
Fermetures de lits à l’hôpital: «Nous ne sommes pas au bord du précipice, nous sommes dedans»
Par Léo Satgé
Publié le 27/10/2021 à 19:04, mis à jour le 27/10/2021 à 19:05

Les recrutements de médecins et d’infirmiers deviennent de plus en plus difficiles. JODY AMIET / AF
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Selon une enquête du Conseil scientifique, un lit sur cinq serait fermé aujourd’hui dans les CHU et CHR de France. Le manque d’attractivité et les difficultés psychologiques qu’implique le travail hospitalier font fuir les médecins, argumente l’urgentiste Patrick Pelloux.
Dr Patrick Pelloux est Médecin urgentiste et Président de l’Association des Médecins Urgentistes de France.
FIGAROVOX. – Près d’un lit disponible sur 5 est actuellement fermé dans les hôpitaux publics de France, selon une enquête menée par Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique et du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et relayé par Libération. Comment en est-on arrivé là
Patrick PELLOUX. – D’abord, permettez-moi de m’étonner que le Conseil scientifique fasse une enquête sociale. C’est très utile mais assez inattendu. Depuis des années les confédérations syndicales alertent sur la situation. Peut-être que grâce au Conseil scientifique, nous serons enfin écoutés.
En revanche, les chiffres sont bien moins étonnants. Le manque de lits à l’hôpital est criant. Cette défaillance du secteur hospitalier a sauté aux yeux des Français quand, pendant la crise du Covid, ils se sont aperçus que nous avions seulement 5000 lits de réanimation en France. La population vieillissant, nous ne pouvons nous permettre si peu de place.
L’hôpital est toujours soumis à un système pyramidal, très hiérarchique avec des clans, des castes, et un corporatisme exacerbé.
Patrick Pelloux
Cela s’explique par un manque d’attractivité et donc une désertion des médecins. Le fonctionnent de l’hôpital répond à des lois – comme celle de 1958 relative aux centres hospitalo-universitaires – complètement obsolètes. Régulièrement, des rapports sur l’hôpital sont demandés à des universitaires, mais ces derniers sont là pour garder le temple. Le statut des hospitalo-universitaires de la médecine est le plus doté des statuts des universitaires. Évidemment, ils veulent préserver leurs privilèges.
Nous avons aussi un management archaïque. Là où tous les systèmes des grandes entreprises ont évolué pour répondre aux besoins des travailleurs, l’hôpital est toujours soumis à un système pyramidal, très hiérarchique avec des clans, des castes, et un corporatisme exacerbé. Ajoutons à cela une violence institutionnelle et on aboutit à un grand nombre de collègues en burn out. Nous avons aujourd’hui des suicides chez les médecins. C’est une chose qu’on ne voyait pas il y a quelques années.
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En d’autres termes, ce n’est pas seulement un manque d’attractivité financière qui sévit à l’hôpital, mais aussi des difficultés psychologiques.
Est-ce que ce sont les mêmes mécanismes qui expliquent l’absentéisme, lequel gagne du terrain selon la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement de CHU ?
Oui, tout à fait. Je vais vous prendre un exemple : le personnel qui travaille au SAMU de Paris ne peut pas se loger à Paris. Ils sont donc contraints d’habiter tous très loin. Pour être là à 7 heures du matin et être en tenue, ils partent de chez eux à 4 heures du matin. Cette violence sociale provoque nécessairement de l’absentéisme. Très vite le personnel s’use et se met en arrêt maladie.
Chaque jour il est de plus en plus difficile de trouver des lits pour coucher des malades, de les prendre en charge selon les critères de qualité que les personnes exigent.
Patrick Pelloux
Nous ne savons plus maintenir le personnel à l’hôpital. Il y a une raréfaction, avec des départements en France où il n’y a plus de cardiologue, plus de psychiatre. Nous pillons ensuite des pays étrangers pour leur prendre leur médecin. Je trouve cela inique.
«Je ne sais pas comment on va passer l’hiver. Nous sommes au bord du précipice», s’inquiète auprès du journal le Dr Patrick Goldstein. En tant qu’urgentiste à Paris, partagez-vous son alarmisme ?
Chaque jour il est de plus en plus compliqué de trouver des lits pour coucher des malades, de les prendre en charge selon les critères de qualité que les personnes exigent. Les files d’attente aux urgences s’agrandissent et il est extrêmement difficile pour les patients d’être pris en charge, surtout si vous souffrez de maladies chroniques.
Nous ne sommes pas au bord du précipice. Nous sommes déjà dedans. Mais les malades ont besoin de nous, alors nous continuons à travailler.
*Christophe Prudhomme: «Ce sont les fossoyeurs de l’hôpital qui tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme»
Par Ronan Planchon
Publié le 31/03/2021 à 15:36, mis à jour le 31/03/2021 à 18:51
https://www.lefigaro.fr/vox/societe/christophe-prudhomme-ce-sont-les-fossoyeurs-de-l-hopital-qui-tirent-aujourd-hui-la-sonnette-d-alarme-20210331
FIGAROVOX/ENTRETIEN
– Les signataires d’une tribune alarmiste dans le JDD ont décidé la fermeture de lits de réanimation, explique Christophe Prudhomme. Ce médecin au Samu 93 et délégué national CGT explique comment les directeurs de crise de l’AP-HP ont participé selon lui à l’état de délabrement de l’hôpital public.
FIGAROVOX. – Dans le JDD, les 41 directeurs de crise de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) s’alarment de la situation sanitaire et affirment qu’ils «seront contraints de faire un tri des patients». La Fédération hospitalière s’est désolidarisée. Qu’est-ce que cela vous inspire ?À découvrir
Christophe PRUDHOMME. – Le constat, c’est que ces mêmes personnes qui s’alarment aujourd’hui du manque de lits sont responsables de ce manque puisqu’ils ont accompagné toutes les restructurations, toutes les fermetures de lits de ces dernières années. Par exemple, parmi les signataires il y a des gens qui siègent à la commission médicale d’Assistance publique qui a validé la fusion des hôpitaux Bichat (Paris XVIIIe) et Beaujon (Clichy) avec plus de 300 lits supprimés, la fermeture en cours de l’hôpital Jean-Verdier à Bondy, le projet de fermeture de l’hôpital de Garches. Ce sont de vrais Ponce Pilate. Aujourd’hui, même la Cour des comptes critique cette politique, il y a bien un problème.
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