Le retour de la grippe aviaire accentue les tensions dans la filière de la volaille
Certains syndicats sont très remontés contre le seuil fixé par le gouvernement, qui contraint les agriculteurs à confiner leurs volailles après la détection du virus dans une exploitation.
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Nouvelle alerte à la grippe aviaire : le ministère de l’agriculture a officialisé la détection d’un premier foyer d’infection dans un élevage professionnel, samedi 27 novembre. L’exploitation avicole touchée par ce virus hautement contagieux, située sur la commune de Warhem, dans le Nord, près de la frontière belge, regroupe 160 000 poules pondeuses. Ces volailles sont claustrées dans un bâtiment sans être en cage, et leurs œufs portent le chiffre 2, identifiant les élevages dits « au sol ».
Depuis la fin de l’été, la France avait déjà déclaré quatre cas d’influenza aviaire en faune sauvage et trois en basse-cour sur le territoire. Sachant que 26 pays européens sont aujourd’hui touchés par ces virus, avec un total de plus de 400 foyers répertoriés en élevage. Dès le 5 novembre, face à cette progression de l’épizootie dans les pays limitrophes, le ministère de l’agriculture avait fixé à « élevé » le risque de grippe aviaire. Un seuil qui contraint désormais tous les agriculteurs à confiner leurs volailles.
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Ce règlement très strict a été établi à la suite de la dernière crise d’influenza aviaire, qui avait fait des ravages dans le Sud-Ouest, centre de la production de foie gras. Entre décembre 2020 et mai, près de 500 élevages avaient été contaminés et environ 3,5 millions de volatiles, en priorité des canards, avaient dû être éliminés. A ce moment-là, déjà, au-delà des mesures de biosécurité dans les exploitations, le couperet était tombé sur les élevages en plein air, avec l’obligation de parquer les animaux dans des bâtiments. Sauf que la règle avait des dérogations. Elle ne s’appliquait pas aux lots de moins de 3 200 volatiles.
« Une guerre contre l’élevage paysan »
Cette fois, la contrainte se durcit. Et suscite de fortes réactions. « Cette décision condamne tous les éleveurs de plein air à être hors la loi ou à disparaître, alors que rien n’est fait pour réguler les flux massifs d’animaux et de personnes, orchestrés par les filières industrielles. C’est pourtant la concentration des élevages et ces flux qui, comme lors de la dernière crise, permettent la propagation du virus », ont réagi les syndicats de la Confédération paysanne et du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), très remontés contre ce qu’ils estiment être « une guerre contre l’élevage paysan ».
Sur le terrain, les éleveurs en plein air doivent s’adapter. Pour Jean-Michel Schaeffer, président d’Anvol, l’interprofession de la volaille de chair, installé à Geispolsheim, dans le Bas-Rhin, le poulailler est, pour l’instant, en vide sanitaire. Mais, lors de la précédente phase de claustration, entre décembre 2020 et mai, il a élevé, pendant trois mois, ses poulets Label rouge d’Alsace à l’intérieur des bâtiments.
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Rudy Belland, associé du groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) du Roncheray, à Souligné-Flacé, dans la Sarthe, a, lui, dû, dans l’urgence, construire deux courettes de 400 mètres carrés pour chacun des deux poulaillers où il élevait, au total, 5 000 dindes, en lieu et place des 4 hectares dont elles disposaient jusqu’alors. Dindes, pintades et oies se sont vu, en effet, octroyer, dans le décret, un petit sas de sortie. « C’est juste histoire qu’elles aient un bol d’air. Si elles restent enfermées, elles se piquent et, parfois, se bouffent », explique M. Belland, dont les dindes Label rouge commencent à quitter l’exploitation pour être commercialisés à Noël sous la marque Loué.
« Tromperie massive des consommateurs »
Difficile pour des animaux qui ont connu le plein air de se retrouver enfermés. Les éleveurs de volaille ou de poules pondeuses peuvent, eux, demander une dérogation au vétérinaire et installer aussi un parcours très limité en cas de problème avéré dans le poulailler. Quant aux producteurs de canards, dans le Sud-Ouest, attachés au plein air pour leurs animaux, ils ont parfois joué la montre, pour tenir jusqu’à la fin du cycle de croissance. Sachant que les petits élevages autarciques de moins de 1 500 têtes sont autorisés à aménager un parcours extérieur sous filet.
« On ment au consommateur. Il faut arrêter de dire “poules élevées en plein air”. Quand on confine trois semaines, cela passe encore, mais six mois, c’est ridicule. On veut protéger l’export », Philippe Henry, agriculteur bio en Meurthe-et-Moselle
Cette claustration implique également un surcroît de travail et de coût pour les agriculteurs. « Il nous faut pailler le poulailler, et cela ne peut se faire que manuellement. De plus, les volailles consomment plus, elles compensent le stress du confinement en mangeant », explique M. Belland. Mais elle suscite aussi des interrogations : « Il n’y a aucune communication sur la grippe aviaire. On ne sait pas si on cherche des alternatives à la claustration des animaux. Cela me frustre, d’enfermer les volailles. Ce n’est pas ma philosophie, de travailler de cette manière », ajoute-t-il.
La Confédération paysanne et le Modef, accompagnés par six associations, ont déposé trois recours devant le Conseil d’Etat contre ces décrets visant à limiter la propagation de la grippe aviaire. S’ils considèrent « qu’une mise à l’abri, adaptée, ciblée et ponctuelle, dans l’objectif d’empêcher le contact avec l’avifaune peut s’entendre », ils refusent la claustration généralisée sur une longue période. En outre, ils dénoncent le risque de « tromperie massive des consommateurs en vendant comme du plein air des produits qui ne le seront plus ». Selon Philippe Henry, ex-président de l’Agence Bio et agriculteur bio en Meurthe-et-Moselle, avec, entre autres, un élevage de poules pondeuses, « on ment au consommateur ». « Il faut arrêter de dire “poules élevées en plein air”. Quand on confine trois semaines, cela passe encore, mais six mois, c’est ridicule. On veut protéger l’export. »
Les industriels de la volaille mettent dans la balance les exportations de produits avicoles qui nécessitent un statut indemne à la grippe aviaire et la non-vaccination des animaux. Avec le premier cas de contamination au virus H5N1 dans l’élevage nordiste, la France vient de perdre le statut indemne qu’elle venait de retrouver, début septembre.
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Laurence Girard