Changement climatique : qui paiera pour sauver la planète ?
« Transition écologique, défis économiques » (1/5). Alors que la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques − COP26 − s’approche, le monde n’est pas en chemin pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. En cause : le prix de la transition climatique, qui nécessite d’énormes investissements.
Temps de Lecture 9 min. https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/19/changement-climatique-qui-paiera-pour-sauver-la-planete_6098923_3234.html

La bonne nouvelle d’abord : limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C est possible. « Les solutions sont disponibles, et beaucoup d’entre elles sont peu chères », notait l’Agence internationale de l’énergie (AIE), jeudi 13 octobre. La mauvaise nouvelle, connue de tous, est que le monde n’est absolument pas en chemin pour y arriver.
Pour rester à + 1,5 °C de hausse, l’humanité peut encore émettre en tout et pour tout 325 gigatonnes de CO2. Au rythme actuel, ce « budget carbone » sera épuisé dans huit ans. Pour 2 °C de réchauffement, il tiendra environ vingt-cinq ans. Et c’est tout. Au-delà, chaque émission supplémentaire signifie un réchauffement plus virulent.
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Le grand écart entre le scénario espéré, pour lequel se sont engagés les pays du monde entier lors de l’accord de Paris en 2015, et la réalité s’explique en grande partie par un problème : l’économie. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, comme le promet notamment l’Union européenne (UE), il faut changer le système électrique, éteindre les centrales à charbon, mettre fin aux véhicules à essence, mieux isoler les logements, remplacer les chauffages par des pompes à chaleur, inventer de nouveaux processus industriels pour l’acier et le ciment… Le chantier est gigantesque et coûteux.
Alors que la COP26 débute le 1er novembre à Glasgow, en Ecosse, Le Monde tente de répondre à deux questions de base : comment financer la transition écologique ? Et qui paie ?
« Verdir » la production électrique
Commençons par rencontrer un « optimiste » – c’est lui qui le dit. « Je pense qu’il y a 30 % de chances de limiter le réchauffement à 1,5 °C », estime Adair Turner, dans un grand sourire. Le Britannique a été, entre 2008 et 2012, le président du Committee on Climate Change, l’organisme étatique qui conseille le gouvernement britannique sur sa stratégie en la matière. Il a aujourd’hui monté un cercle de réflexion, l’Energy Transitions Commission, qui cherche à déterminer les scénarios les plus crédibles pour atteindre la neutralité carbone à travers le monde. Sa conclusion : « La transition climatique d’ici à 2050 aura un impact nul sur le niveau de vie ou le PIB [produit intérieur brut] par habitant. » En clair, économiquement, les gens ne souffriraient pas de cette transition. « Mais ça ne veut pas dire que la transition n’a pas de coût », corrige-t-il immédiatement.
Explication. Son scénario − il en existe des dizaines relativement similaires − consiste à suivre les étapes suivantes. Il faut d’abord « verdir » la production électrique, avec de l’éolien et du solaire (et dans son cas, du nucléaire) ; ensuite, il faut « électrifier » l’économie : les voitures deviennent électriques, le chauffage électrique est généralisé, la production d’acier se met à fonctionner avec des fours à arc électrique…
Une fois installé, une éolienne ou un panneau solaire est très économique à faire fonctionner
Initialement, cette transformation coûte très cher. Mais à terme, elle produit des économies. L’exemple typique est la voiture électrique, qui est plus coûteuse à l’achat mais plus économique à l’utilisation. La même chose est vraie de la production électrique : une fois installé, une éolienne ou un panneau solaire est très économique à faire fonctionner.
Pour mettre en œuvre la transition climatique, la planète fait donc face à un véritable mur d’investissements avant d’espérer en tirer les bénéfices. Rien que pour le secteur de l’énergie, l’AIE estime qu’il faut 4 000 milliards de dollars (3 450 milliards d’euros) d’investissement par an d’ici à 2030. C’est plus du triple de ce qui est actuellement injecté dans les énergies vertes. Suivant les estimations et les régions, les économistes s’entendent sur le même ordre de grandeur : il faut 2 % à 3 % de PIB supplémentaires consacrés à l’investissement.
En comparaison, entre 2010 et 2019, l’investissement mondial – tous secteurs compris – s’élevait en moyenne à 24,3 % du PIB. Deux à trois points supplémentaires, ce n’est donc pas insurmontable, mais c’est « loin d’être négligeable macroéconomiquement », note l’économiste Jean Pisani-Ferry, auteur d’une récente note sur la transition climatique pour le Peterson Institute for International Economics.
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Cette hausse de l’investissement mondial signifie mécaniquement une réallocation des flux financiers vers moins de consommation. M. Turner l’illustre avec un exemple : « Pour un ménage, investir dans une pompe à chaleur coûte autour de 15 000 euros. Pour celui-ci, cela va forcément dire un peu moins de sorties au restaurant, de départs en vacances ou de loisirs. » La même chose s’applique au niveau macroéconomique. En clair, même dans cette vision « optimiste » d’un coût net nul à l’horizon de 2050, la transition provoquerait d’abord une baisse du pouvoir d’achat pendant les quinze prochaines années, avant que les gains ne se fassent sentir.
Comme les mines de charbon de l’Occident qui ont autrefois fermé, des secteurs entiers vont disparaître et seront remplacés par d’autres
Selon M. Pisani-Ferry, l’ordre de grandeur du choc de la transition climatique serait proche de celui… du choc pétrolier de 1974. Pour faire ce calcul, il reprend les travaux des économistes Nicholas Stern et Joseph Stiglitz, qui estiment que pour limiter le réchauffement à 2 °C, le CO2 à travers le monde devrait valoir entre 50 dollars et 100 dollars la tonne d’ici à 2030. Sachant que l’humanité émet actuellement 36 gigatonnes de CO2 par an, et que celui-ci coûte seulement 10 dollars la tonne en moyenne (cela varie fortement suivant les régions et les secteurs), cela correspondrait à un choc de 3,7 % du PIB (en mettant le CO2à 100 dollars). « En comparaison, le choc pétrolier de 1974 (…) était de 3,6 % de PIB », rappelle M. Pisani-Ferry. Certes, l’économie mondiale s’est remise du choc pétrolier, preuve que l’obstacle n’est pas insurmontable, mais les bouleversements qui en ont découlé ont été énormes.
La transition climatique provoquerait le même profond changement d’organisation de l’économie. Comme les mines de charbon de l’Occident qui ont autrefois fermé, des secteurs entiers vont disparaître et seront remplacés par d’autres. Avec de vastes défis pour accompagner socialement les populations qui perdront leurs emplois. « Il y a 1 200 techniciens spécialisés dans les pompes à chaleur au Royaume-Uni et 130 000 spécialisés dans les chaudières à gaz », note Rebecca Heaton, d’OVO Energy, un fournisseur d’électricité britannique. Il faudra inverser le ratio.
En décortiquant précisément soixante-quinze secteurs, le cabinet de consultants McKinsey a calculé à 1 000 milliards d’euros par an les investissements nécessaires pour une transition vers la neutralité carbone en 2050 pour la seule UE. « Il s’agit de 800 milliards qui sont déjà investis dans des actifs et des technologies à forte intensité carbone, mais qui doivent être redirigés vers d’autres activités décarbonées, et d’un effort de 180 milliards supplémentaires », précise Sébastien Léger, l’un des coauteurs du rapport.
Faire payer les émissions de gaz à effet de serre
Qui paiera ? Le secteur privé ? En partie seulement, répond McKinsey. Selon le cabinet, seuls 39 % des investissements nécessaires sont actuellement rentables. Mais si la tonne de CO2 valait 100 euros, et que ce prix était appliqué à l’ensemble de l’économie, les trois quarts d’entre eux deviendraient rentables.
La conclusion est sans appel : pour avoir un espoir de réussir la transition, il faut faire payer les émissions de gaz à effet de serre. L’UE le fait déjà partiellement, mais uniquement dans le secteur de la production d’énergie, des industries lourdes et des vols aériens intérieurs. Il faut élargir cette action à tous les domaines. « On peut réussir à concilier économie et climat, mais le rôle des gouvernements et de la planification est extrêmement important », conclut M. Léger. « Il faut des politiques publiques déterminées », renchérit M. Turner. C’est vrai pour le prix du CO2, les normes environnementales ou encore les dépenses publiques… La COP26 est en ce sens très importante pour envoyer un signal clair aux investisseurs.
« La seule solution est que l’Occident paie la Chine pour qu’elle ferme ses centrales à charbon ; mais vous imaginez comment cela va être reçu politiquement ? » James Nixon, analyste chez Oxford Economics
Cet exemple décortiqué par McKinsey se limite pourtant à l’UE, qui ne représente que 8 % des émissions de gaz à effet de serre. Pour éviter un réchauffement incontrôlé, la Chine (27 % des émissions) est l’acteur incontournable. Cela nécessite un système de solidarité des pays riches (responsables de l’essentiel des émissions depuis la révolution industrielle) vers les émergents.
Un exemple donne la mesure de la tâche financière. Les centrales au charbon émettent 20 % des gaz à effet de serre à travers la planète. Les éteindre est une priorité absolue. Mais comment ? Actuellement, la grande majorité d’entre elles se trouvent en Asie, où leur âge moyen est de 13 ans. Il leur reste des décennies de fonctionnement : les maintenir en activité coûte très peu cher tandis que les arrêter nécessite des compensations et des investissements pour les remplacer avec des énergies renouvelables. « La seule solution est que l’Occident paie la Chine pour qu’elle ferme ses centrales à charbon ; mais vous imaginez comment cela va être reçu politiquement ? », souligne James Nixon, du cabinet Oxford Economics.
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Enfin, tous ces scénarios relèvent de la version optimiste, celle de la fameuse « croissance verte », avec un « coût net » de zéro à horizon 2050. « C’est une bien jolie histoire, mais est-ce que c’est vrai ? », réplique M. Nixon.
Lui a fait tourner les modèles fournis par le projet Advance, un réseau d’une quinzaine de centres de recherche qui ne dépendent pas du secteur privé (contrairement au centre de réflexion de M. Turner ou à McKinsey). Sa conclusion : limiter le réchauffement à 1,5 °C réduirait le PIB mondial de 3 % en 2030, et de 2 % en 2050.
Froide logique économique
Certes, en regardant très loin, à l’horizon 2100, un réchauffement catastrophique de 4 °C ou 5 °C finirait par provoquer une violente chute économique dans la seconde moitié du siècle. Mais c’est si loin. Les dirigeants actuels, notamment aux Etats-Unis et en Chine, sont-ils prêts à une forte réduction du pouvoir d’achat dans la décennie à venir en échange d’une amélioration après leur mort ? « La conclusion probable est que le monde ne suivra pas le scénario d’un réchauffement limité à 1,5 °C », estime M. Nixon.
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Il est le premier à penser que le PIB n’est pas la bonne mesure dans ce débat. Les événements climatiques extrêmes, les vagues de réfugiés que cela peut provoquer, l’effondrement de la biodiversité ou l’augmentation des morts à cause des canicules nécessitent d’agir. Mais la froide logique économique va dans le sens inverse.
Ce n’est pas une surprise, relève M. Pisani-Ferry : « Fondamentalement, la décarbonation revient à mettre un prix à une ressource qui était gratuite », en l’occurrence la production de CO2. Difficile dans ce contexte d’imaginer que la croissance sera la même. Il ne s’agit peut-être pas de « décroissance », mais au moins d’une croissance réduite. A moins, bien sûr, de ne pas limiter les émissions de gaz à effet de serre, au risque de conséquences climatiques catastrophiques.Retrouvez tous les articles de la série « Transition écologique, défis économiques »
Alors que la COP26 débute le 1er novembre à Glasgow, en Ecosse, Le Monde tente de répondre à deux questions : comment financer la transition écologique ? Et qui va payer ?
- Changement climatique : qui paiera pour sauver la planète ?
- Le changement climatique, un risque majeur pour les banques
- En Ecosse, Aberdeen « vit encore au rythme des cours du brut »
- L’Europe se divise sur l’élargissement du marché du carbone *
- Les entreprises déplorent le cercle vicieux de l’envolée du prix du CO2**
- Le mirage de la « finance verte »***
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Eric Albert(Londres, correspondance)
*L’Europe se divise sur l’élargissement du marché du carbone
« Transition écologique, défis économiques » (2/5). La Commission européenne veut élargir le mécanisme des quotas de CO2, ces droits à polluer, aux bâtiments et au transport routier.
Temps de Lecture 6 min.

L’Union européenne (UE) se veut à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique, et c’est vrai qu’elle est, pour l’instant, en avance sur les autres continents. Après avoir signé l’accord de Paris de 2015, elle a inscrit dans le marbre, au terme de débats parfois homériques entre les Vingt-Sept, son objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et, pour y parvenir, de réduire d’au moins 55 % ses émissions de CO2d’ici à 2030 (par rapport à 1990). Il s’agit désormais de donner corps à cette ambition – une cinquantaine de textes législatifs devront être adoptés – et, compte tenu des intérêts en jeu – économiques et sociaux –, ce ne sera pas chose aisée.
L’une des bagarres les plus virulentes qui s’annoncent entre les Européens concerne le nouveau marché du carbone pour les fournisseurs de carburants et de combustibles au transport routier et aux bâtiments (chauffage et froid), dont la Commission a proposé la création à partir de 2026. Sa mise en place touchera directement les consommateurs au porte-monnaie, à la pompe ou sur leur facture d’électricité, et certains pays s’inquiètent déjà qu’aux quatre coins du continent, des « gilets jaunes » manifestent leur colère.
Il existe déjà un marché du carbone (Emissions Trading System, ETS) au sein de l’UE. Mais celui-ci ne concerne que les industries les plus polluantes, qui sont responsables de 40 % des émissions de CO2. Depuis 2005, les producteurs d’électricité, l’aviation commerciale au sein de l’UE et les industries énergo-intensives comme les raffineries de pétrole, la sidérurgie ou les cimentiers y achètent des quotas de CO2, qui sont des droits à polluer, en vertu du principe pollueur-payeur. Mais, jusqu’ici, il n’a pas totalement fait ses preuves. « Seul le secteur de l’électricité a entamé sa décarbonation, les autres, qui bénéficient d’allocations gratuites, n’ont pas vraiment été incités à le faire », estime Geneviève Pons, directrice générale du think tank Europe-Jacques Delors, à Bruxelles.
« Berlin a à cœur de ménager son industrie »
Aujourd’hui, la Commission veut passer à la vitesse supérieure et a présenté son plan de bataille le 14 juillet, qui doit encore faire l’objet de négociations avec le Parlement européen et les Etats membres. Elle propose d’abord d’inclure dans l’ETS actuel le secteur maritime et de mettre ce marché sous tension – à partir de 2023, le nombre de permis à polluer et de quotas gratuits sera progressivement réduit –, afin de faire monter le prix de la tonne de CO2 et d’inciter les industriels à faire leur transition. En parallèle, elle juge nécessaire d’installer un second marché du carbone, adapté aux secteurs du bâtiment et du transport. « Les bâtiments pèsent pour 40 % de la consommation d’énergie et les émissions du transport routier ne cessent de gonfler, il faut à tout prix inverser la tendance », a expliqué, à plusieurs reprises, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission.
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Pour ces secteurs, argue Bruxelles, la réglementation et la définition de nouvelles normes ne peuvent suffire à inverser la donne, la mise en place d’un marché est nécessaire. Afin d’en limiter les conséquences sur les ménages les plus modestes (aujourd’hui, 34 millions d’Européens ont déjà du mal à payer leur facture d’électricité), la Commission prévoit un fonds social pour le climat, doté de 72 milliards d’euros sur sept ans.
En faisant ce choix, l’ancienne ministre d’Angela Merkel a répondu aux attentes de l’Allemagne, qui a déjà mis en place, sur son sol, un marché du carbone pour les bâtiments et le transport et qui milite pour qu’une solution de ce type soit adoptée à l’échelle européenne. « Berlin a surtout à cœur de ménager son industrie en faisant porter aux ménages une partie du coût de la transition », explique une source européenne.
« Un suicide politique »
En revanche, Ursula von der Leyen a suscité beaucoup d’irritation, y compris dans sa propre équipe. D’ailleurs, lorsqu’elle a réuni ses vingt-six commissaires, le 14 juillet, avant de présenter le paquet climat de la Commission, près de la moitié d’entre eux, tous bords politiques confondus, lui ont fait part de leurs réticences. Dont le social-démocrate Paolo Gentiloni (à l’économie), le macroniste Thierry Breton (au marché intérieur), mais aussi les conservateurs (issus du PPE, comme elle) Valdis Dombrovskis (vice-président) et Johannes Hahn (au budget). Une bronca rarissime au sein de l’institution.
Au sein du Parlement européen, une grande partie des élus – sociaux-démocrates, libéraux ou Verts – sont également opposés à cette initiative. « Je soutiens le paquet de la Commission, mais la création d’un marché du carbone pour les transports et le bâtiment est un suicide politique », a estimé, à plusieurs reprises, l’eurodéputé macroniste Pascal Canfin.
Quant aux Vingt-Sept, ils sont très divisés sur la création d’un second marché ETS, qui viendrait mordre sur le pouvoir d’achat des citoyens. Et l’actuelle flambée des prix de l’énergie, même si elle n’a, en l’état, rien à voir avec les projets de la Commission, ne concourt pas à rapprocher les positions des uns et des autres.
Réserves
Le conseil des ministres de l’environnement de l’UE, qui s’est tenu à Luxembourg le 6 octobre, a une nouvelle fois montré à quel point le sujet est sensible. A cette occasion, seuls l’Autriche, la Suède, l’Allemagne, le Danemark, la Finlande et les Pays-Bas se sont explicitement prononcés pour l’extension du marché du carbone. Le Portugal aussi, mais seulement pour le transport (pas pour le bâtiment).
Les autres pays ont tous exprimé des réserves, plus ou moins appuyées, au projet de Bruxelles. Plusieurs d’entre eux, à commencer par la Pologne et la Hongrie, réclament plus d’aides que prévu pour les accompagner dans cette transition. De manière générale, le sujet du fonds social pour le climat promet, lui aussi, de jolies polémiques, alors que l’Allemagne et les « frugaux » (Autriche, Suède, Pays-Bas, Danemark) veulent en terminer avec les largesses européennes, après le plan de relance de 750 milliards d’euros.
La France, pour sa part, ne cache pas ses réticences, mais, malgré son expérience traumatique des « gilets jaunes », elle n’est pas, jusqu’ici, partie en guerre contre la création de ce second ETS. Elle a en effet à cœur de préserver des futures marges de manœuvre dans des négociations qui s’annoncent difficiles, en particulier avec l’Allemagne. Paris milite notamment pour que le renforcement du marché du carbone actuel soit plus ambitieux que le propose la Commission, quand l’Allemagne, soucieuse de protéger son industrie, tente d’en limiter la portée.
« Il y a une sorte d’accord entre Paris et Berlin »
De même, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, que Bruxelles a également mis à l’agenda, divise les deux pays. Ce dispositif, qui doit monter en puissance entre 2026 et 2036, a pour objectif de renchérir, dans les secteurs les plus polluants (acier, électricité, ciment, engrais, aluminium), les importations de pays tiers aux normes environnementales moins strictes. « Un même prix pour la production nationale et les importations. Une première mondiale », explique le commissaire à l’économie, Paolo Gentiloni. Il s’agit de protéger les efforts de l’industrie européenne pour investir dans des technologies propres et, surtout, de décourager ceux qui voudraient se délocaliser pour échapper aux contraintes du Green Deal.
La France, partisane de longue date d’un tel mécanisme – Jacques Chirac déjà le défendait, Emmanuel Macron y est très attaché –, souhaiterait qu’il se mette en place plus vite et concerne plus de secteurs. L’Allemagne, comme les pays du Nord, redoute en revanche qu’il soit perçu par les partenaires commerciaux de l’Europe comme une montée du protectionnisme et que sa mise en place nuise à ses exportations. « Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières tel qu’il est dessiné aujourd’hui ne concerne que très peu les importations américaines en Europe », précise l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce Pascal Lamy. Les produits chinois ou russes, en revanche, ont été moins préservés. « Il y a une sorte d’accord entre Paris et Berlin : le premier laisse l’ETS transport et bâtiment au second, et le second ne tue pas le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières », confie un diplomate.Retrouvez tous les articles de la série « Transition écologique, défis économiques »
Alors que la COP26 débute le 1er novembre à Glasgow, en Ecosse, Le Monde tente de répondre à deux questions : comment financer la transition écologique ? Et qui va payer ?
Virginie Malingre(Bruxelles, bureau européen)
**Les entreprises déplorent le cercle vicieux de l’envolée du prix du CO2
Pour les industriels, un surcoût du carbone rogne la compétitivité, les marges, l’innovation et, pour finir, la capacité à « verdir » les usines.
Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/20/les-entreprises-deplorent-le-cercle-vicieux-de-l-envolee-du-prix-du-co2_6099210_3234.html

Les entreprises très émettrices de CO2 pourront-elles appliquer les nouvelles normes de Bruxelles, sans compromettre une compétitivité souvent plus faible que celle de leurs concurrentes asiatiques ? Lancé en 2005, année d’entrée en vigueur du protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre signé en 1997, le marché européen des quotas de CO2, dit « ETS » (Emissions Trading System), est devenu plus mature. Et plus exigeant pour l’industrie lourde, la production d’électricité et le transport aérien intra-européen, qui pèsent 40 % des émissions du Vieux Continent.
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En 2018, la perspective d’une réduction des quotas avait fait décoller le prix du CO2, qui fluctuait, depuis le début de la décennie, entre 3 et 8 euros la tonne. Il a atteint 30 euros, début 2019. Mais, depuis le début de l’année, sidérurgistes, cimentiers, groupes chimiques, papetiers ou producteurs d’engrais, soit 12 000 installations entrant dans le système ETS, ont encaissé son doublement, à 60 euros la tonne cet été. Ce qui a permis aux Etats membres de l’Union européenne (UE) de percevoir 11 milliards d’euros supplémentaires entre janvier et août 2021, selon la Commission européenne.
Une hausse à double tranchant
Le gouvernement est démuni pour amortir ce choc et, au-delà, l’envolée des tarifs de l’électricité et du gaz. Barbara Pompili et Agnès Pannier-Runacher, ministres de la transition écologique et de l’industrie, ont réuni, mardi 19 octobre, les responsables des secteurs « énergo-intensifs ». Outre une baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) déjà actée (200 millions d’euros prévus), le gouvernement envisage d’avancer à 2022 (et non plus avec un décalage d’une année) le versement de l’aide prévue dans le cadre du mécanisme de compensation des coûts indirects du carbone. Les électro-intensifs (aluminium, électrométallurgie, chimie lourde…) en bénéficient depuis 2016, notamment pour les dissuader de délocaliser leurs productions dans les régions du monde où le prix du carbone est faible ou inexistant.
Le surcoût du CO2 ne compte que pour 20 % dans la flambée actuelle des prix de l’électricité, a assuré le vice-président de la Commission chargé du climat, Frans Timmermans. Mais la pression des politiques climatiques, la fin de la gratuité d’une partie des quotas et la réduction de leur nombre vont les renchérir. Et cette hausse est à double tranchant, soulignent les industriels : elle incite bien à investir dans de nouveaux équipements, comme les fours électriques des aciéries fonctionnant grâce à une électricité renouvelable ou nucléaire, ou le captage-stockage du CO2. Mais un coût excessif du carbone rogne la compétitivité, les marges, l’innovation et, pour finir, la capacité à « verdir » les usines.
Un coût difficile à répercuter sur le client
Si la Commission, les écologistes et de nombreux économistes croient dur comme fer aux effets du signal-prix, les industriels en contestent l’efficacité, s’il est trop brutal. Nicolas de Warren, président de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (Uniden), s’était indigné de cette « approche à courte vue » et « mortifère », le 25 mai, dans une tribune publiée par Les Echos. « Le problème de l’économie hors-sol, tranchait-il, ce sont les dégâts qu’elle génère. » Difficile pour ArcelorMittal, par exemple, de répercuter le coût du CO2 sur le client, dans un secteur, l’acier, où la Chine, la Russie et la Turquie n’ont pas les mêmes contraintes environnementales – et n’hésitent pas à casser les prix.
Puisque l’Europe s’est fixé des objectifs plus ambitieux que ceux des Etats-Unis ou de la Chine, elle doit taxer le carbone importé quand leurs produits entrent dans l’UE. Bruxelles a prévu, à partir de 2026, d’imposer l’achat de « certificats d’émissions »calculés sur le prix du CO2 dans l’UE, un mécanisme d’ajustement aux frontières qui concernera les industries gourmandes en énergie. Avec peu ou pas de quotas de CO2, l’industrie française a réduit ses émissions de 41 % par unité produite entre 1990 et 2016, fait valoir l’Uniden. Ce résultat est en partie dû à la baisse de l’intensité énergétique dans la sidérurgie et la chimie, où il reste pourtant beaucoup à faire.Retrouvez tous les articles de la série « Transition écologique, défis économiques »
Alors que la COP26 débute le 1er novembre à Glasgow, en Ecosse, Le Monde tente de répondre à deux questions : comment financer la transition écologique ? Et qui va payer
Jean-Michel Bezat
***Le mirage de la « finance verte »
« Transition écologique, défis économiques » 3/5. Banques et fonds d’investissement multiplient les produits « verts ». D’anciens gérants et banquiers dénoncent aujourd’hui cette promesse, qu’ils considèrent comme une dangereuse diversion.
Temps de Lecture 9 min. https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/21/le-mirage-de-la-finance-verte_6099347_3234.html

En 2008, la Banque mondiale a émis l’une des toutes premières « obligations vertes » de l’histoire – une façon de lever de l’argent pour financer des projets favorables à l’environnement. A l’époque, Julien Lefournier travaillait pour le Crédit agricole et était justement spécialisé en obligations. « J’ai trouvé ça intéressant, en me disant que c’était peut-être une bonne idée pour la planète. J’ai appelé mon meilleur client pour savoir ce qu’il en pensait. Il m’a répondu : “Et moi, qu’est-ce que j’y gagne ?” J’ai ensuite appelé un investisseur institutionnel. Il m’a répondu : “Et moi, qu’est-ce que j’y gagne ?” J’ai immédiatement réalisé que cela ne fonctionnerait pas. »
Sur les marchés financiers, chacun est là pour gagner de l’argent et personne n’a l’intention de laisser filer ses profits, investissement vert ou pas. Afin de dénoncer ce qu’il perçoit comme de la poudre aux yeux, M. Lefournier, aujourd’hui consultant, a coécrit, avec l’économiste Alain Grandjean, un livre au titre sans ambiguïté : « L’illusion de la finance verte » (éditions de l’atelier, 2021, 240 pages)
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Néanmoins, treize ans après l’émission de cette première obligation de la Banque mondiale, la finance verte n’en finit pas de grossir. A en croire l’Alliance mondiale pour l’investissement durable (Global Sustainable Investment Alliance), les actifs classés « durables » représentaient, fin 2019, 35 000 milliards de dollars (30 000 milliards d’euros) à travers le monde développé (Europe, Etats-Unis, Japon, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), soit 36 % de tous les fonds gérés professionnellement. De zéro il y a une grosse décennie, plus du tiers du monde de la finance serait désormais consacré à la transition climatique et à la bonne gouvernance.
Le patron de BlackRock, Larry Fink, le plus important gérant d’actifs au monde, est en pointe lorsqu’il s’agit d’appeler à investir dans les actifs verts
Tous les grands argentiers semblent s’y être mis. Mark Carney, l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, en a fait sa spécialité. Les Nations unies et le gouvernement britannique l’ont mandaté, en prélude à la COP26 sur le climat, qui doit se dérouler à Glasgow (Ecosse) du 31 octobre au 12 novembre, pour mobiliser le secteur financier. « La bonne nouvelle est que l’argent nécessaire se met en place », se félicite-t-il.
Le patron de BlackRock, Larry Fink, le plus important gérant d’actifs au monde, est également en pointe lorsqu’il s’agit d’appeler à investir dans les actifs verts. « La transition climatique offre une occasion historique d’investissement », écrivait-il dans sa grande lettre annuelle aux investisseurs, début 2021. Sachant que BlackRock est à la tête de près de 10 000 milliards de dollars d’actifs, contrôlant plus de 7 % du S&P 500, les principales entreprises américaines cotées en Bourse, sa voix peut être décisive. Comment ne pas se réjouir d’une telle avancée ? Si l’argent est le nerf de la guerre, la mobilisation de la finance pour la transition écologique ne devrait être qu’une bonne nouvelle. Voilà les marchés entrés dans l’ère « ESG », les fameux critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance.
Au cœur du problème, le « devoir fiduciaire »
Sourire ironique en coin, aisance oratoire de ceux qui ont suivi les meilleures études (université d’Oxford, MBA à l’Institut européen d’administration des affaires…), Tariq Fancy balaie ces arguments d’une phrase. « Le problème est simple : ces dernières années, les actifs ESG ont augmenté, les discussions sans fin sur l’ESG ont augmenté et… les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté. » En clair, quelle que soit la bonne volonté des banques et des fonds d’investissement, l’effet réel est nul.
L’homme en sait quelque chose : pendant deux ans, il a été chargé des investissements ESG à BlackRock. Du haut de sa position privilégiée, proche de M. Fink, il devait aider les différents gérants de portefeuille à appliquer les critères ESG. Il les a rencontrés un à un, tentant de prêcher la bonne parole de la finance verte. « La vérité est que ça ne les intéressait pas. Ils traitaient juste ça comme un simple exercice administratif à suivre, où il fallait cocher les bonnes cases. De leur point de vue, le problème est que ça n’avait aucune conséquence sur leur rendement. »
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La question n’est pas que ces hommes et femmes étaient insensibles à la question climatique, bien au contraire. « Beaucoup me disaient qu’ils adoreraient appliquer les critères ESG, qu’ils croyaient au dérèglement climatique. Mais leur rôle était de se concentrer sur les rendements et les risques de leur portefeuille. » Sans compter que leur rémunération était indexée sur leur retour sur investissement, pas sur leur vertu écologique…
Les seuls gérants qui prenaient au sérieux le sujet étaient ceux qui investissaient dans des actifs réels (par opposition aux actifs financiers), avec un horizon de temps qui pouvait aller jusqu’à vingt ans. « Pour eux, le changement climatique pouvait avoir un vrai effet. Mais avant même l’émergence de la mode ESG, ils prenaient déjà en compte ces critères, ça faisait de toute façon partie de leur évaluation du risque. Ils n’avaient pas besoin d’appeler ça “ESG”. »
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Le cœur du problème s’appelle le « devoir fiduciaire », cette obligation légale qu’ont les gérants de fonds de faire fructifier au mieux l’argent de leurs clients. « Le changement climatique est justement un échec des marchés, parce qu’on ne donne pas de valeur financière à l’environnement. » Dès lors, comment imaginer que la finance viendra seule enrayer le dérèglement climatique ?
Le secteur privé a un rôle majeur à jouer
Tariq Fancy n’est pas un décroissant qui rêve de se retirer dans les montagnes avec ses chèvres. « Je suis un capitaliste », assure-t-il. Le Canadien, qui a désormais créé une entreprise d’éducation en ligne, a passé près de vingt ans dans les milieux financiers. Julien Lefournier, banquier pendant un quart de siècle, ne rejette pas non plus le système. « Mon livre n’est pas antifinance. »
Selon eux, le secteur privé a un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique, de même qu’il avait rendu la révolution industrielle possible au XIXe siècle. Mais ce ne sera faisable qu’une fois que les Etats auront créé les conditions nécessaires : mise en place de normes environnementales strictes, instauration d’un prix du CO2… Ensuite, les investissements iront là où se trouvera la rentabilité à l’intérieur des nouvelles règles du jeu. En clair, les marchés ne s’autoréguleront pas et ne corrigeront pas seuls les défauts du système actuel.
Le prix des obligations vertes est, aujourd’hui, exactement le même que pour les obligations traditionnelles. Les chiffres de l’Association des marchés financiers en Europe le confirment
Faut-il pour autant rejeter l’ensemble de la « finance verte » ? Après tout, une obligation verte qui aide à financer des éoliennes ou des panneaux solaires n’est-elle pas une bonne chose ? M. Lefournier n’y croit pas : soit ces investissements sont rentables, et les investisseurs seraient venus, de toute façon ; soit ils ne le sont pas, et la finance n’ira pas, affirme-t-il. Il en veut pour preuve le prix des obligations vertes, qui, aujourd’hui, est exactement le même que pour les obligations traditionnelles.
Les chiffres de l’Association des marchés financiers en Europe le confirment. Entre avril et juillet, une obligation verte rapportait en moyenne… 0,01 % de plus qu’une obligation traditionnelle. Autrement dit, rien. L’écart avait brièvement atteint 0,09 % à l’acmé de la pandémie, mais l’effet n’a pas duré. A l’évidence, les investisseurs ont la même exigence de rentabilité, ESG ou pas.
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Qu’en est-il des désinvestissements ? Quand le fonds souverain norvégien, à la tête de 1 100 milliards de dollars, annonce qu’il n’investira plus dans les entreprises qui font de l’exploration pétrolière, cela n’a-t-il pas un effet ? Adair Turner, qui a autrefois présidé le Committee on Climate Change, l’organisme étatique chargé de conseiller l’action climatique du gouvernement britannique, s’en frotte les mains. « Aujourd’hui, ça devient difficile de financer des projets dans le charbon », affirme-t-il.
« Trop de rendements à grignoter dans les énergies fossiles »
Pourtant, l’Asie déborde de projets de centrale à charbon. « On trouve toujours quelqu’un sur le marché prêt à investir », estime Tariq Fancy. Si les grandes banques et les grands fonds se retirent, des investisseurs moins connus – et moins regardants – les remplaceront. « Il y a tout simplement trop de rendements à grignoter dans les énergies fossiles. » Pareil sur les marchés financiers : chaque fois qu’un fonds vend ses actions dans une entreprise polluante, celles-ci sont par définition achetées par un autre investisseur. « Quand Harvard arrête ses investissements dans les énergies fossiles, les jeunes sont contents, mais ça ne sert à rien », assène Julien Lefournier.
Le monde de la finance se serait-il lancé dans un immense « greenwashing » (écologie de façade) cynique, cherchant à redorer son blason après la crise de 2008 ? Outre celui de M. Fancy, les témoignages accablants s’accumulent. Une ancienne responsable du développement durable de DWS, filiale de Deutsche Bank et poids lourd de la gestion d’actifs en Europe, pionnier autoproclamé des fonds durables et respectueux du climat, a récemment défrayé la chronique.
Desiree Fixler, qui a quitté l’institution en mars 2021, après un peu plus de six mois de travail, a accusé son ancien employeur de s’être présenté comme beaucoup plus « vert » que ne le permettait sa politique d’investissement, en surestimant les montants d’actifs ESG. Les autorités fédérales et le gendarme boursier américain – la Securities and Exchange Commission – puis le régulateur allemand, la BaFin, ont ouvert une enquête. Un avertissement sérieux pour tout un secteur devenu féru de produits financiers estampillés « durables ».
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La Banque des règlements internationaux a mis en garde en septembre, dans son dernier rapport trimestriel, contre le risque croissant de bulle sur le marché des actifs financiers « verts ». En France, l’Inspection générale des finances critique la « promesse confuse » du label « Investissement socialement responsable » : « [Il] affiche une ambition d’impact social et environnemental, mais ses exigences, fondées sur la notation ESG des émetteurs, ne sauraient garantir un fléchage effectif des financements vers des activités relevant d’un modèle économique durable », précise le rapport. Ce label s’expose ainsi « à une perte inéluctable de crédibilité et de pertinence ».
Même le gouverneur de la Banque centrale d’Italie, Ignazio Visco, s’inquiète. « La finance durable a tellement grossi qu’il faut se demander si c’est vraiment durable », ironise-t-il. Il critique les normes peu lisibles, qui permettent de trop facilement classer les fonds comme « verts » sans efforts, et l’absence de coordination entre les différents standards d’une région du monde à l’autre. Tariq Fancy et Julien Lefournier ont fini par aboutir à la même conclusion : le déferlement de la « finance verte » est tel qu’il finit par être contre-productif. « Quand on parle de ça, on ne fait rien de concret pendant ce temps-là », estime le Français. « C’est comme donner de la poudre de perlimpinpin à un malade du cancer et remettre à plus tard sa chimiothérapie », conclut, de son côté, M. Fancy.Retrouvez tous les articles de la série « Transition écologique, défis économiques »
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Eric Albert(Londres, correspondance) et Véronique Chocron