Pendant la récession liée au Covid-19, la pauvreté n’a pas augmenté, selon l’Insee
En 2020, le taux de pauvreté touchait 14,6 % de la population française. Un chiffre stable par rapport à 2019. Si l’aide de l’Etat a permis à de nombreuses personnes de ne pas sombrer, les plus démunis semblent avoir glissé encore plus dans la précarité.
Temps de Lecture 4 min.

La crise liée à la pandémie de Covid-19, qui s’est traduite par une chute de 8 % du PIB pour l’année 2020, a-t-elle fait exploser la pauvreté en France ? A l’automne 2020, Alerte, un collectif d’associations, sonnait l’alarme : un million de personnes auraient basculé dans la précarité en raison de la crise. Un an plus tard, mercredi 3 novembre, l’Insee a livré une étude qui relativise l’impact de la crise : en 2020, le taux de pauvreté – qui se définit comme un niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian – touchait 14,6 % de la population française, soit 9,3 millions de personnes. Un chiffre stable par rapport à 2019. Les inégalités, selon cette estimation, n’auraient pas davantage évolué. Autrement dit, la récession historique de 2020 n’aura pas fait augmenter la pauvreté en France.
Lire aussi En France, le retour à un niveau de PIB d’avant-Covid s’accompagne d’une nette baisse du chômage
« La stabilité des inégalités de niveau de vie et de pauvreté monétaires s’expliquerait par les mesures exceptionnelles mises en place pour lutter contre les effets de la crise sanitaire », selon l’Insee. L’activité partielle a ainsi permis d’éviter une explosion du chômage, les aides ciblées ont soutenu le revenu des ménages, et le fonds de solidarité a compensé, au moins en partie, la chute du chiffre d’affaires des indépendants. Sans ces divers dispositifs, calcule l’Insee, le taux de pauvreté aurait progressé de 0,6 point, ce qui représente 400 000 personnes, et les inégalités se seraient accrues. De plus, « il est impossible d’évaluer l’ampleur des faillites d’entreprises et des destructions d’emplois qui seraient advenues » sans ces dispositifs de soutien.
Méthodologie
Il n’en reste pas moins que la conclusion de cette étude, de l’aveu même du directeur général de l’Insee, Jean-Luc Tavernier, qui s’en explique dans un article de blog, « peut étonner ». L’une des explications réside dans la méthodologie employée. L’enquête porte uniquement sur la France métropolitaine, et sur les ménages « ordinaires » selon la nomenclature de l’Insee, à savoir 95 % de la population française.
Lire aussi La hausse des prix risque de gripper la reprise
Elle exclut donc les personnes qui vivent en collectivité ou en communauté – résidences étudiantes, maisons de retraite, casernes, prisons… –, ainsi que celles sans domicile, soit au total 1,4 million de personnes. Parmi ces catégories de population, si les personnes âgées, dont les pensions n’ont pas été affectées, n’ont pas perdu de revenus, les étudiants, en revanche, ont été massivement touchés, perdant notamment leurs petits boulots.
« La pauvreté s’est sans doute intensifiée, mais n’a pas explosé » Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee
Autre limite à cette enquête, comme à toutes les enquêtes statistiques d’ailleurs : par construction, elle ne prend pas en compte les revenus « informels » issus du travail non déclaré ou des trafics. Ces limites peuvent-elles remettre en question les conclusions auxquelles parvient l’institut de la statistique ? Non, répond l’Insee en substance. Si elles peuvent « réduire la fiabilité de l’estimation », ce n’est pas au point « d’en réduire l’intérêt », précise M. Tavernier.
D’autres travaux, également publiés mercredi 3 novembre, permettent d’apporter quelques précisions sur l’évolution de la situation financière des plus précaires pendant la crise. L’Insee a analysé des données anonymisées de transactions bancaires d’un échantillon de 203 000 clients de la Banque postale, particulièrement issus des catégories les plus modestes.
Aggravation de la précarité
Conclusions : d’une manière générale, les revenus ont été moins affectés en 2020 que l’épargne et les patrimoines. Pour les clients les plus modestes, sur l’ensemble de l’année, les revenus sont inférieurs de 3 % aux montants attendus. Autre conclusion, la proportion de comptes à découvert a été plus faible en 2020 qu’en 2019, même pour les plus bas revenus.
Lire le reportage : Les associations d’aide alimentaire face à un « raz de marée de la misère »
Comment comprendre, dès lors, l’afflux de personnes en difficulté accompagnées en 2020 par les associations ? L’Insee chiffrait, dans une note parue en juillet 2021, la hausse du recours à l’aide alimentaire à 11 % en volume, et à 7 % les nouvelles inscriptions auprès des associations. Une augmentation « sensible », qui témoignerait plus de l’aggravation de la précarité pour les personnes qui étaient déjà en difficulté que d’une multiplication du nombre de ménages en situation de pauvreté. « La pauvreté s’est sans doute intensifiée, mais n’a pas explosé », résume M. Tavernier.
C’est aussi ce message que veut faire passer Christophe Devys, président du collectif Alerte (qui représente le Secours catholique, la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, Medecins du monde… parmi les principales associations membres), à la lecture de ces résultats. « En 2020 nous avons dit qu’il y aurait très certainement une hausse de la pauvreté, mais le chiffre d’un million de pauvres n’avait aucune prétention scientifique », explique-t-il, ajoutant que « les associations étaient dans leur rôle en alertant sur ce chiffre. Grâce à ce signal d’alarme que nous avons tiré, il y a eu un certain nombre d’aides, qui ont permis de stabiliser le nombre de pauvres sur l’année – cela a donc été efficace ».
Toutefois, le problème, selon M. Devys, n’est pas réglé sur le fond. D’une part, les aides « qui ne sont que ponctuelles » ont pris fin pour la plupart. « On ne sait pas comment les personnes s’en sont tirées aujourd’hui », poursuit-il. Sur le fond, « le chiffre de près de 15 % de la population en situation de pauvreté est, dans l’absolu, très élevé », estime M. Devys. Dans un rapport publié en mai 2021, le Comité national de lutte contre l’exclusion (CNLE) rappelle qu’« au-delà de la nécessité de pallier les effets immédiats de la crise, il est absolument indispensable de prévenir les trajectoires de pauvreté durables, et parfois irréversibles, qui constituent souvent le versant diffus des crises ».
Béatrice Madeline
Pauvreté : 10 % de la population doit être aidée pour manger, du jamais-vu
18 NOVEMBRE 2021 PAR FAÏZA ZEROUALA
Dans un rapport publié jeudi, le Secours catholique revient sur la précarité des personnes qu’il accompagne. Avec la crise sanitaire, entre 5 et 7 millions de personnes ont eu besoin en 2020 de recourir à l’aide alimentaire.
Les files d’attente interminables devant les points de distribution alimentaire resteront comme l’image forte de la crise sanitaire de 2020. C’est pourquoi le Secours catholique a choisi, dans son rapport annuel 2020, baptisé « Faim de dignité » et publié ce jeudi 18 novembre (à lire ici), de mettre en lumière la précarité alimentaire.
En 2020, le Secours catholique a accompagné 777 000 personnes, ce qui permet de dresser un tableau fin de la pauvreté. Si les différents dispositifs d’aide mis en place par le gouvernement ont limité son explosion, la crise liée au Covid-19 a dégradé les conditions de vie des ménages les plus fragiles. Le niveau de vie médian des personnes aidées par le Secours catholique s’établit ainsi à 537 euros, un chiffre en deçà du seuil de pauvreté fixé en 2018 à 1 063 euros.
En s’appuyant sur les données de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), le Secours catholique rappelle ainsi qu’entre 5 et 7 millions de personnes ont eu besoin de recourir à l’aide alimentaire, soit près de 10 % de la population française. Du jamais-vu en période de paix.
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28 % des foyers interrogés expliquent avoir perdu des revenus pendant le confinement du printemps. Par exemple, 61 % des foyers affirment que la fermeture des écoles et des cantines scolaires a eu des répercussions sur leur budget. « Voilà le baromètre d’une précarité plus sourde, dont les difficultés alimentaires ne sont que la face la plus visible », peut-on lire dans ce rapport.
Une distribution alimentaire à Paris, le 31 mai 2021. © Fiora Garenzi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFPLe Secours catholique relève aussi que 9 ménages attributaires sur 10 souffrent d’insécurité alimentaire. 27 % de ces ménages rapportent qu’il leur arrive de ne pas s’alimenter pendant une journée entière ou davantage. La population touchée est variée : des familles monoparentales en passant par des retraités, des travailleurs ou des étudiants. Une grande partie d’entre eux indiquent être préoccupés par les conséquences de cette insécurité alimentaire sur leur santé.
Jean Merckaert, directeur du plaidoyer France au Secours catholique, explique que ce rapport est centré sur la précarité alimentaire parce que l’association a été frappée par la masse de personnes en demande d’aide, beaucoup pour la première fois. « Tout le monde, dans un pays comme le nôtre, s’est habitué à ce que les plus précaires soient nourris comme ça. »
L’association se félicite d’aider les personnes qui ont pu connaître un basculement ponctuel dans la pauvreté, comme en 2020, mais envisage surtout des solutions structurelles pour lutter contre ces situations délicates. « Pour des personnes en situation de précarité chronique, ce n’est pas notre aide matérielle qui leur permettra de sortir de la pauvreté. Le gouvernement ne fait pas ce distinguo, il a institutionnalisé sous forme de sous-traitance aux associations la protection sociale de l’alimentation »,regrette Jean Merckaert.
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Pour permettre l’accès à une alimentation saine et de qualité, le Secours catholique appelle à des réformes structurelles comme la hausse des minima sociaux, la revalorisation du RSA, la mise en place d’un revenu minimum garanti pour tous les habitants en situation régulière et dès 18 ans, qui serait équivalent à 50 % du niveau de vie médian et accessible de façon le plus automatique possible.
L’association relève aussi que, parmi son public, un tiers des personnes éligibles au RSA n’en bénéficie pas et un quart de ceux ayant droit à des allocations familiales n’y a pas recours.
Simone*, 25 ans, étudiante en droit à Lille, est ainsi boursière échelon 7, soit un maximum perçu de 573 euros. Il lui arrive de travailler en parallèle de ses études pour avoir davantage d’argent puisque sa famille ne peut pas l’aider. En ce moment, elle aide une personne dans des démarches administratives.
La jeune femme « essaie de vivre normalement » mais elle est préoccupée par sa situation financière, « une source d’inquiétude ». En début de mois, elle s’autorise des courses plus onéreuses que d’ordinaire, pour se faire plaisir, mais très vite la réalité se rappelle à elle. « On achète des soupes et des conserves. » Elle s’autorise peu de plaisirs – en dehors d’un abonnement à la salle de sport. Aller boire des verres dans les bars est « hors de prix ». Elle se le permet de temps en temps en début de mois lorsque son compte affiche un solde positif.
Pour éviter de déprimer, elle explique compter sur l’entraide avec ses amis, eux aussi en difficulté, avec lesquels elle partage des repas, histoire d’égayer le quotidien.
Avant, j’avais 400 euros de découvert mais là, depuis le 7, je suis à − 1 000 euros. Le mois prochain c’est Noël, je voudrais que mes enfants aient au moins un cadeau chacun.
Aurore, mère de quatre enfants, bénéficiaire du Secours catholique
Simone reconnaît qu’elle est précaire mais rechigne à bénéficier de l’aide alimentaire pour la laisser « à ceux qui en ont vraiment besoin », même si elle sait que si elle « n’arrive pas à remonter la pente », elle ira taper à la porte du Secours catholique. L’étudiante se débrouille en faisant ses courses au jour le jour, pour gérer ses dépenses et bénéficier des promotions, notamment pour acheter les produits à la date limite de consommation proche.
En 2020, alors qu’elle a cumulé quelques dettes de loyer et connu des difficultés pour régler sa facture d’électricité, le Secours catholique l’a aidée à la résorber. Le Crous (œuvres universitaires et scolaires) l’a également aidée avec ses bons alimentaires de 50 euros. Mais elle regrette que cette aide ne soit que « ponctuelle ».
De son côté, Aurore, 39 ans, mère célibataire de quatre enfants de 6 à 19 ans, a l’habitude de slalomer dans le découvert. Installée en Ariège, elle perçoit le RSA et quelques allocations familiales pour un montant de 1 200 euros par mois. Elle paye, après les aides au logement, 220 euros de loyer.
Accompagnée par le Secours catholique, pour lequel elle fait quelques heures de bénévolat, elle a quand même des difficultés pour s’en sortir. « Je vis dans le découvert. Avant, j’avais 400 euros de découvert, mais là, depuis le 7, je suis à − 1 000 euros, je ne sais pas comment je vais m’en sortir. Le mois prochain, c’est Noël, je voudrais que mes enfants aient au moins un cadeau chacun », dit la mère de famille.
N’importe quel imprévu percute son équilibre financier précaire. Les lunettes pour son fils à 400 euros, remboursées à hauteur de 4 euros par la Sécurité sociale, sont payées en quatre fois. Comme les soins vétérinaires pour le chat en deux fois. Aurore échelonne tous les paiements lorsque c’est possible.
Durant un an, la mère de famille a économisé pour racheter à une amie une voiture à 1 700 euros, indispensable dans la région, réglée en trois fois. L’essence, qui a fortement augmenté, la ruine. Alors elle va s’approvisionner en début de mois, avant d’être dans le rouge, à la frontière espagnole. « Avant tout ça, je fais les courses pour le frais et l’essence. C’est la première fois que je suis autant en galère. Tout a augmenté, et le Covid a tout compliqué. »
Pour la nourriture et les vêtements pour elle et sa cadette, elle se rend deux fois par mois au Secours catholique, couplé aux Restos du cœur, pour récupérer de la viande, même si les quantités distribuées sont loin d’être suffisantes pour nourrir ses deux adolescents à l’appétit vorace (cinq blancs de poulet, cinq steaks, cinq poissons panés pour quinze jours). Elle a habitué ses enfants à manger de tout pour ne rien gaspiller. Mais elle aimerait pouvoir consommer mieux et des produits de meilleure qualité avec sa famille.
Simone, l’étudiante en droit, fait tout pour ne pas se laisser gagner par l’angoisse. « J’essaie de ne pas trop penser au côté financier et de m’apitoyer, je me dis que je vais m’en sortir plus tard. » Elle aimerait une augmentation des bourses, car il est difficile de travailler en parallèle de l’université. « Étudier prend du temps et les étudiants seraient plus productifs s’ils n’avaient pas de souci financier. »
Des bénéficiaires ont le sentiment d’être humiliés en récupérant les rebuts de la grande distribution. Certains ont honte et préfèrent se priver de manger.
Jean Merckaert, directeur du plaidoyer France au Secours catholique
Elle-même se prive de tout. Alors que le froid venait d’arriver, Aurore portait encore des claquettes dans l’attente de son argent pour pouvoir s’offrir des chaussures. Voyant cela, sa mère lui a donné des baskets. Elle ne chauffe pas son logement avant que cela soit insupportable et prie les enfants de mettre des doudounes.
Elle n’achète pas de boissons, jamais de marques et fabrique elle-même sa pâte à tartiner pour que ce soit moins cher. Aurore adore le jambon de pays mais c’est hors de prix, donc elle n’en mange jamais. « Je me débrouille comme je peux pour ne pas les priver, moi je m’en fous de moi. »
C’est pourquoi Jean Merckaert, directeur du plaidoyer France au Secours catholique, explique qu’il faudrait, pour des raisons de santé et de dignité des bénéficiaires, soutenir l’accès à une alimentation saine et de qualité notamment grâce aux épiceries sociales, les jardins partagés ou des paniers solidaires. « Des bénéficiaires ont le sentiment d’être humiliés en récupérant les rebuts de la grande distribution. Certains ont honte et préfèrent se priver de manger. » L’association entend bien interpeller, sur cette question de l’insécurité alimentaire, les candidats à l’élection présidentielle
Pendant la récession liée au Covid-19, la pauvreté n’a pas augmenté, selon l’Insee
En 2020, le taux de pauvreté touchait 14,6 % de la population française. Un chiffre stable par rapport à 2019. Si l’aide de l’Etat a permis à de nombreuses personnes de ne pas sombrer, les plus démunis semblent avoir glissé encore plus dans la précarité.
Temps de Lecture 4 min.

La crise liée à la pandémie de Covid-19, qui s’est traduite par une chute de 8 % du PIB pour l’année 2020, a-t-elle fait exploser la pauvreté en France ? A l’automne 2020, Alerte, un collectif d’associations, sonnait l’alarme : un million de personnes auraient basculé dans la précarité en raison de la crise. Un an plus tard, mercredi 3 novembre, l’Insee a livré une étude qui relativise l’impact de la crise : en 2020, le taux de pauvreté – qui se définit comme un niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian – touchait 14,6 % de la population française, soit 9,3 millions de personnes. Un chiffre stable par rapport à 2019. Les inégalités, selon cette estimation, n’auraient pas davantage évolué. Autrement dit, la récession historique de 2020 n’aura pas fait augmenter la pauvreté en France.
Lire aussi En France, le retour à un niveau de PIB d’avant-Covid s’accompagne d’une nette baisse du chômage
« La stabilité des inégalités de niveau de vie et de pauvreté monétaires s’expliquerait par les mesures exceptionnelles mises en place pour lutter contre les effets de la crise sanitaire », selon l’Insee. L’activité partielle a ainsi permis d’éviter une explosion du chômage, les aides ciblées ont soutenu le revenu des ménages, et le fonds de solidarité a compensé, au moins en partie, la chute du chiffre d’affaires des indépendants. Sans ces divers dispositifs, calcule l’Insee, le taux de pauvreté aurait progressé de 0,6 point, ce qui représente 400 000 personnes, et les inégalités se seraient accrues. De plus, « il est impossible d’évaluer l’ampleur des faillites d’entreprises et des destructions d’emplois qui seraient advenues » sans ces dispositifs de soutien.
Méthodologie
Il n’en reste pas moins que la conclusion de cette étude, de l’aveu même du directeur général de l’Insee, Jean-Luc Tavernier, qui s’en explique dans un article de blog, « peut étonner ». L’une des explications réside dans la méthodologie employée. L’enquête porte uniquement sur la France métropolitaine, et sur les ménages « ordinaires » selon la nomenclature de l’Insee, à savoir 95 % de la population française.
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Elle exclut donc les personnes qui vivent en collectivité ou en communauté – résidences étudiantes, maisons de retraite, casernes, prisons… –, ainsi que celles sans domicile, soit au total 1,4 million de personnes. Parmi ces catégories de population, si les personnes âgées, dont les pensions n’ont pas été affectées, n’ont pas perdu de revenus, les étudiants, en revanche, ont été massivement touchés, perdant notamment leurs petits boulots.
« La pauvreté s’est sans doute intensifiée, mais n’a pas explosé » Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee
Autre limite à cette enquête, comme à toutes les enquêtes statistiques d’ailleurs : par construction, elle ne prend pas en compte les revenus « informels » issus du travail non déclaré ou des trafics. Ces limites peuvent-elles remettre en question les conclusions auxquelles parvient l’institut de la statistique ? Non, répond l’Insee en substance. Si elles peuvent « réduire la fiabilité de l’estimation », ce n’est pas au point « d’en réduire l’intérêt », précise M. Tavernier.
D’autres travaux, également publiés mercredi 3 novembre, permettent d’apporter quelques précisions sur l’évolution de la situation financière des plus précaires pendant la crise. L’Insee a analysé des données anonymisées de transactions bancaires d’un échantillon de 203 000 clients de la Banque postale, particulièrement issus des catégories les plus modestes.
Aggravation de la précarité
Conclusions : d’une manière générale, les revenus ont été moins affectés en 2020 que l’épargne et les patrimoines. Pour les clients les plus modestes, sur l’ensemble de l’année, les revenus sont inférieurs de 3 % aux montants attendus. Autre conclusion, la proportion de comptes à découvert a été plus faible en 2020 qu’en 2019, même pour les plus bas revenus.
Lire le reportage : Les associations d’aide alimentaire face à un « raz de marée de la misère »
Comment comprendre, dès lors, l’afflux de personnes en difficulté accompagnées en 2020 par les associations ? L’Insee chiffrait, dans une note parue en juillet 2021, la hausse du recours à l’aide alimentaire à 11 % en volume, et à 7 % les nouvelles inscriptions auprès des associations. Une augmentation « sensible », qui témoignerait plus de l’aggravation de la précarité pour les personnes qui étaient déjà en difficulté que d’une multiplication du nombre de ménages en situation de pauvreté. « La pauvreté s’est sans doute intensifiée, mais n’a pas explosé », résume M. Tavernier.
C’est aussi ce message que veut faire passer Christophe Devys, président du collectif Alerte (qui représente le Secours catholique, la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, Medecins du monde… parmi les principales associations membres), à la lecture de ces résultats. « En 2020 nous avons dit qu’il y aurait très certainement une hausse de la pauvreté, mais le chiffre d’un million de pauvres n’avait aucune prétention scientifique », explique-t-il, ajoutant que « les associations étaient dans leur rôle en alertant sur ce chiffre. Grâce à ce signal d’alarme que nous avons tiré, il y a eu un certain nombre d’aides, qui ont permis de stabiliser le nombre de pauvres sur l’année – cela a donc été efficace ».
Toutefois, le problème, selon M. Devys, n’est pas réglé sur le fond. D’une part, les aides « qui ne sont que ponctuelles » ont pris fin pour la plupart. « On ne sait pas comment les personnes s’en sont tirées aujourd’hui », poursuit-il. Sur le fond, « le chiffre de près de 15 % de la population en situation de pauvreté est, dans l’absolu, très élevé », estime M. Devys. Dans un rapport publié en mai 2021, le Comité national de lutte contre l’exclusion (CNLE) rappelle qu’« au-delà de la nécessité de pallier les effets immédiats de la crise, il est absolument indispensable de prévenir les trajectoires de pauvreté durables, et parfois irréversibles, qui constituent souvent le versant diffus des crises ».
Béatrice Madeline
Selon le Secours catholique, la pandémie a contribué à dégrader le budget, l’alimentation et la santé des plus pauvres
L’association appelle à des mesures structurelles, comme la revalorisation du RSA.
Temps de Lecture 3 min.

Le confinement et la pandémie ont bien provoqué un choc budgétaire supplémentaire chez les familles les plus pauvres, selon le Secours catholique, dans son rapport annuel 2020, publié ce jeudi 18 novembre : 30 % d’entre elles ont subi des pertes de revenus et 60 % vu leurs dépenses, par exemple de nourriture, augmenter.
Les bénévoles de cette association caritative ont, au cours de l’année, rencontré et aidé 777 000 personnes, dont près de la moitié d’enfants, et son rapport permet une plongée saisissante dans le monde de la pauvreté, en France : elle touche d’abord les familles monoparentales (29 %) et les étrangers, dont la part ne cesse d’augmenter, à 46 %, soit dix points de plus qu’en 2015 – parmi eux, un tiers sont sans papiers, un autre en demande de régularisation et le troisième en règle.
La situation des personnes aidées par le Secours catholique se dégrade : 46 % font face à des impayés, notamment de loyer, avec une dette en hausse (777 euros en moyenne en 2020, contre 756 euros en 2019) ; près du tiers d’entre eux n’ont pas de logement stable, soit, là aussi, dix points de plus qu’en 2010 – une hausse certes liée à la forte présence d’étrangers qui ont plus de mal à se loger, mais pas uniquement.
L’efficacité des mesures prises pendant la pandémie
Le constat contraste, à première vue, avec les données de l’Insee, dans son estimation avancée sur l’année 2020, publiée le 5 novembre, qui observe que le taux de pauvreté monétaire est resté stable en 2020, par rapport à 2019, à 14,6 % de la population disposant d’un revenu au-dessous du seuil de pauvreté (fixé à 60 % du revenu médian). Ainsi, 9,5 millions de personnes vivent avec moins de 1 102 euros par mois et par unité de consommation. Les mesures de soutien prises par le gouvernement pendant la pandémie, comme l’indemnisation du travail partiel, l’aide aux travailleurs indépendants et des mesures exceptionnelles envers les plus pauvres, bénéficiaires du RSA et des minima sociaux (150 euros plus 100 euros par enfant à charge, en mai puis novembre 2020) ont permis cette stabilité.
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« Ces mesures ont été efficaces, et tant mieux, se félicite Véronique Devise, présidente du Secours catholique. Mais nous recevons les personnes les plus pauvres, dont beaucoup passent sous les radars de l’Insee, notamment les étudiants et les ménages dits “non ordinaires”, sans abri et hébergés dans les structures collectives. L’Insee ne comptabilise, en outre, que les revenus déclarés, formels, et ne voit pas, en face, les charges, en particulier d’énergie et d’alimentation, qui ont beaucoup augmenté. » L’Insee en convient, et précise, en conclusion de sa note : « Il est possible que la crise sanitaire ait eu un effet plus marqué pour une partie des personnes les plus fragiles mal captées par nos enquêtes. »
Augmentation des demandes d’aide alimentaire
Un autre indicateur inquiète, celui des demandes d’aide alimentaire. En 2020, elles ont bondi de 25 % et ne faiblissent pas en 2021, à + 12 % de bénéficiaires, selon les banques alimentaires, qui comptent sur la collecte annuelle en supermarchés, organisée le week-end des 27 et 28 novembre, pour reconstituer les réserves. Environ 250 antennes du Secours catholique s’approvisionnent auprès de ces banques, mais cette association préfère distribuer des chèques-services, moins stigmatisants et permettant aux bénéficiaires de choisir les produits qu’ils veulent chez les commerçants de leur choix. En 2020, elle a ainsi distribué 5 millions d’euros sous forme de chèques-services – soit trois fois plus qu’en 2019 – à 67 000 ménages, dont plus de la moitié en recevaient pour la première fois.
L’association appelle, en conclusion, à des mesures moins ponctuelles et plus structurelles, comme la revalorisation des minima sociaux, notamment le revenu de solidarité active (RSA) qu’elle souhaite voir porté à 900 euros et étendu aux jeunes de moins de 25 ans, et la régularisation des personnes sans papiers présentes depuis longtemps sur le territoire : « Beaucoup sont diplômés, quel dommage de s’en priver ! », plaide Mme Devise.
Isabelle Rey-Lefebvre
Les Restos du cœur lancent leur 37e campagne d’hiver, marquée par « l’aggravation de la précarité »
Selon Patrice Douret, le président de l’association d’aide alimentaire, plus que de fabriquer de « nouveaux pauvres », l’épidémie de Covid-19 a surtout touché ceux qui étaient déjà fragilisés.
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Des dizaines de milliers de bénévoles lancent, mardi 23 novembre, la nouvelle campagne d’hiver des Restos du cœur. Pour la trente-septième année d’affilée, des centres de distribution seront ouverts aux plus démunis pour leur procurer une aide alimentaire.
L’an dernier, en pleine pandémie de Covid-19, l’allongement des files d’attente devant les centres de distribution avait marqué les esprits. La pression ne baisse pas : l’association créée par Coluche a aidé 1,2 million de personnes depuis novembre 2020 et distribué 142 millions de repas, contre 136 millions l’année précédente.
« Sur le terrain, on constate vraiment une aggravation de la précarité des plus démunis, notamment chez les personnes que nous connaissions déjà », explique à l’Agence France-Presse (AFP) son président, Patrice Douret. Plus que de fabriquer de « nouveaux pauvres », l’épidémie a surtout aggravé la situation de ceux qui étaient déjà fragilisés, selon l’association. Plus de la moitié (53 %) de ses bénéficiaires déclarent avoir subi une perte de revenus liée à la crise sanitaire, tandis que 15 % expliquent qu’elle les a forcés à pousser la porte des Restos.
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« La reproduction de la précarité nous préoccupe plus que jamais », poursuit M. Douret, particulièrement inquiet des difficultés rencontrées par les jeunes et les mères seules avec enfants ; 40 % des bénéficiaires des Restos sont des mineurs. « On a vraiment peur que la reprise économique suggérée par les indicateurs exclue ces publics les plus précaires. »
L’alimentation sacrifiée pour payer les factures
A l’approche de l’élection présidentielle, le gouvernement vante actuellement les effets de sa politique du « quoi qu’il en coûte » – prise en charge du chômage partiel et aides exceptionnelles versées aux plus modestes. Il s’est notamment réjoui au début de novembre d’une estimation provisoire de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) qui montre que le taux de pauvreté est resté stable en 2020, contrairement à l’augmentation redoutée. Ce qui n’empêche pas que « certaines situations de pauvreté se sont aggravées à la faveur de la crise », selon l’institut statistique.
Le secteur associatif insiste, lui, sur ce risque de décrochage des plus pauvres. D’autant que « la situation s’aggrave avec la hausse des prix de l’énergie : pour payer les factures, les arbitrages se font souvent au détriment de l’alimentation », rappelle M. Douret.
La semaine dernière, le Secours catholique a sonné l’alarme dans un rapport selon lequel « près de 10 % de la population » est contrainte de recourir à l’aide alimentaire. Entre 5 et 7 millions de personnes ont bénéficié de cette aide en 2020, contre 5,5 millions en 2017.Lire aussi Les Restos du cœur lancent une collecte nationale « vitale »
La Fédération française des banques alimentaires, qui organise sa grande collecte nationale sur trois jours (du 26 au 28 novembre), s’inquiète également de « la hausse constante du nombre » de ses bénéficiaires, qui a progressé de 6 % en 2020 et continue d’augmenter cette année.
« Générosité exceptionnelle » des Français
Au gré des confinements, l’isolement des plus précaires s’est encore accentué. Pour tenter d’enrayer ce phénomène, les Restos du cœur tentent d’aller chercher tous ceux qui n’osent pas se rendre dans leurs locaux ou n’en ont pas les moyens. L’association a ainsi lancé des centres itinérants en milieu rural : elle espère doubler leur nombre et atteindre soixante services mobiles de ce type dans les prochains mois. Ses distributions alimentaires en pleine rue ont également augmenté de 25 % depuis deux ans.
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Œufs, lait, viande… Elle tente aussi d’obtenir de nombreux produits en circuit court pour améliorer la qualité des paniers distribués. Pour cela, elle réclame une amélioration de la gestion du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), qui finance un repas sur quatre aux Restos. « On rencontre des problèmes sur les légumes en conserve, notamment les haricots verts, car il n’y a aucun prestataire qui répond aux appels d’offres organisés par l’Etat pour fournir ces produits », regrette M. Douret.
Face au creusement des inégalités, les Français « font preuve d’une générosité exceptionnelle, dont nous allons encore avoir besoin », souffle le dirigeant associatif. L’année 2020 a été marquée par un record de dons aux associations, selon le baromètre de France générosités.
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Cet élan de solidarité démontre que « la lutte contre la précarité est une priorité des Français », selon lui. « Pourtant, on ne la voit pas assez dans les programmes des candidats à la présidentielle », déplore-t-il.
Le Monde avec AFP