Les consultations organisées par les élus locaux (référendums locaux) ne sont pas devenues l’outil démocratique visé lors de leur création, en 2003. 

Très peu utilisés, hors des clous juridiquement : le grand flop des référendums locaux

Souvent contestées dans la méthode et à cause d’une participation trop faible, les consultations organisées par les élus locaux ne sont pas devenues l’outil démocratique visé lors de leur création, en 2003. 

Par Denis CosnardPublié le 02 décembre 2021 à 02h10 – Mis à jour le 02 décembre 2021 à 08h07  

Temps de Lecture 6 min. 

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Les référudums locaux, des initiatives peu nombreuses, peu mobilisatrices, souvent contestées, et régulièrement hors des clous juridiquement.
Les référudums locaux, des initiatives peu nombreuses, peu mobilisatrices, souvent contestées, et régulièrement hors des clous juridiquement. FRED DE NOYELLE / GODONG / PHOTONONSTOP

Evidemment, Jean-Luc Laurent est déçu. Durant la campagne des élections municipales au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), le président du Mouvement républicain et citoyen (MRC), ancien député, avait promis qu’une fois élu maire il organiserait un référendum local par an, « pour que les décisions soient prises par les citoyens ».

La première consultation de la série, dimanche 28 novembre, a certes débouché sur le résultat qu’il souhaitait : le oui au changement de lieu et d’horaires pour le marché dominical l’a emporté largement, avec 72 % des suffrages exprimés. Mais cette victoire n’est le fait que d’une poignée d’électeurs ; seules 948 personnes se sont rendues dans un des seize bureaux de vote de la ville, soit à peine 6,5 % des habitants appelés aux urnes

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Dans ces conditions, que vaut le vote ? « Fiasco », juge le collectif local Forum citoyen. « Référendum bidon aux frais du contribuable », cingle le conseiller d’opposition Bernard Chappellier. « J’aurais préféré davantage de participation, mais comme on lance un processus, il n’y a pas encore d’habitudes, tempère Jean-Luc Laurent. En outre, deux groupes d’opposition avaient appelé à boycotter le référendum, ce qui a évidemment joué, de même que la reprise du Covid. » Comme promis, le maire compte suivre, malgré tout, l’avis majoritaire et déménager le marché.

Les habitants du Kremlin-Bicêtre ne sont pas seuls à bouder les urnes. Ce même dimanche, un autre référendum local se tenait à Charleville-Mézières (Ardennes) pour statuer sur une série d’aménagements urbains, en particulier la limitation de la vitesse à 30 km/h dans la plupart des rues. Là aussi, le oui a obtenu la majorité. Mais le scrutin n’a pas non plus déplacé les foules, avec 16 % de participation. En banlieue de Lyon, un projet très débattu de téléphérique a suscité davantage d’intérêt : 30 % des électeurs ont voté à La Mulatière, 43 % à Sainte-Foy-lès-Lyon.

Après les « gilets jaunes », impliquer davantage les citoyens

Dans aucun des quatre cas, cependant, la participation n’a atteint les 50 % nécessaires légalement pour qu’un projet validé par une majorité soit considéré comme adopté. Quant au « référendum » de Valérie Pécresse sur le boulevard périphérique, clos le 30 novembre, il a recueilli 78 746 réponses, et « les résultats montrent un rejet massif du projet de la ville de Paris », a annoncé la région Ile-de-France, mercredi : « 90,2 % des Franciliens se sont prononcés contre la suppression d’une voie à la circulation de tous sur le périphérique. » Mais la validité de cette consultation est remise en cause par la municipalité parisienne, qui vient d’attaquer la région en justice.

Des initiatives peu nombreuses, peu mobilisatrices, souvent contestées, et régulièrement hors des clous juridiquement : en France, les référendums locaux n’ont pas encore trouvé leur place. « Cette procédure fonctionne assez mal »,confirme Marion Paoletti, une chercheuse en sciences politiques qui y a consacré sa thèse.

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Premier constat, le recours à cette forme de consultation reste très rare. En 2003, lorsque la Constitution a permis aux conseils municipaux, départementaux ou régionaux de réaliser des référendums locaux, les partisans de ce type d’opérations pouvaient espérer une floraison spectaculaire. Raté. Les spécialistes n’en recensent que trois ou quatre par an au début des années 2010, une dizaine chaque année à présent.

Un léger rebond se dessine toutefois. Les maires élus en 2020 ont déjà organisé dix-huit vrais référendums locaux en quinze mois, selon le pointage de Paul Cébille, chargé d’études à l’IFOP. « Avec l’abstention qui monte, le souvenir des “gilets jaunes”, certains maires de droite comme de gauche ont le sentiment qu’il faut impliquer davantage les citoyens, ne serait-ce que pour donner de la légitimité aux projets envisagés », explique-t-il.

Consultation qui « fait peur aux élus »

Dans cette logique, quoi de mieux, sur le papier, qu’un référendum ? « Ici, on vote pour ou contre un projet précis, et les électeurs peuvent vraiment voir le lien entre leur choix et ce qui se passe ensuite », plaide Gilles Mentré, élu Les Républicains de Paris et auteur de Démocratie. Rendons le vote aux citoyens (Odile Jacob, 256 pages, 21,90 euros).

Au total, cependant, le nombre de villes concernées reste « infinitésimal » par rapport à l’ensemble des communes françaises, souligne Marion Paoletti. « Cette procédure a été créée pour montrer qu’on faisait quelque chose en faveur de la démocratie locale, mais elle fait peur aux élus et elle est très encadrée, notamment quant aux possibilités d’initiative citoyenne, constate l’universitaire de Bordeaux. Au bout du compte, c’est un outil qui reste sur l’étagère, inutilisé. » 

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Sa collègue Laurence Morel, chercheuse associée au Cevipof, est à l’unisson : « Alors que le référendum local s’est développé dans beaucoup de pays européens depuis vingt ans, en France, on fait semblant. On compte très peu de référendums proposés par les collectivités, et quasiment aucun d’initiative populaire. » Le référendum d’initiative partagée issu de la réforme institutionnelle de 2008 n’a jamais non plus été utilisé à l’échelle nationale, le nombre de signatures indispensables étant beaucoup trop élevé.

Deuxième souci : quand des référendums ont lieu, la participation est souvent faible. Globalement, le seuil de 50 % nécessaire pour que le résultat d’un référendum local s’impose juridiquement n’a été dépassé que dans cinq des dix-huit dernières consultations. « Le nombre de votants varie énormément en fonction de la taille de la commune et du sujet », décrypte Paul Cébille. Dans les villages, sur des questions qui touchent directement les habitants, la mobilisation peut être élevée. Comme à Bourseville (Somme), où, en juin, 55 % des électeurs ont donné leur avis – négatif, pour la plupart – sur l’installation d’éoliennes. Dans une grande ville de banlieue, sur des thèmes jugés moins décisifs, les scores peuvent tomber très bas.

Périphérique parisien : « un quiz en ligne »

Dernier problème, l’appellation « référendum » cache une multitude de situations. Certains cas correspondent précisément au cadre strict prévu par la loi, avec un passage obligatoire dans le bureau de vote, un quorum fixé à 50 % des inscrits et un objet relevant précisément de la compétence de la collectivité en cause. Mais, bien souvent, les élus utilisent le terme très valorisant de « référendum » pour des consultations plus ou moins éloignées du modèle canonique. A l’image de celle organisée fin octobre par le maire communiste de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Toute la population, y compris les étrangers et les jeunes de plus de 16 ans, pouvait répondre à quatre questions concernant la circulation routière et la 5G. Un flop, dénoncé par l’opposition : malgré des bureaux de vote ambulants, seuls 5 % des habitants ont participé.

Le « grand référendum » mené par la région Ile-de-France au sujet du « périph » s’écarte encore plus du schéma légal. Réalisée uniquement en ligne, la consultation était ouverte à tous les Français, qu’ils habitent ou non la région, qu’ils utilisent ou non le périphérique. Une seule question, pour le moins orientée : « Etes-vous pour ou contre la suppression d’une voie à la circulation pour tous sur le périphérique ? » Pour la présidente de la région, Valérie Pécresse (LR), il s’agissait de contrer le projet de la Ville de Paris, propriétaire du périphérique, de réserver une voie aux athlètes, officiels, forces de l’ordre, etc., pendant les Jeux olympiques de 2024, puis au covoiturage et aux transports en commun.

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En découvrant ce pseudo-référendum, la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, a vu rouge, et décidé d’assigner la région au tribunal administratif, pour que Valérie Pécresse ne puisse pas se prévaloir du résultat de la consultation. « Ce n’est qu’un quiz en ligne, une imposture démagogique », vitupère Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire. Le sujet ne relève pas de la compétence de la région, le « référendum » n’a pas fait l’objet d’une délibération du conseil régional et le corps électoral n’est pas pertinent, énumère-t-on à l’Hôtel de ville. Bref, ce sondage en ligne serait, avant tout, une façon pour la candidate à la primaire LR de montrer qu’elle défend les automobilistes.

« Visiblement, la démocratie participative et la consultation des Franciliens et des Parisiens dérangent la Mairie », rétorque-t-on à la région. Ambiance…

Denis Cosnard

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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