Dans les EHPAD « Oh ! Ça va être dur cette fois ! Qu’on nous laisse vivre libres ! »

Covid-19 : la tentation du reconfinement dans les Ehpad, face à la cinquième vague

Des familles s’inquiètent de voir certains établissements interdire de nouveau les visites. 

Par Béatrice JérômePublié hier à 11h12, mis à jour hier à 16h40  

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https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/08/covid-19-face-a-la-cinquieme-vague-la-tentation-du-reconfinement-dans-les-ehpad_6105165_3224.html

« Oh ! Ça va être dur cette fois ! Qu’on nous laisse vivre libres ! », a supplié André (le prénom a été changé) en apprenant, le 3 décembre, l’arrêt des visites. Comme tous les résidents de l’Ehpad de Malemort (Corrèze), André ne pourra pas recevoir ses proches avant le 17 décembre. Les portes resteront fermées pour « répondre aux règles qui s’appliquent dès lors que l’on a plus de trois cas de résidents ou personnels testés positifs au Covid-19 », indique la direction dans un courrier aux familles. « Quand j’ai mon père au téléphone, confie la fille d’André, Jeanne (le prénom a été changé), il me demande ce qu’il a fait de mal pour être de nouveau prisonnier ! Il est trois fois vacciné et négatif au Covid. J’enrage, dit-elle, de voir que la gestion de la pandémie en Ehpad n’a pas évolué depuis mars 2020 alors qu’on connaît les conséquences désastreuses de tels enfermements. »

La cinquième vague a jusqu’ici épargné les maisons de retraite. Effet d’une couverture vaccinale record : près de 93 % des résidents d’Ehpad et d’unités de soins de longue durée ont reçu deux injections. Plus de 58 % ont eu une dose de rappel, a indiqué Santé publique France, le 2 décembre. « La situation est stable et maîtrisée », observe Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, premier syndicat des Ehpad privés commerciaux.

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Cependant, les contaminations évoluent : 770 résidents d’Ehpad et patients en unités de soins de longue durée ont été testés positifs au Covid dans la semaine du 29 novembre au 5 décembre, indique le cabinet de Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l’autonomie. Ils étaient 320 du 8 au 15 novembre. Vingt-cinq résidents sont décédés du Covid la semaine du 29 novembre au 5 décembre ; une dizaine la semaine précédente.

« Citoyens à part entière »

Ces chiffres n’ont rien d’alarmant. Mais le secteur reste traumatisé par la tragédie des 34 300 morts recensés entre mars 2020 et mai 2021 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, au ministère de la santé.

Face à la menace, des Ehpad cèdent à la tentation de refermer leurs portes. En Gironde, dans le Territoire de Belfort, en Vendée, en Ardèche, en Mayenne, c’est le cas. Ou bien encore dans la Nièvre, où l’Ehpad de Luzy a suspendu les visites du 2 au 16 décembre, en raison de deux résidents et un salarié testés positifs. « J’applique les consignes de l’unité d’hygiène du groupement hospitalier de territoire de Nevers, explique Marie Voilliot, adjointe à la direction. J’entends la difficulté des familles et des résidents face à ces dispositions restrictives. A contrario, si nous ne prenons aucune mesure de protection et que le virus se propage, qu’elle serait la réaction des familles ? »

Les porte-parole de la profession affirment qu’il s’agit d’exceptions. « Les Ehpad ne sont pas dans la logique de fermer leurs portes », assure Marc Bourquin, au nom de la Fédération hospitalière de France. « Nous ne sommes pas dans une situation qui justifie un arrêt des visites même en cas de cluster », estime Mme Arnaiz-Maumé pour qui d’autres mesures peuvent être prises pour juguler des cas de Covid pour la plupart, souligne-t-elle, asymptomatiques. « Deux Ehpad par département qui ferment, cela peut paraître colossal mais 200 ramenés aux 7 000 établissements, c’est epsilonesque », calcule Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées.

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Le même fustige ces fermetures « inacceptables encouragées parfois par quelques ARS [agences régionales de santé] frileusesPersonne n’est confiné en France, donc il n’y a aucune raison de confiner les personnes âgées en maison de retraite, tonneM. Champvert. En outre ce n’est pas la position du gouvernement ».

Brigitte Bourguignon a rappelé sa ligne, le 26 novembre sur France Bleu. Refermer les Ehpad ? « Alors surtout pas !, a-t-elle protesté. Tout est fait pour que les résidents soient considérés comme des citoyens à part entière. Les règles de droit commun pour des établissements qui reçoivent du public sont les mêmes partout : passe sanitaire à l’entrée, masques à l’intérieur. Voilà ce qu’on va demander de manière pressante aux directeurs d’Ehpad mais jamais de refermer. »

« Flou artistique »

Les établissements qui ont interrompu les visites expliquent, pourtant, avoir agi en accord avec les ARS. « On a informé l’ARS Centre-Val-de-Loire de notre intention de fermer de manière temporaire, témoigne Thierry Mergnac, directeur de l’Ehpad de L’Ile-Bouchard (Indre-et-Loire), où les visites ont été suspendues le 27 novembre après la détection de onze cas de résidents positifs. L’ARS Bourgogne-Franche-Comté « a été informée et n’a pas démenti notre conduite à tenir », affirme le docteur Olivier Chanay, chef du service d’hygiène du groupement hospitalier de territoire de l’agglomération de Nevers qui a pris la décision de suspendre les visites à l’Ehpad de Luzy.

Sur son site Internet, l’Ehpad Emile-Gérard à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) indique : « Nous nous devons d’appliquer les recommandations adressées par les autorités sanitaires en la matière. » L’ ARS Ile-de-France « nous a recommandé de suspendre les visites pendant dix jours le temps de réaliser les tests », fait valoir Prisca Ombala, la directrice de l’établissement.

De son côté, l’ARS d’Ile-de-France renvoie au protocole ministériel du 10 août 2021, qui édicte les recommandations toujours en vigueur pour les Ehpad. Le document indique que « la détection de trois cas parmi les résidents ou les professionnels des établissements peut conduire la direction à mettre en place des mesures de protection complémentaires (…) jusqu’à ce que le cluster soit considéré comme maîtrisé ». La feuille de route n’interdit pas explicitement la suspension des visites.

Interrogé par Le Monde, le cabinet de Mme Bourguignon cisèle : « Dès lors que le virus est détecté en Ehpad, il est normal que les directeurs assurent la sécurité sanitaire de leurs résidents, en mettant en place des mesures de protection appropriées. » « On est dans un flou artistique, confie un bon connaisseur du secteur, entre les déclarations de principe au sommet et la réalité sur le terrain, car le curseur entre protéger et isoler est difficile à trouver. » 

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Ce grand éclat ouvre une brèche aux associations de familles qui s’y engouffrent pour dénoncer le retour à « l’isolement mortifère » des résidents. « On a tous les jours des exemples d’Ehpad qui reconfinent, s’alarme Laurence Tcheng, coanimatrice du Cercle des proches aidants en Ehpad. Avec le temps et la répétition, c’est insupportable », a déploré cette lanceuse d’alerte, le 30 novembre, lors d’un débat à l’Espace de réflexion éthique d’Ile-de-France. Lors de cette rencontre, Emmanuel Hirsch, président de l’Espace de réflexion, a retracé le traumatisme des confinements de 2020 : « On a rencontré tellement de familles qui nous ont dit : On aurait dû mettre le pied dans la porte”. » Face aux refus d’accueillir les proches en Ehpad et à l’hôpital, « il y a des choses qu’on n’acceptera plus. On ne restera pas, cette fois, passifs ni (…) dans la mollesse », a-t-il prévenu.

Béatrice Jérôme

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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