Crise à l’hôpital : à Valenciennes, la solution des médecins « entrepreneurs »
L’un des plus gros établissements de France a mis en place depuis plus de dix ans une gestion décentralisée. Une solution à la crise de l’hôpital ?
Durée : 4 min
Des infirmières se tiennent dans un couloir du service de soins intensifs pour les patients atteints de Covid-19 à l’hôpital de Valenciennes, le 6 avril 2021.
afp.com/DENIS CHARLET
Par Alexandra SavianaPublié le 19/11/2021 à 08:00
Le Dr Nabil Elbeki entre en coup de vent dans un bureau, téléphone collé à l’oreille. « Vous arrivez pendant une période musclée », souffle-t-il avant de terminer sa conversation. Dans un coin de la pièce, le Dr Hervé Bisiau, hoche sentencieusement la tête. « Après les retours de vacances, il y a toujours du mouvement », confie-t-il. Un quotidien intense, alors que le centre hospitalier de Valenciennes, où ils exercent, doit gérer l’après-pandémie. Les deux hommes ont d’autant moins le temps de souffler qu’ils occupent une fonction qui n’existe pas ailleurs dans l’Hexagone : celle de chefs de pôle.
Dans cet hôpital, ces médecins endossent d’importantes responsabilités administratives. Ils recrutent les personnels de leur pôle, gèrent les investissements et les dépenses – tant qu’ils sont inférieurs à 75 000 euros – et doivent veiller à l’équilibre budgétaire. « On est un peu devenus des entrepreneurs », s’amuse le Dr Elbeki, à la tête des départements urgences, réanimation, anesthésie et médecine polyvalente. Entre deux gorgées de café, le Dr Bisiau approuve : « On me dit souvent que je gère le laboratoire de l’hôpital comme si c’était le mien. Avoir cette gestion entre les mains, ça responsabilise ! »
Bonne santé financière
Depuis 2009 et la mise en place de sa gestion décentralisée en 14 pôles, Valenciennes affiche une santé financière suffisamment rare dans le paysage français pour être soulignée : l’hôpital, chaque année, soit est à l’équilibre, soit dégage 1 % à 2 % d’excédent. « Nous avons eu une diminution des coûts de structure : notre pôle administratif compte seulement 5 % de personnel non médical, contre plus de 33 % en moyenne dans les hôpitaux », glisse Rodolphe Bourret, le directeur de l’établissement. Le personnel encadrant de Valenciennes vante son amour des bilans comptables, tout en expliquant rester lucide sur leur intérêt. « C’est au bénéfice du soin. On essaie de ne pas gaspiller et d’aller au plus pertinent pour le patient, assure le Dr Elbeki. C’est ce que j’appelle de la gestion en bon père de famille.
Une efficacité reconnue par les habitants des environs. « 30 % de malades qui ne sont pas de notre bassin viennent parce qu’ils connaissent la qualité des soins », veut croire le Dr Elbeki. Depuis la mise en place de cette gestion décentralisée, l’hôpital a en effet doublé sa capacité, passant de 175 000 consultations par an à 350 000, et de 15 000 opérations à 35 000. « L’exigence de soin est là : on a été capable de mettre en place un service de chirurgie de la main en moins de trois mois, explique Rodolphe Bourret. Nous sommes plus rapides car les médecins sont à même de connaître les besoins de leurs pôles. » Comme dès les prémices de la pandémie du Covid, où l’hôpital de Valenciennes a réorganisé son service d’urgences. « On a compris qu’il fallait se préparer quand les premiers signaux d’alerte sont arrivés d’Italie, se souvient le Dr Elbeki. J’ai pu adapter mon service directement, sans passer par l’administration centrale. »
Des médecins managers
Ce fonctionnement a toutefois un prix : l’activité des chefs de pôle est souvent moins consacrée au médical qu’à l’administratif. Bien qu’épaulés par des cadres de santé devenus les « mini-DRH » de chaque secteur, les mandarins avouent que « 75 % à 80 % de leur quotidien » sont dévoués à la gestion. « Ce que tous les médecins ne sont pas prêts à faire, admet le Dr Hervé Bisiau. Quand il nous arrive de présenter notre modèle dans d’autres hôpitaux, certains collègues nous disent qu’ils ont choisi ce métier pour soigner, pas pour manager. Mais on peut faire les deux. » Le Dr Elbeki lève un index : « Tous ne sont pas forcément voués à devenir administrateurs : nous avons une dizaine de chefs de pôle pour 500 praticiens. Chez certains, le management est inné, quand d’autres doivent se former. » Des formations sur la base du volontariat ont d’ailleurs été mises en place avec des établissements du supérieur dans la région.
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Mais, en dépit de sa bonne santé financière, le centre hospitalier n’échappe pas à l’épuisement d’une partie de ses soignants, éprouvés par la crise sanitaire. Et si les chefs de pôles et les cadres de santé interrogés ne tarissent pas d’éloges sur le « modèle valenciennois », des voix dissonantes se font malgré tout entendre. Comme partout – 10 % des postes d’infirmiers sont désormais vacants dans l’Hexagone -, Valenciennes assiste à des départs du côté de son personnel paramédical. « Ils n’en peuvent plus », nous assure un représentant du syndicat Sud. Sur le même sujet
Dans son local situé un peu en marge de l’hôpital, le syndicaliste désigne une enveloppe qui trône sur son bureau. « La lettre de démission d’une aide-soignante. Elle part travailler à la chaîne chez Toyota. Elle ne supporte plus l’ambiance ici », confie-t-il. La faute, selon lui, à une « cadence infernale ». « Nous avons à déplorer des départs de paramédicaux », confirme le Dr Bisiau, qui avance néanmoins une explication plus circonstanciée : « Les gens sont épuisés par la crise sanitaire. » Pour y faire face, le pôle géré par le Dr Elbeki met d’ailleurs en place une mission qui doit travailler sur la qualité de vie au travail du personnel paramédical. De quoi réagir vite. « C’est aussi ça, la gestion par pôle », conclut-il.
Chapitre 19. Le Centre hospitalier de Valenciennes : un modèle de gestion autonome médicale décentralisée face à la crise
Rodolphe Bourret, Nabil El Beki
https://www.cairn.info/l-hopital-pendant-la-covid-19-innovations–9782376873891.htm
Dans L’hôpital pendant la Covid-19 : innovations, transformations et résilience (2020), pages 345 à 358
Introduction La délégation quasi exhaustive aux pôles
Le Centre Hospitalier de Valenciennes (CHV) est le plus grand hôpital non universitaire de France (avec 5 200 employés et un budget de 450 millions d’euros). Il est l’établissement support d’un Groupement Hospitalier de Territoire (GHT) des Hauts-de-France dans un bassin de population de 800 000 habitants présentant des critères sanitaires et sociaux dégradés. Depuis une dizaine d’années, les soignants de cet établissement bénéficient d’une autonomie managériale responsable. Ce modèle de management unique en France repose sur les dispositions de la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoire) de 2009. Il délègue aux chefs de pôles un périmètre d’action étendu en leur accordant une responsabilité de gestion et notamment le droit d’engager des dépenses, de recruter, donc de maîtriser et de gérer près de 90 % du budget de l’hôpital en proximité des besoins des patients. Les pôles médicaux, chirurgicaux et médicotechniques comptent chacun plusieurs centaines d’agents. Les pôles non soignants (administration générale et logistique) sont gérés par des chefs de pôles directeurs d’hôpital, marquant une égalité avec les chefs de pôles médecins ; il n’y a donc pas les administratifs d’un côté et les médecins de l’autre.
Le champ de délégation et donc le budget correspondant confié aux chefs de pôles et au trinôme qu’ils constituent avec un cadre gestionnaire et un cadre soignant concerne les ressources humaines, les dépenses à caractère médical, hôtelier… Outre ce niveau de délégation polaire important, la gestion des projets de l’établissement est très médicalisée de façon générale, ce qui se matérialise par la présence de médecins impliqués dans la vie institutionnelle à travers diverses commissions majeures, en lien avec la Communauté Médicale d’Établissement (CME)…
Le mode de gouvernance construit au CHV a abouti à une organisation souple qui a fait ses preuves, à travers son efficience, en simplifiant les circuits de décisions et en permettant un budget excédentaire depuis huit ans et un projet d’établissement centré sur le patient et l’offre de soins.
Cette organisation innovante, proche du concept « d’hôpital magnétique » développé aux États-Unis, n’a pas que des conséquences économiques, sanitaires et médico-sociales mais aussi sociologiques et psychologiques auprès des agents. Elle valorise tout le personnel, donne sens à sa mission, augmente l’engagement et lui donne des perspectives de développement professionnel.
19.1. Transformations organisationnelles et chronologie
19.1.1. L’épidémie dans le hainaut-cambrésis – territoire des hauts-de-france
La région Hauts-de-France a été la troisième région la plus touchée par l’épidémie de Covid-19 sur le territoire national. Le territoire du Hainaut-Cambrésis a été un cluster important de cette pandémie. Le CHV, établissement support du GHT de ce territoire, a coordonné l’ensemble de l’offre de soins dans les 12 établissements publics, les établissements privés et les libéraux. Il a mis en place sous l’égide de l’ARS une coordination des filières Covid-19 pour organiser notamment le maintien des capacités d’hospitalisation et de réanimation nécessaires à la prise en charge des patients.
Le nombre d’hospitalisations cumulées (schéma 1) de patients Covid-19 pour 100 000 habitants et le nombre de patients admis en lits critiques (schéma 2) [surveillance continue, soins intensifs, réanimation] pour 100 000 habitants, montrent que le CHV a eu un volume d’activité supérieur à la moyenne des établissements dans le département du Nord, dans la région Hauts-de-France et même en France.
Schéma 1

Schéma 2

L’épidémie dans le territoire valenciennois a été également plus « brutale » et s’est étalée plus longtemps du 9 mars à fin mai (schéma 3) que dans le département du Nord et dans la région des Hauts-de-France. Au pic de la pandémie, le CHV a accueilli près de 200 nouveaux patients par semaine dont plus de 40 en lits critiques. Le service de réanimation a dédié son activité à la prise en charge des patients Covid-19 dans un état très instable. Il a doublé son nombre de lits standards pour atteindre 42 lits. Pendant plusieurs semaines, du 24 mars au 15 avril, l’unité de réanimation a été à pleine capacité et proche de la saturation.
Schéma 3

Depuis le 9 mars, le nombre total de patients au CHV est de l’ordre de 2 000 personnes avec 25 % de prises en charge en unités de lits critiques.
19.1.2. L’organisation du chv face à la crise
L’organisation du CHV a été progressive. Elle n’a pas attendu l’activation du plan blanc le 15 mars 2020. La délégation polaire a laissé l’initiative aux chefs de pôles d’organiser l’arrivée de l’épidémie selon leur propre perception et leur expertise sur l’évolution de la maladie. Différentes mesures préventives ont été prises dès janvier 2020.
La transformation de l’établissement s’est cependant accélérée dès l’activation du plan blanc par le ministère des Solidarités et de la Santé. L’hôpital qui comporte plus de 2 000 lits a fermé 400 lits de spécialités médicales et chirurgicales pour ouvrir 200 lits Covid-19 d’hospitalisation et 80 lits critiques dont 42 lits en réanimation, doublant ainsi sa capacité d’accueil de lits critiques.
Ce dispositif exceptionnel a été mis en place dans un délai très court et avec une remarquable efficacité. Il a permis d’offrir à la population une réponse adaptée face à la dureté de cette crise sanitaire sans débordement, d’accueillir et de soigner tous les patients présents sans refus d’hospitalisation et cela avec une qualité remarquable des soins (dont témoigne le taux de mortalité faible enregistré en réanimation). L’organisation a également été adaptée pour poursuivre, parallèlement à l’accueil des patients Covid-19, la prise en charge des urgences sanitaires « ordinaires » et éviter la perte de chance des patients notamment atteints de maladies chroniques, fragiles et âgés. Le CHV a particulièrement veillé à la protection de ses 380 résidents en Établissements Hospitaliers pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD). Il ne déplore aucun décès dû à la Covid-19. La protection de l’ensemble des professionnels de santé engagés du CHV et de nos prestataires a également fait l’objet d’une attention extrême pour limiter le taux de contamination qui est resté à un niveau faible.
L’ensemble des agents du CHV tous secteurs confondus (médical, soignant, biologie, pharmacie, logistique, technique, administratif…) a fait preuve d’un engagement admirable, de courage, de détermination et de solidarité pour restructurer l’offre de soins dans l’établissement et sur le territoire.
Une des clés de la réussite au CHV, dans la gestion de cette crise sanitaire, réside dans « la culture » issue de la gestion médicale autonome et décentralisée. Ce modèle d’organisation exacerbe la délégation attribuée aux chefs de pôles médicaux, chirurgicaux et médicotechniques en favorisant l’autonomie managériale. Cette crise de la Covid-19 arrive donc dans un contexte de délégation polaire où chaque acteur maîtrise son rôle et son périmètre d’action.
19.2. Accompagnement managérial
19.2.1. Gestion institutionnelle de la crise
Le premier défi qu’il a fallu relever au plan institutionnel a été de réorienter complètement l’hôpital dans un contexte d’incertitude et de discontinuité des informations en notre possession. Sachant que nous devrions agir « au jour le jour », nous avons créé un mode de gouvernance avec une chaîne de commandement réduite en réinventant des repères, des rythmes, des capacités d’improvisation… afin de privilégier l’efficacité, l’innovation et la créativité.
Dans un premier temps, il a été nécessaire de bien connaître nos forces et nos faiblesses en tant que groupe d’individus. La direction générale et la présidence de CME ont désigné, sur les critères d’expérience et d’expertise, un nombre de personnes clés capables de faire face à cet événement avec solidarité, détermination et imagination. Nous avons retenu des profils pragmatiques et opérationnels qui ne s’inscrivent ni dans le consensus, ni dans une hiérarchie existante. La cellule de crise institutionnelle a été créée avec les individus identifiés le 15 mars 2020, date d’activation du plan blanc. Une lettre de mission cosignée par le directeur général et le président de la CME a été adressée aux membres cooptés de la cellule de crise pour légitimer leur action.
Pour éviter l’écueil de la conflictualité des acteurs – susceptible d’apparaître en période de tension –, nous avons retenu des individus capables de faire preuve d’exemplarité et d’engagement personnel, acceptant les décisions prises et aptes à les appliquer sans polémiquer. Le directeur général (R. Bourret) de l’établissement a piloté la cellule de crise institutionnelle en tandem avec le président de CME (Dr Meurisse) et pris toutes les décisions après avis de membres de la cellule de crise. Le rythme de réunion était quotidien mais ne nous a pas exonérés de nombreux échanges informels en « temps réel ». Ils ont facilité l’adaptation de la structure aux différents événements. Chaque décision, protocole et consigne a été consigné dans un espace partagé intranet, accessible aux personnels de l’établissement.
Pour donner du sens à nos actions et éviter toute perception de la situation qui aurait entraîné des inquiétudes voire des blocages, nous avons opté pour une communication sincère, transparente et positive. À cet effet, un bulletin d’informations quotidien a été diffusé à l’ensemble des médecins et de l’encadrement de l’établissement.
Cette information journalière a été élargie aux principaux acteurs du territoire : tutelles, élus, collectivités territoriales, préfet… Nous avons également veillé à informer notre population par l’intermédiaire des médias locaux par des articles de presse publiés tous les deux jours et les réseaux sociaux par des bulletins quotidiens afin de développer le climat de confiance vis-à-vis des actions de prévention et de soin déployées par notre établissement.
Comme évoqué plus haut, le CHV a coordonné la réponse sanitaire sur son territoire auprès des 12 établissements publics de son GHT et les établissements privés en proposant une stratégie de gestion des filières de médecine et de soins critiques (unités de soins continus, réanimation, soins de suites et de réadaptation). Les partenaires sanitaires ont ainsi bénéficié d’échanges et de prêts de matériels, de formations à l’hygiène et à l’infectiologie. Des équipes mixtes public-privé ont été constituées pour assurer la permanence des soins.
Le CHV a mis en place un recueil systématique quotidien dans un tableau Excel d’indicateurs de la crise permettant d’avoir une vision de l’activité de chacun des établissements du territoire et de leur niveau d’alerte. Ces indicateurs suivaient plus particulièrement par établissement le nombre de lits installés Covid-19 disponibles et occupés, leur type (réanimation, soins critiques, MCO adultes et enfants), le nombre de cas positifs avérés sur ces lits, le nombre de décès, le nombre de lits disponibles non Covid-19 en Médecine, Chirurgie et SSR ainsi que des commentaires généraux d’alertes.
Chaque établissement renseignait ce tableau tous les jours pour midi. Suite à ce recueil, des points quotidiens étaient réalisés pour permettre un pilotage territorial au plus près des besoins générés par la crise.
Des comités de pilotage du GHT Hainaut-Cambrésis ont été également organisés tous les quinze jours pour faire des bilans synthétiques de la situation sur le territoire.
Enfin, parce que c’est loin d’être anecdotique, le CHV a déployé massivement des solutions numériques en modifiant l’architecture technique et applicative de son Système d’Information Hospitalier pour rendre possibles les connexions à distance sur ses applications institutionnelles. Des formations accélérées ont été organisées pour, d’une part, faciliter le télétravail pour une partie du personnel et préserver la continuité de service malgré les mesures de confinement, et, d’autre part, le déploiement de la téléconsultation pour conserver un suivi et un support médical pour les malades chroniques, fragiles, âgés et isolés.
Applications et tablettes graphiques ont contribué à la permanence des soins et au maintien d’un lien social pour les malades confinés, au même titre que les visio-conférences ont autorisé des réunions sécurisées des professionnels de santé.
19.2.2. Gestion polaire de la crise
La décentralisation, élément majeur de notre mode d’organisation, est à l’origine de la gestion sereine de la crise. La gestion médicale autonome et décentralisée que nous utilisons au quotidien a évité tout formalisme excessif et lourdeur décisionnelle. En effet, les automatismes de prise de décisions au plus près du terrain sont « la normalité » pour les chefs de pôles depuis plusieurs années. Cela a favorisé la réactivité, l’adaptation mais aussi l’anticipation.
Ainsi, malgré le contexte de forte pression, l’établissement s’est transformé avec une surprenante agilité : nombreuses réorganisations de services, transformation de la permanence des soins, changements d’affectation de médecins et de soignants dans des disciplines inhabituelles, formations accélérées du personnel à de nouvelles pratiques…
Cette adaptabilité s’explique par le fait que les chefs de pôles sont habitués à la gestion de leurs projets et à la prise de décisions afférentes. C’est ainsi que cette crise épidémique n’a pas perturbé un fonctionnement institutionnel existant dans son modèle opératoire. Les chefs de pôles se sont appropriés la gestion de la crise selon leur expertise, leur domaine de compétence et le cadre institutionnel établi. Ils n’ont fait qu’adapter leur gestion aux priorités liées à la pandémie. Le principe de responsabilisation, intrinsèquement lié au processus de délégation polaire, a gardé tout son sens, même en période de crise, puisque chaque pôle a prouvé sa capacité à se réorganiser en interne de manière autonome, en accord avec la cellule de crise institutionnelle.
Les trinômes de pôles mais surtout les chefs de pôles se sont positionnés en manager au sein de leurs équipes, endossant la responsabilité des réorganisations, des fermetures puis des reprises d’activité et du soutien psychologique à leurs équipes. Ils ont mis en œuvre les directives nécessaires émanant des directions fonctionnelles (gestion des absences, des récupérations) en les déclinant en proximité sur le terrain. Ils ont su rassurer, motiver, remercier les équipes au contact des patients contaminés ou non, relayant les messages de la cellule de crise institutionnelle.
Pour exemple, le chef de pôle des soins critiques, le Dr El Beki, a choisi d’anticiper l’arrivée de la pandémie. Dès le mois de janvier 2020, quand les premiers cas de Covid-19 sont arrivés sur le territoire national, les équipes de soins critiques ont été sensibilisées sur l’afflux potentiellement massif de patients. Des scenarii de montée en charge ont été élaborés en amont. L’organisation des urgences et des soins critiques s’est déclinée en trois plans en lien avec les phases épidémiques du virus et les retours d’expérience européens et nationaux. L’objectif de ces différentes phases était de garantir la sécurité des patients et des professionnels par la différenciation des flux.
La première phase d’anticipation de l’arrivée de l’épidémie a démarré, à l’initiative du chef de pôle, dès le 24 février 2020. Elle permettait d’identifier et d’isoler les patients Covid-19suspect dès l’entrée du service des urgences avant même que nous ayons reçu, le 9 mars, le premier patient Covid-19. Lors de cette première phase, les processus organisationnels de l’établissement (urgences et soins critiques) ont été repensés en étroite collaboration avec l’Unité de Lutte contre les Infections Nosocomiales (ULIN), les infectiologues, la logistique et les différents services du pôle.
En parallèle, des sessions d’information quotidiennes ont été dispensées par l’équipe d’encadrement afin de préparer les professionnels aux précautions complémentaires d’hygiène et aux organisations prévisionnelles de gestion de crise.
La deuxième phase visant la régulation du flux épidémique a été déclenchée dès l’activation du plan blanc le 15 mars 2020 et lors du passage de l’épidémie au niveau 3. Elle a donné lieu à une duplication du SAU (Service d’Accueil des Urgences) afin de séparer les flux entrants et l’augmentation du capacitaire des lits de soins critiques, notamment en réanimation.
La troisième phase accompagnant la décroissance du flux épidémique a été mise en œuvre après le 15 avril pour ajuster les moyens à la diminution du nombre de patients.
L’ensemble de ces phases a nécessité des adaptations humaines, techniques, organisationnelles et matérielles, le tout piloté en mode projet par le chef de pôle avec le soutien des équipes logistiques et administratives.
Cette dynamique polaire s’est donc déployée instantanément, sans aucune opposition ni tension dans l’établissement. D’autres exemples peuvent être cités. C’est ainsi que le chef de pôle de médecine interne a assuré la gestion des unités d’hospitalisation des lits Covid-19. Le pôle de pharmacie a assuré l’approvisionnement médicamenteux et chirurgical en portant une attention particulière aux produits critiques et plus particulièrement aux sédatifs pour la réanimation. Le pôle imagerie a réorganisé ses circuits afin d’accélérer le diagnostic pour les patients suspects. Le pôle de chirurgie a diminué son activité de 70 % pour se concentrer sur les gestes d’urgences et les pertes de chance pour les patients non opérés rapidement ; son personnel médical et ses soignants ont été mis à disposition au sein des unités de gestion de lits critiques et d’hospitalisation Covid-19. Le pôle de biologie a appris de nouvelles techniques pour être rapidement opérationnel dans les tests PCR et le dépistage de masse. Le pôle de gériatrie a constitué des unités d’hospitalisation spécifiques pour les personnes âgées et pris toutes les mesures de sécurité pour les résidents en EHPAD et en maison d’autonomie. Le pôle de psychiatrie est intervenu en soutien psychologique et en ressource supplémentaire pour les équipes soignantes. Le pôle de cancérologie a réorganisé ses circuits pour poursuivre son activité sur les patients en perte de chance et a mis en place une aide à la décision pour les fins de vie des patients Covid-19 et non Covid-19. Le pôle de santé publique a déployé la télémédecine…
Les pôles logistique et administration générale ont accompagné les décisions des autres pôles. Ils ont veillé au bon déroulement de tous les déménagements, installation d’équipements, reconfiguration géographique des unités, approvisionnement des équipements individuels de protection des agents et des patients…
19.3. Prise de recul
19.3.1. Les avantages
Le mode de gestion utilisé au CHV a démontré sa pertinence et sa robustesse en situation de crise sanitaire. L’organisation adoptée a réduit la chaîne de commandement à deux niveaux : un premier institutionnel et un second à l’échelle des pôles.
Chaque niveau a fonctionné en complémentarité, ce qui a permis aux acteurs de se concentrer sur leur cœur de métier et leurs priorités.
Cette organisation n’est en fait qu’une légère adaptation du mode opératoire de l’établissement antecrise Covid-19 lequel fonctionne déjà sur deux niveaux de responsabilités avec une forte délégation polaire.
19.3.2. Les limites
Les limites n’ont pas porté sur la désorganisation de l’établissement, lequel s’est simplement réorienté pour cibler son offre de soins sur l’épisode aigu.
Ces limites portent essentiellement sur les ressources disponibles au moment de la crise. En effet, il a fallu massivement déployer du personnel dans de nouvelles unités, les former à de nouvelles pratiques et à de nouveaux environnements. Cette gestion, si elle n’est pas anticipée, crée des retards à la mise en œuvre. Pour pallier ce temps nécessaire de formation et d’apprentissage à l’acquisition de nouvelles compétences pour les agents, nous avons choisi de mettre en place des formations-actions avec la constitution de binômes composés d’un « sachant » et d’un « apprenti ». Cela présente l’avantage d’amorcer le processus d’apprentissage mais, en contrepartie, cela bride le fonctionnement optimal de l’unité. Nous avons formé plus d’une centaine de binômes.
La performance dans la coordination territoriale est une limite révélée lors de la crise. Elle est très dépendante de l’entente des acteurs locaux. En effet, le dispositif de commandement, bien établi au sein d’un établissement, l’est beaucoup moins au sein d’un GHT où les établissements, hormis ceux qui sont en direction commune, sont autonomes, et se complexifie davantage avec l’intégration des structures privées et libérales. Dans le Hainaut-Cambrésis, nous avons bénéficié de la part de chacun des acteurs d’une reconnaissance de la légitimité de l’établissement support du GHT, le centre hospitalier de Valenciennes dans son rôle de coordination de la crise et de l’implication de tous (hôpitaux publics, cliniques privées, professionnels libéraux).
Concernant la gestion de la crise médico-sociale dans les EHPAD et résidences autonomies, sur notre territoire où il existe plus de 50 structures privées, la coordination a été inefficace. En effet, les établissements ont été rapidement débordés par la contamination de leurs personnels et de leurs résidents. Devant ce constat et l’arrivée massive de patients âgés en situations extrêmes aux urgences du CHV, nous avons essayé de prendre contact et de coordonner une action d’aide. La réponse apportée par ces établissements a été distante et inadaptée au contexte. Alors que le pôle de gériatrie du CHV proposait d’intervenir en aide sur le terrain et face aux refus des directions, nous n’avons pas été en mesure de faire autre chose que d’alerter l’ARS et le département du Nord.
Enfin, comme tous les établissements qui ont dû faire face à un cluster important de l’épidémie, il a été très difficile de gérer les approvisionnements pharmaceutiques et en équipements de protection individuelle. La raison essentielle a porté sur le manque de fournisseurs capables d’honorer les commandes. Cela pose la question de l’indépendance nationale sur les matières premières vitales et les produits de santé.
19.4. La crise, une clé disruptive
19.4.1. Sortie de crise
La sortie de crise a été progressive. Elle a suivi la décroissance des flux de patients.
Les débats d’experts sur la typologie du cas suspect Covid-19 qui fixait la réponse en termes de ressources dédiées au sein de l’établissement ont créé des incertitudes. Les débats au plan institutionnel se sont élargis à la question de la poursuite d’un espace dédié de cohorting ou à l’hébergement des patients Covid-19 au sein des unités de spécialité avec les mesures de précautions d’usage. La première solution a été retenue.
La reprise d’activité a fait aussi l’objet de discussions avec la volonté pour certains pôles de reprendre rapidement et d’autres de temporiser. La décision institutionnelle prise a été de laisser « souffler » les équipes et de leur accorder des moments de repos et de congés en ayant une reprise d’activité limitée à 50 % dans un premier temps et une montée en charge sur trois mois supplémentaires pour arriver jusqu’à la pleine capacité.
Comme dans les phases précédentes de gestion de la crise, le fonctionnement de l’hôpital dans son mode opératoire de reprise de l’activité s’est réorienté naturellement en adoptant une nouvelle configuration portée par les chefs de pôles en s’appuyant sur le cadre institutionnel. Cette nouvelle configuration prend en compte tous les aménagements nécessaires pour assurer la sécurité des patients et des professionnels de santé.
19.4.2. Pour une prochaine crise
L’anticipation et la préparation restent les maîtres mots de la gestion de la crise. Elles doivent se situer tant sur le plan de l’établissement qu’au niveau territorial mais également par la coordination des différentes structures territoriales, nationales, régionales et locales.
Elles doivent être suffisamment précises pour permettre une organisation simple, pragmatique et opérationnelle et, en même temps, laisser la liberté d’action aux acteurs de terrain qui sont les seuls à pouvoir agir avec efficacité et pertinence.
19.4.3. Pour continuer de transformer les organisations de santé
51Il n’y a sans doute pas beaucoup de différences entre un établissement centralisé et un établissement décentralisé en situation de gestion de crise car dans ce contexte, médecins et direction travaillent ensemble, ce qui constitue le quotidien du CHV.
52L’idée est donc, pour les autres établissements, de s’inspirer d’une collaboration exceptionnelle mise en place durant la crise, pour la transformer en mode de fonctionnement ordinaire.
Conclusion
53Le Centre Hospitalier de Valenciennes a été en première ligne. Il a tenu son rôle d’établissement régional de référence en maîtrisant l’évolution et la propagation de l’épidémie sur son territoire. Cette réussite est essentiellement due à son agilité, sa capacité d’adaptation et de mobilisation de l’ensemble de ses ressources dans un délai très court grâce à son mode de gestion médicale autonome et décentralisé.
54Au-delà du fonctionnement habituel, les pôles ont su adopter un positionnement transversal, dans une logique institutionnelle et supra-polaire, parvenant de manière plus fluide encore, à se coordonner sur les parcours et les prises en charge. Les pôles, habitués à ce principe de responsabilité, se présentaient en cellule de crise avec des solutions plus qu’avec des difficultés. Enfin, les pôles les moins concernés par l’épidémie ont repris des activités supports ou transversales pour aider les autres pôles (garde d’enfants, soutien psychologique…).
55Les modes d’organisation de gestion de la crise ont transformé le système de santé et l’organisation de l’hôpital : moins de bureaucratie, moins de lourdeurs administratives, des circuits décisionnels courts, une organisation centrée sur le soin, des équipes pluridisciplinaires, une gestion en mode projet…
56Le challenge consiste maintenant à capitaliser sur ces enseignements. L’agilité et l’anticipation de l’hôpital et de son système de santé doivent être pérennes. Un modèle d’organisation, comme celui utilisé, au Centre Hospitalier de Valenciennes montre toute son efficacité.
57Enfin, voici ce que disait récemment l’amiral Olivier Lajous dans un article concernant sa perception de l’état de « guerre contre le coronavirus » et les enseignements que nous pourrions tirer en comparant un théâtre de conflit et ce que nous avons vécu. En s’adressant modestement à tous les décideurs, il donne ses préconisations sur les besoins nécessaires à engager pour optimiser les chances de réussites :
- « Le besoin de se réinventer;
- Le besoin de se mobiliser ;
- Le besoin de se connaître ;
- Le besoin de voir la réalité ;
- Le besoin de veiller ;
- Le besoin de donner du sens ;
- Le besoin de décider ;
- Le besoin de s’inscrire dans la durée. »

Mis en ligne sur Cairn.info le 16/08/2021
https://doi.org/10.3917/ems.nobre.2020.01.0345
Dans ce CH, le directeur général « délègue 90% de ses prérogatives » aux médecins… et ça fonctionne
Par Catherine Holué le 07-12-2021

Au centre hospitalier de Valenciennes, cité en exemple par Emmanuel Macron, on expérimente depuis dix ans un meilleur équilibre entre les équipes soignantes et l’administration. Une réponse et un espoir face aux maux de l’hôpital ? Son directeur général ne demande qu’à faire connaître le modèle de l’« hôpital magnétique ».
Le centre hospitalier de Valenciennes a été très touché par l’épidémie de Covid-19. Comment l’expliquez-vous ?
Rodolphe Bourret : En effet, en 2020 nous avons été le deuxième établissement le plus touché dans les Hauts-de-France, derrière le CHU de Lille. La population de notre zone est assez dense et très précaire, avec des taux de mortalité supérieurs de 30% à la moyenne nationale et de gros facteurs de comorbidités. Ces populations très fragiles sont plus sensibles à une telle épidémie. De plus nous sommes transfrontaliers avec la Belgique, sur un axe de circulation entre Lille et Paris avec beaucoup de passage. Entre le 1er janvier 2020 et le 31 mai 2021, nous avons hospitalisé 2563 patients Covid. Dont 553 en soins critiques (aigu + réanimation).
Déplorez-vous comme de nombreux établissements de santé, des lits fermés faute de personnel et des postes de médecins et soignants vacants ?
Il n’y a pas de lits fermés ni de fuite de personnels à Valenciennes. Nous avons embauché 75 infirmières cet été, qui sont globalement toutes là à cette heure. En raison du Covid et des déprogrammations (notamment en chirurgie), la perte d’activité a atteint 9,81% en 2020. Avec le rattrapage et la hausse tendancielle de notre activité, notre activité explose et on recherche des effectifs. Mais la concurrence est rude pour les recrutements. « Diriger un hôpital nécessite une gouvernance partagée »
Le CH de Valenciennes a été cité en exemple par le ministre de la Santé lors de la séance inaugurale de Cham 2021 (Convention on Health Analysis and Management, début octobre), comme un modèle d’innovation managériale. Quel est ce modèle ?
Il s’agit du modèle de l’« hôpital magnétique » qui existe depuis les années 80 aux Etats-Unis, lorsqu’ils se sont aperçus qu’il y avait une fuite des soignants dans les organisations très hiérarchiques. L’idée est de faire des soignants les moteurs de la décision, et ainsi redonner son attractivité à l’hôpital. On s’est inspiré de ce modèle à Valenciennes en inversant la pyramide de gouvernance. J’ai délégué 90% de mes prérogatives. Ici un médecin chef de pôle peut embaucher du personnel médical et non médical, engager des dépenses hôtelières pour remplacer des lits, biomédicales et pharmaceutiques, sans référer à l’administration. Il y a bien sûr des mécanismes de contrôle mais la responsabilité est placée au plus près du terrain. Chaque chef de pôle gère le budget de son pôle (par exemple 85 millions d’euros en chirurgie), et chaque chef de service (chirurgie vasculaire par exemple) gère sa part de ce budget. Ces médecins suivent en formation continue (1,5 an) un master à la gestion des établissements de santé, que nous avons créé avec l’Université Polytechnique Hauts-de-France, et bénéficient d’un accompagnement quotidien en cas de besoin. Nous fonctionnons ainsi depuis une dizaine d’années, notre système est à maturité. Nos PH connaissent bien maintenant ce mode de management.
Quels indicateurs montrent la réussite de ce système ?
Notre établissement est à l‘équilibre budgétaire depuis…
huit années consécutives, et même excédentaire. Grâce à cela nous pouvons investir dans le personnel, les locaux ou le plateau technique. En matière d’innovation technologique et médicale, les médecins ont la capacité d’acheter ce qu’il y a de mieux : nous avons de nouveaux scanners et IRM, TEP scan numériques, robots chirurgicaux, un automate de laboratoire. On peut rivaliser avec les CHU.
Grâce à la responsabilisation des équipes et à leur déploiement, nous avons doublé notre activité entre 2009 et 2019 : de 15 000 à 35 000 actes de chirurgie, de 150 000 à 350 000 actes de consultation.
En termes d’attractivité, bien sûr nous ne sommes pas situés sur la côte d’Azur mais nos maquettes sont globalement complètes, sauf pour les spécialités en tension partout. Nos postes d’anesthésistes sont pratiquement tous occupés.
Vous avez également simplifié les circuits administratifs.
Avec la forte délégation au niveau des pôles, la prise de décision est beaucoup plus rapide et le circuit administratif plus court. Par exemple, un service de chirurgie main, pied et épaule a été créé en moins de trois mois, en recrutant des chirurgiens, des anesthésistes et des infirmiers et en ouvrant des créneaux de bloc opératoire. Dès lors que cette création a été inscrite dans le projet d’établissement, le futur chef de service a été nommé chef de projet et il a conduit le projet dans son intégralité. Les services administratifs étaient présents en expertise et non en gestionnaires. Autre exemple : quand il doit embaucher un médecin, le chef de service prépare la fiche de poste, la direction des affaires médicales (DAM) publie le poste, le chef de service fait son choix parmi les candidatures qui arrivent (pas d’allers-retours avec l’administration), la DAM vérifie la conformité et l’embauche est faite.
Résultat : nous avons environ 5% de personnel administratif au CH de Valenciennes, contre environ 30% ailleurs. L’économie de personnel administratif est investie sur le soin, avec plus de personnels soignants au lit du patient
.Pour obtenir une vraie qualité dans les hôpitaux, inversons sa gouvernance !
Votre modèle a-t-il été particulièrement utile dans la gestion du Covid ?
Oui, car il nous a permis d’être dans l’anticipation. Nos médecins ont vu venir la vague de malades et ont pu préparer en avance la dissociation des flux patients covid et non covid, les pharmaciens ont pu commencer à faire des stocks très tôt. Tandis que les autres établissements nommaient en catastrophe des directeurs médicaux et perdaient du temps à revoir l’organisation, nous étions déjà structurés et avons pu canaliser notre énergie sur le soin immédiatement. Nous avons pu tenir. Après la première vague, les autres hôpitaux ont repris leur organisation hiérarchique, beaucoup de médecins ont été déçus. Et ces hôpitaux ont été déstructurés de nouveau lors de la deuxième vague… A Valenciennes, nous avons augmenté nos compétences à chaque vague.
Entretenez-vous des liens privilégiés avec les médecins libéraux ?
A ce sujet, il y a…
un avant et un après Covid. Avant l’épidémie, nous avions déjà des relations avec des plateformes ville-hôpital, les gens se connaissaient au travers de parcours de soins coordonnés mais pas au-delà. Le Covid a été un élément fédérateur pour les relations ville-hôpital. Des médecins et infirmiers de ville sont intervenus dans nos secteurs d’hospitalisation. Une association d’infirmiers libéraux a fait des tests PCR au sein de l’hôpital. Nous avons créé un centre de vaccination ensemble, avec également des sages-femmes, des pharmaciens, la Croix-Rouge et les pompiers.
Désormais l’hôpital agit en soutien de la création des CPTS sur le territoire. Nous développons avec les libéraux un projet pour les urgences, un projet de recherche sur le diabète, une expérimentation « article 51 », un projet de parcours de soins pour le Covid long. Nous allons aussi ouvrir un atrium en ville, avec une équipe mixte hospitalière et libérale (médecin généraliste, biologiste libéral, infirmiers, spécialistes hospitaliers)…
Avec notre modèle de délégation, nos équipes gagnent en responsabilité, en implication, en imagination. Quand les gens peuvent décider et ont les moyens d’assumer leurs décisions, les initiatives et les projets sont très nombreux !
Le Ségur de la Santé incite à une médicalisation de la gouvernance hospitalière, il va donc dans le bon sens ?
Le Ségur porte la médicalisation de la gouvernance, c’est vrai, mais sans obligation de mise en oeuvre. S’engager dans l’innovation organisationnelle, s’approprier les choses, c’est autre chose. Les revalorisations de salaires pour le personnel soignant et pour valoriser les responsabilités des chefs de pôle, sont une bonne chose. Mais la transformation de l’organisation n’est pas engagée. Notre modèle mériterait d’être étudié et mis en place dans d’autres établissements, quelle que soit leur taille.

Le CH de Valenciennes en chiffres
C’est le plus gros centre hospitalier général de France, avec 2000 lits et places, et 5200 agents.
Il fait partie du groupement hospitalier de territoire (GHT) du Hainaut-Cambrésis couvrant Maubeuge, Valenciennes et Cambrai, soit une population de 850 000 habitants.
Son budget est de 450 millions d’euros, correspondant à celui d’un CHU de moyenne importance.
TRIBUNE
« Le modèle de Valenciennes, hôpital public de demain?»
Publié le 10/12/2019 par GHT du Hainaut-Cambrésis

Le 20 novembre 2019, la Ministre de la Santé Agnès Buzyn a annoncé, au milieu d’une aide financière massive et bienvenue pour l’hôpital public, le renforcement du rôle des chefs de pôle médecins. Cela confirme l’inflexion annoncée le 18 septembre 2018 par le Président Macron : « Que les médecins (…) puissent prendre une part plus active dans les décisions directes des hôpitaux ». Face à ces annonces, il apparaît utile de faire part de l’expérience d’un hôpital dans lequel cette organisation est déjà effective.
Rappelons que si le management hospitalier public en France est actuellement en échec, les torts sont sans doute partagés. Il ne faut pas dédouaner les (feus) « mandarins » qui gardaient jalousement, et parfois à vie, le pouvoir dans leur service et dédaignaient toute considération économique (considérée comme accessoire voire vulgaire). A leur décharge, la taille des services (quelques dizaines d’agents), bien que pertinente pour animer une équipe autour d’une pathologie, est insuffisante pour permettre des économies d’échelle. Par ailleurs, les Directions n’ont sans doute pas assez utilisé le potentiel d’intelligence managériale de leurs soignants, ce qui a engendré la défiance actuelle. Cela a abouti récemment au départ (inimaginable il y a quelques années) de Professeurs de CHU, lassés de devoir expliquer le pourquoi et le comment d’organisations, d’investissements ou d’équipements pourtant indispensables.
Même si les questions que se pose la communauté hospitalière nationale font également l’objet de débats au CH de Valenciennes, celle de pourquoi positionner des équipes soignantes au pilotage opérationnel n’en est plus une, c’est le comment qui anime quotidiennement nos discussions.
La délégation quasi exhaustive aux pôles
L’hôpital de Valenciennes est le plus grand hôpital non universitaire de France (avec près de 5200 employés et un budget de 450 millions d’€). Situé dans un bassin de population important (800 000 habitants) avec des critères sanitaires et sociaux défavorables, cet hôpital a connu les difficultés classiques de l’hôpital public. Il y a une décennie, les dirigeants de l’époque ont pris une décision courageuse : responsabiliser les soignants en leur accordant une autonomie managériale. Une autre décision courageuse s’en est suivie : celle de médecins et pharmaciens qui ont accepté cette responsabilité. Prenant profit de la loi HPST de 2009, l’hôpital de Valenciennes a poussé jusqu’au bout la délégation attribuée aux chefs de pôle en leur accordant le droit de signature (qui permet de passer commande, d’embaucher,…) et jusqu’à 90% du budget de l’hôpital. Rappelons qu’un pôle regroupe plusieurs services d’intérêt médical commun (avec un effectif total de quelques centaines d’agents). Pour les pôles non soignants, des administratifs sont également chefs de pôle, marquant des relations d’égal à égal avec les chefs de pôle médecins, sous la supervision d’une Direction Générale. Il n’y a donc pas les administratifs d’un côté et les médecins de l’autre. Par ailleurs, les chefs de pôle médecins sont secondés par des cadres supérieurs et des cadres administratifs, formant un trinôme en charge du pilotage de chaque pôle.
Chaque pôle a un budget, des ressources idoines (administratives, informatiques, …), des objectifs et des règles de gestion. A titre d’exemple, un pôle peut engager en toute autonomie des dépenses jusqu’à 75 000 euros sans en référer à la Direction. Tout hospitalier en France connaît bien la frustration de devoir attendre plusieurs semaines pour des commandes de 500 euros … lorsqu’elles sont acceptées. Ainsi, pour engager des dépenses, les pôles sont à un juste milieu : suffisamment prêts du terrain pour prendre en compte les besoins, suffisamment « petits » pour garder des relations personnalisées et suffisamment « gros » pour permettre des économies d’échelle.
Les contraintes économiques ont vite été intégrées par les médecins car le souci d’équilibrer ses dépenses est intuitif lorsqu’on en a la latitude décisionnelle. Les projets futurs du pôle sont soumis à cet équilibre et le chef de pôle rend des comptes, à la direction générale mais également à ses équipes, au sein desquelles il continue d’exercer quotidiennement.
Le succès fut à la clé et il est pérenne puisque cet établissement est excédentaire depuis 7 ans. L’investissement se fait grâce à ses fonds propres, et l’activité croît, permettant d’offrir plus de soins hospitaliers publics à la population. Du personnel médical et soignant est embauché à hauteur de 80 personnes/an depuis 7 ans et le dialogue social s’effectue dans le respect mutuel. Le taux d’absentéisme est faible inférieur à 8%, et en deçà des moyennes nationales. Le mode de gouvernance construit au CH de Valenciennes a abouti à une organisation souple qui a fait ses preuves, à travers son efficience, en simplifiant les circuits de décision. Elle réussit particulièrement, face à la concurrence privée, à maintenir une attractivité médicale. Ainsi, il n’y a pas d’intérimaires médicaux.
Cette organisation innovante n’a pas que des conséquences économiques mais aussi sociologiques et psychologiques. Elle valorise tout le personnel, donne sens à sa mission, augmente l’engagement, qui donne des perspectives de développement professionnel, et in fineaugmente la qualité et la sécurité des soins.
L’évolution du modèle
Le modèle valenciennois est en mouvement, chaque évolution, tout en apportant des solutions à des difficultés, suscite de nouveaux questionnements : comment sélectionner et former les Chefs de pôle ? Cette charge nécessite d’y consacrer du temps et les médecins doivent en être conscients. Quel portage pour les projets transversaux ? Quid du rôle de la CME (Commission médicale d’établissement) ? Dans ce système, il est pertinent d’imaginer une CME où tous les soignants seraient impliqués. Car les notions d’équipe et de multidisciplinarité sont, plus qu’ailleurs, consubstantielles du travail hospitalier.
L’hôpital de demain doit réduire le gouffre multi-dimensionnel qui existe historiquement entre personnels : responsabilités dans les soins, durée des études, représentation, responsabilités managériales, salaires, recherche, … Doivent y remédier : les pratiques avancées (avec la prime qui doit y être attachée), l’universitarisation des formations paramédicales, la recherche paramédicale, une CME inclusive, …. Les soignants demandeurs de responsabilités qui ont intégré la dimension médico-économique, doivent être encouragés (et formés). Le meilleur moyen de motiver les soignants est de les faire diriger par d’autres soignants.
Pr Mehdi Mejdoubi, Chef du pôle imagerie
Dr Etienne Cousein, Président de CME
Mr Rodolphe Bourret, Directeur Général
Contact
GHT du Hainaut-Cambrésis
Centre Hospitalier de Valenciennes
114 Avenue Desandrouins – CS 50479 – 59322 Valenciennes Cedex
Téléphone : 03.27.14.02.97GHT du Hainaut-CambrésisGHT du Hainaut-Cambrésis
Voir aussi:
L’hôpital de Valenciennes dénonce un reportage discréditant et injustement à charge de l’émission «Cash investigation»
Publié le 01/12/2020 par Rodolphe Bourret, directeur général du centre hospitalier de Valenciennes

France 2 diffusera le 10 décembre prochain son numéro de Cash Investigation CServices publics: liberté égalité rentabilité», dans lequel le centre hospitalier de Valenciennes est notamment mis en cause. La direction de l’établissement s’élève contre le contenu à charge de ce reportage télévisé. Rodolphe Bourret, directeur général, dénonce en l’occurrence «une information incomplète», «une image orientée», «des propos arrachés dans un contexte inapproprié» et «le manque d’éthique» de ceux qui n’hésitent pas à «manipuler l’information et à «rechercher des motivations cachées auprès d’agents publics intègres».
«Notre prestataire, la société de nettoyage ONET a embauché, à son insu, au mois de juillet 2019, un membre de l’équipe de la société de production Première Ligne. Cette personne, Marie Maurice, est restée 3 jours en emploi saisonnier dans notre hôpital dans un contexte social mouvementé chez les personnels de cette société de nettoyage jusqu’à ce que son identité ne soit découverte. Les revendications salariales des employés des sociétés de nettoyage ne relèvent pas de la gestion de nos services», explique la direction de la communication du centre hospitalier de Valenciennes, soulignant que «le parti pris par l’équipe de Madame Lucet d’entretenir la confusion entre hygiène (désinfection) et nettoyage (entretien des surfaces) introduit un biais dans l’information qui est délivrée au public».
Pour réponse à ces détracteurs, la tribune de Rodolphe Bourret, directeur général du CH de Valenciennes:
A qui profite le crime?
Le choix du service public est rarement une fatalité ou le produit du hasard. Choisir de servir nos concitoyens est le résultat de ce que certains appellent une vocation, d’autres le sens du devoir ou encore le civisme.
Le système de santé français est unique au monde. Ce qui le caractérise, ce n’est pas son organisation – toujours perfectible et en constante évolution – ce sont ses valeurs, au premier rang desquelles l’universalité d’accès au soin. Qui dans le monde peut revendiquer une égalité d’accès aux meilleurs soins sans devoir y laisser son patrimoine personnel ou endetter sa famille pour des décennies?
Certes la santé a un coût, mais le principe de solidarité nationale généralisé après-guerre pour rendre raisonnable la prévention des principaux risques a permis de ne pas laisser sur le bas-côté l’immense majorité de nos concitoyens. Partager le poids, dans toutes les situations, allège la charge.
C’est cela le service public de santé: soigner sans prosélytisme et du mieux possible en fonction des connaissances scientifiques, médicales et des pratiques professionnelles qui ne cessent de s’améliorer dans tous les domaines du soin.
Cependant, ce système est fragile. Le poids de la dette ne doit pas représenter un nouveau risque pour les générations actuelles et futures et la gestion des deniers publics est une affaire sérieuse qui nous concerne tous. Il en va de la pérennité de ce système auquel la majorité des Français reste viscéralement attachée.
L’hôpital public appartient à tous, c’est un bien commun, un patrimoine national. Mais comme tout ce qui est précieux, il est fragile. Il ne s’agit pas ici de son financement, de son fonctionnement ou de tout autre aspect organisationnel. Il est exposé parce qu’il est ouvert à tous, pas à ceux qui viennent s’y faire soigner, c’est là sa force, mais surtout à ceux qui n’ont de cesse de le critiquer, de l’accabler pour des raisons qui servent des intérêts personnels ou catégoriels mais pas l’intérêt général.
Parmi les détracteurs, une espèce en voie de développement… faite du même bois que ceux que nos enfants qualifient de «trolls» et qui se répandent sur les réseaux sociaux pour critiquer tout et n’importe quoi à la recherche de la polémique voire du scandale.
Oui, l’hôpital public est menacé par des individus qui surfent sur les craintes des populations afin de créer de l’audience, dénoncer des pseudo-scandales, instiller et distiller le doute là où face à des situations souvent difficiles, des femmes et des hommes dévoués font de leur mieux pour préserver des équilibres fragiles.
Où est l’éthique de ceux qui un jour ont peut-être été détenteurs d’une carte de presse ? Manipuler l’information, rechercher des motivations cachées auprès d’agents publics intègres, responsables de leurs résultats mais aussi de l’usage des deniers publics, c’est-à-dire nos impôts.
L’hôpital est ouvert, c’est une cible facile pour tous ceux qui cherchent à discréditer, avilir, entacher, par tous les moyens. Présenter une information incomplète, diffuser une image orientée, asséner les faits avec aplomb en guise de «vérité», mettre mal à l’aise les interlocuteurs pour décrédibiliser autant les personnes que les propos arrachés dans un contexte au mieux inapproprié, au pire dévalorisant. Voilà de viles armes pour de tristes sires.
Le scandale comme raison d’être, est-ce vraiment une ligne éditoriale? Certes il y a un public pour tous types de programmes et au final c’est aussi ce qui fait la chance de ce pays où la liberté est encore une réalité.
Plus encore dans un contexte d’état d’urgence sanitaire, les professionnels de santé s’opposeront au sacrifice de l’hôpital sur l’autel de la liberté d’expression par une certaine presse à scandale. Nous serons systématiquement sur la route de ceux qui, pour d’autres raisons qu’informer, font les mauvais procès aux mauvaises personnes. L’autorité judiciaire dispose du monopole légitime de l’accusation, les «procureurs» improvisés l’apprendront à leurs dépens.Rodolphe Bourret, directeur général du centre hospitalier de ValenciennesRodolphe Bourret, directeur général du centre hospitalier de Valenciennes
L’envers du décor:
https://fr.indeed.com/cmp/Centre-Hospitalier-De-Valenciennes/reviews






