Soins à domicile : la France n’a pas encore pris le « virage », pour la Cour des comptes
Par Béatrice JérômeAujourd’hui à 10h00, mis à jour à 10h56.Lecture 4 min.

https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2022-01/20220124-services-soins-domicile.pdf
Vieillir chez soi est le souhait des Français mais reste un rêve inaccessible pour beaucoup faute d’une offre de soins à domicile suffisante et adaptée à la grande dépendance, relève la Cour des comptes dans un rapport rendu public lundi 24 janvier. Malgré les engagements des gouvernements successifs depuis 2005, « le virage domiciliaire souvent annoncé » est « encore peu abouti », soulignent les magistrats financiers, qui ont enquêté sur les soins à domicile à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat.
La France ne compte que 2 125 structures de soins infirmiers à domicile pouvant s’occuper de 126 600 bénéficiaires potentiels. Soit 20 places pour 1 000 personnes de 75 ans et plus, contre 102 places d’Ehpad pour 1 000.
Ne serait-ce que pour maintenir cette offre de soins au même niveau qu’aujourd’hui, la Cour estime les besoins à 25 000 nouvelles places d’ici à 2030, pour faire face au choc démographique. Le rapport passe aussi en revue les structures destinées aux personnes handicapées.
Pas d’étude des données
Pour créer des places, un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) doit avoir le feu vert d’une agence régionale de santé (ARS). Jusqu’en 2015, de « grands plans nationaux ont sensiblement augmenté l’offre », ce qui a été suivi d’un « net ralentissement des créations de places ». Si bien que le taux d’institutionnalisation des personnes âgées, c’est-à-dire la proportion de personnes résidant en Ehpad dans la population, est resté le même. Plus de 80 % des places dans le secteur médico-social sont en Ehpad.
Cet « attentisme » épinglé par le rapport tient à une réforme « grand âge » toujours repoussée. Et découle du retard pris sur plusieurs chantiers. Le premier concerne l’approfondissement des données sur des « services mal connus », souligne le rapport : « A ce jour, il n’existe pas d’analyse des besoins qui permette de planifier une offre ajustée » des soins à domicile.
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Le reproche s’adresse à la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), qui n’a toujours pas exploité les informations sur les dépenses de santé des personnes âgées en institution, à l’hôpital ou suivies à domicile, dont elle dispose depuis 2019. Ces données permettraient de « mesurer les performances de l’accompagnement médico-social » et d’« orienter les prises en charge de manière plus efficiente », regrette la Cour, qui recommande la diffusion de ces informations de la CNAM aux directions d’administrations centrales chargées d’élaborer la programmation, aux ARS et à tous les gestionnaires financiers des Ssiad.
La Cour des comptes incrimine aussi les ARS qui, « faute d’informations nécessaires », ont failli à leur « mission » qui consiste à coordonner l’offre d’Ehpad, d’hôpitaux et structures de soins à domicile à l’échelle de leur territoire pour construire un « parcours gradué » de prise en charge.
Prise en charge des personnes les plus dépendantes
La Cour des comptes observe par ailleurs la fuite en avant des dépenses de la Sécurité sociale liées notamment aux interventions chez des personnes âgées de professionnels infirmiers libéraux : « Les pouvoirs publics ont fait le choix, en 2009, de contenir le déploiement des Ssiad pour protéger l’exercice [infirmier] libéral. »Aujourd’hui, les dépenses de soins infirmiers en ville « sont plus dynamiques que l’évolution de la population âgée et particulièrement concentrée sur certains départements (…). Ces dépenses d’actes infirmiers et de soins recèlent un potentiel d’économies non négligeable ». Freiner ces dépenses passe par la création de places en Ssiad dont l’activité peut être mieux contenue que les actes infirmiers en ville.
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Permettre aux Ssiad de devenir une solution alternative à l’Ehpad implique par ailleurs une meilleure prise en charge des pertes d’autonomie sévères. Or l’actuel système de financement dissuade les Ssiad d’intervenir auprès des personnes les plus grabataires puisque la dotation qu’ils reçoivent n’est pas indexée sur le degré de dépendance des usagers. Mettre fin à « l’exclusion des patients les plus dépendants » suppose « une remise à plat du mode d’allocation des ressources », une réforme encalminée depuis 2016…
La Cour des comptes suggère de créer une catégorie spécifique de « Ssiad renforcés » – qui auraient des dotations des ARS plus importantes pour offrir une solution alternative à l’hospitalisation ou à l’Ehpad de personnes très dépendantes.
Meilleure coordination des services
Les trois quarts des patients de Ssiad disposent« en parallèle d’une aide professionnelle à domicile » autre que les aides-soignants ou des infirmiers, souvent employée par les services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad). Pour mieux coordonner les horaires de passages de ces différents professionnels, la Cour des comptes prône le développement des Ssiad et des Saad au sein de services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad).
Ces structures ne sont que 378 aujourd’hui. Le rapport demande que soient levés les obstacles financiers à leur développement tels que la prise en charge par les ARS des temps de coordination nécessaires au sein de leurs équipes.
La moitié des Ssiad n’ont que 50 places, une petite taille qui les prive de moyens pour salarier des kinésithérapeutes, ergothérapeutes, psychologues… La Cour appelle à leur regroupement pour pouvoir mutualiser leurs moyens et leurs professionnels.
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Les structures de soin à domicile sont confrontées à une grave désaffection de personnel – estimé entre 211 000 et 216 000 agents. Le rapport estime qu’il faudrait créer 19 000 postes dans les Ssiad (en plus des actuels 50 000) et 63 000 postes nouveaux dans les services d’aide et d’accompagnement à domicile d’ici à 2030.
La Cour des comptes appelle, enfin, à développer des passerelles entre les diplômes pour créer des perspectives d’évolution de carrière qui rende ces métiers du soin plus attractifs.Béatrice Jérôme
Les services de soins à domicile
COUR DES COMPTES 24.01.2022
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-services-de-soins-domicile
Depuis 40 ans, la population française a vieilli, et l’on observe une accélération de ce vieillissement en raison de l’avancée en âge des baby-boomers : selon l’Insee, 20% de la population avait 75 ans ou plus en 2019, contre 13% en 1975. À ces âges marqués par la prévalence de la perte d’autonomie, le maintien à domicile plutôt que le placement en institution suppose de développer une offre domiciliaire au plus près des besoins, en s’assurant notamment de son équité territoriale. Le développement d’une société plus inclusive exige une même évolution de l’offre faite aux personnes en situation de handicap. Le présent rapport s’intéresse à quatre catégories de services : les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), les services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad), les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), et les services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah).