Un pacte de non-agression des groupes agro-alimentaires, destiné à ne pas différencier les produits dont l’emballage contenait du bisphénol A (BPA) – avant son interdiction

Quand la chaîne agroalimentaire masquait le bisphénol A

Une quarantaine de groupes, dont Coca-Cola ou Nestlé, se seraient coordonnés pour restreindre l’information donnée au public, au moment de l’interdiction, en 2015, de ce perturbateur endocrinien dans les emballages, révèle une enquête de l’Autorité de la concurrence. 

Par Cécile Prudhomme Publié aujourd’hui à 03h05, mis à jour à 06h06  

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https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/11/02/quand-la-chaine-agroalimentaire-masquait-le-bisphenol-a_6100616_3234.html

SEVERIN MILLET

Des industriels de l’agroalimentaire, des fabricants de boîtes de conserve, des organisations professionnelles, des centrales d’achat… Tous auraient, à des degrés divers, entre 2010 et 2015, œuvré en coulisses et passé sous silence la mise en place d’un pacte de non-agression destiné à ne pas différencier les produits dont l’emballage contenait du bisphénol A (BPA) – avant son interdiction – de ceux qui n’en avaient pas. Or ce perturbateur endocrinien était présent dans la fabrication des plastiques durs et transparents type polycarbonate et dans les résines recouvrant l’intérieur des boîtes métalliques, et donc susceptibles de passer dans les aliments. Une loi datant du 24 décembre 2012 a suspendu la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de tout contenant ou ustensile comportant du BPA à compter du 1er janvier 2015. Avant son entrée en vigueur, les participants ont multiplié les échanges pour coordonner les informations données aux consommateurs, comme le montrent les documents auxquels Le Monde a eu accès.

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Il ne s’agit pas cette fois-ci d’un cartel sur les prix de vente ou d’achat. Ici, pas de préjudice économique pour le client, mais une alliance plus complexe concernant l’information qui lui est délivrée lors de son acte d’achat. Dans cet épais dossier de plus de 500 pages constitué comme un empilement de petites preuves, « il est reproché aux entités mises en cause de s’être entendues pour ne pas communiquer sur la présence ou sur la composition de certains matériaux au contact avec des denrées alimentaires, au détriment des consommateurs », a laissé entendrel’Autorité de la concurrence, le 12 octobre. Sans donner de noms ni plus de détails, l’institution a précisé que « des griefs ont été notifiés il y a quelques jours dans le secteur de la fabrication et la vente de denrées alimentaires au contact avec des matériaux pouvant ou ayant pu contenir du bisphénol A ou ses substituts ».

Conserves et canettes de soda

Cette enquête concerne 14 organisations professionnelles et 101 entreprises. Bon nombre d’entre elles ne sont que des filiales de plus d’une quarantaine de groupes. Selon les documents auxquels nous avons eu accès, on retrouve des sociétés comme Coca-Cola, Nestlé, Orangina, Häagen-Dazs… Mais aussi des fédérations comme l’Association des entreprises de produits alimentaires élaborés (Adepale), l’Alliance 7 – qui regroupe 10 syndicats des métiers de l’épicerie et de la nutrition spécialisée, dont le Syndicat du chocolat, Confiseurs de France, le Syndicat des apéritifs à croquer –, l’Association nationale des industries alimentaires et d’autres organismes professionnels peu connus du grand public.

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Boîtes de conserve et canettes de soda étaient alors dans le collimateur de la nouvelle réglementation. Pour éviter un basculement trop brutal, qui aurait déstabilisé les filières de production, le législateur avait permis aux entreprises d’écouler les produits mis sur le marché français avant le 1er janvier 2015 jusqu’à épuisement des stocks.

Pour pouvoir faire tourner plus rapidement les stocks, les acteurs de la filière auraient eu une idée : proposer de raccourcir les dates limites d’utilisation optimale

Mais cette période de transition inquiétait les professionnels. Tous n’étaient pas prêts à basculer du jour au lendemain. Il leur fallait trouver un moyen de ne pas discriminer les produits pendant les premiers mois, afin de ne pas pénaliser les ventes des entreprises les moins réactives.

Dans leurs investigations, les enquêteurs découvrent que ce sujet de préoccupation suscite un très grand nombre de réunions et d’échanges, plusieurs années avant la mise en place de la loi. Fin 2010, alors que le BPA vient d’être interdit en France dans les biberons et que le gouvernement promet un débat pour 2011 sur son exclusion dans d’autres produits, une réunion du comité spécialisé sur les légumes du Centre technique de la conservation des produits agricoles (CTCPA) pose le sujet. Dans la présentation projetée à l’écran concernant la substitution des vernis utilisés à l’intérieur des contenants, ces experts indiquent qu’il y a « une volonté unilatérale des conserveurs contactés de ne pas faire de la sécurité alimentaire un support commercial ».

« Ligne de conduite collective »

Pour l’industrie agroalimentaire, il n’est pas non plus question de « faire de l’absence de bisphénol un argument marketing ». Ainsi un compte rendu interne du CTCPA, en octobre 2013, rappelle à la filière que le passage au « sans BPA » « ne doit pas être un argument commercial » et que « toutes les grandes enseignes de la distribution [en] ont été informées ». 

Mais pour pouvoir faire tourner plus rapidement les stocks, les acteurs de la filière agroalimentaire auraient eu une autre idée : proposer de raccourcir les dates limites d’utilisation optimale (DLUO) présentes sur les emballages. Un délai au-delà duquel le produit peut être vendu et consommé, mais dont le fabricant ne garantit plus la qualité organoleptique (le goût, la consistance…) ou diététique de la denrée.

Lors d’une réunion, début 2013, le CTCPA et la Confédération des industries de traitement des produits des pêches maritimes et de l’aquaculture émettent l’idée de disposer d’une « position collective concernant la diminution des DLUO » et « la nécessité de disposer d’un stock le plus faible possible au moment du basculement »en 2015. L’un des participants à cette réunion avance que seule une fédération a le pouvoir politique de faire redescendre des instructions à ses adhérents.

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Au terme de plusieurs mois d’enquête, l’Autorité de la concurrence a ainsi rassemblé un faisceau de preuves lui permettant de soupçonner les fabricants de boîtes métalliques, les industriels, et les multiples fédérations professionnelles d’avoir « adopté en 2013, au moyen d’accords, une ligne de conduite collective tendant à refuser collectivement des demandes d’information visant à connaître la composition des vernis employés dans les conserves et contenant en substitution du BPA » et d’avoir transmis au consommateur « une information agrégée moindre ».

Nestlé a réagi, le 13 octobre, jugeant que « les allégations de l’Autorité française de la concurrence contre certaines filiales de Nestlé en France indiquent un rôle mineur de Nestlé ». Le groupe les « dément de façon catégorique » et « les contestera formellement ».

Cécile Prudhomme

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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