Il paraît indispensable que se tiennent des assises de la psychiatrie qui aient pour cœur de débat la question de la souffrance psychique des gens, et non pas celle du coût de la dépression (Benjamin Weil psychiatre de secteur).

Santé : « La psychiatrie de secteur, publique ou associative, disparaît en vérité »

TRIBUNE

Benjamin Weil Psychiatre

Dans une tribune pour « Le Monde », le psychiatre de secteur Benjamin Weil réagit à la tenue, les 27 et 28 septembre, des Assises de la psychiatrie et de la santé mentale qui ont, selon lui, fait la part belle aux démarches neuroscientifiques, négligeant « la question de la souffrance psychique des gens », et ceux qui la soignent au quotidien.

Publié le 06 octobre 2021 à 09h00   Temps de Lecture 3 min. 

Tribune. La psychiatrie disparaît au profit de la santé mentale. C’est un constat partagé par le plus grand nombre, qu’ils voient dans cette évolution une solution ou un problème. La santé mentale s’organise en deux pôles, coordonnés : une compréhension politique du fait psychique à l’échelle de la santé publique, du grand nombre et une compréhension scientifique exclusivement nourrie par les neurosciences.

Evidemment, on peut trouver insupportable la disparition de la question de la souffrance de nos patients, qui fonde notre engagement. Bien entendu, on doit dire notre exaspération devant le dédain des tutelles pour le travail du secteur psychiatrique qui soigne l’écrasante majorité des troubles psychiatriques graves en France, avec d’autant plus de succès qu’il est soutenu par l’environnement social des patients et les acteurs politiques locaux.

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Mais, au lendemain des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, dont les psychiatres n’ont rien su de l’organisation, durant lesquelles les mots science et progrès n’ont été associés qu’aux démarches neuroscientifiques, il faut surtout souligner l’effondrement de la rigueur scientifique. Il faut craindre les conséquences de la disparition du souci épistémologique, c’est-à-dire de la question du dessein de la science que l’on produit, de sa structure et de ce par quoi elle est déterminée.

Nul doute que le secteur coûte cher

La réduction du fait psychique à ses manifestations neurobiologiques et comportementales, la recherche de compatibilité entre ces savoirs que l’on crée et le savoir économique, la disparition totale de la question de la subjectivité dans l’assourdissant silence de la science psychiatrique : voilà le plus inquiétant. Il ne s’agit plus d’un affrontement conceptuel, il s’agit d’observer la psychiatrie académique accepter de produire une science telle qu’on l’espère aujourd’hui du côté des tutelles.

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Une science qui néglige la subjectivité, le continu, l’informel et la souffrance. Une véritable science du néolibéralisme en somme. Nul doute que le secteur coûte cher. Il faut en effet avoir de véritables équipes, dûment formées pour accueillir ou aller rencontrer la souffrance psychique où elle se trouve. Il faut être nombreux pour offrir à chacun de nos patients de les écouter, pour offrir à chacun d’eux la création d’un lien d’un sujet à un autre.

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Car c’est, d’expérience et d’après les recherches pour le moins sérieuses des sciences humaines du XXe siècle, ce qui soigne. Au motif que cette pratique, indispensable pour les malades les plus graves, ceux qui souffrent le plus, ne trouve plus personne pour en défendre les fondements conceptuels auprès des décideurs politiques, elle disparaît.

Au cœur du débat la question de la souffrance psychique

Car c’est bien là l’essentiel : la psychiatrie de secteur, publique ou associative, disparaît en vérité. Les psychiatres la désertent, las de l’absence de reconnaissance, des conditions de travail dégradées du fait de l’attribution exclusive des moyens aux centres experts, aux lieux de l’innovation putative. Les infirmiers ne restent dans nos services que lorsqu’ils sont engagés dans des soins dont ils comprennent le sens.

Il paraît indispensable que se tiennent des assises de la psychiatrie qui aient pour cœur de débat la question de la souffrance psychique des gens, et non pas celle du coût de la dépression. Il paraît indispensable qu’y soient entendus ceux qui soignent au quotidien et qui sauront en dire quelque chose de juste et d’actuel.

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Car l’espoir que l’on nourrit dans nos équipes n’est pas celui de voir advenir une solution objective à la maladie mentale (dont rien aujourd’hui ne laisse penser qu’on s’en approche), mais que la société constate d’abord et accepte ensuite que certains d’entre nous souffrent et que l’on doit avoir les moyens de s’en occuper.

Benjamin Weil est psychiatre à l’Association de santé mentale du XIIIearrondissement.

Benjamin Weil (Psychiatre)

« Comment on massacre la psychiatrie française », de Daniel Zagury : sauver la psychiatrie

Daniel Zagury analyse, en praticien, les causes du déclin de la discipline. Et ses conséquences. 

Par Elisabeth Roudinesco(Historienne et collaboratrice du « Monde des livres »)Publié le 07 octobre 2021 à 18h00  

Temps de Lecture 3 min. 

https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/10/07/comment-on-massacre-la-psychiatrie-francaise-de-daniel-zagury-sauver-la-psychiatrie_6097512_3260.html

Un patient dans sa chambre à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis).
Un patient dans sa chambre à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis). SAMUEL BOLLENDORFF / AGENCE VU / SAMUEL BOLLENDORFF / AGENCE VU

« Comment on massacre la psychiatrie française », de Daniel Zagury, L’Observatoire, 261 p., 21 €, numérique 15 €.

Célèbre pour son apport à la clinique médico-légale, ainsi que pour son courage face aux polémiques qui ont déferlé sur lui à propos de ses expertises de grands criminels – Guy Georges, Patrice Alègre, Michel Fourniret et bien d’autres –, Daniel Zagury, psychiatre honoraire des hôpitaux et auteur de nombreux ouvrages, est aujourd’hui un homme en colère. En témoigne le titre de son dernier livre, Comment on massacre la psychiatrie française. Néanmoins, c’est avec rigueur et sans outrance qu’il décrit la situation actuelle.

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Non seulement, dit-il, tout va de mal en pis depuis une vingtaine d’années – fermetures de lits ou réduction du personnel soignant, pénurie d’experts –, mais la sottise des classifications issues du fameux Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), contesté dans le monde entier, a eu pour conséquence la réapparition de pratiques d’un autre âge : contentions, maltraitance, etc. Autrement dit, c’est l’abandon de la triple approche de la folie – biologique, sociale et psychique –, au profit d’un étiquetage unique qui a conduit à une dégradation de la discipline : « On a précipité l’effondrement de la psychiatrie intégrative bio-psycho-sociale (…). Ce qui est condamnable, ce ne sont évidemment pas les neurosciences (…) mais la prétention à l’hégémonie et à l’exclusivisme de n’importe lequel des composants du champ psychiatrique. »

Désastre organisé

Daniel Zagury montre également que l’introduction, en 2009, de la loi HPST (Hôpital, patients, santé, territoire) a accentué ce désastre organisé. Elle a en effet privé de pouvoir les chefs de service hospitalier en permettant que toutes les décisions soient prises par des « manageurs » chargés de surveiller les bonnes et les mauvaises pratiques, à coups de procédures rédigées en langue de bois : une infernale « bureaucratose », fondée sur la gestion des budgets. Le résultat étant qu’un professeur de médecine doit désormais passer un temps infini à compter les crayons et le papier hygiénique qu’il utilise dans son service au détriment de la relation avec les patients.

Les malades mentaux sont désormais classés en deux groupes : les dangereux et les autres. Soit un véritable déni de la clinique

La description donnée par Daniel Zagury de cette manie de la maîtrise administrative est un morceau d’anthologie. Quant aux pages sur le rétablissement des soins sans consentement (loi du 5 juillet 2011), elles font froid dans le dos, puisque l’idéal d’une sécurité « managée » prend le pas sur l’approche thérapeutique. Aussi bien les malades mentaux sont-ils désormais classés en deux groupes : les dangereux et les autres. Soit un véritable déni de la clinique quand on sait que, bien souvent, le patient dangereux n’est pas celui qu’on croit.

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Le chapitre le plus éblouissant est celui sur l’expertise. Prenant appui sur sa longue expérience, Zagury propose une modification de l’article 222-1 du code pénal sur l’irresponsabilité pénale et l’abolition du discernement. Et il cite l’histoire de deux criminels antisémites et délirants dont il a expertisé longuement les « cas » : Adel Amastaibou et Kobili Traoré. En 2003, le premier a défiguré à coups de couteau son voisin de palier, Sébastien Selam, en hurlant : « J’ai tué un juif, Allah le voulait. » En 2017, le second a torturé puis défenestré sa voisine, Sarah Halimi, aux cris de « Allah akbar », suscitant une avalanche de tribunes contradictoires dans la presse.

On ne juge pas les fous

Dans le premier cas, souligne ­Zagury, on a affaire à un schizo­phrène dont le jugement était aboli, alors qu’à ses yeux, dans le second, le meurtrier, consommateur de cannabis, restait conscient de son acte. Selon lui, l’un relevait de l’hôpital psychiatrique, l’autre des assises, même si la ­justice a conclu à l’abolition du discernement dans les deux affaires. ­Zagury démontre donc avec force qu’une expertise se mène au cas par cas et qu’un acte criminel n’est jamais identique à un autre, fût-il guidé par une même obsession (l’antisémitisme). Une expertise bien menée reste donc ­essentielle à la vie sociale dans les Etats de droit : on ne juge pas les fous quand ils ne peuvent répondre de leurs actes.

Voilà donc le livre humaniste d’un psychiatre en colère, ­convaincu qu’on doit toujours tenter de réformer le monde.

Elisabeth Roudinesco(Historienne et collaboratrice du « Monde des livres »)

Voir aussi:

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Des assises de la psychiatrie ne permettant pas un sursaut d’attractivité pour la psychiatrie publique: les psychologues et les psychologues les psychiatres-soignants du « Printemps de la Psychiatrie » insatisfaits https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2021/09/30/20395/

Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie des 27 et 28 septembre: bien que très attendues, une occasion manquée réservée au cercle des habitués https://jeansantepolitiqueenvironnement.wordpress.com/2021/09/27/20270/

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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