialiste du CCS.
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La question des infrastructures de transport du CO2 vers les futurs « hubs », par exemple, est cruciale. Si elle ne pose pas de difficulté technique fondamentale, elle nécessite de véritables efforts de planification. En Amérique du Nord, le réseau de pipelines de CO2 devrait passer de 8 000 kilomètres aujourd’hui à 43 000 kilomètres en 2050. Même chose pour le stockage : si, selon les estimations, les ressources en formation géologiques sont suffisantes, identifier un site nécessite des années de travaux et des dizaines de millions de dollars d’investissement.
L’une des inconnues porte aussi sur l’évolution du prix du carbone. Aujourd’hui, le coût de la tonne de CO2 évitée dans l’industrie est estimé entre 50 euros et 150 euros pour l’ensemble de la chaîne – l’essentiel du coût étant lié aux investissements initiaux et aux besoins en énergie. Par comparaison, le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen des « droits à polluer » – que certains industriels doivent payer pour compenser leurs émissions – oscille depuis début décembre 2021 autour des 80 euros, mais il n’était encore que d’une trentaine d’euros il y a un an.
Craintes de fuites de CO2 au moment de son transport ou de son stockage – ce qui n’est jamais arrivé –, tensions autour du recours à la biomasse et de l’usage des terres… L’acceptabilité sociale de ce type de projet est également un enjeu majeur pour la filière. L’opposition du public, particulièrement en Europe, explique en partie pourquoi un grand nombre de projets de stockage ont été abandonnés au cours de la dernière décennie, à l’instar du projet pilote de stockage souterrain à Barendrecht, aux Pays-Bas.
Audrey Garric et Perrine Mouterde
En France, aucune installation de captage et de stockage du CO2 en activité, mais des projets
La France n’envisage le développement de ces technologies qu’avec « prudence ». Selon des estimations de l’Ademe, elle disposerait d’un potentiel allant jusqu’à 24 millions de tonnes de CO2 par an captées par an sur quarante et un sites.
Par Audrey Garric et Perrine Mouterde
Hier à 12h15.Lecture 4 min.Article réservé aux abonnés

Le 5 janvier, ArcelorMittal annonçait une étape« importante » pour le « projet 3D » de captage et de stockage du CO2 (CCS pour « carbon capture and storage ») situé sur son site de Dunkerque (Nord) : les premiers modules de son démonstrateur, dont une tour de 22 mètres de hauteur, ont été « reçus et montés », avant un démarrage prévu d’ici quelques semaines. « Nous allons vérifier que ce projet pilote permet bien de récupérer le CO2 dans les gaz des hauts-fourneaux de l’usine et de l’emmener dans un lieu de stockage définitif, explique Eric Niedziela, président d’ArcelorMittal France et vice-président action climat d’ArcelorMittal Europe. Il s’agit de démontrer la théorie avant de monter en capacité. »
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Cette expérimentation doit, à terme, permettre de capter environ 4 400 tonnes de CO2 par an et consiste à utiliser un solvant performant, développé par l’IFP Energies nouvelles (Ifpen), pour limiter la consommation d’énergie nécessaire au captage du CO2. Soutenue par l’Union européenne et réunissant onze partenaires de six pays, elle s’inscrit dans la stratégie de décarbonation d’un des leaders mondiaux de l’acier, l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre.
« Option essentielle »
« Nous avons une stratégie de transformation profonde de nos processus de production d’acier, mais compte tenu de nos connaissances actuelles, une fois que nous aurons utilisé au maximum les technologies et les innovations en cours, il nous restera quelques émissions résiduelles, précise Eric Niedziela. C’est à ce stade qu’interviennent les solutions de stockage et de réutilisation du CO2. Et, vu l’urgence climatique, plus vite on a accès à ces solutions et technologies, plus vite on réduit les émissions. »
Aujourd’hui, la France ne compte aucune installation de CCS en activité, mais la stratégie nationale bas carbone (SNBC), publiée en avril 2020, prévoit que la production d’environ 5 millions de tonnes de CO2 par an soit évitée dans l’industrie en 2050 grâce aux solutions de captage et de stockage, et qu’une dizaine de millions de tonnes d’« émissions négatives » soient comptabilisées annuellement grâce à la biomasse-énergie avec CCS (BECCS). Une goutte d’eau par rapport aux émissions de gaz à effet de serre sur le territoire (environ 440 millions de tonnes équivalent CO2 par an) : la France n’envisage le développement de ces technologies qu’avec « prudence », en raison des incertitudes qui y sont liées, tout en notant qu’il s’agit « très vraisemblablement d’une option essentielle pour l’avenir ».
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Dans un avis publié en juillet 2020, l’Ademe estime également que le potentiel de captage et de stockage de carbone en France est « limité » et applicable uniquement à certains sites industriels situés sur trois zones spécifiques du territoire, autour de Dunkerque, du Havre (Seine-Maritime) et de Lacq (Pyrénées-Atlantiques). Ces secteurs possèdent des infrastructures nécessaires au CCS, comme des canalisations de transport de CO2, concentrent des sites industriels et disposent des capacités de stockage géologique. Compte tenu de la complexité et du prix de cette technologie, l’Ademe considère également que seuls 10 % des sites industriels français – les plus émetteurs – pourront faire appel à cette solution à un coût raisonnable. Résultat, la France disposerait, selon ces estimations, d’un potentiel allant jusqu’à 24 millions de tonnes de CO2 captées par an sur quarante et un sites.
Sept projets financés
Au-delà du « projet 3D », une expérimentation va également être menée à la cimenterie de Lumbres (Pas-de-Calais). Le cimentier Eqiom, en partenariat notamment avec Air liquide, prévoit de capter le CO2 émis par l’usine avant de le stocker dans une couche géologique en mer du Nord ou de le réutiliser pour produire du béton. Ce programme, surnommé « K6 », est l’un des sept projets bas carbone sélectionnés par la Commission européenne fin novembre 2021 et financés par son fonds pour l’innovation. D’autres projets, tels que « Dartagnan », qui vise à créer un hub d’exportation de CO2 depuis le port de Dunkerque avec un lieu de stockage en mer du Nord, sont également subventionnés par l’Europe.
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TotalEnergies, outre des projets en Norvège, au Royaume-Uni ou encore aux Pays-Bas, travaille de son côté au développement d’une solution de captage de CO2 en Normandie, en partenariat avec Air Liquide. « Ces technologies nécessitent un vrai travail collectif entre les collecteurs, les transporteurs, les stockeurs, les régulateurs, les territoires, la société civile… Sans soutien politique, on n’y arrivera pas », souligne un spécialiste CCS de TotalEnergies.
Au début des années 2010, l’entreprise avait mené une expérimentation à Lacq, qui a permis de démontrer la faisabilité de l’ensemble de la chaîne. Au total, environ 50 000 tonnes de CO2ont été captées, transportées et stockées. « On a surtout beaucoup appris à propos du volet sociétal, indique-t-on chez TotalEnergies. L’acceptabilité sociale du stockage est un enjeu, mais comme pour toute activité industrielle. »Audrey Garric et Perrine Mouterde