Immunité collective : la vague Omicron va-t-elle changer la donne ?
Face à la contagiosité du variant, l’espoir de briser totalement la circulation du virus semble irréaliste. Mais les vagues à venir pourraient provoquer moins de formes sévères. Et donc moins affecter le système de soins.
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L’immunité collective contre le Covid-19, un pur mirage ? Ou bien parviendrons-nous à édifier cette digue pour faire barrage à la circulation du virus SARS-CoV-2 ? Promise dès le début de la pandémie, cette barrière protectrice n’a cessé de sembler s’éloigner, à mesure qu’apparaissaient de nouveaux variants du coronavirus, toujours plus contagieux, et qu’ils se répandaient à travers le globe. L’arrivée des vaccins, début 2021, a réinsufflé de l’espoir.
Cet horizon apaisé a paru se rapprocher, et l’on s’est repris à rêver d’un monde débarrassé de la pandémie de Covid-19, grâce à la vaccination de masse et à une fréquente exposition aux infections naturelles. Combinées aux vaccins, les vagues successives allaient bien finir, espérait-on, par nous permettre de construire, peu à peu, des lignes de défense efficaces contre l’envahisseur microbien. Une part suffisante de la population mondiale serait ainsi protégée contre le coronavirus, délivrant l’humanité de ce fléau. Mais la déferlante de nouveaux variants a douché cet optimisme.
L’irruption de la vague Omicron va-t-elle doper cette immunité collective ? Plus contagieux encore que son lointain cousin le variant Delta, lui-même déjà très transmissible, ce nouveau venu semble réunir, sous son enveloppe nanométrique, deux conditions propices. D’une part, son pouvoir de diffusion est favorable à une immunité de masse. D’autre part, sa moindre sévérité – a priori – pourrait offrir ce bouclier tutélaire à moindre coût, pour la société.
Le ministre de la santé, Olivier Véran, a lui-même ravivé cette espérance : « Cette cinquième vague sera peut-être la dernière, déclarait-il au Journal du dimanche le 2 janvier. Omicron est tellement contagieux qu’il va toucher toutes les populations du monde. Il va entraîner une immunité renforcée : on sera tous plus armés après son passage. »
La vague actuelle est-elle vraiment la dernière ? Les experts restent prudents. « Le ministre de la santé est dans son rôle : en ce début d’année, il veut donner de l’espoir, montrer un horizon favorable deux ans après le début de la pandémie », analyse Mircea Sofonea, de l’université de Montpellier. Olivier Véran, cependant, a pris soin de pondérer d’un « peut-être » cette idée d’une ultime lame de fond. Affirmer que la vague actuelle est la dernière aurait été « une assertion non fondée sur des données scientifiques », juge cet épidémiologiste.
La science, de fait, explique une apparente antinomie : elle montre pourquoi, d’un côté, le mirage d’une immunité collective s’évanouit à mesure que nous pensons nous en approcher ; mais de l’autre, elle nous dit pourquoi, malgré cette déception, il n’est plus interdit d’espérer. A terme, le SARS-CoV-2 pourrait bien rejoindre les quatre autres coronavirus saisonniers responsables, l’hiver venu, d’angines et de rhumes bénins – d’ici quand, c’est une autre affaire. Désormais, « le but n’est plus l’élimination du virus, mais celle des formes sévères », résume Arnaud Fontanet, médecin épidémiologiste, membre du conseil scientifique Covid-19 et directeur du département santé globale de l’Institut Pasteur.
- L’immunité collective, un rêve qui se brise sur la transmissibilité des variants
Comment, sur un plan scientifique, définir l’immunité collective ? « C’est la proportion de la population qui doit avoir acquis une immunité protectrice – par le vaccin ou par l’infection –pour stopper la propagation d’une épidémie donnée », explique Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à Genève. Plus un microbe est contagieux, plus cette proportion doit être élevée pour en juguler la dissémination. Les modèles mathématiques de diffusion des épidémies intègrent cette règle de base.
Fin 2019, la souche historique du SARS-CoV-2, détectée à Wuhan (Chine), a rapidement essaimé à travers le monde aux frontières grandes ouvertes : elle faisait face à une population humaine qui n’avait jamais été exposée à ce nouveau coronavirus et qui n’avait donc développé aucune défense immunitaire. Pour autant, la contagiosité de cette souche restait modérément élevée : une personne infectée en contaminait alors trois autres. Au début de la pandémie, il aurait fallu qu’au moins 66 % de la population soit immunisée pour enrayer son expansion. Un pari impossible, puisqu’il n’existait évidemment aucun vaccin.
Puis sont apparus de nouveaux variants. Dont Delta, à l’origine des quatrième et cinquième vagues en France. D’une contagiosité déjà très élevée – une personne infectée par Delta en contamine 6 à 8 autres – il posait un autre défi : pour repousser cet envahisseur, il fallait que 85 % de la population soit immunisée.
Avec Omicron, l’épreuve se mue en quête du Graal. Ce nouveau variant atteint un niveau de contagiosité record : une personne infectée peut, en l’absence de mesures barrières, en contaminer plus de dix autres. D’après les modèles de diffusion des épidémies, il faut alors, pour étouffer l’intrus, que 90 % de la population soit immunisée. En clair, la digue de l’immunité collective, encore en cours de construction, se voit débordée par la déferlante Omicron.
La transmissibilité sans cesse accrue des nouveaux variants – jusqu’ici – est une conséquence de la sélection naturelle. Pour l’emporter sur ses concurrents, un variant émergent doit disposer d’avantages évolutifs ; s’il est plus contagieux, il bénéficie d’un atout majeur. Cette fuite en avant entraîne une exigence croissante pour le seuil d’immunité collective à atteindre, toujours plus haut. Finalement, cette escalade force l’humanité à tenter de gravir un Everest.
A cette difficulté de taille s’en ajoute une autre. « Les modèles de diffusion des épidémies reposent sur l’hypothèse d’une immunité bloquante. On suppose alors qu’une personne immunisée fait obstacle à la circulation du virus », explique Antoine Flahault. Mais Omicron déjoue cette hypothèse : il parvient à réinfecter une personne déjà vaccinée ou infectée par le SARS-CoV-2, ruinant, dès lors, tout espoir de stériliser le monde vis-à-vis de ce virus. « Ces deux difficultés combinées font qu’une immunité collective risque d’être hors d’atteinte », relève Florence Débarre, spécialiste de biologie évolutive au CNRS, à Paris.
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« Même avec 100 % de la population vaccinée, ce nouveau variant ne permettra pas d’espérer rapidement atteindre une immunité collective », renchérit Antoine Flahault. Pour preuve, ajoute-t-il, les Emirats arabes unis revendiquent une couverture vaccinale (à deux doses) proche de 100 %, et le Portugal affiche un taux de vaccination de 90 %. Pour autant, la vague Omicron n’épargne pas ces deux pays. Quant à la France, malgré une population vaccinée à plus de 77 % avec deux doses (mais à seulement 38,1 % avec la dose de rappel), elle fait face à une « vague colossale » d’Omicron.
- Omicron, un ovni dans le ciel des coronavirus SARS-CoV-2
Autre écueil sur lequel pourrait se briser le rêve d’une immunité étendue – à défaut d’être collective – conférée par la vague Omicron : le portrait-robot que les virologues ont établi d’Omicron fait de lui un extraterrestre dans la galaxie de ce coronavirus. « On trouvait déjà que le variant Beta était assez éloigné des autres. Mais avec Omicron, on n’est plus dans le même système solaire. Il donne l’impression d’être un accident de parcours, plutôt que le fruit d’un aboutissement de l’évolution du virus, comme on a pu le penser pour le variant Delta. Celui-ci, en effet, a paru être une forme d’optimisation de la relation du virus avec son hôte humain », relève Arnaud Fontanet. Tous les experts soulignent ce caractère résolument à part d’Omicron.
En particulier, cet ovni porte des « antigènes », les fragments du virus reconnus par le système immunitaire, assez radicalement différents de ceux des autres variants. C’est ce que montre la cartographie de ce variant, comparé à ses prédécesseurs, par une équipe hollandaise et par une équipe écossaise, deux études publiées en préprint le 3 janvier.
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Puisque Omicron est une aberration statistique sur la carte du coronavirus, la crainte est la suivante : si de futurs variants apparaissent, et qu’ils ressemblent aux variants « classiques » du SARS-CoV-2, « les anticorps que nous avons développés contre Omicron risquent de ne pas pouvoir les neutraliser efficacement », note Etienne Simon-Lorière, spécialiste de génomique évolutive des virus à l’Institut Pasteur. Un peu comme, aujourd’hui, les anticorps que nous avons acquis, contre la souche historique du SARS-CoV-2 ou contre les variants Alpha ou Delta, peinent à nous protéger d’Omicron.
- L’espoir de l’immunité cellulaire, pour édifier des défenses robustes
Fatiguée par deux ans de pandémie, l’humanité est-elle par conséquent condamnée à revivre ces vagues successives, épuisant le système de soins, altérant la santé physique et mentale des populations, paralysant des pans entiers de l’économie – et faisant grimper les taux de mortalité ? Non. Car si la vague actuelle a peu de chances d’être la dernière, il n’est pas interdit d’entrevoir la sortie du tunnel.
« De nombreux scientifiques sont optimistes, estimant qu’en 2022, l’impact de la pandémie sur la santé mondiale s’atténuera », souligne Antoine Flahault. Il en est ainsi de Jeremy Farrar, spécialiste de maladies infectieuses, directeur du Wellcome Trust, une célèbre fondation caritative médicale située au Royaume-Uni : « Bien que le variant Omicron menace de provoquer une crise au cours des prochains mois, les scénarios les plus probables montrent ensuite une perspective bien meilleure. Cela, en raison de l’immunité croissante de la population mondiale, qui rend la maladie moins sévère, grâce à la vaccination et aux infections naturelles », a-t-il déclaré au Financial Times le 31 décembre 2021.
L’espoir repose, en réalité, sur les fameuses troupes d’élite de notre système immunitaire, des lymphocytes T et B dits « mémoires ». Cette ultime ligne de défense, « l’immunité cellulaire », est la dernière à monter au front. Mais c’est celle qui nous protège le mieux contre les formes sévères de la maladie. Et c’est aussi la plus robuste : elle garde une bonne mémoire des rencontres passées, avec un virus ou avec un vaccin. Mieux encore, c’est une mémoire élargie, capable de reconnaître toute la « machine coronavirus » et pas seulement sa seule protéine spike (« spicule »), celle que ciblent les anticorps neutralisants induits par les vaccins ou par les infections – une des premières lignes de défense mobilisée.
Or, on le sait, le spicule d’Omicron a accumulé plus de 30 mutations, un nombre impressionnant qui avait alerté. Cette cible ayant été considérablement modifiée par ces mutations, la crainte était qu’Omicron échappe aux anticorps. Crainte en partie confirmée, même si le rappel vaccinal parvient à « booster » de nouveau l’efficacité de ces anticorps. Inversement, si d’autres variants émergent – surtout s’ils proviennent d’un autre lignage qu’Omicron, ce qui est très probable vu son caractère excentrique – ils risquent d’être mal reconnus par les anticorps induits par Omicron. L’immunité cellulaire, elle, devrait bien mieux résister aux métamorphoses du SARS-CoV-2.
- Une vague colossale
Avec environ 200 000 personnes infectées chaque jour par Omicron en France aujourd’hui, soit 1,4 million par semaine, on peut se dire avec Bruno Canard, virologue au CNRS à l’université Aix-Marseille, que « personne ne va passer entre les gouttes, [que] tout le monde va être infecté ». Du fait de sa transmissibilité élevée, Omicron pourrait infecter jusqu’à trois milliards d’individus dans le monde au cours des deux prochains mois, soit autant qu’au cours des deux premières années de la pandémie selon un total estimé, suggère de son côté une modélisation de l’université de Washington.
Résultat de ce taux « colossal » d’infections, la population devrait, espère-t-on, acquérir une immunité robuste. « Quand un nouveau variant arrivera sur le terrain d’une population largement vaccinée ou infectée, il se heurtera à une immunité cellulaire résiduelle, qui dure assez longtemps », explique Bruno Canard.
Cette vague massive d’infections devrait se traduire, au niveau mondial, « par une augmentation des hospitalisations plus faible que lors de la vague Delta ou le pic de l’hiver dernier », a déclaré au Financial Times Chris Murray, directeur de l’institut de l’université de Washington qui a réalisé cette modélisation. Il est « tout à fait raisonnable de penser que le fardeau du Covid-19 pourra être réduit de 95 % en 2022 (…). Ce serait un objectif raisonnable pour mettre fin à la pandémie », estime également Tim Colbourn, professeur d’épidémiologie à l’University College de Londres, interrogé par ce journal. « A mon sens, il n’y aura plus de nouvelle vague d’une ampleur comparable à celle des précédentes, du moins pour ce qui est de leur impact sur les formes graves, renchérit Bruno Canard. Sauf à voir émerger un variant complètement différent. » Un risque, cependant, qu’on ne peut exclure.
Finalement, deux processus opposés sont à mettre dans la balance, raconte Arnaud Fontanet. D’un côté, un phénomène inéluctable d’émergence de nouveaux variants, par accumulation de mutations du virus. De l’autre, une protection sans cesse renforcée de l’immunité humaine, par accumulation de couches d’immunité conférée à la fois par les infections et par les doses de rappel. Une course évolutive, là encore…
- De bonnes nouvelles, enfin
« La bonne nouvelle, c’est que nous accumulons les couches protectrices », poursuit Arnaud Fontanet. Cela, grâce au rempart de l’immunité cellulaire surtout, peu affectée par les mutations du virus, et plus à même de contrôler les formes sévères de Covid-19. L’impact des nouveaux variants, quant à lui, dépendra de deux facteurs : leur distance par rapport à leurs prédécesseurs, et leur sévérité propre.
La pandémie pourrait donc se muer, au fil du temps, en épidémies saisonnières « semblables à la grippe », relève Arnaud Fontanet. Elle donnerait alors de moins en moins de formes graves, sauf chez les personnes fragiles qui n’auraient pas été protégées récemment, ni par une infection, ni par un rappel vaccinal. Mais elle se réveillerait à l’hiver, donc, sous forme de poussées plus ou moins sévères, selon le variant en cause, comme pour la grippe.
Ce scénario favorable est d’ailleurs évoqué depuis le début de la pandémie. Selon certains historiens, de grandes « pestes » du Moyen-Age auraient été, en réalité, des équivalents de la pandémie de Covid-19. « Elles auraient fini par se muer en épidémies saisonnières de coronavirus bénins, tels ceux qui occasionnent certains rhumes aujourd’hui », résume Antoine Flahault. Impossible à démontrer, bien sûr.
« Avec le SARS-CoV-2, nous sommes encore dans un régime de transition avant d’atteindre cette dynamique d’épidémies saisonnières, plus lente et plus prévisible », note Mircea Sofonea. Toutefois, ajoute-t-il, « les vagues ayant un impact sur le système hospitalier devraient être de plus en plus rares ».
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Gare aux espoirs prématurés, cependant. « Si un variant émerge à l’automne prochain, ce scénario optimiste risque de faire des déçus. » Une perspective plus sombre, de fait, ne peut être totalement exclue : celle d’une évolution, de mutation en mutation, vers un virus plus hargneux et très transmissible. Le seul intérêt à pointer ce risque, note Antoine Flahault, c’est de permettre aux décideurs d’anticiper. Autrement dit, de déployer des dispositifs protecteurs. Puisque ce virus se transmet – l’a-t-on assez répété – par aérosols dans les milieux clos, l’enjeu est clair : il s’agit d’équiper les intérieurs fréquentés – écoles et universités, lieux de travail, magasins, lieux culturels… – en capteurs de CO2, en ventilateurs et en purificateurs d’air efficaces. Pour respirer, enfin.

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Florence Rosier
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Parviendrons-nous à signer un armistice avec le SARS-CoV-2 ? Ou bien l’arrivée de nouveaux variants ruinera-t-elle cet espoir ? Alors qu’à Chypre, des combinaisons entre Delta et Omicron semblent avoir été détectées, les experts se montrent d’un optimisme prudent. Une certitude : dans la course évolutive qui s’est engagée entre le virus et son hôte humain, la compétition s’avère âpre. Son moteur : l’adaptation, comme toujours. Parce que le champ de bataille est très changeant, les deux ennemis doivent continuellement ajuster leurs armes. D’un côté, le virus mute sans cesse pour s’adapter au développement de nos défenses immunitaires et aux changements de nos comportements. De l’autre, notre système immunitaire lance sans arrêt des contre-offensives, en réaction aux attaques du virus ou aux vaccins reçus.
« Il y a une énorme part de surprise dans l’apparition de nouveaux variants. On ne s’attendait à aucun des cinq variants préoccupants du SARS-CoV-2 », admet Etienne Simon-Lorière, virologue à l’Institut Pasteur. Trois types de variants préoccupants peuvent apparaître : des mutants plus transmissibles, plus virulents ou qui échappent à nos défenses immunitaires.
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Si, pour l’humanité, la barre est de plus en plus haute pour espérer atteindre une immunité collective, il en va de même pour le pouvoir de transmission des nouveaux variants. Mais cette course évolutive n’est pas infinie. « Pour le virus, l’espace des mutations à explorer est relativement contraint, en particulier dans la région de la protéine Spike, qui permet au virus d’ouvrir la serrure des cellules humaines », explique Etienne Decroly, virologue au CNRS (université Aix-Marseille).
Par ailleurs, « plus le temps passe, plus le délai d’apparition de variants plus contagieux s’allonge », car le niveau d’exigence augmente, estime Mircea Sofonea, épidémiologiste à l’université de Montpellier. C’est également vrai pour des variants plus virulents. De tels variants pourront apparaître, mais de plus en plus rarement. En revanche, « l’idée que des variants plus contagieux sont nécessairement moins virulents est une fable, estime-t-il. Il n’y a pas de contre-sélection entre ces deux caractères. »
Le précédent de la grippe H1N1
Certains experts sont confiants. « Omicron est si conquérant que je ne vois pas comment un autre, plus contagieux encore ou plus méchant pourrait émerger et prendre le dessus », estime Bruno Canard, virologue au CNRS (université Aix-Marseille).
Un optimisme que nuancent d’autres experts. « Il existe encore un risque d’émergence d’un variant plus virulent », estime Etienne Decroly. En particulier, souligne-t-il, les variants qui circulent aujourd’hui ne portent pas des mutations qui dopent l’affinité de la clé virus pour la serrure des cellules humaines. Si tel était le cas, leur virulence pourrait augmenter.
« L’évolution ne s’arrête jamais, sauf en cas d’éradication, souligne Florence Débarre, spécialiste de biologie évolutive au CNRS à Paris. En septembre [2021], quand le variant Delta régnait en maître, beaucoup pensaient que le prochain variant préoccupant descendrait de Delta. » Pourtant, Omicron a surgi, créant un raz-de-marée qui pourrait balayer Delta – même si, à terme, on ignore s’il deviendra hégémonique.
Autre type de variants : ceux qui esquivent nos défenses immunitaires. A mesure que la population sera de mieux en mieux immunisée, ceux-là pourront prendre l’avantage sur leurs cousins plus contagieux. « Ils pourront alors se répandre en se propageant dans le réservoir important de personnes déjà infectées ou vaccinées », relève Mircea Sofonea.
A cet égard, l’exemple de la grippe est éclairant. En 2009, une nouvelle souche de grippe H1N1 est apparue, provoquant une pandémie. Au cours des deux premières années qui ont suivi, ce virus grippal a acquis des mutations qui l’ont rendu plus transmissible. Mais ensuite, ses nouvelles mutations lui ont surtout permis d’échapper à nos défenses immunitaires, expliquait la revueScience le 19 août 2021.
La chance d’avoir affaire à un virus moins virulent
Examinons maintenant la généalogie d’Omicron, qui livre de précieuses leçons. « Omicron se branche très bas sur l’arbre évolutif du virus », explique Florence Débarre, spécialiste de biologie évolutive au CNRS, à Paris. En clair, ses ancêtres ont commencé à diverger du tronc de cet arbre dès le mois d’avril 2020. Selon l’hypothèse privilégiée, il aurait ensuite accumulé les mutations – plus de 50, un record – en se multipliant chez un patient souffrant d’immunodéficience sévère, donc ne parvenant pas à se débarrasser du virus. Infecté de façon chronique, ce patient aurait laissé au virus le temps – six mois – d’amonceler les erreurs en dupliquant son génome. Et de peaufiner des mutations favorables pour lui.
Ce processus n’est pas sans conséquence. « Avec Omicron, on est sur un mode d’émergence très différent, qui donne des variants beaucoup plus imprévisibles », estime Arnaud Fontanet. En conséquence, « l’émergence d’un nouvel Omicron est tout à fait possible », selon ce médecin épidémiologiste, directeur du département santé globale de l’Institut Pasteur. Le virus, en effet, n’a pas encore exploré tout le jeu des mutations qui lui permettraient d’être plus performant : en clair, de mieux se répandre.
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Encore avons-nous la chance, avec Omicron, d’avoir affaire à un virus moins virulent. En partie, sans doute, parce qu’il fait face à une population mieux immunisée ? Mais pas seulement. Omicron infecte beaucoup plus facilement les voies aériennes supérieures (nez, gorge) que les voies aériennes inférieures (poumons). D’où sa contagiosité accrue, d’une part : on expire plus de virus quand on est infecté par Omicron que par Delta. Et d’où sa moindre propension à provoquer des formes graves, d’autre part : nos poumons sont plus épargnés.
Mais cette chance pourrait ne pas durer. « Il n’est pas exclu qu’un nouveau variant très différent émerge, qui serait à la fois plus transmissible, tout en échappant au système immunitaire et en provoquant une maladie plus sévère », glisse Arnaud Fontanet. D’autant, ajoute-t-il, qu’il existe une autre source d’inquiétude : Omicron apparaît beaucoup plus adapté à des hôtes animaux (rongeurs, cervidés…). En théorie, « il pourrait donc infecter un hôte animal pour revenir chez l’homme sous une forme différente ».
La morale de l’histoire ? La prudence reste de mise. Même si l’impact des futures vagues sur les formes sévères de la maladie devrait progressivement s’estomper, se réjouissent tous les experts interrogés. Merci à nos défenses immunitaires.
Florence Rosier
Commentaires Dr Jean Scheffer:
Les avis concernant l’acquisition d’une immunité collective grâce à la vague Omicron sont partagés. Par exemple Françoise Costagliola était moins optimiste il y’a quelques jours (voir son interview ci-dessous
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