Couverture vaccinale, nombre de décès et PIB : le rôle décisif du passe sanitaire en France
Selon une étude publiée par le Conseil d’analyse économique, la France a évité près de 4 000 morts et la perte de 6 milliards d’euros entre juillet et décembre 2021, tout en gagnant treize points de couverture vaccinale.
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Comment mesurer l’impact concret de l’instauration du passe sanitaire ? Certes, le taux de vaccination de la population française est passé de 53,8 %, à la mi-juillet 2021, à désormais 79,5 % de personnes ayant reçu au moins une dose de vaccin, mais quelle part de cette impressionnante augmentation peut être directement attribuée à ce nouvel outil du quotidien ? Par ailleurs, cet impact est-il seulement sanitaire ou d’autres aspects de la société ont-ils pu bénéficier de cette mesure, critiquée notamment pour son aspect liberticide ?
Une étude menée par une dizaine de chercheurs s’est penchée sur ces différentes questions et montre le très fort impact du passe sanitaire sur l’adhésion vaccinale, le nombre d’hospitalisations et de décès liés au Covid-19, ainsi que sur le produit intérieur brut (PIB).Lire l’article des Décodeurs : Quelle différence entre le passe vaccinal et le passe sanitaire ?
Cette étude, publiée mardi 18 janvier sur le site du Conseil d’analyse économique (CAE), un service rattaché à Matignon mais réunissant des universitaires indépendants, a notamment été coécrite par le mathématicien Miquel Oliu-Barton (université Paris-Dauphine, Bruegel) et les économistes Bary Pradelski (CNRS, Oxford-Man Institute of Quantitative Finance) et Nicolas Woloszko (Organisation de coopération et de développement économiques), avec les conseils de l’épidémiologiste et membre du conseil scientifique Arnaud Fontanet et les économistes Philippe Aghion (Collège de France) et Patrick Artus (Natixis), entre autres.
Résultats hétérogènes
Pour évaluer l’effet du passe, les auteurs ont construit des modèles estimant ce que la dynamique de vaccination aurait été sans ces dispositifs appelés « green pass » en Italie ou règle des « 2G » en Allemagne pour « geimpft »(« vacciné ») ou « genesen » (« guéri »).null
Si les résultats sont hétérogènes suivant les pays, ils sont, dans tous les cas, importants : en un peu moins de six mois, ces passes ont permis d’augmenter le taux de vaccination de 13 points en France, de 9,7 points en Italie et de 6,2 points en Allemagne. Selon les modèles, la couverture vaccinale aurait en effet été, sans ces dispositifs, de 65 %, 70 % et 67 % des populations respectives de ces pays. Point important pour la saturation des services hospitaliers, cette hausse de l’adhésion grâce au passe s’observe également chez les plus de 60 ans ; la France a notamment gagné 8,9 points de couverture sur cette population, et l’Italie, 4,4 points.
« On ne s’attendait pas nécessairement à un impact du passe aussi important, en se basant sur les études publiées avant les annonces. En revanche, une enquête de Santé publique France suggérait un effet majeur du passe sanitaire dans la décision des Français à se faire vacciner », souligne Miquel Oliu-Barton.
Comment expliquer alors la différence entre la France et l’Allemagne ? « L’annonce très claire et centralisée de cette mesure semble avoir joué un rôle important pour son succès. En Allemagne, par exemple, [elle] s’est faite au niveau régional, avec beaucoup de variations et des critères optionnels de basculement ; c’est seulement à partir de novembre [2021], quand la communication a été plus claire et l’accès aux lieux de travail limité par le passe dans tout le pays, qu’on a observé un effet significatif chez nos voisins », analyse le mathématicien.
Sans le passe sanitaire, le nombre cumulé d’admissions à l’hôpital à la fin de 2021 aurait été environ 31 % plus élevé en France
En considérant une efficacité vaccinale moyenne de 81 % après une dose et 92 % après deux doses, les auteurs ont également estimé l’impact des passes sur les admissions à l’hôpital et les décès liés au Covid-19. Sans cet outil, le nombre cumulé d’admissions à la fin de 2021 aurait été environ 31 % plus élevé en France, 5 % en Allemagne et 15,5 % en Italie. Près de 4 000 morts ont pu être évitées dans l’Hexagone, soit 32 % des 12 000 décès enregistrés entre juillet et décembre 2021.Lire aussi Article réservé à nos abonnés Covid-19 : en Italie, la mesure imposant l’obligation vaccinale aux plus de 50 ans est destinée « à sauver des vies »
« Dans cette étude, nous n’avons pas pris en compte le fait que la vaccination réduit la transmission du virus, ni le changement de comportement des personnes vaccinées, qui auront tendance à relâcher leurs efforts sur les gestes barrières, commente Miquel Oliu-Barton.Ces deux phénomènes s’opposent et sont difficiles à estimer. Nous nous en sommes tenus à la protection directe de la vaccination sur les formes graves de la maladie, donc les hospitalisations et les décès. »
Effet direct et indirect sur l’économie
Pour mesurer les conséquences sur l’économie, les auteurs se sont appuyés sur les estimations de PIB hebdomadaires issues de l’outil créé par Nicolas Woloszko, économiste à l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) et coauteur de l’étude. Celui-ci utilise 250 indicateurs pour estimer l’activité économique dans les différents pays du monde, semaine après semaine.
Selon ces données, à la fin de 2021, sans le passe sanitaire, le PIB hebdomadaire aurait été 0,6 % plus bas en France, 0,3 % plus bas en Allemagne, et 0,5 % plus bas en Italie. Soit des pertes évitées d’environ 6 milliards d’euros en France, 1,4 milliard en Allemagne et 2,1 milliards en Italie.
L’effet du passe sur l’activité économique est à la fois direct et indirect, en permettant aux personnes vaccinées d’avoir, avec moins de risque, davantage d’interactions sociales et économiques, tout en réduisant la nécessité de restrictions mises en place par les autorités.
« On reproche au passe sanitaire son aspect liberticide, mais un confinement est la mesure la plus liberticide qui existe », pointe Miquel Oliu-Barton
Enfin, le passe sanitaire a permis de réduire le nombre de patients en soins intensifs, et donc le risque de mesures plus strictes, comme des reconfinements. Selon l’analyse, le nombre de patients atteints du Covid-19 en soins intensifs aurait été environ 45 % supérieur à ce qui a été observé fin 2021 en France.
« On reproche au passe sanitaire son aspect liberticide, mais un confinement est la mesure la plus liberticide qui existe », insiste Miquel Oliu-Barton. Pour le scientifique, « l’impact du passe sanitaire est très significatif en termes sanitaires et économiques, et ce, sans compter les conséquences qu’aurait pu avoir un nouveau confinement sur notre société, en particulier sur la santé mentale et l’éducation ».Lire aussi Covid-19 : le Luxembourg rend le passe sanitaire obligatoire pour aller travailler
Côté français, il s’agira désormais de mesurer l’impact du passe vaccinal, dont le projet de loi a été définitivement adopté dimanche 16 janvieret que le gouvernement souhaite promulguer d’ici à la fin de la semaine.
Mais, pour Miquel Oliu-Barton, « il est difficile de prévoir l’effet qu’aura le passe vaccinal, car les personnes à atteindre sont désormais beaucoup plus campées sur leurs positions ». « Le passe sanitaire est moins controversé et son acceptabilité est indissociable de son succès »,ajoute-t-il. Près de cinq millions de Français n’ont toujours reçu aucune injection de vaccin et, dans le contexte du très contagieux variant Omicron, « les [passes sanitaires] pourraient jouer un rôle décisif dans l’augmentation et le maintien de la protection induite par les vaccins », en Europe, soulignent les auteurs.
Delphine Roucaute