Etrangers et aide sociale : il n’y a pas de cagnotte (6 milliards d’€ et non pas 20 milliards)

Aides sociales aux étrangers : la cagnotte imaginaire de Zemmour et Le Pen

La candidate du Rassemblement national et le polémiste d’extrême droite proposent de supprimer ou restreindre les prestations sociales aux étrangers pour récolter jusqu’à 20 milliards d’euros par an. Selon nos informations, elles représenteraient moins de 6 milliards d’euros. 

Par Ivanne Trippenbach Publié 26/11 à 05h23, mis à jour à 10h33  

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https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/11/26/aides-sociales-aux-etrangers-la-cagnotte-imaginaire-de-zemmour-et-le-pen_6103647_6059010.html

Eric Zemmour, à Londres, le 19 novembre.
Eric Zemmour, à Londres, le 19 novembre. TOM NICHOLSON / REUTERS

Leur promesse-phare est tranchante, mais bancale : prendre l’argent versé aux étrangers pour le « rendre aux Français ». Le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour, candidat putatif à la présidentielle de 2022, a proposé, lundi 22 novembre sur Franceinfo, de réduire la contribution sociale généralisée (CSG) pour offrir un « treizième mois » aux salariés gagnant le smic, quelques semaines après que Marine Le Pen a égrené une batterie de mesures pour le pouvoir d’achat. Avec un engagement : ni impôt supplémentaire ni dette. « Pas un centime de plus » ne sera prélevé sur les Français, assure la candidate du Rassemblement national (RN) à ce scrutin. Pas de « démagogie » payée « avec leurs impôts et leur dette », promet à son tour Eric Zemmour, en dénonçant « le poids » de la protection sociale.

D’une formule, tous deux proposent que « la solidarité nationale redevienne nationale », c’est-à-dire de supprimer ou de restreindre les prestations sociales versées aux étrangers vivant en France. Dans leur viseur : le revenu de solidarité active (RSA), les aides au logement, les allocations familiales et le minimum vieillesse.

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Eric Zemmour veut les retirer aux non-Européens ; Marine Le Pen veut réserver les allocations familiales « exclusivement aux Français » et conditionner les autres prestations à cinq ans de travail à temps plein. De quoi récolter, disent-ils, un pactole mirobolant : 20 milliards d’euros par an pour l’ancien journaliste du Figaro, 16 milliards pour la prétendante du RN – soit environ deux fois le budget de la justice.

En réalité, cette promesse est illusoire, d’abord parce qu’elle se heurte au droit constitutionnel. La solidarité n’a jamais été « nationale » au sens où elle exclurait d’emblée les étrangers ; il s’agit de la solidarité de la nation à l’égard de tout résident en France face aux risques sociaux. Elle trouve son assise dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui consacre le principe d’égalité, et le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que « tout être humain » en incapacité de travailler en raison de son âge, de sa condition ou de la situation économique « a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

Les étrangers contribuent au système social

Nulle mention d’un critère de nationalité. « Ce serait une discrimination à raison de l’origine, totalement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, souligne Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay. Le parent français assumant des frais pour son enfant est-il dans une situation différente du parent étranger qui assume les mêmes frais ? » Seules des conditions d’accès aux droits existent, comme celle d’une durée minimale de résidence régulière en France.

Les partisans d’une exclusion omettent de rappeler que les étrangers contribuent au système social, soit par leur travail (les cotisations financent deux tiers des prestations familiales), soit par l’impôt (qui abonde les minima sociaux). « Cela reviendrait à faire payer les étrangers tout en les excluant de l’accès aux prestations, ce qui serait injuste », relève Lionel Ragot, professeur d’économie à l’université Paris-Nanterre, spécialiste des migrations internationales.

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Si les deux souverainistes défient la tradition constitutionnelle nationale, ils se montrent curieusement plus respectueux de l’Union européenne (UE). Ils ne ciblent en effet que les « extra-Européens » : les citoyens des autres pays de l’UE bénéficient, eux, des mêmes droits sociaux que les nationaux au nom de la libre circulation et de la non-discrimination – la Cour de justice de l’UE admet seulement la possibilité de ne pas leur verser d’allocations s’ils sont sans emploi ou en situation irrégulière.

Le rêve de cagnotte d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen ne correspond pas non plus à la réalité, certes difficile à retracer. Il n’existe pas de chiffres publics renseignant les montants d’aides versées aux étrangers. « C’est le principe de la solidarité française : on ne fiche pas les gens selon leur nationalité dès lors qu’ils remplissent les conditions d’accès aux droits », confirme-t-on au cabinet du ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran. Un flou qui alimente les fantasmes, et sur lequel prospèrent les populistes.

Le projet d’un nationalisme d’exclusion

Tous bénéficiaires confondus, donc, ces prestations pèsent quelque 44 milliards d’euros : 15,8 milliards pour les aides au logement dans le budget 2022 ; 12,8 milliards pour les allocations familiales et 4 milliards pour l’ASPA (ex-minimum vieillesse), dans les comptes de la Sécurité sociale ; 11,4 milliards pour le RSA en 2019, selon la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Lorsque Eric Zemmour soutient que « ça fait 20 milliards d’économies », il sous-entend que les non-Européens captent près de la moitié de ces droits.

En réalité, l’ensemble des étrangers, Européens et extra-Européens, perçoivent seulement 13 % du montant total des prestations de la CNAF, indique cette dernière au Monde. Soit, pour les allocations ciblées, 5,3 milliards d’euros. Côté minimum vieillesse, les étrangers en reçoivent 28 %, selon un rapport de la Cour des comptes d’octobre, soit 1 milliard d’euros.

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En bref, les prestations que citent Marine Le Pen et Eric Zemmour représentent au maximum 6,3 milliards d’euros, pour tous les étrangers. Leur mesure contre les extra-Européens dégagerait donc… moins de 6 milliards d’euros. Bien loin des 16 milliards à 20 milliards escomptés. Le montage de M. Zemmour alourdirait même, sur un quinquennat, la dette publique d’au moins 70 milliards.

Malgré son air technique, la proposition résume le projet d’un nationalisme d’exclusion. D’une part, elle suppose que les étrangers sont un fardeau. Or, seuls « 10 % de foyers de ressortissants étrangers perçoivent nos prestations », affirme la CNAF.

Contribution positive des étrangers

Les travaux existants sur la contribution nette des immigrés (nés étrangers à l’étranger) convergent vers le même résultat. Excédentaire, selon un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Neutre, conclut une équipe d’économistes du Centre d’études prospectives et d’informations (Cepii) en 2018. « Ce qui explique l’écart de perception, précise Lionel Ragot, auteur de la note du Cepii, c’est qu’à l’échelle du pays, la population immigrée est plus concentrée dans les tranches d’âge d’actifs, donc contribue positivement. »

D’autre part, l’idée de retirer des droits à des personnes au revenu modeste au profit d’autres personnes au revenu modeste, mais françaises, n’est pas anodine. Elle joue sur un « racisme compensateur », finement décrypté par Pierre Rosanvallon dans Les Epreuves de la vie (Seuil, 224 pages, 19 euros), livre paru en août. Cette exclusion permet, écrit l’historien et sociologue, à « une population sociale dominée [de] retrouver collectivement une forme d’importance et de dignité en méprisant une population jugée inférieure ».

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Au risque d’un paradoxe : Eric Zemmour veut aussi réduire l’impôt sur la fortune immobilière, qui taxe les patrimoines d’au moins 1,3 million d’euros. Ces contribuables « ne sont pas des gens spécialement riches », a-t-il jugé puisque « à Paris, c’est un 100 mètres carrés, c’est pas ce qu’on appelle des riches ».

Ivanne Trippenbach

POLITIQUE

L’hôpital « assiégé » par les patients étrangers : les médecins dénoncent les contre-vérités d’Eric Zemmour sur l’AME   

Par A.M. le 19-10-2021 

https://www.egora.fr/actus-pro/politique/69503-l-hopital-assiege-par-les-patients-etrangers-les-medecins-denoncent-les?nopaging=1

En conférence à Béziers le 16 octobre, le potentiel futur candidat à l’élection présidentielle a fait de la suppression de l’aide médicale d’état (AME) sa priorité pour réformer le système de santé. Des propos qui ont fait bondir de nombreux médecins sur les réseaux sociaux.

« Je pense que l’hôpital est complètement assiégé par une population venue du monde entier, qu’il est obligé de soigner à nos frais. Je pense que c’est une des premières mesures à prendre, c’est à dire supprimer l’AME », a déclaré le polémiste Eric Zemmour, alors qu’il était en conférence à Béziers. « Il y a du boulot pour que l’hôpital français cesse d’être l’hôpital de toute l’Afrique« , a renchérit le potentiel candidat à l’élection présidentielle, crédité de 16% des intentions de vote dans les derniers sondages, qui a entamé une tournée dans toute la France. La preuve en est, selon lui, les « 75 millions de cartes vitales » en circulation pour 67 millions d’habitants.

Des propos qui ont fait bondir un grand nombre de médecins sur les réseaux sociaux, parmi lesquels le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML. « On n’assiège pas un refuge », a-t-il lancé.

Je vais vous répondre en un thread ecrit d’une traite @ZemmourEric. Ainsi l’hôpità serait assiégé par une population venu du monde entier et, ce faisant, il faudrait supprimer l’AME.
Ce n’est evidemment pas vrai et vous le savez, mais imaginons, des malades « assiegeant » (1) https://t.co/axGZ7IxFZP

— DrMartyUFML-S (@Drmartyufml) October 16, 2021

D’autres ont rappelé que l’AME de droit commun (hors urgences) représentera un budget d’un milliard d’euros en 2022, une somme à mettre en regard des 236.3 milliards d’euros d’objectif national de dépenses d’Assurance maladie (Ondam) pour l’an prochain, bien que l’AME soit financée sur le budget de l’Etat. Les soins hospitaliers représentaient en 2018, d’après l’Igas (source ATIH), presque les deux tiers des dépenses d’AME de droit commun. Les bénéficiaires de l’AME ont cumulé 74 470 séjours (27% en obstétrique, 19% en chirurgie, 7% en hépato-gastro-entérologie et 6% en pneumologie) et 41 544 séances hospitalières (53% de dialyses), sur un total de 11.8 millions de séjours en hospitalisation complète et 17.1 millions de séjours sans nuitée. Les patients en AME sont, de fait, relativement « rares ».

15 ans d’hôpital public ici. J’ai du voir 5 AME au maximum. 1 milliard, c’est 0,5% du budget de l’assurance maladie. Une brindille.

— Tom Brioche (@BriocheTom) October 19, 2021

Pas vu un seul patient relevant de l’AME en 8 ans.

Par contre, des gens qui refusent de quitter l’hôpital parce qu’avec leurs impôts ils y ont droit même quand il n’y ont plus rien à faire, j’en ai 4 ce matin. https://t.co/V31YSeyune

— Qffwffq (@qffwffq) October 17, 2021

Des urgentistes ont par ailleurs tenu à contrer l’idée selon laquelle ce sont les patients étrangers qui encombreraient les urgences, et non le manque de moyens humains.

Moins de 1% des patients consultant aux urgences de Nantes relève de L’ÂME. Et comment dire, les urgences, comme service exposé… https://t.co/NPcFvaaGkz

— Philippe Le Conte (@PhilippeLeConte) October 17, 2021

https://www.facebook.com/plugins/post.php?href=https%3A%2F%2Fwww.facebook.com%2Fmedecinedesnuls%2Fposts%2F920409345241502&show_text=true&width=500

Enfin, les internautes ne sont pas privés de rappeler qu’à l’hôpital, les étrangers sont effectivement nombreux… parmi les rangs des soignants.

Un grand merci aux personnels hospitaliers d’Afrique, du Maghreb, du Liban et d’autres pays d’Europe et du monde qui exercent et sauvent des vies dans les hôpitaux Français!

L’hôpital « assiégé » par les étrangers? Des médecins répondent à Éric Zemmour https://t.co/H0wnXP6Umy

— MSC (@CGN1932) October 19, 2021

J’essaie d’entrer à l’hôpital mais c’est dur de traverser tous ces patients avec l AME qui font le siège de l’hôpital

Souhaitez moi bonne chance

— Yonathan FREUND (@FreundYonathan) October 19, 2021

Voir aussi:

https://environnementsantepolitique.fr/2021/11/06/ame-le-taux-danomalie-detecte-sur-un-double-controle-des-dossiers-seleve-en-effet-a-134-en-2020/

https://environnementsantepolitique.fr/2021/10/23/ne-pas-soigner-les-etrangers-une-belle-mise-au-point-a-eric-zemmour-dun-praticien-hospitalier-dorigine-etrangere/

https://environnementsantepolitique.fr/2021/02/17/l-ame-est-reduite-drastiquement-par-la-reforme-denonce-un-collectif-de-lmedecins-et-de-directeurs-detablissements-de-sante/

https://blogs.mediapart.fr/collectif-nos-services-publics/blog/160221/reforme-de-laide-medicale-detat-une-triple-faute-morale-economique-et-sanitaire?utm_source=20210217&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-%5BQUOTIDIENNE%5D-20210217&M_BT=115359655566

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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