1/3 des très nombreux conseillers ministériels (+76%) vont « pantoufler » dans le secteur lucratif multipliant les conflits d’intérêts; déjà une quarantaine de départs

Dans les cabinets ministériels, le mercato des conseillers a commencé

Une quarantaine de conseillers ont quitté les ministères depuis le printemps, dont environ un tiers pour rejoindre le secteur privé. 

Par Elsa Conesa Publié le 19 octobre 2021 à 03h14 – Mis à jour le 19 octobre 2021 à 09h31  

Temps de Lecture 5 min. 

AUREL

Les chasseurs de têtes ont l’habitude des fins de quinquennat. C’est toujours la même histoire : à six mois des élections, le téléphone qui commence à sonner et, au bout du fil, les mêmes conseillers qui cherchent un point de chute. Cette fin de mandat ne déroge pas à la règle : les nombreux membres des cabinets ministériels – passés de 324 en 2019 à 570 en 2021 – se demandent déjà comment tirer le meilleur parti de cette expérience. Rester pour faire la campagne ? Partir dans le privé ? Ou viser plutôt un beau poste dans une administration ?

« Les coups de fil commencent généralement quand le Parlement fait sa pause estivale, dans l’année qui précède l’élection, analyse la chasseuse de têtes Diane Segalen, qui constate qu’en 2021, les appels ont eu lieu plus tôt que prévu. Les conseillers restent quand ils pensent pouvoir travailler sur un texte ou une proposition de loi qu’ils pourront mettre en avant pour chercher du travail. Ou bien s’il y a des mouvements qui leur permettent d’obtenir un titre de directeur de cabinet ou de directeur adjoint, qui brille toujours plus sur un CV. »

Lire aussi  Le nombre de conseillers dans les cabinets ministériels a augmenté de 76 % en deux ans

Depuis le printemps, une quarantaine de départs ont été répertoriés par le Bulletin quotidien, qui en tient la chronique, et le Journal officiel, dont environ un tiers vers le secteur privé. « C’est assez naturel qu’il y ait des mouvements aussi tôt dans le cycle électoral, observe Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et au Cevipof (Sciences Po). Il y a une logique sociale propre au macronisme : une proportion plus grande de conseillers passés par le privé, des profils idéologiques qui voient ces allers-retours comme souhaitables, et des gens plus jeunes, qui rebondissent plus vite. »

D’après le politologue, à la fin de 2018, un quart des directeurs de cabinet étaient passés par le privé contre 18 % sous François Hollande. Et 40 % des conseillers à Matignon contre 26 % sous M. Hollande. La moyenne d’âge est aussi plus basse : 39 ans pour les conseillers de l’Elysée sous Emmanuel Macron ; 45 ans pour son prédécesseur.

De vrais accélérateurs de carrière

Avec ses six ministres et autant de cabinets, Bercy est un pourvoyeur important de transferts vers le privé, mais d’autres sont aussi à l’origine de saisines de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, chargée, depuis 2019, de statuer sur les questions déontologiques posées par ces départs.

Entre le début de l’année 2021 et la fin du mois d’août, elle avait rendu cinquante et un avis, dont près de 70 % avec des réserves, et environ 10 % jugés incompatibles« Le contrôle est devenu plus strict qu’à l’époque de la commission de déontologie, estime Jean-François Kerléo, professeur de droit public et directeur scientifique de l’Observatoire de l’éthique publique. Il se fait en tout cas avec des informations supplémentaires car la Haute Autorité a accès aux déclarations de patrimoine et d’intérêts des conseillers. »

Selon leur expérience, les conseillers de Bercy, de l’Elysée ou de Matignon continuent de rêver d’une direction de la stratégie ou des finances au sein d’un grand groupe

Si les cabinets continuent d’être de vrais accélérateurs de carrière, les pratiques ont évolué, assurent les intéressés. De fait, il n’y a pas si longtemps, les plus seniors pouvaient espérer prendre la direction d’une grande entreprise publique, comme Stéphane Richard, directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy sous Nicolas Sarkozy, qui fut nommé à la tête d’Orange en 2011, ou François Pérol parti diriger la banque BPCE en 2009 après deux ans comme secrétaire général adjoint de l’Elysée.

Selon leur expérience, les conseillers de Bercy, de l’Elysée ou de Matignon continuent néanmoins de rêver d’une direction de la stratégie ou des finances au sein d’un grand groupe. Les plus jeunes sont plus souvent recrutés comme responsable des affaires publiques en entreprise, dans des cabinets de lobbying ou bien chef du cabinet d’un grand patron.

Lire aussi   Conseiller ministériel, un drôle de métier

La finance semble avoir moins la cote que par le passé, notamment par rapport au secteur de la tech. La « fintech » française Worldline, ancienne division d’Atos qui vaut près de 20 milliards d’euros en Bourse, aurait ainsi débauché Emmanuel Monnet, directeur adjoint de cabinet de Bruno Le Maire à Bercy, pour intégrer sa direction financière.

Les entreprises publiques, un lieu d’atterrissage privilégié

Avant l’été, Facebook avait embauché Christelle Dernon, ex-conseillère d’Agnès Buzyn à la santé et passée au cabinet d’Elisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’égalité, comme responsable de programmes et campagnes d’affaires publiques en Europe. La jeune pousse Electra a, pour sa part, recruté Cédric Herment, un polytechnicien conseiller de Barbara Pompili au ministère de la transition écologique, pour en faire son directeur du développement.

L’industrie n’est pas en reste : la foncière Unibail a recruté Aigline de Ginestous, la chef du cabinet de la ministre déléguée chargée de l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, comme directrice des affaires institutionnelles. Cédric Bozonnat, conseiller de Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué aux transports, vient, de son côté, de rejoindre l’armateur marseillais CMA CGM.

Lire aussi   « L’équipe est au complet » : avec onze nouveaux secrétaires d’Etat, Macron et Castex renouent avec les gouvernements pléthoriques

Les entreprises publiques ou en lien avec les collectivités demeurent aussi un lieu d’atterrissage privilégié : Marie Francolin, directrice adjointe du cabinet d’Olivier Véran, chargée du Covid-19, est partie diriger le cabinet du patron de la SAUR, entreprise de gestion de réseaux d’eau potable, tandis que Rebecca Peres, conseillère parlementaire à l’Elysée, a été nommée déléguée aux affaires territoriales et parlementaires de La Poste.

Dans la sphère économique, certains se sont laissé tenter par la finance, à l’image du conseiller d’Emmanuel Macron à l’Elysée, Nathanaël Mason-Schuler, parti chapeauter une partie des activités de marchés à la Société générale. Son collègue Nicolas Jégou, conseiller Europe à la présidence, a été nommé directeur de cabinet du PDG de la Bourse de Paris Euronext, Stéphane Boujnah. Avant l’été, c’était la conseillère budgétaire de Jean Castex à Matignon, Aurélia Lecourtier-Gegout, qui rejoignait le géant de la gestion d’actifs Amundi, pour devenir directrice du cabinet de sa directrice générale. D’autres départs vers des banques françaises sont prévus.

Elsa Conesa

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire