« Chine et OMC : un roman de la mondialisation »

OMC : les vingt ans qui ont consacré la puissance économique de la Chine

Par  Frédéric Lemaître  (Pékin, correspondant)

Publié le 08 décembre 2021 à 01h16, mis à jour à 19h18

https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/12/08/omc-les-vingt-ans-qui-ont-consacre-la-puissance-de-la-chine_6105090_3234.html?xtor=EPR-33281080-%5Bmust_read%5D-20211210-%5Bplus-lus_titre_2%5D&M_BT=53496897516380

FACTUEL

« Chine et OMC : un roman de la mondialisation » (1/5).

Pays parmi les plus pauvres il y a un demi-siècle, la puissance asiatique devrait bientôt dépasser les Etats-Unis. Les Occidentaux pensaient que cette ouverture au monde s’accompagnerait d’une démocratisation. A tort.

Comment ne pas y voir un symbole ? Il y a exactement vingt ans, le 11 décembre 2001, la Chine devenait le 143e membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Loin de commémorer cet anniversaire, le président des Etats-Unis, Joe Biden, organise les 9 et 10 décembre un sommet des démocraties largement perçu comme « antichinois ».

Comment mieux illustrer le basculement du monde survenu ces vingt dernières années ? La Chine, un des pays les plus pauvres de la planète il y a moins d’un demi-siècle, est aujourd’hui perçue comme la principale menace par la première puissance mondiale.

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Au début du XXIe siècle, le produit intérieur brut (PIB) chinois par habitant était inférieur à 1 000 dollars (889 euros), trente-six fois moindre que son équivalent américain (36 334 dollars). Aujourd’hui, le premier atteint 10 500 dollars, et l’écart n’est plus que d’un à six. Autre comparaison édifiante : lorsque la Chine a adhéré à l’OMC, son poids économique était comparable à celui de la France. Aujourd’hui, elle pèse davantage que l’ensemble de la zone euro et devrait dépasser les Etats-Unis avant la fin de la décennie.

Résultat, alors que la démocratisation du pays espérée par les Occidentaux n’a pas eu lieu, la relation entre les deux premières puissances mondiales relève désormais moins de l’économie que de la géopolitique. Avec une conséquence majeure : pour les économistes, la coopération entre pays accroît la part du gâteau. Chacun peut y trouver son compte. En revanche, pour les experts en géopolitique, si un pays voit sa puissance s’accroître, c’est au détriment de ses rivaux. On ne souffle plus sur les bougies mais sur des braises.

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Personne, il y a vingt ans, n’avait prévu un tel développement, inédit dans l’histoire de l’humanité. Notant que, depuis 1978 et l’ouverture de son économie par Deng Xiaoping, la Chine se développait déjà à un bon rythme et attirait les investisseurs étrangers, l’économiste américain Nicholas Lardy, considéré comme un des meilleurs spécialistes de l’économie chinoise, s’interrogeait en mai 2001, dans une note de la Brookings Institution, sur l’intérêt pour la Chine d’adhérer à l’OMC : « Etant donné l’apparent succès de ce que l’on pourrait appeler l’intégration “light” [de l’économie chinoise], pourquoi les dirigeants [chinois] ont-ils décidé de supporter les coûts d’une ouverture bien plus profonde de leur économie au commerce et aux investissements internationaux ? » Car cette adhésion suppose, notamment, pour la Chine, de réduire drastiquement ses droits de douane et de cesser de soutenir ses entreprises publiques.

Volonté inébranlable des réformistes

Dans un rapport des Nations unies publié en novembre 2002, deux experts de Cambridge, Ajit S. Bhalla et Shufang Qiu, sont encore plus alarmistes. « Les bénéfices nets ne vont sans doute apparaître qu’à long terme. La Chine va faire face à d’énormes problèmes de restructuration de ses entreprises publiques, de ses banques, assurances et services financiers, entraînant des pertes d’emplois significatives. »

En Chine, le débat sur l’accession est d’une virulence aujourd’hui impensable. Fin 1997, des dirigeants d’entreprises publiques des secteurs supposés les plus menacés – l’automobile, l’agriculture, l’électronique, les télécommunications – et des responsables des régions les plus pauvres du pays signent une pétition demandant de repousser d’une dizaine d’années le processus d’adhésion. Après le bombardement par l’OTAN de l’ambassade de Chine en Serbie en mai 1999, Zhu Rongji, le premier ministre, est qualifié de « traître » pour ne pas avoir rompu les discussions avec Washington.

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Sans la volonté inébranlable de ce réformiste et celle de Jiang Zemin, à l’époque secrétaire du Parti communiste (PCC) et président de la République, Pékin ne serait sans doute pas allé au bout du processus. « La Chine était vraiment à la croisée des chemins. Le secteur privé n’en était qu’à ses débuts. Nombre d’entreprises publiques étaient inefficaces. Pour Zhu et pour les réformistes, adhérer à l’OMC était le seul moyen d’imposer à la Chine des réformes douloureuses mais nécessaires », se remémore Victor Gao, un diplomate qui a longtemps servi d’interprète d’anglais à Deng Xiaoping.

Signe de l’importance de l’enjeu, beaucoup de Chinois ne parlent pas de l’entrée de leur pays dans l’OMC mais « dans le monde ». Pour nombre de communistes et d’intellectuels, en adhérant à l’Organisation mondiale du commerce, la Chine allait une fois de plus être la proie des Occidentaux. « Pour eux, les loups étaient aux portes du pays », résume Victor Gao.

« C’est nous qui avons changé »

De leur côté, la plupart des Occidentaux misaient sur l’inéluctable démocratisation d’une Chine devenue riche. Paradoxalement, les attentats du 11 septembre 2001 ont peut-être servi d’accélérateur au processus. Deux mois après, la communauté internationale avait besoin d’un symbole fort. Et ce d’autant plus que la réunion des ministres du commerce des pays membres de l’OMC avait lieu dans un pays arabe.

Le 11 novembre 2001, après quinze ans de négociations, l’accord est enfin signé. Il entrera en vigueur un mois plus tard. La télévision chinoise lui consacre des émissions entières. Le marteau de commissaire-priseur utilisé par le président de séance Yousef Hussain Kamal, ministre des finances, de l’économie et du commerce du Qatar, ainsi que le stylo utilisé par Shi Guangsheng, le ministre chinois du commerce, figurent aujourd’hui en bonne place au Musée national de Pékin, place Tiananmen, au milieu des reliques du PCC.

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Dans son bureau de la tour Gateway, à l’est de Pékin, l’Allemand Jörg Wuttke, le président de la Chambre de commerce européenne en Chine, ne peut, rétrospectivement, s’empêcher de sourire. « Les Allemands ont une expression, “Wandel durch Handel”, qui signifie “changer grâce au commerce”. De fait, le changement a bien eu lieu. Mais, contrairement à ce que l’on prévoyait, c’est nous qui avons changé. Pas les Chinois. Désormais, on est comme eux : on parle de politique industrielle, de screening des investissements… »

Selon « Fortune », en 2020, 124 entreprises chinoises figuraient parmi les 500 premières groupes mondiaux. Elles sont désormais plus nombreuses que les nord-américaines (121)

M. Wuttke est partagé sur le bilan de ces vingt dernières années. « Il y a vingt ans, la chambre comptait 51 membres. Maintenant nous en avons 1 700. Sans l’OMC, jamais la Chine ne se serait réformée comme elle l’a fait. Mais on est passé d’une réforme à grands pas à une réforme à petits pas. Dans notre dernier document de position, nos groupes de travail font part de 930 recommandations. Un chiffre en augmentation. »

Présent en Chine, où il représente le chimiste allemand BASF, depuis un quart de siècle, Jörg Wuttke ne se plaint pas. C’est en Chine que le groupe possède son usine la plus rentable au monde. Pour BASF, la Chine est une success story, comme pour de nombreux groupes étrangers. La moitié de l’imposante tour Gateway est occupée par BMW. Il suffit de se promener en Chine pour constater l’omniprésence des groupes automobiles allemands et japonais, du luxe français, de Nike, Apple, McDonald’s, Starbucks, Decathlon, Ikea et de bien d’autres marques occidentales. En revanche, inutile de chercher une banque étrangère.

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« Dans le manufacturing, la Chine est même parfois plus ouverte que le Japon ou la Corée du Sud. En revanche, dans les services, le bilan est terrible. Les banques étrangères n’ont que 2 % du marché. Le danois Maersk, le géant du fret maritime, ne peut même pas acheminer un conteneur de Dalian à Shanghaï, alors que le chinois Cosco multiplie les acquisitions de ports en Europe », note M. Wuttke. Selon le magazine Fortune, en 2020, 124 entreprises chinoises figuraient parmi les 500 premières entreprises mondiales. Elles sont désormais plus nombreuses que les nord-américaines (121). Vingt ans plus tôt, elles n’étaient que dix.

Choc des reconversions atténué

Désormais premier ou deuxième partenaire commercial de dizaines de pays, la Chine est au cœur de l’économie mondiale, et la croissance spectaculaire de son économie a permis d’atténuer le choc des reconversions industrielles. « Deng Xiaoping a transformé les paysans chinois en ouvriers et Xi Jinping transforme les fils d’ouvriers en ingénieurs », notait récemment l’économiste David Goldman dans la revue Asia Times.

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En toute logique, la Chine aurait dû célébrer en grande pompe cet anniversaire qui, rétrospectivement, donne raison à ses anciens dirigeants. Et pourtant il n’en est rien. Dans un discours prononcé par vidéo lors de la foire aux importations de Shanghaï, début novembre, le président Xi Jinping s’est juste contenté d’indiquer que « la Chine respecte ses engagements sur tous les plans » et que « l’ouverture élargie de la Chine profite au monde entier ».

L’économiste Tu Xinquan, professeur à l’Université du commerce et de l’économie internationale de Pékin, précise : « Comme les Etats-Unis nous reprochent d’avoir tiré des avantages indus de notre adhésion à l’OMC, nous insistons moins qu’auparavant sur les bénéfices que celle-ci nous a apportés. Depuis quelques années, nos dirigeants préfèrent mettre l’accent sur les efforts accomplis par les Chinois. »

En fait, la lune de miel n’a pas duré très longtemps. Selon Jörg Wuttke, les premiers nuages sont apparus dès 2005. « Zhu Rongji a été remplacé par Wen Jiabao au poste de premier ministre en 2003. Autant le premier avait vraiment le feu sacré, autant le second était un gars normal. A partir de 2005, on a vu un changement s’opérer et les portes se refermer. Les Chinois ne se demandaient plus quelles promesses ils devaient tenir mais quels étaient leurs besoins. » Tu Xinquan, lui, fait remonter la défiance à la crise financière de 2008. « Cette crise a eu un impact significatif sur les Chinois. Les dirigeants et les universitaires ont compris qu’il ne fallait pas suivre aveuglément le modèle américain mais que la Chine pouvait avoir son propre modèle. »

Le fossé ne cesse de s’élargir

Avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping à la fin de 2012, la situation ne s’est guère améliorée. Le président chinois a eu beau marquer les esprits au Forum de Davos de 2017 en tressant les louanges de la mondialisation, nombre d’étrangers ont le sentiment que la Chine se referme peu à peu. Déjà, les « nouvelles routes de la soie », lancées par Xi Jinping en 2013, marquaient un tournant avec une Chine affichant clairement sa préférence pour des accords bilatéraux, souvent opaques et déséquilibrés.

Depuis cette décision, consécutive au « pivot vers l’Asie » de Barack Obama – la priorité donnée par Obama à l’Asie pour y contrecarrer l’influence chinoise –, le fossé ne cesse de s’élargir entre les partenaires d’hier. La décision des Etats-Unis puis de l’Union européenne, en 2016, de refuser à la Chine le statut d’économie de marché auquel elle aspire tant, les sanctions commerciales lancées par l’administration Trump à partir de 2017 suivies immédiatement de contre-sanctions chinoises, celles de Pékin contre l’Australie en 2020 et tout récemment contre la Lituanie, à chaque fois pour cause de désaccord politique, confirment que le multilatéralisme est passé de mode.

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« Vingt ans après son adhésion à l’OMC, l’image de la Chine dans la perception populaire est que ce qui était la plus grande success story du commerce international est devenu son plus grand défi », résume Henry Gao, un universitaire basé à Singapour, spécialiste de ces questions. Il y a vingt ans, la Chine craignait d’être la proie des loups occidentaux. Aujourd’hui, ce sont les Chinois qui sont perçus comme des loups combattants.Retrouvez tous les articles de notre série en cinq épisodes « Chine et OMC : un roman de la mondialisation »

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Voir plus Frédéric LemaîtrePékin, correspondant

En Chine, l’essor des infrastructures, un modèle menacé

Routes, lignes de chemins de fer et de métro, aéroports… Depuis vingt ans, la construction d’infrastructures accompagne et soutient le développement de la Chine. Mais l’explosion de la dette remet en cause ce modèle. 

Par Simon Leplâtre(Shanghaï, correspondance)Publié le 08 décembre 2021 à 19h00 – Mis à jour le 09 décembre 2021 à 12h04  

https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/12/08/en-chine-l-essor-des-infrastructures-un-modele-menace_6105222_3234.html

Temps de Lecture 5 min. 

Des trains à grande vitesse stationnent dans la gare de Nanjing, dans la province du Jiangsu, le 27 janvier 2021.
Des trains à grande vitesse stationnent dans la gare de Nanjing, dans la province du Jiangsu, le 27 janvier 2021. STR / AFP

Elon Musk ne tarit pas d’éloges à propos de la Chine. A l’occasion du centenaire du Parti communiste, le patron de Tesla tweetait, le 1er juillet : « La prospérité économique que la Chine a atteinte est vraiment remarquable, surtout dans les infrastructures. » Tesla en sait quelque chose : sa première Gigafactory hors des Etats-Unis a été construite à Shanghaï, en cent soixante-huit jours ouvrés. A peine dix mois entre la pose de la première pierre et la mise en route des chaînes de production, en octobre 2019.

Une prouesse industrielle, qui n’a pourtant rien d’exceptionnel en Chine. Quand un projet est identifié comme une priorité pour le pouvoir, tout peut aller très vite. Des hôpitaux de campagne bâtis en dix jours lors de la première vague de l’épidémie de Covid-19, début 2020, à la ligne de TGV la plus haute du monde pour relier la capitale du Tibet au réseau ferré national, en passant par sa couverture 5G, la Chine est fière de ses projets d’infrastructures, qui battent des records.

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Elle en a même fait son modèle de développement. Au cours des deux dernières décennies, ils ont accompagné, promu et soutenu le « miracle économique » national. Depuis 2010, Pékin a consacré l’équivalent de 8 % de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses d’infrastructures. En édifiant des autoroutes (10 000 kilomètres par an depuis 2011), des lignes de chemins de fer et de métro, ainsi que des aéroports (41 ont vu le jour ces cinq dernières années), la Chine a facilité les transports dans le pays et permis des gains de productivité importants. Une manière d’accélérer l’urbanisation galopante, passée de 36 % en 2000 à 64 % en 2020.

« Cela favorise l’innovation »

Dans le même temps, l’activité induite par ces constructions a soutenu la croissance économique, avec du travail pour des millions d’ouvriers, de la demande pour des industries lourdes (acier, ciment, charbon, verre), et plus technologiques, comme la fabrication de trains à grande vitesse. Un levier que Pékin a su actionner dans les périodes de ralentissement, comme après la crise financière de 2008.

Fin 2020, le pays comptait 37 900 kilomètres de lignes à grande vitesse, dont la moitié ont été construites ces cinq dernières années

La construction du réseau de train à grande vitesse en est l’exemple le plus frappant. Depuis l’entrée en service de la ligne Pékin-Tianjin, en 2008, la Chine a dépensé en moyenne 800 milliards de yuans (111 milliards d’euros) par an pour la grande vitesse. Fin 2020, le pays comptait 37 900 kilomètres de LGV, dont la moitié ont été construites ces cinq dernières années. Elles représentent les deux tiers du réseau mondial. En 2021, 3 700 kilomètres de plus devaient être inaugurés, soit, en un an, davantage que le total des lignes françaises en opération (2 800 kilomètres). « Le TGV promeut la croissance économique régionale. Il améliore l’efficacité des transports, permet de gagner du temps, renforce la valeur de l’immobilier. Et cela favorise l’innovation », s’enthousiasme Li Yuanfu, professeur d’ingénierie à l’université Jiaotong du Sud-Ouest, à Chengdu.

Wu Ye, 32 ans, apprécie ces améliorations : originaire du Hunan (centre), la jeune femme s’est installée en 2014 à Jiangmen, dans le Guangdong, en face de Hongkong, afin de cultiver des fruits du dragon (ou pitayas) et des ananas. « Pour choisir le verger, le plus important, c’était d’être bien raccordé au réseau routier. Il y a sept ans, on ne pouvait vendre que dans la province, mais maintenant les livraisons rapides par camions réfrigérés nous permettent de vendre beaucoup plus. Notre exploitation est passée d’un à quatre hectares. On vend aussi un peu par avion. » Depuis son arrivée, une première autoroute a été élargie, et une seconde a été construite. Pour rentrer dans sa famille une ou deux fois par an, Mme Wu fait huit heures de route avec son mari et ses deux enfants. Mais si elle est toute seule, elle peut emprunter le TGV : « Ça ne prend que trois heures et ça ne coûte que 300 yuans », se félicite-t-elle.

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Certaines infrastructures sont moins visibles. C’est le cas du réseau mobile, particulièrement efficace en Chine. Rares sont les villages à ne pas disposer d’une bonne couverture 4G, y compris dans les zones les plus reculées. Un point d’autant plus important que 99,1 % des internautes chinois se connectent par le biais de leur smartphone. En 2021, leur nombre devrait dépasser le milliard.

La rentabilité à court terme n’est pas l’objectif de Pékin

Sans surprise, le pays a également souhaité atteindre une couverture 5G nationale le plus rapidement possible. En août, le ministère de l’industrie recensait 993 000 stations, soit 95 % des contés couverts et 35 % des bourgs. Cela contribue au développement du commerce en ligne, ce qui fait le bonheur de Wu Ye : « Nous pouvons faire de la vente directe sur Taobao [plate-forme de vente d’Alibaba] et WeChat [réseau social de Tencent]. Aujourd’hui, la vente en ligne représente 40 % de nos revenus, et on peut vendre entre 10 et 18 yuans le kilo, contre seulement 2 à 6 yuans aux grossistes. »

Le développement par les infrastructures a toutefois ses limites. Seule la ligne à grande vitesse Pékin-Shanghaï est bénéficiaire, dix ans après sa mise en service. La rentabilité à court terme n’est certes pas l’objectif de Pékin, mais la taille de la dette pourrait finir par peser sur la croissance. Celle du China State Railway Group, la SNCF chinoise, atteint 5 500 milliards de yuans ; celle des gouvernements locaux, chargés d’assurer l’essentiel des projets, se montait à 53 000 milliards de yuans fin 2020 contre 16 000 en 2013, estime Goldman Sachs – soit 52 % du PIB.

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« Le risque est de se focaliser sur la création de croissance, et non de valeur. Tous les pays qui ont suivi ce modèle ont fini par le payer, avertit Michael Pettis, professeur de finance à l’université de Pékin. Le Brésil, qui a connu une croissance forte et saine dans les années 1960, a continué à construire des infrastructures moins utiles ensuite. La croissance s’est poursuivie, puis tout s’est effondré au début des années 1980. Le Japon est l’exemple le plus célèbre : dans les années 1980, il a maintenu un taux de croissance élevé en construisant des ponts et des routes qui ne menaient nulle part… Aujourd’hui, son taux d’endettement est astronomique et sa croissance très faible. »Retrouvez tous les articles de notre série en cinq épisodes « Chine et OMC : un roman de la mondialisation »

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Simon Leplâtre(Shanghaï, correspondance)

Foshan, la ville-usine chinoise qui rêvait de hautes technologies

Au cœur de la province méridionale du Guangdong, cette cité, qui a connu l’essor de l’industrie depuis les années 1980, cherche à se réinventer, en misant sur la robotique et l’hydrogène. 

Par Simon Leplâtre(envoyé spécial à Foshan)Publié le 09 décembre 2021 à 12h00 – Mis à jour le 09 décembre 2021 à 17h18  

Temps de Lecture 6 min. 

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Dans le quartier commerçant de Foshan (province chinoise du Guangdong), le 19 novembre 2021.
Dans le quartier commerçant de Foshan (province chinoise du Guangdong), le 19 novembre 2021. RAUL ARIANO POUR «LE MONDE»

Après des années à vendre des machines à souder à des usines de métallurgie à Nanhai, un district du nord de Foshan, ville industrielle du Guangdong (sud de la Chine), Zhao Liang a identifié un filon : il fixe désormais les mêmes outils de soudure sur des bras robotisés qui font le travail à la place des ouvriers, et vend le tout aux mêmes clients. « Beaucoup d’entreprises veulent remplacer les employés pour faire des économies, explique le trentenaire. Du temps de mes parents, l’avantage de la Chine, c’était d’avoir une main-d’œuvre abondante, pas chère, et prête à travailler très dur. Maintenant, il y a de moins en moins de jeunes, et ils ne veulent plus faire ce genre de boulot dans les usines », poursuit-il.

Lui-même originaire du Sichuan, une province pauvre du sud-ouest, il a émigré vers Foshan il y a douze ans pour chercher fortune dans la sidérurgie. A la tête de quatre employés dans sa PME fondée en 2019, le jeune homme au teint mat et à la chevelure épaisse, coiffée sur le côté, a connu une année 2020 excellente, malgré la pandémie de Covid-19. Il a pu s’acheter son premier appartement, dans une résidence construite quelques rues plus loin.

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Le quartier a beaucoup changé. « Avant, ici, c’étaient des champs, des marais, et quelques usines sidérurgiques. Foshan était connue pour le recyclage de l’acier. Aujourd’hui, la plupart des fonderies ont dû déménager. Mon père, qui travaillait dans le secteur, a perdu son emploi », décrit Zhao Liang. L’industrie lourde n’a plus la cote à Foshan, l’une de ces villes-usines gigantesques du Guangdong, la province qui fait face à Hongkong. A la place, la cité connue pour le textile, la céramique de salle de bains et le métal,souhaiterait monter en gamme.

La robotisation est encouragée et la recherche bénéficie de soutiens généreux du gouvernement local. Même le petit atelier de M. Liang, avec ses trois bras articulés jaunes, son établi et son petit bureau sombre où il sert le thé, est éligible à des subventions : « On est en train de faire enregistrer quelques brevets et, dans quelques mois, on pourra déposer notre candidature pour des aides. On peut espérer entre 50 000 et 500 000 yuans [entre 7 000 et 70 000 euros] pour une PME », souligne le jeune patron.

« On peine à recruter »

Vingt ans après l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, Foshan, grande ville industrielle mitoyenne de Canton, à l’ouest, conserve certaines de ses industries traditionnelles. Au sud se trouvent toujours les ateliers de textile, qui ont contribué au développement national grâce à leur main-d’œuvre bon marché. Dans des grands bâtiments de béton de quelques étages, des ouvriers plissent les yeux, penchés sur des machines à coudre. La moyenne d’âge paraît plutôt avancée et, faute de relève, les salaires augmentent : les ouvriers expérimentés gagnent entre 6 000 et 10 000 yuans par mois, plus que des jeunes cols blancs travaillant dans les immeubles modernes du centre-ville, mais au prix de semaines qui dépassent souvent les soixante heures.

Pour conserver sa compétitivité, Foshan entend développer ses industries de pointe. Outre les subventions aux entreprises innovantes, la municipalité cherche à créer des synergies

Dans un atelier, des ouvriers s’affairent sur de longues tables. Mesure, découpe, couture, empaquetage : une soixantaine de personnes confectionnent des tee-shirts et robes légères pour le marché occidental. Pas le moindre robot en vue. « Ce sont les ouvriers qui commandent dans cette industrie, tellement on peine à recruter, ose une jeune patronne d’une usine de textile. Les jeunes ne veulent plus travailler ici. Alors, même quand on a moins de commandes, on doit garder nos employés. » D’après de nombreux employeurs, le recrutement est devenu un casse-tête au Guangdong, alors que la population active a atteint son pic en 2010 en Chine. « Les ouvriers sont moins chers au Vietnam, par exemple. Je connais beaucoup de Chinois qui ouvrent des usines là-bas, mais c’est moins efficace. Ici, on a toute la chaîne de production. Cela nous permet d’être très réactifs », observe la trentenaire, longs cheveux lisses et sweat-shirt rose, venue de l’ouest du pays il y a trois ans.

Pour conserver sa compétitivité, Foshan entend développer ses industries de pointe. Outre les subventions aux entreprises innovantes, la municipalité cherche à créer des synergies. Les parcs industriels sont légion. Parmi eux figurent la « vallée des robots », du promoteur immobilier Country Garden, ou le « parc industriel de la production intelligente », de Midea, le leader chinois de l’électroménager, originaire de Foshan, connu pour avoir racheté le champion allemand de la robotique Kuka pour 4,5 milliards d’euros, en 2016.

Cette année-là, Midea déclarait 1,33 milliard de yuans de subventions. En 2015, la Chine, premier marché pour les automates, s’était fixé pour objectif de produire 50 % de ses robots industriels à l’horizon 2020, et 70 % avant 2025. Fin 2020, les robots chinois ne représentaient toutefois que 39 % du marché et ce, en dépit des subventions qui inondent le secteur, d’après une étude de la société d’étude de marché Shenzhen Gaogong Industry Research.

Lin Junfeng, président de l’association de l’industrie de l’hydrogène de Foshan, dans son bureau à Foshan (province chinoise du Guangdong), le 19 novembre 2021. RAUL ARIANO POUR «LE MONDE»

Des paris sur la durée

Si la demande pour les robots industriels explose, Foshan fait aussi des paris sur la durée, comme avec sa « vallée de l’hydrogène », située au nord-ouest de la ville. Deux grands bâtiments d’une dizaine d’étages chacun viennent de sortir de terre. Le premier abritera le Foshan Xianhu Laboratory, que la municipalité a doté d’un budget de 1,5 milliard de yuans.

Dans un petit bureau situé en face du chantier, M. Xue le directeur du laboratoire, espère emménager au printemps 2022 et faire travailler, à terme, plus de 300 chercheurs des meilleures universités du pays. Pour l’heure, l’essentiel de la recherche a lieu à l’université des technologies de Wuhan, l’institution partenaire de la « vallée de l’hydrogène ». « Le laboratoire devrait travailler sur toute la chaîne : génération, stockage, transport et utilisation », promet M. Xue , qui espère collaborer avec la centaine d’entreprises du secteur déjà présentes à Foshan, et attirer des investisseurs en quête d’innovations.

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A une centaine de mètres du futur laboratoire, un bâtiment circulaire entourant un parc accueille déjà quelques entreprises. Dans des grandes salles immaculées au sol couvert d’une peinture verte, des grosses machines font passer sous leurs capteurs les plaques bipolaires, des éléments cruciaux dans le fonctionnement de la pile à combustible. Les chercheurs de Kunlong Hydrogen Fuel, entreprise sise à Shenzhen, travaillent sur des détails, comme s’assurer que la colle sur l’une des plaques est parfaitement déposée pour assurer l’herméticité des pièces. Les machines de cette start-up née en 2014 sont destinées aux chaînes de production de ces piles du futur.

Certes, Foshan a encore du chemin à parcourir : la plupart des entreprises impliquées viennent de Shanghaï, Shenzhen ou Wuhan. « Foshan n’a pas d’entreprises de pointe, mais c’est l’une des villes qui utilisent le plus de véhicules à hydrogène en Chine. Nous avons 1 000 bus à hydrogène en circulation. Il y a une vraie volonté de faire naître un écosystème », remarque Lin Junfeng, président de l’association de l’hydrogène de Foshan. Les rêves d’énergie propre trouvent ici un écho favorable : loin des zones industrielles poussiéreuses de la ville, la « vallée de l’hydrogène » est installée au bord du lac Xianhu, entouré de villas confortables et d’espaces verts.Retrouvez tous les articles de notre série en cinq épisodes « Chine et OMC : un roman de la mondialisation »

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Simon Leplâtre(envoyé spécial à Foshan)

« Malheureusement, en économie, la Chine n’a plus de modèle à suivre »

Dans un entretien au « Monde », Tu Xinquan, professeur à l’Institut chinois pour les études sur l’OMC, explique que le temps où l’empire du Milieu considérait les Occidentaux avec envie est révolu. 

Propos recueillis par Frédéric Lemaître(Pékin, correspondant)Publié le 09 décembre 2021 à 10h00  

Temps de Lecture 8 min. 

https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/12/09/malheureusement-en-economie-la-chine-n-a-plus-de-modele-a-suivre_6105297_3234.html

Tu Xinquan (à l’écran) en visioconférence lors du Forum économique de l’Est, à l’université fédérale d’Extrême-Orient, à Vladivostok, le 2 septembre 2021.
Tu Xinquan (à l’écran) en visioconférence lors du Forum économique de l’Est, à l’université fédérale d’Extrême-Orient, à Vladivostok, le 2 septembre 2021. SERGEI FADEICHEV / SERGEI FADEICHEV/TASS VIA REUTER

Pour Tu Xinquan, doyen et professeur à l’Institut chinois pour les études sur l’OMC au sein de l’Université du commerce et de l’économie internationale de Pékin, la crise financière de 2008 a rebattu les cartes, en faisant prendre conscience à la Chine qu’elle ne devait pas suivre aveuglément les Etats-Unis.

Pour les Occidentaux, la Chine a énormément tiré profit de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce. Est-ce aussi le point de vue des Chinois ?

Pour nous, universitaires, l’adhésion à l’OMC a marqué un tournant décisif de l’ouverture et du développement de la Chine. Cependant, comme les Etats-Unis nous reprochent d’en avoir tiré des avantages indus, nous insistons moins qu’auparavant sur les bénéfices qu’elle nous a apportés. Nos dirigeants préfèrent mettre l’accent sur les efforts que nous avons accomplis.

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Au moins l’OMC permet-elle d’avoir une concurrence équitable. Aujourd’hui, il est clair que la Chine est le pays qui en a le plus profité. Pourtant, en 2001, elle est le seul Etat qui a dû faire des concessions pour la rejoindre, et cela a bénéficié aux autres pays.

Ne vous attendiez-vous pas à un tel résultat ?

Non, certainement pas. Beaucoup de Chinois craignaient une explosion du chômage. Nous étions très inquiets. En fait, la performance de la Chine a été bien meilleure que ne l’anticipaient les prévisions les plus optimismes. C’est le charme de l’économie de marché et de sa fameuse main invisible.

La Chine a-t-elle gagné contre le reste du monde ?

La situation est plus complexe. Toute compétition crée des gagnants et des perdants. Parmi les perdants figure le Mexique, dont les produits ont été concurrencés par le « made in China » sur le marché nord-américain. Les Etats-Unis, eux, n’ont pas beaucoup perdu, car il y a une intégration verticale entre ce qu’ils produisent et ce qu’offre la Chine. Les deux pays sont davantage complémentaires que concurrents. La compétition entre leurs économies est bien plus large. Elle ne concerne pas certains produits spécifiques.

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La Chine concurrence surtout des pays en développement, parce que, comme eux, elle vise à exporter dans les Etats développés et a été capable d’attirer des investissements étrangers dont d’autres auraient pu jouir le cas échéant. Si son succès pose un vrai défi au reste du monde, c’est surtout en raison de la taille du pays. La population est presque deux fois plus importante que celle du G7. Son développement bouleverse le reste du monde, c’est un fait.

Toutefois, elle fournit aussi de nombreuses occasions d’investissement. Elle est le deuxième importateur au monde. Son intégration progressive dans l’économie mondiale à partir de 1992 a largement contribué à la croissance de celle-ci et à la faible inflation qui l’a accompagnée pendant près de deux décennies. Les consommateurs américains ont ainsi bénéficié d’importations bon marché en provenance de Chine. Mais la redistribution des gains de productivité a été inégale et il y a eu des perdants.

Les Occidentaux reprochent à la Chine de ne pas avoir respecté les engagements pris au moment de l’adhésion. Que répondez-vous ?

Pour la Chine, ces engagements ont été respectés. Elle l’a dit en 2010. Elle devait diminuer les droits de douane et introduire de nouvelles lois, ce qu’elle a fait. Pourtant, depuis, le débat se poursuit. Précisons d’emblée qu’aucun membre de l’OMC n’est parfait. Sinon, pourquoi aurait-on créé un organe spécialement chargé de régler les différends ? Par ailleurs, ses règles sont parfois lacunaires ou sujettes à interprétation.

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Prenons les transferts de technologie : aucune loi en Chine n’exige de tels transferts. Les Occidentaux affirment que ce sont leurs partenaires chinois qui les leur imposent. Mais l’OMC ne s’occupe que des Etats, pas des entreprises même publiques. De mon point de vue, ce n’est pas un sujet majeur. Si une entreprise chinoise impose trop de transfert à une société étrangère, pourquoi celle-ci ne fait-elle pas jouer la concurrence en allant voir ailleurs ? Surtout, vous remarquerez que les entreprises chinoises les plus innovantes, comme Huawei, sont des entreprises privées qui ne sont même pas autorisées à s’associer à des firmes étrangères. Donc leur succès ne repose absolument pas sur les transferts de technologie.

Quels sont les sujets majeurs, selon vous ?

J’en vois trois. Le premier est la protection des droits de propriété intellectuelle. Pendant longtemps, le gouvernement chinois n’y a pas consacré assez d’attention. Depuis quelques années, la situation s’améliore, notamment parce que les entreprises chinoises sont de plus en plus innovantes.

Le deuxième porte sur l’ouverture des services. Les règles de l’OMC sont très insuffisantes en la matière. Elles concernent l’ouverture des marchés, mais ne disent rien de leur régulation. Or il y a toujours moyen, pour un pays, de favoriser ses acteurs nationaux. D’ailleurs, partout dans le monde, l’ouverture à la concurrence internationale des services financiers ou de télécommunication est moindre que celle des biens manufacturés. On ne peut pas dire que la Chine n’honore pas ses engagements, car l’OMC n’a pas de règle dans ce domaine. Néanmoins, il est vrai que les entreprises étrangères dans les secteurs de la finance, de la santé et du juridique ont des difficultés à s’implanter en Chine, la régulation y étant complexe.

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Le troisième sujet, le plus controversé, est lié aux entreprises publiques : les SOE [pour State-Owned Enterprises]. Selon l’OMC, elles ne doivent pas être avantagées en termes de concurrence commerciale. Le problème est qu’il n’existe pas de définition des SOE ni de la concurrence commerciale. Il s’agit juste d’un souhait des membres de l’OMC. Pour la Chine, l’important est qu’elles fonctionnent conformément aux lois du marché, même s’il y a des exceptions. Or les étrangers accordent beaucoup d’importance à ces exceptions. Ainsi, un problème créé par une SOE qui peut sembler mineur à l’échelle de la Chine peut devenir majeur pour un petit pays. Par ailleurs, les SOE ne représentent plus que 25 % du produit intérieur brut (PIB) chinois. Cela reste important, mais l’économie nationale est de plus en plus une économie de marché.

Justement, beaucoup se demandent en Occident si la Chine veut vraiment devenir une économie de marché. Est-ce le cas ?

Il y a un avant et un après-2008. La crise financière a eu un impact sensible sur les Chinois. Les dirigeants et les universitaires ont compris qu’il ne fallait pas suivre aveuglément le modèle américain et que la Chine pouvait avoir son propre modèle. Il y a eu alors un ralentissement de la transformation du pays vers l’économie de marché. Cela a duré jusqu’en 2012-2013. A cette époque, des problèmes sont apparus et la croissance a décéléré. C’est ce que nous avons appelé « la nouvelle normalité ».

En 2013, le 3e plénum du 18e congrès [du Parti communiste] a pris une orientation économique très libérale, mais la mise en œuvre n’a pas été adéquate, notamment parce qu’il n’y avait pas suffisamment de pressions extérieures. Aux Etats-Unis, Barack Obama commençait son second mandat, et les relations sino-américaines se sont détériorées. Les deux pays ont tenté de conclure un traité sur les investissements, mais l’opinion publique américaine y était hostile, malgré les concessions chinoises. Obama a renoncé à l’imposer au Congrès.

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Les pressions extérieures sont importantes pour que la Chine libéralise son économie. Au fil des années, si les économistes continuent de penser que l’économie de marché est le meilleur moyen d’assurer la croissance de l’économie chinoise, les dirigeants attachent de plus en plus d’importance à la sécurité, et donc au contrôle public. Certains perçoivent même l’économie de marché comme un ennemi. Ils voient bien les difficultés sociales que rencontrent les Occidentaux. Ni le Japon, qui n’a pas connu de croissance pendant trente ans, ni les Etats-Unis, capables de porter à leur tête un Donald Trump, ne représentent plus un modèle.

En réalité, nous croyons de plus en plus que le modèle chinois de l’économie de marché est le meilleur. Les Occidentaux ne parviennent plus à nous convaincre du contraire. Le temps où nous les considérions avec envie est révolu. Désormais, nous les regardons d’égal à égal. A titre personnel, je pense que nous avons besoin de davantage de libéralisme, et que le poids de l’Etat dans l’économie reste trop fort. Mais, malheureusement, nous n’avons plus de modèle à suivre.

Est-ce à dire que la Chine va se refermer ?

La Chine a demandé à adhérer au CPTPP [pour Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership], ce grand accord commercial qui lie 11 pays bordant le Pacifique. Cela prouve que nous avons encore foi dans l’économie de marché et que nous reconnaissons le besoin de stimuli extérieurs. Nous le faisons parce que c’est notre intérêt, et non sous la pression des Etats-Unis. Les SOE vont encore poser problème, mais là non plus, il n’y a pas de règle claire à leur propos au sein du CPTPP.

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Les GAFA [Google Amazon, Facebook et Apple], qui n’opèrent pas comme des sociétés commerciales classiques, prouvent que la question des monopoles et des abus de position dominante ne concernent pas que les entreprises publiques. En vérité, le problème est politique.

Si les pays qui ont conclu le CPTPP veulent que la Chine y adhère, ils trouveront une solution. Sinon, ils établiront une telle liste de conditions préalables que l’adhésion sera presque impossible. Je ne suis pas très optimiste, du moins à court terme. Il y a trop de tensions avec le Japon, le Canada et l’Australie. Au moins cela nous servira-t-il de point de référence pour promouvoir les réformes au niveau intérieur.

A l’OMC, la Chine bénéficie encore du statut plus favorable de pays en développement. Est-ce justifié ?

Il n’y a pas de définition, à l’OMC, de ce qu’est un pays en développement. Il revient à chaque pays de définir ce qu’il est et personne n’entend changer cette règle. Le gouvernement chinois ne souhaite pas que la Chine soit considérée comme un pays développé car, si tel était le cas, de nombreux Chinois risqueraient de se plaindre : « Quoi, nous sommes un pays développé et je gagne si peu ? »

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De surcroît, sur le plan international, la Chine s’est toujours vue comme le porte-parole des pays en voie de développement. Changer de catégorie à l’OMC constituerait un virage majeur de la diplomatie chinoise. En outre, êtes-vous sûr que les pays développés perçoivent la Chine comme l’un des leurs ? Notre PIB par habitant reste trois fois inférieur à celui de la Corée du Sud. En fait, la Chine n’appartient à aucun groupe. Elle est à part. Ce qu’elle pourrait faire, c’est continuer à se considérer comme un pays en développement sans exiger d’avantages particuliers liés à ce statut. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait au sein de l’OMC en 2013, lors de la négociation de l’accord sur la facilitation des échanges, puis en 2015, avec l’extension de l’accord sur les technologies de l’information.Retrouvez tous les articles de notre série en cinq épisodes « Chine et OMC : un roman de la mondialisation »

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Frédéric Lemaître(Pékin, correspondant)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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