Cap-Ferret: l’eau monte, mais les prix aussi.

LÈGE-CAP-FERRET, GIRONDESur la presqu’île, l’eau monte, les prix aussi

Au Cap-Ferret, petit paradis pour résidences secondaires de luxe, la flambée immobilière contre vents et marées

Par  Stéphane Mandard  (Cap-Ferret (Gironde), envoyé spécial)  et Sophie Garcia  (Photos)

Publié le 20 octobre 2021 à 04h00, mis à jour hier à 06h54

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FRAGMENTS DE FRANCE

Entre l’Atlantique et le bassin d’Arcachon, l’eau est une menace concrète, qui rabote les dunes et les digues et met en péril les habitations. Mais dans ce paradis des résidences secondaires de luxe, cela n’empêche pas les prix de grimper.

Au Cap-Ferret (Gironde), il y a désormais autant d’agences immobilières que de « cabanes » pour déguster des huîtres au bord du bassin d’Arcachon. Agence de la Presqu’île, Agence de l’Océan, Agence du Cap… on en a décompté onze. Onze fois plus que des boulangeries. Onze de plus que des boucheries. La dernière, Bazas, a fait place au constructeur Arcas qui bâtit « votre villa et tout ce qui va avec ».

100 « Fragments de France »

A six mois de l’élection présidentielle, Le Monde brosse un portrait inédit du pays. 100 journalistes et 100 photographes ont sillonné le terrain en septembre pour dépeindre la France d’aujourd’hui. Un tableau nuancé, tendre parfois, dur souvent, loin des préjugés toujours. Ces 100 reportages sont à retrouver dans un grand format numérique.

Les villas, de préférence en bois, de préférence avec une piscine, de préférence avec un bateau pour aller pique-niquer sur le banc d’Arguin au large de la dune du Pilat, se louent et se vendent à prix d’or. La « cabane ferretcapienne » se dévoile dans les magazines féminins et de décoration mais on y vit caché, à l’abri des pins, des arbousiers, des mimosas et de clôtures en brande de bruyère toujours plus hautes.

En voiture ou en bateau depuis Arcachon, les touristes déferlent par vagues estivales dans l’espoir d’y croiser un pipole : une actrice, un chanteur, un animateur télé, un présentateur du 20 heures, un ancien ministre de l’intérieur… Depuis le succès des Petits Mouchoirs, du couple vedette Canet-Cotillard, qui y a son pied à terre, les Français ne confondent plus Cap-Ferret et Cap-Ferrat, sur la Côte d’Azur.

Plage des Dunes, au Cap-Ferret.
Le Cap-Ferret, en Gironde.

Au bout du bout de la presqu’île, dans les cabinets immobiliers, c’est un autre couple qui enflamme les conversations : Delphine Arnault et Xavier Niel. La numéro deux de Louis Vuitton et le patron de Free (actionnaire du Groupe Le Monde à titre individuel) viennent d’acquérir une résidence secondaire pour 17 millions d’euros. Il n’y a pas que le montant – que Xavier Niel n’a souhaité ni confirmer ni infirmer – qui fait jaser. Il y a aussi l’emplacement, sur lequel il n’a pas non plus voulu s’exprimer : près de la pointe, face au Pilat, en pleine « zone rouge » – des terres devenues inconstructibles en raison du risque important d’érosion marine. A croire que le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – et ses prévisions alarmantes d’élévation du niveau des mers jusqu’à 1,5 mètre d’ici à 2100 – est resté coincé à l’embouchure du bassin.

C’est tout le paradoxe du « Ferret ». Rien ne vient contrarier la flambée des prix. Pas même les assauts de l’océan qui grignote inexorablement cette fragile flèche sableuse large de moins de 1 kilomètre et prise en étau entre les passes du bassin et la houle de l’Atlantique. Sur la façade océanique, le trait de côte recule en moyenne de trois à quatre mètres par an.

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Mais l’indicateur que l’on surveille, c’est surtout celui des ventes. « L’arrivée de Niel va tirer le marché vers le haut, croit fermement Valentin Bourreau, le gérant des Belles maisons du bassin. Ça va drainer une autre clientèle en quête de confidentialité. » Le « marché » est déjà « haut », très « haut »« A moins de 1,5 million d’euros, on ne trouve pas grand-chose », concède-t-il.

La ville française de Saint Malo, vue depuis un hublot de l’Armorique, un navire de la flotte de Brittany Ferries, qui fait le voyage quotidien vers Portsmouth (Royaume-Uni). Photo © Ed Alcock / M.Y.O.P. 7/9/2021 The French town of Saint Malo, viewed from a hublot of the Armorique, a ship in the Brittany Ferries fleet, that makes the daily journey to Portsmouth (United Kingdom). Photo © Ed Alcock / M.Y.O.P. 7/9/2021

Les villas en « première ligne » sont les plus exposées aux aléas climatiques. Selon le paradoxe ferretcapien, elles sont les plus rares et les plus recherchées. Elles se vendent à 4 millions, 5 millions, 6 millions d’euros. Surtout si elles sont cachées dans le quartier des 44 hectares, comme celle du couple Arnault-Niel. « Le nec plus ultra de la Robinsonnade », vante l’officine de Valentin Bourreau.Lire aussi Article réservé à nos abonnésLa crise climatique s’aggrave partout, à des niveaux sans précédent, alerte le GIEC

Ici, l’éclairage public n’est toujours pas arrivé. Pas plus que le bitume. Les propriétaires n’en veulent pas, pour endiguer les flots de touristes. On bouche les trous dans la chaussée avec des coquilles d’huîtres quand ils sont trop béants pour éviter tout de même aux 4 × 4 de s’esquinter et on rehausse les perrés avec de grosses pierres pour empêcher le bassin de déborder dans les jardins.

Les jardins mais aussi les propriétés, Franck Martin veille à leur parfait entretien pour une trentaine de clients dans les 44 hectares. Essentiellement des familles bordelaises et parisiennes. En 2011, il est le premier à ouvrir une conciergerie au Ferret. Dix ans plus tard, il y en a trois autres. La plupart des villas sont vides l’hiver, même si c’est un peu moins vrai depuis les confinements.

Une villa « style chic et décontracté »

« Les gens ont besoin de quelqu’un de confiance sur place », explique Franck Martin. Marié à une fille du pays, il est un témoin privilégié de la « folie immobilière ». Son « papi », le grand-père de son épouse, est l’un des plus anciens propriétaires des « 44 ». A 98 ans, il y vit toujours à l’année. « Le terrain avait été acheté 9 anciens francs le mètre carré en 1947. Le mètre carré vaut aujourd’hui 3 000 euros. » La maison fait partie de la catégorie de celles que l’on rase pour y construire une villa en pin labellisée « style chic et décontracté ».Lire aussi Article réservé à nos abonnésClimat : la montée des eaux menace les estuaires

Deux parcelles plus loin, le descendant d’un ancien ministre de l’intérieur époque VGE a étrenné la sienne cet été après avoir soigneusement fait détruire la villa tout en béton de l’éphémère propriétaire précédent, un tout aussi furtif capitaine des Girondins de Bordeaux qui avait lui-même fait table rase de la bâtisse initiale.

« Nous, l’idée, ce n’est pas de vendre quand le papi ne sera plus là, assure M. Martin. Mais beaucoup de familles n’ont pas le choix au moment de payer 400 000 ou 500 000 euros de frais de succession. » La peur de se retrouver un jour les pieds dans l’eau n’est-elle pas devenue un motif de vente ? Une blague circule parmi les riverains de « deuxième ligne » : ils attendent patiemment que l’eau monte pour se retrouver en « première ligne ». « Le vrai motif, juge M. Martin. C’est l’appât du gain. »

Une villa en construction au Cap-Ferret.

« Quand j’ai démarré il y a dix ans, les Bordelais disaient déjà que la bulle allait exploser, se souvient Valentin Bourreau. Tant qu’il y aura plus de demandes que d’offres, les prix continueront à grimper. » Et ici, pas de décélération à cause de la crise sanitaire. Au contraire. « Avec le confinement, les Parisiens et leurs petites terrasses haussmanniennes ont eu envie de grands espaces au grand air », analyse-t-il. Pour l’expert immobilier, seule une « catastrophe naturelle » pourrait infléchir le marché.

La « catastrophe » n’est jamais bien loin. « Accès interdit » : un panneau et une grande grille barrent l’accès à la digue devant Chez Hortense, le restaurant-institution où l’on vient goûter les moules avec du jambon de Bayonne face au Pilat. L’interdiction n’empêche pas promeneurs et pêcheurs de s’aventurer sur le sentier qui repose sur des tonnes de rochers, poteaux électriques et autres gravats de chantiers jetés à l’eau pendant des années.

La plage de la Pointe du Cap-Ferret. Son accès est interdit au public par arrêté préfectoral en raison de sa dangerosité.

« La zone rouge va s’accroître »

Avant d’être appelé à la rescousse à Paris pour éteindre la révolte des « gilets jaunes », le préfet (alors de Gironde) Lallement avait mis le feu au Ferret. En février 2019, il déclare l’état d’urgence face à « l’accélération du phénomène d’érosion de la pointe du Cap Ferret » et demande à la commune de prendre des mesures radicales jusqu’à prévoir des « procédures d’évacuation d’urgence » dans les fameux 44 hectares. « Le maintien du trait de côte à la pointe paraît très hypothétique à court ou moyen terme, et la stabilité des ouvrages ne peut être garantie avec des risques d’effondrement brutal non prévisible », tonne alors le représentant de l’Etat, dont la stratégie avait jusqu’ici surtout consisté à laisser la municipalité et les propriétaires se débrouiller.

Aujourd’hui, le nouveau maire, Philippe de Gonneville, négocie avec la nouvelle préfète pour solder l’héritage Lallement, rouvrir partiellement en 2022 la promenade entre Hortense et la Pointe et réduire de 800 mètres à 300 mètres l’interdiction d’accès qui frappe également la plage côté océan à l’extrémité de la presqu’île.

L’édile a en revanche fait son deuil du poste de secours de la plage de l’Horizon, la seule surveillée, plus au nord. Tout comme de la « gare » du petit train, un abri posé sur la dune au pied d’un des derniers blockhaus pas encore tombés à l’eau, qui conduit les touristes depuis le débarcadère. Le maire a pris la décision de les « relocaliser ». Ici, le trait de côte a reculé de 17 mètres durant l’hiver 2019-2020. A marée haute, il n’y a quasiment plus de place pour poser sa serviette.

« L’érosion est un vrai sujet de préoccupation pour l’avenir de la presqu’île, reconnaît l’élu qui a dirigé l’office du tourisme de 2008 à 2014 avant de devenir premier adjoint chargé des finances puis maire en juin 2020. La question des villas dans l’eau ne se posera pas dans deux cents ans mais dans trente ans. »

La préfecture a enfin ouvert la révision du Plan de prévention des risques littoraux (PPRL). Le processus devrait aboutir dans vingt-quatre mois avec des modifications substantielles. Le document en vigueur a 20 ans. « Etant donné les prévisions extrêmement alarmistes du GIEC, je doute que les services de l’Etat ouvrent largement à l’urbanisation, dit M. de Gonneville. La zone rouge va forcément s’accroître. » Aujourd’hui, elle concerne près de 400 habitations sur les 3 200 recensées au Cap-Ferret par le service urbanisme.

En attendant, les permis de démolition et de construire continuent de fleurir. Les chantiers ont repris sitôt la haute saison touristique terminée et les carnets de commandes des entreprises de BTP sont pleins pour deux ans. Le maire précédent était critiqué pour son laisser-faire en matière d’urbanisme. « Tolérance zéro », martèle Philippe de Gonneville. Une trentaine de dossiers sont devant les tribunaux. Des clôtures trop hautes, un propriétaire qui veut reconstruire sa villa de 200 m2 après un incendie alors que le permis de construire avait été délivré pour une surface d’à peine 80 m2« Pas de passe-droit, jure le maire. Même M. Niel ne pourra pas faire de travaux susceptibles d’accroître la valeur de son bien. »

Philippe Le Harivel de Gonneville, maire de Lège-Cap-Ferret, devant le terminus du petit train amenant à la plage de l’Horizon, qui devra bientôt être déplacé par mesures de sécurité.
Le Cap-Ferret, en Gironde.

Une question reste cependant taboue. « Toutes ces maisons achetées à prix d’or, elles ne vaudront plus rien le jour où elles seront dans l’eau, juge M. de Gonneville. Mais il faudra bien indemniser les propriétaires. » Le maire déplore l’absence de cadre législatif : « L’Etat est frileux, je comprends qu’il n’ait pas très envie de faire des chèques de 17 millions d’euros. »

Dans le cadre de la loi Climat et résilience, il a poussé, en vain, une proposition pour un système d’indemnisation plafonnée adossé à une décote fiscale sur l’impôt sur la fortune immobilière. Certains de ses administrés lui reprochent de « défendre les riches ». « Je défends les gens d’ici », répond le maire, « ex-UMP » et dont la « famille politique » reste « la droite et le centre ».

Dans le contexte d’aggravation de la crise climatique, se battre contre les éléments n’est-il pas un combat vain ? « Les partisans de l’écologie extrême souhaiteraient qu’on laisse faire la nature mais, en tant qu’élu, je suis dans l’obligation de défendre mon territoire et ma population. » Alors, la municipalité remet du sable que la mer s’ingénie à retirer.

Les « querelles du passé »

Côté bassin, elle s’évertue à colmater les brèches qui submergent l’anse du Mimbeau, fine et fragile flèche de sable prise d’assaut par les baigneurs l’été et par les tempêtes l’hiver, qui protège les villas des 44 hectares et le quartier ostréicole. Côté océan, un programme de rechargements massifs de sable à la Pointe est porté avec le syndicat intercommunal du bassin d’Arcachon. Le projet initial prévoyait de ramener en dix ans plus de 1 million de mètres cubes de sable depuis un banc situé à l’autre bout du bassin. Il a été retoqué par le Conseil national pour la protection de la nature. Désormais, il est question d’aller puiser dans le bac à sable du « sauveur » de la presqu’île : Benoît Bartherotte.

« Bartherotte est un interlocuteur indispensable pour sauver le trait de côte et notre territoire », assure aujourd’hui le maire. Une phrase qu’on n’avait jamais entendue dans la bouche de son prédécesseur, Michel Sammarcelli, en vingt-cinq ans de service. Le nouvel édile a ensablé la hache de guerre : « Je veux faire table rase des querelles du passéses défenses ont permis de protéger les propriétés vers le Mimbeau, c’est une évidence absolue. »

Au centre des « querelles du passé », jamais à l’abri de revenir avec la marée, la célèbre digue érigée par Benoît Bartherotte à la pointe de sa propriété qui est aussi celle du Cap Ferret ; 450 mètres de long, 40 de haut, assez large pour laisser passer un pick-up. L’œuvre de sa vie. Chroniquée dans des albums photos et dans les magazines en papier glacé.

Benoit Bartherotte montrant une photo d’archive d’effondrement de sable près de sa digue, qu’il entretient depuis plus de trente ans.

Les Shadoks pompaient, pompaient ; Benoît Bartherotte met des pierres, met des pierres. Des millions de tonnes de blocs de roches, mais aussi de pylônes électriques, mais aussi de gravats issus des chantiers de démolition. Bartherotte ne compte pas en millions d’euros – « sinon j’aurais tout arrêté » – mais en camions. Jusqu’à soixante par jour par gros temps. « Je suis un monomaniaque de la digue », confesse Bartherotte, 75 ans et la barbe blanche soigneusement hirsute à la Robinson Crusoé.

Ses cailloux, il les empile depuis 1985 lorsqu’il a récupéré une villa qui partait au bouillon. « La pointe a perdu 700 mètres entre 1973 et 1995. La digue a stoppé ça net », assure-t-il, droit dans son maillot de bain, document de l’administration en main. Au bout de son ouvrage, un vigile en tee-shirt noir « sécurité » veille à ce que personne ne s’aventure sur la plage (interdite au public) près de son musoir. Les effondrements de sable ne préviennent pas. Le dernier remonte à juin. Lui n’hésite pas à tomber sa chemise en lin pour y piquer une tête même si la propriété recèle aussi une crique avec sa petite plage privée sur le bassin.

L’Etat lui a demandé de consolider son musoir. Une pelle mécanique se tient toujours prête à intervenir. Aujourd’hui, elle est discrètement garée à l’abri des palmiers et des yuccas. Demain, le patron d’une grande banque d’affaires marie ici sa petite-fille. Armée d’un balai, une jeune femme applique les consignes du patron : faire disparaître toute trace de pas pour maintenir la dune « immaculée ».

Chez Benoit Bartherotte, à La Pointe du Cap-Ferret, où ce dernier entretient une digue depuis plus de trente ans.

Au sommet, Bartherotte a installé une immense salle de réception, en bois. Ephémère comme tout ce qui devrait selon lui être construit sur la presqu’île. Il la monte en mai et la démonte en octobre. Les touristes n’en aperçoivent que le toit en toile blanche depuis le Belvédère. 40 000 euros la semaine avec la location du « château », la plus spacieuse (350 m2) et luxueuse de ses cinq villas. C’est là que séjournent les stars. C’est comme ça qu’il finance ses pierres.

Avec le Covid-19, Bartherotte dit avoir « perdu dix mariages »« Je n’ai plus de trésorerie », explique-t-il à un fournisseur de pierres qui lui réclame un chèque en souffrance de 7 000 euros. Lui aimerait bien récupérer auprès du Syndicat intercommunal du bassin d’Arcachon une partie des 250 000 euros injectés cette année pour remettre du sable à la Pointe. Celui prélevé à son musoir devrait coûter 3 euros contre 20 euros dans le projet initial de réensablement, rappelle-t-il.

« Je suis un emmerdeur »

« A terrain précaire, construction précaire », martèle Bartherotte qui vit toujours avec sa compagne « Zaza » dans la « baraque » en bois « entièrement chevillée » avec ses petites mains d’ancien patron de maison de couture (Jacques Esterel). Les fils ont pris la relève. Ils construisent et vendent très cher sur la presqu’île des « cabanes » en pin, et les jardins qui vont avec. Dans le salon, dans la chambre, des piles de dossiers, de procédures judiciaires.

Il y a vingt ans, la justice le condamnait pour défaut de permis de construire. Aujourd’hui, c’est lui qui traque les constructions en zone rouge. « Je suis un emmerdeur, je ne veux pas qu’on massacre le pays. » Si la villa que vient d’acquérir son futur voisin Xavier Niel et où il a séjourné enfant vaut aujourd’hui « une fortune », c’est parce qu’« on a réussi à protéger la presqu’île de l’invasion du béton et des horreurs qu’on voit ailleurs ».

La plage de la Pointe du Cap-Ferret face au terrain de Benoit Bartherotte. Son accès est interdit au public par arrêté préfectoral en raison de sa dangerosité.

La lutte contre la bétonnisation de la presqu’île, l’association Protection et aménagement Lège-Cap-Ferret (PALCF) l’a engagée il y a près de cinquante ans. Elle fêtera en 2022 son acte de naissance : « la bataille du Mimbeau ». Le 13 août 1972, Léon Zitrone annonce en direct à l’ORTF les résultats d’un contre-référendum organisé par l’association : 3 834 votants font barrage à un projet de marina porté par la municipalité. Pompidou est au pouvoir. Le promoteur corrézien qui vient d’achever la marina de Bormes-les-Mimosas a jeté son dévolu sur le site du Mimbeau pour y construire un port de plaisance de 1 200 places et 500 logements sur plusieurs étages. « Chaban-Delmas [député et maire de Bordeaux] s’était fendu d’une lettre à Boulin [ministre aux relations avec le Parlement] pour le prévenir : “nous ne laisserons pas faire le jeune Chirac [député de Corrèze]” », raconte Jean Mazodier, 81 printemps, président du PALCF, fils de Pierre, son fondateur, et arrière-arrière-arrière-petit-fils de Frédérick Lesca, un des premiers propriétaires et bâtisseurs de la presqu’île avec son frère Léon dans la deuxième moitié du XIXsiècle.

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L’association compte aujourd’hui 700 membres dont un tiers de résidents à l’année. Et défend depuis un demi-siècle le même principe, emprunté au philosophe Francis Bacon : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant. » C’est peu dire que Jean Mazodier n’est pas un fidèle supporteur de la digue de Bartherotte – qui lui a fait un procès pour l’avoir critiqué – ni des perrés devant les propriétés. « Si un ouvrage en dur pète, c’est Xynthia », dit Mazodier. En 2010, la tempête avait causé le décès de 53 personnes sur le littoral français. Sa maison à lui est à l’abri, à bonne distance du bassin et de l’océan, à 23 mètres au-dessus du niveau de la mer.

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La mer, c’est le gagne-pain d’Agathe Bouin et Yannick Pons. Agathe, 34 ans et Yannick, de quatre ans son aîné, sont les derniers ostréiculteurs à s’être installés au Ferret, en 2015. « Laisser faire la nature », c’est aussi ce que défend le couple. « Tous les ans, la mairie remet du sable au Mimbeau, et tous les ans il repart. Tout ça parce que les maisons en première ligne ont peur pour leur jardin et leur perré. Mais ce serait mieux de laisser le Mimbeau se percer. Ça permettrait de nettoyer la conche, envasée à marée basse, de mieux drainer le courant et d’avoir une eau plus propre pour nos bassins. » Rose, 4 ans, passe le chien Jeep au jet. Elle a accompagné son père sur le tracteur jusqu’aux parcs, juste derrière le Mimbeau. Mao, 1 an, aimerait bien sortir du sien, installé sous l’atelier.

Yannick et Agathe, ostréiculteurs au Cap-Ferret. Yannick et Agathe proposent aussi un service de dégustation d’huîtres sur place avec vue imprenable sur le Maimbeau.

Ce qui inquiète Agathe et Yannick, ce n’est pas l’érosion marine mais « l’érosion humaine »« L’hiver, tout est fermé, il n’y a que le Carrefour contact d’ouvert. » De 30 000 habitants l’été, la population tombe à 600 en basse saison. Plus de 80 % des maisons sont des résidences secondaires. Et à 10 000 euros la semaine en août, les propriétaires préfèrent louer un mois par an plutôt qu’à l’année. « C’est impossible de se loger ici », regrette Yannick.

« Sans perspective d’avenir ici », leur unique employé leur a annoncé qu’il préférait aller voir ailleurs, sans attendre la montée des eaux : il n’en pouvait plus des heures dilapidées dans le flot des voitures et des touristes pour rejoindre la cabane à huîtres tout au bout de la presqu’île.Et pour 2022 ?

Philippe de Gonneville votera en 2022, son suffrage se portera sur le candidat ou la candidate qui « remettra sur les rails les prérogatives régaliennes de l’Etat : la justice, la police, la sécurité ».

Benoît Bartherotte ne sait pas encore s’il ira voter. Ce qui déterminera son hypothétique bulletin ? Son « efficacité ».

Jean Mazodier soutiendra « la continuité de l’action du président de la République »… qui avait été son voisin à l’été 2005 au Cap-Ferret.

Pour Agathe Bouin et Yannick Pons, « hors de question de ne pas voter ». Les thèmes « agricoles et écologiques » orienteront leur choix.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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