Le projet de la « Grande Sécu » ne doit pas déboucher sur un panier de soin à minima

« Le projet de « grande Sécu » ne doit pas cloisonner les difficultés de notre système de santé »

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Publié le 11 décembre 2021 à 06h00 

TRIBUNE

Carine Milcent

Chercheuse au CNRS, spécialiste des systèmes de santé, professeure associée à l’Ecole d’économie de Paris (PSE) et vice-présidente du conseil scientifique de l’Agence technique de l’information médicale (ATIH)

L’économiste Carine Milcent revient, dans une tribune au « Monde », sur tout ce qui n’a pas été débattu par le projet de « grande Sécu », et qui reste pourtant à débattre

Publié le 11 décembre 2021 à 06h00    Temps de Lecture 5 min. 

Tribune. Le projet de « grande Sécu » permettrait une avancée de l’égalité d’accès aux soins, c’est-à-dire une intégration complète de l’ensemble des patients, quels que soient leur condition de ressources et leur âge, dans le système de soins français. L’iniquité induite par la coexistence de deux systèmes de prise en charge – l’assurance-maladie obligatoire (AMO) d’une part, les assurances-maladie complémentaires (AMC) d’autre part ont déjà été largement débattues ces dernières semaines.

Le financement de la « grande Sécu » profiterait de l’économie des frais de gestion et de marketing, qui représentent de l’ordre de 20 % des primes collectées; faire de l’Etat le garant d’un accès aux soins pour tous serait un pas de plus dans le rapprochement entre l’Assurance-maladie et l’Etat entamé depuis 2004.

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Aujourd’hui, le débat se centre sur le rôle des assurances-maladie complémentaires (AMC). La question est certes importante, mais elle nous détourne d’une autre question au moins aussi importante : avons-nous la capacité de disposer d’une offre suffisante de soins pour accompagner cette « grande Sécu » ? Avec la « grande Sécu », les assurances privées de santé n’interviendraient en effet plus que sur les soins qui ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale.

Appauvrissement du panier de soins

Les assurances-maladie privées, dites alors supplémentaires (AMS), interviendraient ainsi sur un marché où il n’y aurait aucune intervention de l’Etat. L’accès aux soins serait donc d’autant plus égalitaire que le marché des AMS serait restreint. La taille du panier de soins couvert par l’assurance publique déterminerait par conséquent l’étendue de l’égalité de l’accès aux soins.

Or, la tendance actuelle est à l’appauvrissement du panier de soins. D’une part, le maillage des établissements hospitaliers se réduit, le nombre de lits diminue ; d’autre part, il y a une insuffisance chronique de médecins et de personnel médical non seulement dans les établissements de santé, mais également « en ville ».

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Cela nous amène à la question des dépassements d’honoraires, autant dans le secteur hospitalier et les cliniques que pour la médecine de ville. Il s’agit de savoir ce qu’impliquerait la « grande Sécu » sur les différents types de tarifs que peuvent proposer les praticiens. Aujourd’hui, l’AMO rembourse 70 % du tarif de base conventionné.

La question des dépassements

Le reste à charge du patient est 30 % du tarif de base conventionné, à quoi s’ajoute la différence entre le tarif du praticien et ce tarif de base. Cela reste transparent pour une très large majorité des Français, car cette part est prise en charge par leur complémentaire. Avec la « grande Sécu », qui prendra en charge ses dépassements ? Laisser le patient en assumer les dépenses introduirait de fortes inégalités d’accès aux soins dans un système qui se veut pourtant plus égalitaire.

De plus, les inégalités d’accès à une large couverture pour tous par l’AMC tiennent beaucoup aujourd’hui à l’abondement de cotisations apporté par les entreprises, au bénéfice des seuls salariés. Les entreprises ont depuis 2016 l’obligation d’abonder d’au moins 50 %, ce qui est bien plus que les 20 % d’économies potentielles sur les frais de gestion. Cet abondement est en fait une cotisation patronale déguisée.

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Il y a donc deux scenarios non évoqués par le projet « grande Sécu » : ou bien cet abondement n’ayant plus lieu d’être, ce serait alors un vrai cadeau de l’Etat aux entreprises ; ou bien les entreprises participeraient à l’effort national par une transformation de cet abondement en cotisation patronale supplémentaire…

La croyance en la pérennité du système

Une augmentation des cotisations est également à anticiper pour les salariés. En effet, les innovations en santé, dont les thérapies ciblées, permettent une prise en compte de plus en plus grande des spécificités des patients pour une meilleure prise en charge. Elles entraînent aussi des dépenses toujours plus importantes.

Si, aujourd’hui, la « grande Sécu » se trouverait autofinancée par les économies de frais de gestion, il est certain que, demain, cela devra passer par une augmentation des cotisations sociales pour financer une assiette de soins toujours plus élargie. Ce qui pose la question de l’acceptation d’une telle augmentation par les salariés : ceux qui paient majoritairement sont déjà les actifs, qui dépensent peu aujourd’hui mais représenteront un coût important demain. L’acceptation dépend donc de la croyance en la pérennité du système.

D’autant que le système vit aujourd’hui sur une vision très classique du salariat. Mais les possibilités offertes par le numérique font que les entreprises en appellent toujours plus au travail des indépendants, et s’extraient ainsi des contraintes d’embauche de salariés. De plus en plus d’actifs optent pour une activité indépendante.

Le coût des dépenses paramédicales

A ce jour, souscrire à une AMC n’est pas obligatoire pour les auto-entrepreneurs, et les autres indépendants doivent prendre à leur charge les cotisations sociales. Et les conditions de prise en charge différentes, notamment le délai de carence lors de congés maladie (40 jours, contre 3 jours pour les salariés). Le projet de « grande Sécu » ne règle pas cette question.

Le numérique transforme également l’offre de soins. La prise en charge des patients se tourne désormais résolument vers la médecine de ville. Les soins hospitaliers deviennent une étape d’un parcours de soins où le patient est largement pris en charge à domicile. Cette prise en charge assure certes un meilleur bien-être pour le patient, mais engendre aussi des coûts supplémentaires du fait du besoin d’accompagnement.

Le coût des dépenses paramédicales et des aidants est en train de devenir central dans notre système de santé. Parler de « grande Sécu » comme l’accès aux soins pour tous doit aborder la question du paiement des prestations des soins médico-sociaux. Quels soins seraient effectivement pris en charge par la « grande Sécu » ?

Un système de soins pour tous, mais a minima

Au-delà, la crise sanitaire a démontré l’importance de la santé publique et de la prévention. L’augmentation de mal-être des Français et le développement actuel des maladies mentales en est la preuve. Les actions de prévention menées dans le cadre scolaire ou par la médecine du travail devraient trouver un relais plus direct avec la « grande Sécu ».

Le fait que les propositions du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) en faveur de la « grande Sécu » aient été faites sans liaison avec le Haut conseil de la santé publique (HCSP) devrait porter à débat.

Le projet de « grande Sécu » pour une égalité d’accès pour tous ne doit pas cloisonner les difficultés de notre système de santé. Une telle partition aboutirait à un système de soins pour tous, mais a minima.

Carine Milcent(Chercheuse au CNRS, spécialiste des systèmes de santé, professeure associée à l’Ecole d’économie de Paris (PSE) et vice-présidente du conseil scientifique de l’Agence technique de l’information médicale (ATIH))

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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