La grande sécu: le débat ne fait que commencer !

Bruno Chrétien : les Français seront-ils vraiment gagnants avec la « Grande Sécu » ?

Ce projet de « Grande Sécu » masque surtout la volonté de l’Etat de renationaliser la protection sociale. Pas forcément une bonne nouvelle pour les Français, affirme Bruno Chrétien*, Président de l’Institut de la Protection Sociale.

Durée : 4 min

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Le projet de "Grande Sécu" pourrait bien débouler au coeur de la campagne présidentielle

Le projet de « Grande Sécu » pourrait bien débouler au coeur de la campagne présidentielle

Plutôt que de s’occuper sérieusement des vrais problèmes, nos gouvernants ont trop souvent tendance à privilégier la communication politique. Parfois cela fonctionne. Plus souvent cela heurte des Français qui ne sont pas dupes et discernent rapidement l’entourloupe. Rarement cela résout ces questions complexes. 

Le projet de Grande Sécu lancé par Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, risque fort d’entrer dans l’Histoire comme un bel exemple de cet atavisme national. 

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Présentée par le ministre comme une évolution tout à fait favorable aux Français, la Grande Sécu permettrait à chacun de faire des économies sur sa complémentaire santé. On ne peut a priori qu’y être favorable. 

La solution préconisée aurait en outre le mérite de simplifier les complémentaires santé ne délivrant peu ou prou que les mêmes remboursements maladie. Si l’on suit ce point de vue, tout le monde serait gagnant : des complémentaires moins chères pour les cotisants et les retraités ; une gestion moins lourde pour les entreprises n’ayant plus à négocier les contrats collectifs avec leur personnel et une économie globale au niveau du pays. 

Cela donne en outre au ministre une image réformatrice, toujours bonne à prendre. Mais dans les faits, les choses sont un peu plus compliquées. Essayons de comprendre ce qui est en jeu. 

La guerre aux frais de gestion des mutuelles

Dans un courrier daté du 19 juillet 2021, Olivier Véran a confié au Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie (HCAAM) le soin de mener « un travail technique approfondi avec l’appui d’un groupe de travail interadministratif » sur plusieurs scénarios d’amélioration de l’articulation entre assurance maladie de base et complémentaire. C’est ce travail qui vient d’être présenté par le Haut Conseil. 

Pour ses défenseurs, cette Grande Sécu serait un moyen de mettre fin à la superposition de l’intervention de la Sécurité sociale et des complémentaires santé, qui se traduit par un empilement des frais de gestion au détriment des assurés. Elle serait, au-delà, un moyen de s’attaquer aux défauts du système actuel. Si on sent bien que ce sujet est posé pour constituer un marqueur dans la campagne présidentielle, cette perspective n’apporte pas de réponse sérieuse aux défis auxquels est confronté notre système de santé.  

L’aboutissement du plan Juppé

Depuis le Plan Juppé de 1995, l’obsession du reste à charge en matière de dépenses de santé semble être la motivation principale des évolutions législatives et réglementaires. Et cela quels que soient les gouvernements en charge de ces questions.  

L’inflation de textes depuis vingt ans visant à encadrer la complémentaire santé se révèle impressionnante :  

· 8 textes sur la complémentaire santé solidaire 

· 14 textes sur la complémentaire santé responsable  

· 2 textes sur la lisibilité des contrats 

· 13 textes sur l’encadrement des contrats en entreprise  

· 3 textes sur la généralisation de la complémentaire santé en entreprise  

Cela représente une réforme tous les six mois ! LIRE AUSSI >> Normes, paperasses, réglementations… plus simple, la France !

Au-delà des mesures techniques, l’idée qui préside à ces réformes est toujours la même : encadrer les règles de remboursement des soins en contrepartie de la déductibilité sociale et fiscale des cotisations.  

Au fil du temps, face à une dépense sociale mal maîtrisée et une collaboration compliquée entre l’Etat, les professionnels de santé et les organismes prestataires, les marges de manoeuvre laissées aux organismes complémentaires se sont considérablement réduites. La conséquence de cette situation s’est étalée devant nous au grand jour à l’occasion de la crise du Covid-19. L’Etat a perdu au fil du temps le sens des priorités. Alors qu’il devrait être avant tout régalien, il est devenu touche-à-tout. Ainsi, il n’a pas su fournir l’accès à des produits même très basiques comme les masques dès le début de la pandémie. Il en fut réduit à affirmer que ces derniers ne servaient à rien pour ensuite les imposer parfois de manière excessive ; contribuant au final à brouiller les messages de prévention qui auraient dû guider l’action publique.  

Vers une étatisation de la gestion de la protection sociale

Ainsi, force est de constater que nous partons dans une direction totalement opposée à ce qu’il faudrait faire pour assurer une prise en charge efficace de la population française. 

Mais au-delà, une telle focalisation sur les aspects de remboursement des dépenses conjuguée à une course démagogique à la gratuité, a fait perdre le sens même des politiques de santé. Et le bilan de ce point de vue est loin d’être flatteur. Les résultats obtenus par la France en matière de mortalité prématurée, de lutte contre les addictions, de maladies nosocomiales ou encore de consommation de psychotropes sont autant d’indices d’un tableau finalement relativement médiocre. Ils placent notre pays dans la moyenne des pays de l’OCDE, voire la moyenne inférieure, alors même que nous nous targuions il y a encore moins de vingt ans d’avoir « le meilleur système de santé au monde »

En resituant la Grande Sécu dans une vision d’ensemble du quinquennat, ce dernier apparaît clairement comme une forme d’aboutissement du plan Juppé de 1995. Ce dernier avait engagé une rupture décisive de notre protection sociale cherchant à écarter du pilotage du système les partenaires sociaux pour les remplacer par l’Etat. Durant le quinquennat Macron, des projets structurants cherchant à imposer une nationalisation furent engagés : 

• Projet de retraite universelle écartant les partenaires sociaux de toute compétence réelle dans la gestion des régimes de retraite – alors même qu’ils ont jusqu’alors géré beaucoup plus efficacement que l’État les missions qui leur étaient confiées, 

• Transfert du pilotage effectif de l’assurance-chômage entre les mains de l’Etat, 

• Extension du champ d’intervention du Parlement au-delà de la seule Sécurité Sociale. Sur le même sujet

Ce projet de Grande Sécu constitue une nouvelle étape vers la nationalisation de notre protection sociale. Il n’est pas certain que la volonté des Français soit d’aller vers un système confiant la totalité des prérogatives à l’Etat aussi bien en matière de santé que de retraite. Avec en toile de fond cette question lancinante : L’Etat est-il un meilleur gestionnaire ? Nul doute que cette question devrait constituer un des sujets majeurs de la prochaine campagne présidentielle. 

Bruno Chrétien

Président de FACTORIELLES – Président de l’Institut de la Protection Sociale

Passionné de droit social et d’histoire, Bruno CHRETIEN est un ancien élève du Centre National d’Etudes Supérieures de Sécurité Sociale, l’école de formation des cadres et directeurs de sécurité sociale (Cness devenu aujourd’hui l’EN3S).

En 1987, il entre à la caisse de retraite Organic à Lyon comme chef du service retraite. Deux ans après, il est promu directeur adjoint puis directeur de cette caisse dédiée aux commerçants.

Au fil des ans, Factorielles est devenu la référence en matière de protection sociale, sur toutes les questions liées à la retraite et à la prévoyance des dirigeants et de leurs salariés. Ses logiciels, formations et maintenant modules d’e-learning sont leaders sur le marché des professionnels.

C’est en 1994 qu’il crée Factorielles, société dédiée à la formation et à la conception de logiciels pour les professionnels du conseil et du patrimoine (experts-comptables, notaires, assureurs, conseils en gestion de patrimoine indépendants).
Invité régulièrement à participer à des tables rondes et à des conférences, Bruno CHRETIEN est un orateur apprécié.

100% sécu : un rapport donne raison à l’Avenir en Commun

  Jeudi 18 novembre 2021 Imprimer

100% sécu : un rapport donne raison à l’Avenir en Commun

Ce jeudi 18 novembre, le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) étudiait un projet de rapport sur l’assurance maladie de la Sécurité sociale et les complémentaires santé (mutuelles et assurances). Ce rapport donne raison à l’Avenir en Commun. En effet, selon ce qu’on peut en lire dans la presse, puisqu’il n’est pas public, sa conclusion est que l’intégration des complémentaires privées dans la Sécurité sociale serait une mesure à la fois efficace sur le plan de la santé publique et économe financièrement. C’est précisément le scénario « 100% sécu » que j’étais le seul candidat à défendre dans la précédente élection présidentielle et qui se retrouve à nouveau dans notre programme pour 2022. La pandémie a réveillé quelques grandes consciences dans le monde de la santé apparemment. Tant mieux !

On découvre que le droit universel à la santé et d’accès aux soins n’est pas un coût, mais au contraire un bénéfice pour la société. Quand un virus comme le coronavirus frappe, l’état de santé global antérieur de la population est un facteur d’influence très important sur les dégâts qu’il peut faire. Or, le renoncement aux soins fait partie de ces phénomènes devenus massifs en France bien qu’ils restent souvent invisibles aux yeux de la bonne société. En 2018, un Français sur trois a renoncé à se faire soigner, dans la moitié des cas en raison d’un reste à charge trop élevé, après remboursements.

Avec un reste à charge de plus de 200 € par famille en moyenne, soit près de 15 milliards d’euros par an, la France n’atteint pas l’objectif d’une santé accessible pour toutes et tous. C’est pourtant un principe constitutionnel. Et encore, c’est sans compter les prix des complémentaires. Alors qu’elles avaient promis une certaine modération compte tenu des économies faites pendant la crise sanitaire, les complémentaires santé ont augmenté leur tarif de 4,3% en moyenne en 2021 selon l’UFC Que Choisir.

C’est pourquoi les insoumis militent depuis des années pour un remboursement universel, à 100%, des soins par la sécurité sociale. Nous avons de longue date présenté un scénario pour le financer. Les mutuelles et les complémentaires ont des « frais de gestion » bien plus élevés que la Sécurité sociale. Il s’agit du coût de la publicité et de leur bureaucratie privée. En les intégrant dans la Sécurité sociale, on produit automatiquement une économie de ces frais. En y ajoutant les économies faites grâce à la fin des dépassements d’honoraires et un meilleur encadrement des prix des médicaments, on peut financer non seulement l’absorption des complémentaires privées, mais aussi l’extension des remboursements de la Sécurité sociale pour tout ce qui reste aujourd’hui à payer de la poche des patients. Tout cela est chiffré sérieusement et préparé de longue main.

Le rapport du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie vient en renfort de cette idée. C’est tant mieux. Mais attention aux bonnes idées récupérées avec de mauvaises intentions. Il se dit que Macron pourrait s’emparer de ce rapport pour nourrir son programme. Mais lui prend le problème par un autre bout que le notre : celui de la « complexité » des « doubles remboursements ». Car aujourd’hui, un même médicament ou un même soin peut être remboursé à la fois par la Sécurité sociale et la complémentaire. Il s’agirait pour Macron de mettre fin à cela. On voit venir de loin l’entourloupe : créer une offre de soins à minima remboursée à 100% pour la sécu et laisser tout le reste à des assurances privées. Cela ne serait pas étonnant de la part de celui qui veut déjà affaiblir le système de retraites par répartition pour faire la part belle aux fonds de pension.

Les macronistes n’ont évidemment aucune intention de proposer le remboursement universel des soins de santé par la Sécurité sociale comme nous le faisons. La meilleure preuve est qu’ils ont voté contre à l’Assemblée nationale. Car nous l’avons proposé en amendement aux projets de loi de financement de la Sécurité sociale plusieurs fois. Olivier Véran lui-même a plusieurs fois rendu des avis défavorables, comme rapporteur général du PLFSS. Comme ministre de la Santé, il s’est arrangé pour être absent en commission au moment de la discussion autour de cet amendement. Avant de réapparaitre en séance une fois qu’il était déclaré irrecevable. Les choses sont claires : pour les 100% remboursé par la sécu, le seul vote disponible en avril prochain, c’est l’Avenir en Commun !

Voir aussi:

https://environnementsantepolitique.fr/2021/11/18/les-enjeux-de-la-grande-secu/

https://environnementsantepolitique.fr/2021/11/15/le-100-secu-la-grande-secu-ou-une-assurance-maladie-universelle-ou-une-complementaire-sante-universelle-ou-une-renationalisation-et-une-recentral/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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