Publié le 25/10/2021
Vaccination des enfants contre la Covid : l’Europe se distinguera-t-elle de l’Amérique du Nord ?

Paris, le lundi 25 octobre 2021
– La semaine dernière, la Food and Drug Administration (FDA) a publié sur son site de nouveaux résultats concernant l’évaluation de l’efficacité et de l’innocuité de la vaccination contre la Covid des enfants de 5 à 11 ans par le produit de Pfizer/BioNtech. Après de premiers résultats sérologiques encourageants, les dernières données (non présentées dans une revue à comité de lecture) portant sur un groupe de 2 268 enfants (dont deux tiers ont reçu le vaccin) font état d’une efficacité de 90,7 % : trois enfants du groupe vaccinés ont présenté une forme symptomatique de Covid, contre 16 dans le groupe placebo. Le dosage pour les enfants a été adapté à 10 microgrammes par injection, contre 30 microgrammes pour les sujets de 12 ans et plus. Après un suivi d’au moins deux mois, aucun effet secondaire grave et notamment aucun cas de myocardite n’a été observé.
Tous les enfants américains vaccinés avant Noël ?
Sur la base de ces résultats et des informations déjà transmises par Pfizer/BioNtech, la FDA pourrait rendre demain son avis sur l’extension de l’indication du vaccin aux jeunes enfants. Par ailleurs, les Centres de contrôle des maladies (CDC) préparent des recommandations sur la vaccination des enfants qui doivent être communiquées le 2 ou le 3 novembre. Ce calendrier laisse deviner l’imminence d’une campagne de vaccination contre la Covid ciblant les plus jeunes aux États-Unis. Les autorités sanitaires n’en font d’ailleurs pas mystère. La semaine dernière, le gouvernement a ainsi dévoilé les contours de cette opération, qu’elle espère achever avant Noël. L’administrateur de la Santé publique à la Maison Blanche, le Dr Vivek Murthy a ainsi expliqué : « Nous travaillerons avec les écoles pour qu’elles envoient des courriers aux parents, nous associerons les médecins et les centres de santé ». Conditionnement plus adapté à la vaccination de petits groupes en cabinet de médecine pédiatrique notamment, commande initiale de 15 millions de doses pour débuter sans risque de pénurie (alors que 28 millions d’enfants de 5/11 ans pourraient être éligibles) : une préparation minutieuse est déjà à l’œuvre. « Nos efforts de planification signifient que nous seront prêts à commencer les injections dans les jours qui suivront une recommandation finale » confirme encore le gouvernement américain.
Décalage entre autorités politiques et scientifiques au Canada (air connu)
Son voisin, le Canada, semble également se préparer à une telle campagne, même si c’est la date un peu moins ambitieuse de début 2022 qui a été avancée. Mais quel que soit le moment du lancement, le gouvernement ne cache pas qu’il fait de l’immunisation d’une large part des plus jeunes la condition pour lever l’état d’urgence sanitaire. Certains professionnels de santé se montrent cependant quelque peu agacés par cette précipitation, compte tenu de l’absence de publication dans une revue à comité de lecture des résultats de Pfizer/BioNTech. Le caractère très délicat du sujet incite les autorités sanitaires à la plus grande prudence. « Nous ne l’autoriserons que s’il respecte les standards les plus rigoureux pour nous assurer que les avantages sont plus importants que le risque » a ainsi martelé la conseillère médicale en chef de Santé Canada, Supriva Sharma, citée par le Devoir. Cette dernière a encore indiqué que les laboratoires n’avaient pour l’heure reçu aucune garantie de la part de l’agence que son vaccin recevrait une autorisation pour les enfants.
Un risque d’hospitalisation chez l’enfant bien plus faible en Europe
En dépit de ce décalage (habituel) entre la communauté scientifique et les responsables de la régulation d’une part et les autorités politiques d’autre part, cette accélération certaine du calendrier en Amérique du Nord interroge nécessairement en Europe occidentale. Avant que les décideurs politiques ne se positionnent, les experts tiennent cependant à remarquer que notre situation n’est pas comparable à celle des États-Unis. Ainsi, cité par Capital, le Pr Antoine Fontanet (Institut Pasteur) est convaincu que les pays d’Europe seront beaucoup plus « attentistes » que l’Amérique, en raison de données épidémiologiques différentes. « Le risque d’hospitalisation pour un enfant infecté y est 10 fois plus élevé que pour un enfant d’Europe occidentale » rappelle ainsi Antoine Fontanet, en raison de comorbidités (diabète, obésité…) plus fréquentes chez les plus jeunes. De fait, les flambées constatées à la fin de l’été dans certains hôpitaux pédiatriques américains dans plusieurs États n’ont nullement été rapportées en Europe et notamment en France. Dans ce contexte, la détermination du « bénéfice » de la vaccination pour les petits en France sera plus complexe (si ce n’est le bénéfice social et scolaire, si l’on considère que la vaccination peut limiter les risques de fermetures de classe). Certains observent également qu’un bénéfice direct pourrait exister si un nouveau variant se montrait plus virulent chez les enfants (à la condition toutefois que les vaccins autorisés demeurent efficace contre cet hypothétique variant). Parallèlement à l’instar de la vaccination des adolescents, l’un des arguments en faveur de la vaccination des plus jeunes est de renforcer l’immunité collective (même si la probabilité d’atteindre cette dernière a été fragilisée par la diminution de l’efficacité de la vaccination vis-à-vis du risque d’infection et de transmission avec le temps depuis la dernière injection et face au variant Delta). En la matière, compte tenu des hauts taux de vaccination des populations de plus de 12 ans, le Pr Antoine Fontanet considère que cet argument ne pourrait être avancé qu’en cas de réelle reprise épidémique.
Des données encore insuffisantes face à l’ampleur du dilemme éthique
Compte tenu de ces différentes considérations, seules des données très robustes pourront permettre aux autorités européennes d’abord (l’EMA a récemment reçu la demande d’autorisation des laboratoires Pfizer/BioNtech et a indiqué qu’elle allait en commencer prochainement l’examen) et aux autorités nationales ensuite de donner leur feu vert. Les données disponibles aujourd’hui apparaissent aux yeux de beaucoup insuffisantes. « Les premières données que l’on a paraissent être de bonne qualité, mais l’effectif de patients n’est pas suffisant pour dépister un effet indésirable rare » a ainsi jugé la semaine dernière sur TF1 le Pr Robert Cohen, pédiatre et infectiologue à l’hôpital intercommunal de Créteil (Val-de-Marne). Ce point de vue est partagé par l’infectiologue Odile Launay (Cochin) qui sur France Info remarquait : « On a des données en termes de réponses immunitaires, ils annoncent que les vaccins sont bien tolérés, de façon comparable à ce que l’on peut observer chez l’adolescent, mais il faut rester prudent. On n’a pas lu ces résultats et ils ont inclus dans ces essais 2 000 enfants, ce qui est faible pour être assuré qu’on n’aura pas d’effets indésirables », avant de renchérir « Si on a suffisamment d’éléments et qu’on peut vacciner sans faire courir de risques aux enfants, cela peut être un bénéfice et permettre de laisser ouvertes les écoles et les classes. Mais tout ça est une question de risques. On se doit d’avoir le maximum de données avant de s’engager dans une vaccination de ce type ».
Vers un passe sanitaire dès 5 ans ?
Enfin, si une autorisation était accordée en Europe et une recommandation de vaccination établie par les autorités sanitaires, la question de l’adhésion des familles sera majeure. Le gouvernement pourrait-il faire le choix (en l’absence d’un contexte épidémique très défavorable) d’élargir le passe sanitaire à cette population ? A suivre.
Aurélie Haroche
Voir aussi:
https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2021/09/23/la-vaccination-de-cette-population-infantile-souleve-inevitablement-de-nombreuses-interrogations-ethiques-les-opinions-sont-contrastees/