Covid-19 : en Europe, la vaccination obligatoire s’impose comme l’ultime recours dans les pays qui résistent au vaccin
Le débat s’installe après la décision de l’Autriche, de la Grèce ou encore de la Pologne de recourir à cette mesure, pour l’ensemble ou une partie de la population, afin de contenir la nouvelle vague de contaminations.

Si, pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la vaccination obligatoire contre le Covid-19 doit être instaurée en « dernier ressort », le débat s’installe progressivement en Europe après la décision de plusieurs pays de recourir à cette mesure, pour l’ensemble ou une partie de la population, afin de contenir la cinquième vague de contaminations. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a jugé le 1er décembre qu’il serait « raisonnable et approprié » qu’une discussion s’amorce dans les Etats-membres sur le sujet, alors que 66 % des Européens sont vaccinés, avec de fortes disparités selon les nations. Mais, dans plusieurs pays, la simple hypothèse de recourir à cette mesure radicale soulève de vives protestations et met en lumière des clivages partisans.
L’Autriche a été le premier Etat de l’Union européenne (UE) à annoncer, le 19 novembre, l’instauration de l’obligation vaccinale pour tous, en rupture avec l’histoire médicale du pays, où il n’existe aucune disposition de cet ordre, même pour les enfants. Mardi 7 décembre, à l’occasion de sa première conférence de presse en tant que nouveau chancelier, le conservateur Karl Nehammer s’en est tenu à la ligne de ses prédécesseurs et de ses alliés écologistes, jugeant que « l’obligation vaccinale est malheureusement nécessaire ».
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Le vaccin contre le Covid-19 deviendra donc obligatoire « courant mars [2022] »pour toute la population, probablement à partir de 14 ans, dans ce pays de 8,9 millions d’habitants. Seuls 67,6 % des Autrichiens ont pour l’heure un certificat de vaccination valide et le pays a dû décréter un reconfinement mi-novembre pour soulager les hôpitaux. Selon une version du texte qui a fuité dans la presse, les Autrichiens non vaccinés seront convoqués dans les centres de vaccination et pourront recevoir une amende allant « jusqu’à 600 euros » tous les trois mois s’ils ne s’y présentent pas. En cas de refus de payer, le montant pourra monter jusqu’à 3 600 euros. Il sera possible d’échapper au vaccin sur avis médical ou pour les femmes enceintes.

L’annonce de la mesure a déclenché un large mouvement de contestation. Quelque 40 000 personnes ont de nouveau défilé dans les rues de Vienne le 4 décembre, et des cortèges réunissant plusieurs milliers d’antivax ont été observés jusque dans les plus petites villes de province. Alimenté par l’extrême droite du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), le mouvement repose aussi sur un scepticisme vaccinal qui s’étend à de larges pans de la population, y compris dans les milieux ésotériques ou anthroposophes, influents dans l’espace germanique.
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Très observée dans le reste de l’Europe centrale, la décision autrichienne a pour l’instant suscité peu d’engouement chez ses voisins. Les gouvernements slovaque et tchèque ont évoqué l’hypothèse de rendre le vaccin obligatoire pour les plus de 60 ans. Mais l’idée a suscité de telles critiques que son entrée en vigueur semble peu probable.
Des craintes de radicalisation en Allemagne
Le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, entend au contraire avancer rapidement sur cette question. Il souhaite que la vaccination devienne obligatoire à partir de février 2022. Longtemps opposé à cette option, il a justifié son revirement par le niveau de vaccination relativement faible de la population. Seuls 69 % des Allemands sont doublement vaccinés.
Dans un pays traditionnellement attaché à la liberté de choix en matière vaccinale – et où seul le vaccin contre la rougeole est obligatoire (depuis mars 2020) –, cette décision est politiquement risquée. Soucieux de ne pas passer en force, M. Scholz souhaite que la future loi émane des députés, qui pourront voter selon leur conscience.
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Sans surprise, l’annonce a remobilisé les antivax, alors qu’un peu plus de 30 % des Allemands se disent opposés à l’obligation vaccinale. Ces derniers jours, de nombreux rassemblements se sont tenus à travers le pays, notamment dans les Länder de l’Est et en Bavière, où le taux de vaccination est inférieur à la moyenne nationale, elle-même étant l’une des moins élevées d’Europe occidentale. Face à ces rassemblements, parfois violents et dans lesquels l’extrême droite est très présente, plusieurs ministres régionaux de l’intérieur ont exprimé leur crainte de voir le mouvement se radicaliser.
La Pologne dos au mur
La Grèce, elle, a franchi le pas. Dès la mi-janvier 2022, les citoyens de plus de 60 ans non vaccinés seront passibles d’une amende administrative de 100 euros par mois. Cette décision est justifiée par les statistiques, qui montrent que neuf décès sur dix liés au Covid-19 concernent des personnes de plus de 60 ans. Les 60-69 ans sont vaccinés à 81 %, les 70-79 ans à 83 %, et les plus de 80 ans à 75 %.

Les médecins, les soignants et les personnes travaillant dans les maisons de retraite avaient déjà l’obligation d’être vaccinés depuis quatre mois, une mesure jugée constitutionnelle par le Conseil d’Etat. Le gouvernement veut aussi ramener à trois mois la période entre la deuxième et la troisième dose. Le principal parti d’opposition de gauche, Syriza, a dénoncé « des mesures punitives, qui n’ont été mises en œuvre dans aucun autre pays au monde ». Le 4 décembre, plusieurs manifestations ont eu lieu à Athènes et à Thessalonique, deuxième ville du pays.
En Pologne, où, en raison d’une importante fraction antivax au sein de la majorité conservatrice du PiS (Droit et justice), la question de la vaccination obligatoire est longtemps restée taboue pour le gouvernement, la dégradation de la situation épidémiologique (près de 20 000 contaminations et 500 morts par jour) a amené l’exécutif à annoncer, le 6 décembre, l’obligation vaccinale à partir du 1er mars pour les professions médicales, le corps enseignant, l’armée et la police.
L’opposition de gauche juge ces mesures « profondément insuffisantes »,soulignant que le taux de vaccinés dans ces professions est déjà de 80 % à 92 %, contre 55 % pour l’ensemble de la population. Le chef du principal parti d’opposition, l’ancien premier ministre de centre droit Donald Tusk, a, lui, estimé qu’il « n’y a pas la possibilité de mettre en place la vaccination obligatoire ». Le ministre de la santé, Adam Niedzielski, a également annoncé que le gouvernement allait autoriser les employeurs à vérifier le certificat de vaccination de leurs salariés, une mesure qui a fait l’objet de virulents débats ces dernières semaines.
Manifestations aux Pays-Bas et en Belgique
Aux Pays-Bas comme en Belgique, le dossier de la vaccination obligatoire est sur la table mais les gouvernements hésitent à trancher cette question très sensible compte tenu de la mobilisation croissante contre les autres mesures prises pour endiguer la pandémie. Le gouvernement du Néerlandais Mark Rutte, qui a déjà imposé un semi-confinement et songe à l’étendre, est confronté à des manifestations qui, en novembre, ont dégénéré en émeutes mêlant casseurs, complotistes, antivax et mouvements d’extrême droite.
En Belgique, où les antivax mobilisent aussi, le premier ministre est indécis. Son ministre de la santé, un socialiste flamand, voulait imposer la vaccination obligatoire des soignants. Une très longue négociation entre les sept partis de la majorité a débouché sur un accord : au 1er janvier 2022, les personnels refusant le vaccin seront mis au chômage ou affectés à d’autres fonctions et, au 1er avril 2022, ils seront suspendus avec droit au chômage. Le 7 décembre, les organisations représentatives ont organisé une grande manifestation à Bruxelles.
En Roumanie la vaccination obligatoire divise aussi le monde politique. La droite y est favorable, la gauche s’y oppose. La composition de la coalition actuelle entre libéraux et sociaux-démocrates ne facilite pas la prise de décision. Les premiers se heurtent à leurs alliés sociaux-démocrates, qui contrôlent le ministère de la santé. Seuls 39 % des Roumains se sont fait vacciner et la Roumanie compte 1 787 000 personnes contaminées et 57 200 décès.
Pas à l’ordre du jour en Scandinavie
Dans les pays nordiques, l’obligation vaccinale n’est clairement pas à l’ordre du jour. En Suède, où la stratégie depuis le début de la pandémie a consisté à privilégier les recommandations aux obligations et interdictions, la question n’est pas évoquée, même si la couverture vaccinale reste en dessous de ce que les autorités espéraient, dans ce pays où aucun des neuf vaccins classiques n’est obligatoire, mais où le taux de vaccination dépasse 97 %.
Actuellement, 84 % des plus de 12 ans ont reçu une première dose et près de 80 % sont entièrement vaccinés ; 47 % des plus de 65 ans ont reçu une troisième dose. La situation semble sous contrôle avec un des taux d’incidence les plus bas d’Europe (232 cas pour 100 000 habitants), une augmentation très limitée des hospitalisations et un taux de mortalité très bas.
Au Danemark, où les autorités s’inquiètent de la reprise des contaminations, la vaccination obligatoire ne fait pas non plus débat : à droite comme à gauche, aucun parti n’y est favorable. Quelque 78,2 % des Danois ont reçu une première dose et 76,1 % sont entièrement vaccinés. Dans ce contexte, « il serait donc complètement absurde de mettre en place ce genre de chose », juge Martin Geertsen, député du parti libéral (Venstre) chargé des questions de santé. Pour la première ministre sociale-démocrate, Mette Frederiksen, il n’en est pas question non plus : « Nous souhaitons sincèrement que ce soit les gens au niveau individuel qui prennent la décision. » En Finlande, l’idée d’imposer la vaccination ne remporte guère plus de soutien.
En Italie, le gouvernement a opté pour une politique consistant à réduire graduellement les activités accessibles sans vaccin. Depuis mi-octobre, le passe sanitaire était déjà nécessaire pour toutes les activités professionnelles, mais face à la recrudescence de la pandémie, un « super green pass » a été instauré le 6 décembre. Ce passe « renforcé » ne peut s’obtenir que par la vaccination ou un certificat de guérison et il est obligatoire pour accéder aux cinémas, aux salles de spectacles, aux stades et aux restaurants. Par ailleurs, des restrictions supplémentaires, notamment la circulation de région à région, toucheront les non-vaccinés en cas d’aggravation de la situation sanitaire. En Espagne et au Portugal, où le taux de vaccination est élevé (80 % et 88 %), le débat sur une possible obligation n’existe pas. Mais, comme en Italie, l’administration du vaccin aux enfants de 5 à 11 ans vient d’y être autorisée.
Stéphanie Le Bars, Mirel Bran(Bucarest, correspondant), Jean-Baptiste Chastand(Vienne, correspondant régional), Jérôme Gautheret(Rome, correspondant), Anne-Françoise Hivert(Malmö (Suède), correspondante régionale), Jakub Iwaniuk(Varsovie, correspondance), Virginie Malingre(Bruxelles, bureau européen), Marina Rafenberg(Athènes, correspondance), Jean-Pierre Stroobants(Bruxelles, bureau européen) et Thomas Wieder(Berlin, correspondant)