L’hôpital de Brive engage des comédiens pour jouer de faux malades, les soignants en colère
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À l’hôpital de Brive (Corrèze), la direction a mis en place une expérience consistant à envoyer des comédiens, qui se font passer pour des patients, pour évaluer la prise en charge des malades par le personnel. Une idée mal accueillie par les équipes du centre hospitalier qui vient récemment de déclencher le plan blanc. De son côté, la direction assume le procédé.

En employant des comédiens afin de tester son personnel, l’hôpital de Brive espère obtenir la certification « Experts visiteurs » en juin 2022. | CAPTURE D’ÉCRAN GOOGLE STREET VIEW
Ouest-France avec NG Publié le 08/12/2021 à 11h41
Le procédé a du mal à passer auprès du personnel soignant de l’hôpital de Brive (Corrèze). Pour évaluer la prise en charge des patients, la direction a décidé d’employer des comédiens qui se font passer pour des malades dans six services de l’établissement, rapporte La Montagne, jeudi 2 décembre 2021.
La méthode, connue uniquement des médecins chefs de pôle et des cadres de service, a été mise au jour après l’intervention de l’un des acteurs dans le service psychiatrique du centre hospitalier. Le personnel a dû appeler la police pour savoir si une personne désorientée n’était pas recherchée, précise le journal local.
Les syndicats montent au créneau
De son côté, le personnel accueille d’un mauvais œil ce procédé à un moment où l’hôpital, dont le service des urgences est très sollicité, a déclenché le plan blanc le 20 novembre dernier. « C’est une perte de temps. C’est regrettable, lamentable, minable d’agir ainsi », a réagi le secrétaire de la section hôpital de Brive à la CFDT, Jean-Pierre Salès, interrogé par France Bleu Limousin.
« Faire ce genre d’enquête, caché, avec des comédiens, c’est très mal venu. C’est écœurant comme pratique. Que l’on fasse des enquêtes utiles à tous, pourquoi pas ! Mais d’une manière ouverte et officielle. On prévient », a déploré le responsable syndical auprès de la radio locale. « Il était prévu que ces acteurs reviennent en janvier-février. Le personnel ne souhaite pas qu’ils reviennent », a réagi pour sa part la CGT, cité par La Montagne.
La direction de l’hôpital assume
Pour la direction de l’hôpital, la méthode n’était pas vouée « à mettre en difficulté » le personnel. Michel Da Cunha, son directeur adjoint, a affirmé qu’il s’agissait d’une manière « moins technocratique » de tester les employés afin qu’ils puissent « s’améliorer », note France Bleu. Selon le responsable, « 90 % » des échanges entre les comédiens et les agents hospitaliers se sont bien passés.
Des acteurs pour tester les soignants : polémique à l’hôpital de Brive
Par Marion Jort le 07-12-2021

Deux acteurs, engagés par la direction du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde se sont fait passer pour des patients afin de vérifier le bon fonctionnement des services. L’un d’eux s’est dénoncé, son intervention ayant mal tourné.
La nouvelle a du mal à passer chez les soignants de l’hôpital de Brive-la-Gaillarde (Corrèze). La direction de l’établissement a décidé d’engager, le mois dernier, deux acteurs qui avaient pour mission de se faire passer pour des patients… afin de tester l’accueil de six services, rapporte le quotidien La Montagne. Seuls les médecins-chefs de pôle et les cadres de service étaient au courant de l’opération.
Si tout s’est déroulé comme prévu dans la majorité des services, en psychiatrie, le comédien a été démasqué. En se présentant à l’accueil, ce dernier aurait sur-joué son état. “Le patient ne jouait pas une personne égarée mais manifestait des troubles psychologiques sérieux pour ne pas dire sévères”, a raconté Jean-Pierre Salès, secrétaire de la section hôpital de Brive à la CFDT. Résultat ? Son passage a semé la zizanie dans les couloirs. “Un infirmier a dû venir au secours de la secrétaire. Puis un médecin a dû abréger sa consultation pour venir en aide à l’infirmier. C’est une perte de temps. C’est regrettable, lamentable, minable d’agir ainsi”, rapporte encore le syndicaliste. Finalement, les soignants ont dû contacter les forces de l’ordre afin de vérifier qu’il n’était pas un homme recherché. C’est en voyant la situation lui échapper que l’acteur a fini par avouer. Fuite d’une liste de personnels non vaccinés : l’hôpital de Guéret devant la justice
Jean-Pierre Salès, au micro de France Bleu, a vivement regretté cette démarche de la direction de l’hôpital, alors que le plan blanc vient d’être déclenché et que la situation sanitaire se dégrade jour après jour. De son côté, la direction assume l’expérience, arguant du fait que c’est une méthode “moins démocratique” pour obtenir la certification “experts visiteurs” l’an prochain. Une nouvelle expérience similaire devrait être menée début 2022.
À Brive, l’hôpital engage des acteurs pour évaluer le travail du personnel et la situation dégénère
Par Mathieu YerlePublié le 06/12/2021 à 16:42, mis à jour le 07/12/2021 à 17:07

Engagés par la direction du centre hospitalier, deux comédiens se sont fait passer pour des malades et ont arpenté les différents services pour en vérifier le bon fonctionnement. L’un d’eux s’est finalement dénoncé, alors que leur «scénario» tournait au fiasco.
C’est une bien mauvaise pièce qui s’est jouée plusieurs jours durant à l’hôpital de Brive-la-Gaillarde. Comme le révèlent nos confrères de La Montagne , la direction de l’établissement a engagé à la mi-novembre des comédiens, qui devaient se faire passer pour des patients, et ainsi vérifier la bonne prise en charge des malades par le personnel.
Seuls les chefs de pôles et les cadres de service étaient dans la confidence. Le procédé aurait pu durer encore quelques jours, si l’un des acteurs ne s’était lui-même dénoncé, dépassé par la situation ubuesque dans laquelle il se trouvait. Se faisant passer pour un homme égaré, il a rapidement semé la zizanie dans les couloirs, et créé un incident au service psychiatrie.
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Interrogé par France Bleu Limousin, le secrétaire de la section hôpital à la CFDT Jean-Pierre Salès ne décolère pas. «Le patient ne jouait pas une personne égarée mais manifestait des troubles psychologiques sérieux pour ne pas dire sévères. Un infirmier a dû venir au secours de la secrétaire. Puis un médecin a dû abréger sa consultation pour venir en aide à l’infirmier. C’est une perte de temps. C’est regrettable, lamentable, minable d’agir ainsi», explique-t-il.
Il s’indigne surtout du caractère sournois de la démarche. «C’est écœurant comme pratique. Que l’on fasse des enquêtes utiles à tous, pourquoi pas ! Mais d’une manière ouverte et officielle. On prévient.» Une affaire qui intervient alors que l’épidémie de Covid-19 repart de plus belle. «L’hôpital de Brive a déclenché le plan Blanc. Quand une période est compliquée et c’est le cas pour le personnel, on fait tout pour l’améliorer et on évite de rajouter de la tension», dénonce encore Jean-Pierre Salès.
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Un deuxième round en 2022 ?
Interrogé par la radio locale, le directeur de l’hôpital Michael De Cunha reconnaît qu’un acteur «a été trop loin», mais assume un procédé «moins technocratique», et une méthode «que l’on retrouve beaucoup dans le monde de l’entreprise.» Le cadre de santé explique à France Bleu que «ce programme a été mis en place pour auto-évaluer la prise en charge du patient avant la venue d’experts visiteurs en juin 2022 qui permettront au centre hospitalier d’obtenir la Certification 2020. C’est une obligation administrative. Le but n’était pas de mettre en difficulté les agents.» Voire.
Une vive polémique qui ne dissuade donc pas la direction de l’hôpital de poursuivre l’évaluation de ses services. Un procédé similaire sera sur la table lors du prochain Comité Technique d’Établissement, jeudi 9 décembre. Personnels et syndicats redoutent maintenant que l’expérience se répète en 2022. Et Jean-Pierre Salès de prévenir : «La majorité des soignants est écœurée. C’est un manque de confiance. La rupture est là. Il faut faire attention.»
Fake psychiatrie. Ou la comédie gorafique
BILLET DE BLOG 10 DÉC. 2021
Mathieu BellahsenPsychiatre
A Brive la Gaillarde la direction de l’hôpital et les médecins chefs font joujou pour le bon plaisir des petitesses de la haute autorité de santé et de ses procédures de certification.
Des comédiens se sont faits passer pour des patients. Comédie « gorafique » illustrant les mutations profondes d’où se légitime la fake psychiatrie.
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Mathieu BellahsenPsychiatreAbonné·e de Mediapart
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A Brive la Gaillarde, la direction de l’hôpital et les médecins-chefs font joujou pour le bon plaisir des petitesses de la haute autorité de santé et de ses procédures de certification. Pendant plusieurs jours, des comédiens se sont faits passer pour des patients dans les différentes structures de soin psychiatriques liées à cet hôpital. Rien de tel qu’un crash test pour savoir jusqu’où peut-on se permettre d’aller loin dans le règne de la perversion généralisée. Comédie « gorafique » illustrant les mutations profondes d’où se légitiment la fake psychiatrie.
Patient traceur, patient trashé
Revenons sur le contexte de la comédie, celui des procédures de certification dans les hôpitaux. Pour avoir son agrément et la totalité de son financement, les établissements de santé doivent être « certifiés ». Les certifications successives (dénommées auparavant accréditations) ont pour but de mettre en conformité une grille de critères édictés par la haute autorité de santé et les pratiques supposées « réelles » des établissements. Les normes iso de l’industrie ont été transposées aux soins pour le plus grand bonheur des lean managers. La place des certifications n’a fait qu’évoluer pour prendre toujours plus de temps aux soignants et de ressources aux hôpitaux. Les bullshits jobs se sont développés de façon incontrôlée – ingénieurs qualité, techniciens qualité et autres qualitologues – reconfigurant ce que les tutelles attendent des établissements de soin et ce que ces derniers imaginent de leurs missions centrales. L’activité de soigner est désormais moins importante que l’activité de tracer et de coder. Tracer les procédures de soins plutôt que de soigner. Coder les actes plutôt que de les faire et de les penser. Les établisssements devraient d’ailleurs être renommée « établissement de codés » ou « établissement de tracés ». Rien de santé dans tout cela.
Si le « contact tracing » est devenu à la mode avec le covid, depuis la certification « V3 » (V3 comme… Comme troisième version bien sûr) nous avions déjà le droit au « patient traceur ». Cette modalité « d’évaluation de la qualité des soins » questionne en direct le patient sur son parcours de soin, sur les informations qu’on lui a transmises, sur la recherche de son consentement et autres indicateurs. Cela permet ensuite de confronter ce qui est dit à ce qui est tracé dans les logiciels informatiques du dossier patient. Tous les établissements font maintenant « des patients traceurs ». Cette comédie dure depuis longtemps. Demander l’avis du patient pour fliquer les soignants oui. Demander l’avis du patient pour respecter ses droits et ses libertés fondamentales… Il ne faudrait tout de même pas exagérer.
Et en effet, tout le monde joue la comédie. Comédie dans les relevés d’information du dossier informatisé. On pourra tracer des choses qui n’ont pas été faites, il suffira de cocher les petites cases qui vont bien. Par exemple, les logiciels informatiques disposent de cases « consentement aux soins », « balance bénéfice risque ». Cochez cette case sans même parler au patient et le tour est joué! Vous aurez les bons points des experts visiteurs.
Experts visitueurs
Mais qui sont ces experts visiteurs? Quel est le profil psychologique de ces sombres personnages, bras armés de l’hégémonie du bureaucratisme néolibéral ? Quel peut donc bien être le désir présidant au fait de devenir expert visiteur ? Se lève-t-on un matin en ayant une révélation tombée de la Haute Autorité du Désir de Soin Meurtrie ? Quelle est la configuration psychologique et anthropologique de ces agents du pouvoir mortifère ? Les experts visiteurs sont des soignants, des médecins, des infirmiers, des cadres infirmiers et des directeurs. Plus ou moins en ativité, plus ou moins retraités. Intermittents du soin, et encore.
Ces surmois sur patte arrivent dans les établissements avec leurs bons sentiments, empreints d’une petite jouissance sadique qu’ils méconnaissent bien souvent. En plus des émoluments versés par la has, ils ont une prime narcissique. Ils sont reconnus, on leur fait des courbettes aux experts visiteurs quand ils arrivent dans les établissements. On cherche leur approbation, on tente de leur expliquer, ce qu’on fait on les flatte, on s’intéresse à eux. Comédie stupide.
En fait, la comédie elle commence là. Le théâtre de marionnettes, ça fait longtemps qu’il a infiltré les établissements de soin. Au final, quoi de plus normal que d’engager des vrais comédiens ? Quoi de plus normal que de payer des professionnels de la comédie? Ca change des amateurs. On aurait pu attendre que les comédiens soient engagés pour faire les experts visiteurs voire pour jouer le rôle de directeurs, de chefs de pôle complices et autres bouffons dans la farce certificatrice. Mais peut-être est-ce le cas ?Peut être qu’on ne s’en est pas rendu compte mais qu’on certain nombre de ces personnes sont des comédiens? Peut être qu’on nous fait grandeur nature un remake du true man show?
En tout cas, de ce que l’on sait pour le moment, les comédiens sont engagés pour faire les patients. Et là aussi c’est révélateur de l’imaginaire moribond actuel du « remplacement »… On remplace les patients par des acteurs parce qu’au fond, on se dit de plus en plus que les patients jouent la comédie. C’est souvent ce qu’on entend de la part de soignants excédés qui n’arrivent plus à penser le négatif du lien thérapeutique. Certaines situations nous excèdent. Et plutôt que de penser nos difficultés nous les projetons sur autrui. Parfois, la destructivité des troubles qu’expriment la personne est telle, la répétition de scenarii traumatiques est si profonde qu’une tentative désespérée pour mettre du sens à ce qui se passe est de penser que le patient fait exprès, qu’il joue la comédie, que c’est un manipulateur. Ce fantasme des patients manipulateurs indique les errances de la formation des professionnels du soin psychique, de l’intolérance croissante aux phénomènes mortifères dans les soins, aux saturations psychiques des professionnels rongés par des organisations de travail délétères.
Pas étonnant que ce fantasme en vogue soit acté dans la réalité à Brive la Gaillarde (et certainement ailleurs).
Ce qu’il faut entendre dans cette histoire c’est que les patients sont des comédiens. Qu’il convient de les démasquer pour les remettre sur le droit chemin de la normalisation.
Cette histoire de Brive La Gaillarde est digne de ce que Frédéric Lordon développe dans sa « critique de la raison gorafique ». La Gorafi est un journal en ligne satirique qui fait « comme si » tout en faisant pour de vrai… S’il est l’anagramme du Figaro, il est surtout l’envers du lien tordu entre les mots et les choses. Impossible désormais de faire la part du vrai et du faux, c’est l’inédit de la raison gorafique selon Lordon. Pour Brive la Gaillarde, il a d’ailleurs fallu que les médias précisent qu’il ne s’agissait pas d’une fake news…
Pourtant, cette histoire révèle le tournant pris depuis des années : celui de la fake psychiatrie. La fake psychiatrie se développe à mesure que ce ne sont plus les besoins des personnes troublées psychiquement qui organisent les soins mais les attentes des cérébrologues de laboratoire. Les cerveaux sont plus importants que les personnes, les données pour nourrir le big data sont plus désirées que le recouvrement de la santé pour les personnes. D’ailleurs quand vous allez dans certains hôpitaux de jour – centre expert de la fondation Fondamental – Institut Montaigne, on vous demande de signer votre consentement pour participer à des recherches et des études. Si vous refusez, vous n’êtes pas pris en charge… Drôle de conception du soin.
Fake psychiatrie cérébrologique donc.
Mais pas étonnant car la cérébrologie s’intéresse aux patients en tant qu’ils sont des producteurs de données pour le marché des plateformes et des applications. Cela ne laisse que peu de place à la fonction de soin, la fameuse activité de soigner comprise de le « iatros » de psych-iatrie.
La fake psychiatrie s’intéresse plus au fardeau pour la société et pour l’économie que représente les troubles psychiques que les poids existentiels des personnes. C’est ce que nous avons appelé le santé-mentalisme, la santé mentale a pour objectif de modeler des individus qui s’adaptent aux contraintes de la société néolibérale. Dans le même ordre d’idée, ou plutôt dans le même imaginaire cérébral, la neuro-économie (cette blague) part du postulat que les lois du cerveau et les lois du marché seraient superposables. Ainsi, les lois du marché nous en apprendrait sur le fonctionnement du cerveau et réciproquement… Les lois du cerveau nous enseigneraient sur les lois du marché.
Rien d’étonnant donc que dans le champ de « la santé mentale », cette neuro-économie fasse des petits. On neuro-économise l’activité de soin. C’est à dire qu’on fait l’économie – au sens de disparaître – des psychiatrisés. Les lois du marché éliminent les « cerveaux » récalcitrants. Neuro-comédie.
Cérébro-comédie
La fake psychiatrie a eu le droit à ses Assises en septembre dernier : « les Assises de la santé mentale » avec une tripotée de cérébrologues, les start up de France Biotech et le grand chef des armées du fake, le président Macron himself (ou him-faux-self). En somme, un comédien amateur en conclusion de ces Assises.
Cette pantalonnade officielle a été une belle comédie musicale portée par de nombreux figurants tout à leur bonheur d’être là. Pendant deux jours, tout a été fait pour ne pas aborder les sujets qui fâchent : la réforme de l’irresponsabilité pénale, l’arrivée de la tarification de l’activité en psychiatrie, la contention et l’isolement, le dépérissement de la psychiatrie publique provoquant toujours plus de contraintes pour les psychiatrisés et toujours plus de départs pour les soignants…
Dans ce contexte de bouffons, bientôt ne resteront à l’hôpital public que les pervers, les sadiques, les soumis et les cons. Quant aux patients ils n’iront qu’à jouer la comédie ailleurs… Le tragique de l’existence, c’est chiant.
Si la haine a des capacités créatrices foisonnantes et multiples, il est nécessaire d’y opposer la construction d’autres horizons, des perspectives « fake off ». En tenant là où l’on est, cliniquement, existentiellement. En luttant sur les scènes politiques et juridiques. A ce sujet, les Assises citoyennes des soins psychiques se tiendront en mars 2022.

« Au marché de Brive la Gaillarde », le new management se dévoile
Pierre Delion Psychiatre
9 décembre 2021
Dans Le Monde de ce 9 décembre 2021, un collectif de 670 médecins de l’APHP publie une lettre ouverte au président de la République pour lui rappeler ses engagements pris à Mulhouse en mars 2020, concernant le sort du service public hospitalier au sortir de la crise sanitaire. Non pas seulement pour lui dire que ce qui se passe désormais dans les hôpitaux n’est plus « sous contrôle » (novlangue utilisée par les technocrates de tous poils), puisque les directions sont obligées de fermer des lits par hémorragie cataclysmique de personnel médical, infirmier etc…, mais presque davantage pour redire que les déploiements toujours plus importants de personnel administratif chargé de surveiller, contrôler, pinailler, bloquer, enquiquiner les soignants, contribuent à empêcher objectivement la qualité et même la possibilité du soin selon les critères éthiques et techniques que seuls les soignants peuvent définir entre eux et avec les patients. On apprend à cette occasion que l’Allemagne a 30% de moins de personnel administratif que la France…
Les techniques du management actuel sont unanimement rejetées par les soignants, car ils ne supportent plus, viscéralement, l’idée que leur hôpital est une entreprise comme une autre, et que les méthodes manipulatrices, voire parfois quasi-esclavagistes, qui sont utilisées par les nouveaux directeurs dans celle-ci, sont en complet décalage avec les nécessités de celui-là.
La pandémie a démontré que les soignants soumis à des contraintes de réalité concernant le cœur de leur métier, sont parfaitement capables de s’organiser pour tirer le meilleur d’eux-mêmes, tant leurs premières préoccupations sont, bien sûr, de mieux soigner, mais en exigeant d’être bien traités, dignement et intelligemment.
Et voilà que le même jour, en lisant la presse, je découvre plusieurs articles faisant état de pratiques utilisées au Centre Hospitalier de Brive la Gaillarde, -oui, l’hôpital situé à côté du marché chanté par Brassens-, qui viennent exposer au grand jour les basses manipulations qui peuvent être agies par les acteurs de ce new management de sinistre mémoire[1]…
Je cite deux sources d’information différentes relatant le même scandale :
« Non ce n’est pas une « fake news », mais une invraisemblable et scandaleuse réalité. En pleine vague de Covid-19, alors que les services hospitaliers sont au bord de la rupture et que les personnels n’en peuvent plus, la direction du Centre hospitalier de Brive (Corrèze) a envoyé dans les services de l’établissement des acteurs jouer pendant dix jours les faux malades, pour tester la « qualité de l’accueil ».
La supercherie a été découverte quand l’un de ces « acteurs », simulant un patient schizophrène en crise, a longuement paralysé le fonctionnement d’un service de psychiatrie. Il a été contraint de se dévoiler par crainte de recevoir une injection afin de le calmer. Pendant que l’équipe soignante était mobilisée sur ce prétendu cas, d’autres patients, nécessitant elles et eux de réels soins urgents, attendaient dans un couloir.
La direction entendait ainsi préparer la « certification » de l’établissement, obtenue sur le modèle de l’entreprise privée, par la visite « d’experts visiteurs » jugeant la qualité des soins sur des « critères » technocratiques, ne prenant pas en compte les conditions réelles de travail dans l’établissement — par exemple le manque de personnel.
Si la direction de l’établissement est responsable de ces méthodes honteuses et doit rendre des comptes, elle n’a fait que s’inscrire, de manière caricaturale, dans les exigences du « management hospitalier » imposé par les gouvernements successifs depuis le plan Juppé de 1995.
Les directeurs sont désormais des « managers hospitaliers » jugés et notés sur leur capacité à soumettre le soin aux exigences de la productivité et de la rentabilité.
Au début du quinquennat, Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, avait proclamé : « L’hôpital entreprise, c’est fini ». Lors du « Ségur de la santé », son successeur Olivier Véran a lui aussi prétendu redonner du sens au soin face à une gestion purement administrative. Ce qui s’est passé à Brive montre qu’il n’en est rien.
Dans la réalité rien ne change, et les personnels écœurés et épuisés quittent l’hôpital.
En poursuivant la mobilisation, engagée le 4 décembre, il est temps d’en finir pour de bon avec l’hôpital entreprise, son mépris des personnels et des malades. »
Communiqué du NPA, Montreuil, le 9 décembre 2021
« Brive-la-Gaillarde, le 9 décembre 2021
Dans le but de préparer une future inspection qui doit aboutir à une certification, la direction du CH de Brive-la-Gaillarde a fait appel, fin novembre, à trois comédiens pour tester le personnel de six services… Elle avait néanmoins pris soin de mettre au courant les chefs de pôle et de services.
Un jeu qui manque de subtilités
Le stratagème a été découvert quand un comédien a lui-même dévoilé son identité, après avoir (sur)joué des troubles psychiatriques ayant conduit l’équipe à prescrire une injection de neuroleptique et à s’interroger sur la pertinence d’une hospitalisation sous contrainte. “Le patient ne jouait pas une personne égarée mais manifestait des troubles psychologiques sérieux pour ne pas dire sévères”, raconte Jean-Pierre Salès, secrétaire de la section hôpital de Brive à la CFDT. “Un infirmier a dû venir au secours de la secrétaire. Puis un médecin a dû abréger sa consultation pour venir en aide à l’infirmier. C’est une perte de temps. C’est regrettable, lamentable, minable d’agir ainsi” poursuit-il au micro de France Bleu.
Outre l’assez mauvais gout de ces méthodes peu orthodoxes, empruntées à certaines entreprises privées, la supercherie passe d’autant plus mal auprès des personnels que l’hôpital venait d’activer le niveau 2 de son plan blanc.
« Il y a vraiment une colère, j’ai rencontré certains agents qui m’ont dit qu’il y avait vraiment une rupture de confiance avec l’établissement » explique ainsi, à TF1, Marie-Laure Vaurie, responsable CFTC santé-sociaux.
De son côté, la direction de l’hôpital confirme l’expérience et parle d’un « épisode regrettable » et a promis la tenue prochaine d’une réunion, qui pourrait être houleuse, entre les représentants du personnel et la direction. Une expérience du même genre devait avoir lieu au mois de janvier et a été annulée… Errare humanum est, perseverare diabolicum… »
Journal International de Médecine, X.B.
On le voit clairement, rien n’est impossible lorsqu’une direction d’hôpital rompue au new management a décidé que, sous le prétexte d’une prochaine certification, les soignants ne pouvaient en aucun cas être des sujets de droit avec lesquels discuter des enjeux d’une visite d’inspection et des modalités à envisager pour qu’elle se passe conformément à une amélioration attendue de la qualité des soins (en admettant que ces visites d’accréditation puissent avoir un quelconque rapport avec l’amélioration des soins alors que nous savons tous qu’il s’agit d’une mise au pas des soignants selon des procédures aussi ineptes qu’inefficaces). En opérant de cette manière, les new managers considèrent les soignants comme des « ressources humaines » qui a priori ne font pas leur travail et qu’il faut traquer pour mettre en évidence leur incurie et leur mauvaise volonté. Mais comment faire ces investigations objectivement si les présumés coupables les voient venir avec leurs gros sabots ? Qu’à cela ne tienne ! il suffit d’embaucher des comédiens qui vont jouer le rôle de malades, et on verra bien comment ces soignants indignes de confiance vont se « comporter ».
Comment ne pas voir dans de tels procédés les avatars tardifs d’une prophétie foucaldienne sur la généralisation du panopticon ? Surveiller et punir est (re)devenu la technique de gouvernance des équipes soignantes, et in fine, de toutes les professions de la relation. De vastes mouvements des personnels du sanitaire, du médico-social et du social avaient pourtant réussi à dépasser ces mauvais souvenirs des organisations hyperhiérarchisées et régaliennes héritées des systèmes sociaux antérieurs, pour aboutir à des fonctionnements en équipe pluridisciplinaires dignes de ce nom, et dont les performances étaient bien meilleures à long terme. J’ai rencontré dans la plupart des spécialités médicales des équipes fonctionnant sur un modèle transversal (Guattari), où le patient était véritablement au centre des préoccupations des soignants, alors qu’aujourd’hui, avec ce dépérissement délibéré des valeurs humaines hospitalières, le patient est certes au centre des discours sur l’hôpital, mais ce discours est creux et vide de sens. Bref, « la république des faux-selfs » se déploie toujours plus, et se révèle à l’occasion de ces actes manqués qu’on n’aurait jamais imaginés possibles, tant ils disent tout haut le cynisme dont tous les soignants sont désormais les « objets ».
Je l’ai souvent dit ces derniers temps, ne nous indignons plus de ces techniques de manipulation dignes d’un autre régime (passé ou à venir), révoltons-nous pour en sortir « quoiqu’il en coûte », comme le dit un certain….
[1] Chapoutot, J., Libres d’obéir, le management du nazisme à aujourd’hui, Gallimard, Paris, 2020.
Un avis sur « Brive: experts visiteurs, patients acteurs, des méthodes de gestion d’entreprise en plein Covid qui passent mal. »