Psychiatrie : des Assises très attendues pour une discipline en crise
Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie se tiennent les 27 et 28 septembre et seront clôturées par Emmanuel Macron. Les professionnels alertent depuis longtemps sur un manque de moyens, rendu encore plus criant par la crise sanitaire.
Temps de Lecture 7 min.

Présentées par le ministère de la santé comme un « moment historique du débat national », les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, succession de tables rondes et de conférences avec des acteurs du secteur, sur deux jours, apporteront-elles des réponses concrètes aux maux psychiques des Français et à la détresse de ceux qui les soignent ? Annoncées par Emmanuel Macron le 14 janvier, d’abord prévues en juillet, elles se tiennent finalement ces 27 et 28 septembre, en visioconférence, et seront clôturées par le président de la République, une confirmation pour certains de l’attention portée au sujet par l’Elysée.
Révélés en ouverture, les résultats d’une consultation ouverte à tous, qui a recueilli près de 15 000 contributions, confirment de fortes attentes. Du côté des professionnels (dont 10 000 ont répondu), les priorités sont une valorisation des métiers (57 %), de nouveaux moyens humains ou financiers (54 %) et un renforcement des moyens existants (54 %). En revanche, ils ne sont que 10 % à juger prioritaire « une meilleure prise en compte des droits des personnes ayant des ou un handicap psychique ». Quant au grand public, une part de 60 % estime être mal informée sur l’accès aux soins et leur organisation.
Le contexte est d’autant plus périlleux que la pandémie de Covid-19, avec ses effets délétères sur la santé mentale de la population, a aggravé un état des lieux déjà critique.*
Alors que les troubles psychiques (dépression, schizophrénie, troubles anxieux, addictions…) concernent des millions de Français et représentent le premier poste de dépenses du régime général de l’Assurance-maladie par pathologie, les rapports et tribunes s’accumulent depuis des années pour dénoncer une situation intenable, sur fond toutefois de fortes disparités sur le territoire. « Les conditions de travail et donc les conditions de soins n’ont cessé de se dégrader, engendrant de la souffrance pour les malades, leurs proches et les équipes médicales », indiquait déjà au Monde Pierre-Michel Llorca, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand, en septembre 2018.
Lire aussi **Psychiatrie : « Un système de soins à bout de souffle »
« On ne va pas dans le mur, nous sommes déjà dedans », résume désormais le psychiatre Antoine Pelissolo dans un texte coécrit avec le député Boris Vallaud (Parti socialiste), paru dans Le Monde le 6 septembre. ***« Comme il y eut des plans présidentiels très utiles pour le cancer ou la maladie d’Alzheimer, il est donc aujourd’hui urgent de faire de la santé mentale et de la psychiatrie une grande cause du prochain quinquennat », expliquent-ils.
La pédopsychiatrie, particulièrement sinistrée
La capacité d’accueil en psychiatrie dans les hôpitaux publics a chuté de 13 % entre 2013 et 2019, au profit du secteur privé. Les délais pour un premier rendez-vous dans les centres médico-psychologiques, premier maillon de prise en charge dans le secteur public, peuvent dépasser un an, notamment en pédopsychiatrie, particulièrement sinistrée. Ces derniers mois, certains jeunes ne trouvent pas de lit lorsqu’ils arrivent en urgence pour troubles anxieux et un fort risque suicidaire, alors que ces situations ont augmenté avec la pandémie.
« On se focalise toujours sur la question des urgences et la pénurie de lits en raison de situations critiques, et c’est dramatique, mais la psychiatrie devrait être là pour empêcher l’hospitalisation, prévenir les tentatives de suicide chez l’enfant, c’est une discipline de prévention, souligne le professeur Olivier Bonnot, chef du service universitaire de pédopsychiatrie du CHU de Nantes. Pour cela, il est nécessaire de renforcer l’attractivité, réorganiser les soins avec ambition, et distribuer les moyens. »
Les deux jours d’Assises et les annonces attendues d’Emmanuel Macron pourront-ils éclaircir l’horizon ? Pour le professeur de psychiatrie et d’addictologie Michel Lejoyeux, qui préside la Commission nationale de la psychiatrie, lancée en janvier pour la préparation de ces journées, « ces Assises sont importantes mais ne régleront évidemment pas à elles seules la crise majeure de [leur] discipline ». Le spécialiste espère toutefois « l’annonce de mesures structurantes et une reconnaissance, avec l’inscription de la psychiatrie et de la santé mentale comme “priorité nationale” ».
Parmi les urgences, le professeur Lejoyeux pointe la démographie en berne des professionnels et en particulier des psychiatres, et les tensions pour l’accès aux soins de santé mentale. « Face aux besoins considérables, la priorité n’est pas de mettre toute l’organisation par terre mais de renforcer l’existant. Pour sortir des prophéties autoréalisatrices, on doit trouver une attractivité pour les jeunes », insiste-t-il. Le manque d’appétence pour la psychiatrie s’est encore confirmé cette année. Au terme des épreuves classantes nationales, où les médecins en formation choisissent leur spécialité, 71 postes de psychiatrie (soit 13 % des postes proposés) n’ont pas trouvé preneur.
Lire aussi Quels choix pour les futurs internes en médecine ?
La crainte d’une occasion manquée
Nombre de professionnels, de familles, de patients restent dubitatifs sur l’issue de ces Assises. En lisant dans l’introduction du programme que « ce rendez-vous ambitionne de dresser un état des lieux partagé », le docteur Nicolas Rainteau a bondi. « Les intervenants et les thématiques sont déjà bien connus. Ce sont les mêmes qu’aux différents congrès. Peur de ne rien voir de concret », s’est inquiété dans un tweet le jeune psychiatre, responsable du centre de rétablissement et de réhabilitation (C2R) Jean-Minvielle, à Montpellier, une structure d’accompagnement de jeunes avec une schizophrénie qui bouscule les codes.
« L’état des lieux, tout le monde le connaît. Le délégué ministériel qui a été nommé en 2019 [le psychiatre Frank Bellivier] l’a fait, sans compter les nombreux rapports ces dernières années, pointe le docteur Rainteau, médecin de terrain. Parler des outils de soins ou d’accompagnement, c’est bien, mais pourquoi n’y a-t-il jamais de discussion sur au service de quoi on met ces outils ? Je crains qu’une fois de plus on se contente de survoler les sujets, sans résoudre les questions concrètes telles qu’elles se posent à nous, en bout de chaîne : comment on accompagne le retour à l’emploi des patients, pourquoi des projets innovants ne trouvent pas d’appui au niveau des mairies, régions, agences régionales de santé… ? » Selon lui, ce n’est pas qu’une question de moyens financiers. « Des moyens il y en a, mais c’est tout un système à repenser », estime-t-il.

« Nous sommes étonnés que seul le point de vue de l’hôpital soit présenté, alors que l’une des problématiques concerne la santé des étudiants qui souffrent du contexte sanitaire et nécessite des approches décloisonnées », déplore de son côté Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction. Elle craint une occasion manquée, à l’instar d’autres structures, telle l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), qui avaient dénoncé en juin l’absence de concertation.****
« Cercle des initiés habituels »
Beaucoup d’acteurs, notamment associatifs, regrettent une orientation surtout sanitaire et l’absence des débats des acteurs de l’accompagnement social et médico-social. « Les personnes connaissant des troubles psychiatriques ont besoin tout autant de soins médicaux que de soutiens et d’accompagnements pour un accès à la vie sociale, à un logement autonome et à l’emploi », indiquait alors l’Uniopss.
Le Collectif Schizophrénies****– qui regroupe des patients, des familles et les principales associations concernées par cette maladie – déplore aussi la surreprésentation des psychiatres dans ces Assises, tandis que la participation des usagers et des proches reste limitée. « C’est un peu décevant et inquiétant qu’on ne cherche pas à ouvrir à d’autres acteurs », estime Corinne Oddoux, sa présidente.
Autre critique, la préparation de ces journées a été, selon elle, plutôt « minimaliste ». « En mai, la consultation a bien été mentionnée sur le site du ministère mais sans publicité ni communication auprès du public, écrit le collectif sur son site Internet. En fait de grande consultation nationale, c’est donc le cercle des initiés habituels, majoritairement des soignants, déjà auditionnés à l’occasion d’innombrables rapports sur la santé mentale, qui s’est exprimé. »
Déborah Sebbane, présidente de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues, qui interviendra dans une table ronde, et Marine Lardinois, vice-présidente de l’association, sont plus optimistes. « On espère que ces Assises permettront à la psychiatrie de se mettre vraiment en mouvement, en s’appuyant sur les acteurs qui agiront dans les trente à quarante ans à venir, les étudiants, les internes, les jeunes praticiens », avancent-elles.
Quant à la voix des familles et des patients, elle reste modeste dans ces journées où ils sont représentés essentiellement par deux acteurs historiques : l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) et la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie. S’y ajoute une patiente experte en addictologie. Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Unafam, reste cependant positive : « Il faut considérer ces Assises comme un brouillon. Leur intérêt est de mettre la santé mentale et la psychiatrie au centre d’un débat de société, et pour nous, les familles, cela représente beaucoup. »
Sandrine Cabut et Pascale Santi
*Les effets de la crise sanitaire sur la santé mentale perdurent
Les enquêtes de Santé publique France témoignent d’une fréquence élevée des troubles du sommeil et d’anxiété. Chez les enfants, adolescents et jeunes adultes, la situation reste inquiétante.
Temps de Lecture 2 min.

Un an et demi après le début de la crise sanitaire, les effets de la pandémie de Covid-19 et des confinements continuent de se faire sentir sur la santé mentale des Français, qui reste dégradée, selon le dernier bulletin de Santé publique France (SPF), daté du 17 septembre.
Point préoccupant, 23 % des adultes déclarent des signes d’anxiété, 10 points de plus par rapport au niveau d’avant le Covid, comme le montrent les derniers chiffres CoviPrevrecueillis du 31 août au 7 septembre. Pour mesurer l’état de la santé mentale de la population confrontée à la crise liée au Covid-19, SPF a mis en place ce suivi dès mars 2020. L’enquête interroge en ligne, avec l’institut de sondage BVA, à intervalles rapprochés, des échantillons indépendants de 2 000 personnes de plus de 18 ans.
Lire aussi Psychiatrie : des Assises très attendues pour une discipline en crise
Certes, le niveau des états anxieux reste inférieur à celui du premier confinement (27 %) mais 63 % des Français déclarent des problèmes de sommeil. C’est 14 points de plus qu’avant le Covid, et autant que pendant le premier confinement. Par ailleurs, 10 % des Français ont eu des pensées suicidaires au cours de l’année, 5 points de plus qu’avant la crise, souligne CoviPrev.
« Les améliorations observées en juillet sur la qualité du sommeil de la population ne semblent pas avoir tenu au-delà de l’été », relève l’agence sanitaire, qui attend les prochaines données (fin septembre-début octobre) pour voir « si cette augmentation de l’anxiété et des troubles du sommeil se confirme ou si elle est plutôt liée à la rentrée de septembre ».
Incertitude sur l’avenir
Bien qu’en baisse depuis fin avril, les états dépressifs restent fréquents dans l’échantillon interrogé (15 %), à un niveau supérieur à celui d’avant l’épidémie (10 %). Les personnes les plus touchées par les troubles anxieux ou dépressifs sont les inactifs, les personnes ayant des antécédents de troubles psychologiques et celles en situation financière difficile.
Lire aussi : Les inquiétants effets psychiques de la pandémie et du confinement
Les signaux restent aussi inquiétants chez les enfants, adolescents et jeunes adultes. Ainsi, le nombre de passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur progresse fortement chez les enfants et jeunes adultes depuis le début de l’année 2021, par rapport aux trois années précédentes. Cette hausse est la plus élevée chez les 11-14 ans, selon l’agence sanitaire. « Nous accueillons deux fois plus d’enfants pour des urgences psychiatriques. Certains sont déprimés, anxieux, amaigris, sans sommeil, et d’autres, plus gravement, attentent à leur vie », indiquait ainsi au MondeRichard Delorme, chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Robert-Debré (AP-HP, Paris), en août.
Lire aussi la tribune : « Face à la hausse des troubles psychiatriques chez les enfants, développer une politique de prévention est une priorité »
Chez les jeunes adultes (18-24 ans), les « actes médicaux pour angoisse » dans le réseau SOS-Médecins, déjà supérieurs aux niveaux habituels en 2020, augmentent de 30 % sur les premiers mois de 2021 par rapport aux années précédentes. La hausse est même de 48 % pour les états dépressifs. La crise sanitaire et ses confinements, qui ont fortement chamboulé leur vie sociale et scolaire, pèsent sur la santé mentale des étudiants, en proie à une incertitude sur leur avenir.
Quel que soit l’âge, les autorités sanitaires mettent l’accent sur la nécessité « de s’informer et d’en parler en présence de signes de dépression (tristesse, perte d’intérêt, d’énergie) ou d’anxiété (tension, irritabilité) ».
Pascale Santi et Sandrine Cabut
**Psychiatrie : « Un système de soins à bout de souffle »
Pierre-Michel Llorca, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand et auteur d’un livre à paraître le 12 septembre, décrit une situation devenue « intenable ».
Temps de Lecture 5 min.

Rennes, Le Rouvray et Le Havre (Seine-Maritime), Amiens… Depuis plusieurs mois, des soignants multiplient les grèves dans les hôpitaux psychiatriques pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail et réclamer davantage de moyens. Le professeur Pierre-Michel Llorca, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand, cosigne, sous l’égide de la Fondation FondaMental et de l’Institut Montaigne, Psychiatrie : l’état d’urgence (Fayard, 432 pages, 24 euros), à paraître le 12 septembre, dans lequel il dresse un état des lieux alarmant de cette spécialité médicale.
En quoi la psychiatrie publique est-elle, selon vous, en situation d’« état d’urgence » ?
Le système de soins en psychiatrie est à bout de souffle. Depuis le début de la décennie, il a dû absorber 300 000 patients supplémentaires faisant l’objet d’un suivi régulier. En face, l’offre n’a pas suivi. En quarante ans, on a même perdu 40 % des psychiatres. En toute logique, les conditions de travail et donc les conditions de soins n’ont cessé de se dégrader, engendrant de la souffrance pour les malades, leurs proches et les équipes médicales. Dans certains endroits, la situation est aujourd’hui intenable.
Cette situation de crise est pourtant peu présente dans le débat public…
On peut effectivement s’interroger sur les raisons d’un tel désintérêt. Est-ce dû à de la méconnaissance ? Du déni ? Des préjugés ? Cette occultation a quelque chose de paradoxal lorsqu’on sait que près de 12 millions de personnes sont touchées chaque année par une maladie mentale, soit un Français sur cinq. Il s’agit d’un enjeu de santé publique majeur. La dépression, qui affecte 2,5 millions de personnes chaque année, est par exemple en passe de devenir la première cause d’arrêt-maladie. Les maladies psychiatriques coûtent plus cher à l’Assurance-maladie que les maladies cardio-vasculaires ou les cancers.
Lire aussi Dans les hôpitaux psychiatriques, les soignants dénoncent une situation « critique »
Vous comparez la situation de la psychiatrie à celle de la cancérologie il y a vingt ans…
Oui, il y a beaucoup d’analogies. Il y a vingt ans, le cancer était quelque chose dont on ne parlait pas. On ne prononçait même pas le mot. Comme en psychiatrie, les parcours étaient éclatés, les patients stigmatisés, la recherche sans pilote… Il y a eu une vraie volonté politique de prendre ce problème à bras-le-corps. Les choses ont été traitées, avec des plans et des moyens, l’Institut national du cancer (INCa) a été créé, et on est progressivement sorti d’un vécu stigmatisant de la maladie cancéreuse. J’aimerais que la psychiatrie suive le même chemin, et qu’un opérateur national définisse et pilote une vision stratégique de la psychiatrie et de la santé mentale.
Comment expliquer l’actuelle déshérence de la psychiatrie ? Est-elle due à des restrictions budgétaires ?
D’un point de vue budgétaire, la psychiatrie fonctionne grâce une dotation annuelle de financement. Son montant ne prend pas réellement en compte l’activité des établissements. Il n’intègre pas non plus les besoins liés aux bassins de population, la prévalence de certaines pathologies dans tel ou tel territoire ou les innovations mises en place. Certes les budgets ont augmenté ces dernières années mais les hausses n’ont pas été à la hauteur des nouveaux besoins. Il est urgent de mettre en place un mode de financement adapté à la psychiatrie et ainsi la sortir de la paupérisation.
Faute de place, des soignants estiment n’avoir plus les moyens d’hospitaliser dignement leurs patients. A-t-on fermé trop de lits ces dernières années en France ?
Entre 1990 et 2011, on est passé de 120 000 à 55 000 lits de psychiatrie. Au cours de la même période, moins de 13 000 ont été créés dans des structures alternatives à l’hôpital, comme des maisons et foyers d’accueil spécialisés. Si le dispositif craque, ce n’est pas parce que l’on a fermé des lits, mais parce qu’on n’a pas redéployé les moyens économisés vers les structures ambulatoires.
Est-ce qu’il y a encore trop de patients hospitalisés ?
C’est le talon d’Achille du modèle français. Un quart des patients sont pris en charge à temps complet, soit 342 000 patients. Faute de places dans des structures telles que des centres de post-cures, des appartements thérapeutiques, des services d’hospitalisation à domicile, ou faute de suffisamment d’équipes mobiles, des milliers de malades sont condamnés à passer quasiment toute leur vie à l’hôpital, sans projet, loin de leur lieu de vie.
Vous décrivez des délais de prise en charge qui s’allongent, des centres médico-psychologiques (CMP) débordés par la hausse des demandes. L’organisation en « secteurs » est-elle en échec ?
L’organisation en secteurs, née au début des années 1960, dans une logique d’aménagement du territoire, était une belle idée, extrêmement ambitieuse. Sa philosophie était de pouvoir proposer à tous les Français le même type de soins, qu’ils habitent à Paris ou dans le Cantal.
Lire aussi « La psychiatrie publique est devenue un enfer »
Mais en cinquante ans, cet idéal est devenu un capharnaüm organisationnel, où, à force de réformes successives mal digérées, les acteurs eux-mêmes ne s’y retrouvent plus. Et la demande ne cesse de croître. L’obtention d’un diagnostic peut par exemple prendre entre un an et un an et demi dans des cas extrêmes comme les troubles du spectre de l’autisme.
Faut-il revoir cette organisation ?
Le dispositif s’est sclérosé. L’organisation ne répond plus aux attentes. En cinquante ans, les besoins ont changé, la psychiatrie a changé… On ne traite plus les gens aujourd’hui comme on les traitait dans les années 1960, les réponses sont plus spécialisées. Il faudrait adapter ces missions de secteurs, on pourrait par exemple graduer les niveaux de réponse, rendre le système plus lisible…
Lire aussi La psychiatrie, un secteur en état d’urgence
A l’issue de votre enquête, quel dysfonctionnement vous paraît le plus inquiétant ?
La situation de la pédopsychiatrie est extrêmement préoccupante. Il y a un déficit de propositions de soins qui s’est aggravé ces dernières années, principalement lié à un déficit de recrutement. Le nombre de pédopsychiatres a chuté de moitié en dix ans alors même que la demande sociétale est en extension. C’est un phénomène qui s’est installé petit à petit, presque insidieusement et qui a aujourd’hui des conséquences terribles.
En dépit de ce constat, de nombreuses initiatives et innovations existent, dans le domaine des techniques de prise en charge, de l’organisation… Elles sont le reflet de l’engagement des soignants, de leur volonté de faire évoluer le système et de l’amélioration réelle de la collaboration avec les patients et les familles, même si des progrès restent à faire. Enfin, n’oublions pas la recherche qui progresse, mais reste également le parent pauvre des financements publics et doit être soutenue.
Vous faites 25 propositions pour « sortir la psychiatrie de l’état d’urgence ». Laquelle vous paraît la plus décisive ?
Outre une meilleure coordination et organisation des acteurs, il faudrait un véritable mouvement collectif de déstigmatisation de la santé mentale. Car les conséquences de cette stigmatisation sont délétères pour les personnes malades : discrimination, difficile accès aux droits, recours tardif à l’offre de soins… Des études ont montré que si vous arrivez dans un service d’urgences et que l’on identifie que vous avez des troubles psychiatriques, vous avez deux à trois fois moins de chance d’avoir le traitement adapté. La déstigmatisation serait un levier majeur de prévention.Une manifestation à Paris
Plusieurs centaines de salariés des trois hôpitaux psychiatriques parisiens (Sainte-Anne, Maison-Blanche et Perray-Vaucluse) ont manifesté jeudi 6 septembre pour dénoncer les conséquences sociales de la future fusion de leurs établissements, et notamment la perte de jours de RTT, alors qu’ils se disent déjà « épuisés ». Selon la direction des trois hôpitaux, 808 salariés sur 5023, soit environ 16 %, étaient en grève. Selon l’intersyndicale, en revanche, le nombre de grévistes était « plus élevé », et environ 1 100 personnes ont pris part à la manifestation.
François Béguin
****Assises de la santé mentale et de la psychiatrie: « la façon dont ces assises sont organisées et conçues laisse un sentiment d’insatisfaction. » (Collectif-Schizophrénies)
https://www.collectif-schizophrenies.com

Le contexte sanitaire que nous traversons a durement mis à l’épreuve la santé mentale des Français et tout particulièrement, celle des plus jeunes. Face à cet enjeu majeur de santé publique, le Président de la République avait annoncé le 14 janvier dernier la tenue avant l’été 2021 « d’assises de la santé mentale et de la psychiatrie ».
Ces assises ont lieu le 27 et 28 septembre prochains
Le Collectif Schizophrénies y a été invité et nous vous rendrons compte des débats et conclusions.
En voici le programme prévisionnel qui vient de nous être envoyé :
Les annonces étaient prometteuses…
Nous nous sommes réjouis de voir le sujet de la santé mentale pris en considération globalement et au plus niveau de l’Etat. Dans la foulée, le ministère des Solidarités et de la Santé a alors prévu de lancer « une grande consultation pour recueillir les attentes, préoccupations et propositions de l’ensemble des acteurs (professionnels, patients, familles) mais aussi de la société dans toutes ses composantes ». Cette consultation devant permettre de « dresser un état des lieux partagé de la santé mentale des Français et de l’offre de soins et d’accompagnement qui leur est proposée afin d’en tracer les perspectives d’amélioration. »
Le calendrier initial était le suivant :
10 mai 2021 : ouverture du questionnaire en ligne
31 mai 2021 : clôture de la consultation nationale
Juin 2021 : restitution des enseignements de la consultation nationale dans le cadre des assises de la santé mentale et de la psychiatrie
La réalisation jusqu’à présent décevante
En mai, la consultation a bien été mentionnée sur le site du ministère mais sans publicité ni communication auprès du public. En fait de grande consultation nationale, c’est donc le cercle des initiés habituels, majoritairement des soignants, déjà auditionnés à l’occasion d’innombrables rapports sur la santé mentale qui s’est exprimé.
Le questionnaire lui-même, succint et peu spécifique permettait de toute façon difficilement de faire émerger davantage que des constats généraux aujourd’hui déjà amplement connus et partagés.
Courant juin, rien n’est venu et il a finalement été annoncé que ces assises étaient remises à septembre.
En dehors de ce report de date, la façon dont ces assises sont organisées et conçues laisse un sentiment d’insatisfaction.
La composition du Comité d’orientation des Assises, quelle que soit la qualité des 15 personnalités présentes, nous semble – comme à beaucoup – réduire la santé mentale aux acteurs et problématiques de la seule psychiatrie. On regrette la représentation minimale des usagers, la sur-représentation des psychiatres, la mise sur la touche ou l’exclusion d’autres professionnels pourtant essentiels aux personnes souffrant ou à risque de souffrir de troubles psychiques : les chercheurs, les psychologues, les professionnels du champ médico-social pour ne citer qu’eux.
De nombreuses voix se sont d’ailleurs exprimées pour demander des assises plus ouvertes et participatives : lire à ce sujet la « Lettre ouverte » de 16 associations
Afin d’encourager cette participation, le ministère a mis à disposition une adresse dédiée () active durant l’été, permettant à chacun déposer ses idées et apporter sa contribution en écrivant ici :
La difficulté étant que le programme et les questions posées sont restés relativement flous, et la communication autour de cet appel à contribution toujours invisible. L’objectif annoncé « dresser un état des lieux » plutôt minimal quand les précédents rapports et les projets territoraux de santé mentale des dernières années ont déjà amplement permis d’avancer sur cet état des lieux.
Nous nous réjouissons cependant d’une réelle prise de conscience politique, illustrée par la clôture de ces journées par le Président de la République et espérons qu’en sortiront des propositions concrêtes, tel le grand plan Psychiatrie et Santé mentale que nous demandons depuis notre création.
***Antoine Pelissolo et Boris Vallaud : « Il est urgent de faire de la santé mentale et de la psychiatrie une grande cause du prochain quinquennat »
TRIBUNE
Antoine Pelissolo- Psychiatre
Boris Vallaud- Député (PS) des Landes
C’est l’ensemble du système de soins en psychiatrie qu’il faut « repenser et refinancer », expliquent, dans une tribune au « Monde », le psychiatre et le député socialiste, qui proposent une loi-cadre permettant de fixer les grands objectifs à atteindre.
Publié le 06 septembre 2021 à 05h45 – Mis à jour le 06 septembre 2021 à 07h07 Temps de Lecture 4 min.
Tribune. « On ne va pas dans le mur, nous sommes déjà dedans », préviennent aujourd’hui certains pédopsychiatres, tandis que d’autres réclament un plan Marshall en faveur de la santé mentale des enfants et des adolescents. C’est aujourd’hui l’ensemble du système de soins en psychiatrie qu’il faut repenser et refinancer, pour le rendre plus accueillant et efficace pour les usagers, et plus attractif et vivable pour les professionnels.
Mais la santé mentale dépasse largement le seul champ de la psychiatrie, elle concerne la vie de quasiment tous les citoyens pour eux-mêmes ou leurs proches, comme la crise sanitaire l’a malheureusement démontré. Le spectre est très large, il va de la souffrance psychosociale « ordinaire » aux maladies psychiques avérées, englobant ainsi la dépression, les diverses addictions, les troubles anxieux, le suicide, les psychoses, la souffrance au travail et le burn-out, le mal-être des étudiants isolés, les psychotraumatismes, les troubles autistiques, etc.
Des réponses défaillantes
Les réponses données aujourd’hui, malgré le grand dévouement et les compétences des intervenants, sont défaillantes dans presque tous les domaines, avec des structures de soin et d’accompagnement saturées car sous-dimensionnées et en nombre insuffisant.

Écouter aussi Covid-19 : la santé mentale des Français mise à mal
La santé mentale n’est pas seulement un enjeu de santé publique, c’est une question éthique et politique reposant sur de nombreux déterminants sociaux et économiques, touchant à l’éducation, au travail, au logement, à la justice ou encore à l’environnement. Le bien-être psychique de chacun est, par ailleurs, une des conditions essentielles de l’harmonie et de la prospérité de la nation, avec des enjeux cruciaux d’égalité territoriale et sociale. Les plus précaires et vulnérables sont ceux qui paient le plus lourd tribut aux troubles psychiques et à leurs complications.
Comme il y eut des plans présidentiels très utiles pour le cancer ou la maladie d’Alzheimer, il est donc aujourd’hui urgent de faire de la santé mentale et de la psychiatrie une grande cause du prochain quinquennat. Au-delà des moyens sans précédent ainsi engagés, une telle affirmation serait un symbole fort pour amener à une prise de conscience collective et lutter contre tous les tabous et stigmatisations qui entourent encore ces sujets, en France sans doute plus qu’ailleurs.
Une évaluation concrète des besoins
Une loi-cadre sur la santé mentale doit permettre de refonder à la fois l’organisation des soins et leurs budgets, et de fixer les grands objectifs à atteindre à l’aide d’un plan pluriannuel. L’effort d’investissement doit être à la hauteur des retards de financement, de plusieurs milliards d’euros, accumulés au fil des ans. Il doit surtout s’appuyer sur une évaluation concrète des besoins, territoire par territoire, permettant de combler au plus vite les failles les plus graves dans le parcours de soins
Les principes directeurs sont connus : aller vers des soins plus ambulatoires et inclusifs, tout faire pour soigner sans contraindre et décloisonner toutes les filières (sanitaire et médico-social, psychiatrique et somatique, ville et hôpital, enfants et adultes, etc.). Deux grands objectifs devraient être fixés et suivis annuellement par des indicateurs de terrain, partout en France : premièrement, pouvoir proposer au moins une consultation psychiatrique par mois à tous les patients qui en ont besoin ; deuxièmement, pouvoir accueillir sans aucun délai chaque personne, adulte ou enfant, dont l’état nécessite une hospitalisation, et cela sans jamais dépasser un taux d’occupation des lits de 100 %.
« Une telle affirmation serait un symbole fort pour amener à une prise de conscience collective et lutter contre les tabous autour de ces sujets »
Des évidences, direz-vous ? Oui, mais nous en sommes pourtant loin, surtout par manque de personnels, principale force du soin en santé mentale. La question des effectifs est donc centrale, tout comme celle des formations et de l’attractivité. Pour compenser le gouffre de la démographie médicale à venir, notamment pour la pédopsychiatrie, il faudra renforcer la place et la reconnaissance d’autres professions : psychologues (où sont les postes annoncés par le gouvernement ?), infirmiers, travailleurs sociaux, orthophonistes, médiateurs de santé pairs, etc. Ces métiers très qualifiés et indispensables sont aujourd’hui sous-valorisés et même maltraités, en particulier dans la fonction publique hospitalière.
Des moyens pour favoriser l’inclusion
Mais il ne faut pas seulement mieux soigner et accompagner, il faut absolument changer le regard de la société pour mieux prévenir les troubles psychiques et faciliter l’inclusion des personnes concernées. Des pays comme l’Australie l’ont compris depuis longtemps : comme pour les gestes qui sauvent, on y apprend dès l’école primaire ce que sont les émotions, comment les identifier et comment les gérer au mieux. Et, en plus des matières classiques, on apprend au collège ce qu’est une dépression ou une addiction. Cela permet de les reconnaître précocement, d’en parler, de se faire aider ou d’aider les autres.
Là aussi, il faut déployer des moyens importants en formation et en accompagnement des enseignants, cet investissement est humainement indispensable. Il l’est aussi économiquement : le coût total, direct et indirect, des troubles psychiques est évalué à plus de 100 milliards d’euros par an dans notre pays…
Une commission dans chaque territoire
De telles mesures portées par un plan présidentiel devront être pilotées par une délégation interministérielle à la psychiatrie et à la santé mentale. Elles devront être mises en œuvre dans chaque territoire par une commission dotée réellement de moyens d’agir, et cela dans une concertation obligatoire avec tous les acteurs, les collectivités territoriales et les représentants des usagers.
Lire la tribune : « La santé mentale ne doit pas servir de prétexte à des choix contraires aux objectifs sanitaires »
Ces préconisations sont partagées par l’immense majorité des professionnels et des experts, auteurs de nombreux rapports produits depuis vingt ans (dont les plus récents préconisaient… d’arrêter de commander des rapports) ou participants aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie [prévues les 27 et 28 septembre]. Alors, il est temps de passer à l’action !
Antoine Pelissolo est psychiatre, chef de service au CHU Henri-Mondor (AP-HP) à Créteil (Val-de-Marne) et secrétaire national adjoint du Parti socialiste ; Boris Vallaud, député des Landes et porte-parole du Parti socialiste.
Antoine Pelissolo(Psychiatre) et Boris Vallaud(Député (PS) des Landes)
Publié le 27/09/2021
Assises nationales de psychiatrie : professionnels et familles entre fatalité et timide espoir

Paris, le lundi 27 septembre 2021
– Annoncées pour le mois de juin par le Président de la République, et finalement repoussées à ces 27 et 28 septembre en raison du contexte sanitaire, les Assises nationales de la santé mentale et de la psychiatrie viennent de s’ouvrir et se déroulent sous forme de visioconférence. État des lieux, zoom sur la santé mentale des plus âgés et des plus jeunes (avec au passage une présentation du programme École promotrice de la santé), la manifestation verra se succéder de nombreux acteurs institutionnels et des professionnels, majoritairement psychiatres pour évoquer un secteur en crise depuis de nombreuses années. Sa situation est en effet ainsi sommairement résumée par le professeur Antoine Pelissolo dans Le Monde : « On ne va pas dans le mur, nous sommes déjà dedans ». Les Assises seront closes par Emmanuel Macron, dont plusieurs annonces sont attendues.
Numéro de prévention du suicide national : enfin !
La première a cependant déjà été faite : l’ouverture dès la fin de la semaine d’un numéro national de prévention du suicide, dispositif encore inédit en France. Le numéro national, accessible 7 jours sur 7 et 24h sur 24, sera relié à des plateformes d’écoute régionales, chacune dotée d’une équipe de 12 personnes (infirmières et psychologues). Ces plateformes seront placées auprès des services de SAMU afin de pouvoir faciliter les interventions en urgence. « Ce numéro de prévention du suicide sera ouvert à toute la population : des individus en situation d’urgence, d’autres en difficulté et cherchant des soins, mais aussi des proches s’interrogeant sur le comportement d’un enfant ou d’un conjoint, ou même des médecins généralistes ayant besoin de conseils pour l’un de leurs patients », résume dans l’Express le Professeur Philippe Courtet, chef de service de psychiatrie au centre hospitalo-universitaire de Montpellier.
Quand la crise tape sur les nerfs
La prévention du suicide est un enjeu majeur de la politique sanitaire dédiée à la santé mentale, alors que la crise sanitaire a encore aggravé la prévalence des idées suicidaires dans notre pays. Elles concernent désormais 9 % des Français (quatre points de plus qu’avant la crise) selon la dernière vague de l’enquête Coviprev conduite par Santé Publique France. De la même manière, 13 % des sujets présentent des signes d’affection dépressive (trois points de plus) et 19 % un état d’anxiété (six points de plus). « Les améliorations observées en juillet sur la qualité du sommeil de la population ne semblent pas avoir tenu au-delà de l’été », signale encore l’agence.
Des délais d’attente inacceptables
Cette dégradation de la santé psychique des Français intervient tandis que le monde de la psychiatrie était déjà exsangue avant la crise et difficilement capable de répondre à l’afflux de demandes. Alors que la capacité d’accueil en psychiatrie dans les hôpitaux publics a diminué de 13 % entre 2013 et 2019, on estime que parallèlement le nombre de patients suivis a progressé de 40 %. Conséquence : les délais pour un premier rendez-vous dans les centres médico-psychologiques, peuvent dépasser un an, notamment en pédopsychiatrie !
Des moyens et des parcours plus lisibles
Dans un tel contexte, il n’est nullement étonnant que les attentes soient très fortes. Elles ont été dévoilées ce matin par le biais des résultats d’une consultation ouverte à tous. Il apparaît que pour 57 % des professionnels, la première priorité est la valorisation des métiers, quand 54 % citent l’augmentation des moyens humains et financiers. Ils ne sont par contre que 10 % à placer parmi leurs attentes majeures « une meilleure prise en compte des droits des personnes ayant un handicap psychique ». Du côté du grand public, 60 % déplorent le manque de lisibilité des parcours de soins.
Renforcer l’existant
Les Assises nationales peuvent-elles offrir une réponse à ce malaise ? Certains optimistes veulent y croire. Le Pr Nicolas Franck (Centre le Vinatier) qui participe à la conférence espère ainsi qu’elles offriront une belle visibilité aux différents enjeux, et notamment à celui mis en avant par le grand public, quant au défaut de lisibilité du système. Le Pr Michel Lejoyeux, président de la Commission nationale de la psychiatrie, lancée en janvier, demeure pour sa part modeste observant dans Le Monde « ces Assises sont importantes mais ne régleront évidemment pas à elles seules la crise majeure ». Attendant « l’annonce de mesures structurantes et une reconnaissance, avec l’inscription de la psychiatrie et de la santé mentale comme “priorité nationale” », il estime que « la priorité n’est pas de mettre toute l’organisation par terre mais de renforcer l’existant ».
Déceptions
D’autres se montrent cependant moins enthousiastes et les critiques se multiplient. Beaucoup regrettent tout d’abord que la préparation ait été minimaliste. Sur la forme, par ailleurs, d’aucuns s’insurgent contre le principe d’une rencontre de cette importance réalisée en visioconférence. Concernant les intervenants présents, les représentants des patients et des familles déplorent que leur représentation ait été réduite au strict minimum et redoutent une vision hospitalo-centrée et qui se concentre également quasiment exclusivement sur la psychiatrie.
Rien sur la contention ?
Sur le fond des sujets abordés, nombreux craignent que les réponses concrètes restent rares. Notamment, certains ont regretté que les questions de la contention et de l’isolement des patients soient absentes des sujets abordés. Pourtant, pour les signataires d’une tribune publiée ce week-end dans Le Parisien (dont 90 psychiatres), il s’agit d’un enjeu majeur. « Les assises de la santé mentale et de la psychiatrie se tiendront les 27 et 28 septembre sans que certains thèmes majeurs n’y soient abordés. La honte en psychiatrie, c’est l’inflation des contentions physiques (l’équivalent des camisoles de jadis) et des isolements psychiatriques. Cette honte est celle des professionnels qui attachent et qui enferment, faute de mieux. Cette honte est celle des usagers et de leurs familles qui vivent des situations indignes et traumatisantes. Attacher et isoler redouble et aggrave les isolements psychiques et sociaux des personnes déjà fragilisées par leurs troubles psychiques » écrivent les auteurs qui attendent un véritable débat national sur le sujet.
Manifestation
L’idée sera-t-elle retenue lors de ses annonces demain par Emmanuel Macron ? Ces dernières sont très attendues, mais dans certains rangs on se prépare déjà à être plus que déçu. Ainsi, les psychologues craignent notamment l’annonce d’un tarif de remboursement notoirement insuffisant de leurs consultations et s’inquiètent également que la prise en charge soit conditionnée à une prescription médicale. Pour dénoncer un système qu’ils vivent comme une marque de mépris pour leur profession, ils organisent une manifestation demain sous les fenêtres du ministère de la Santé, à quelques heures de la clôture des Assises nationales.
Aurélie Haroche
Le silence des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie: pour 120 psychiatres « une frustration de plus pour un secteur sinistré par des années d’appauvrissement et de pénurie. »
Mercredi 22 Septembre 2021
https://www.humanite.fr/le-silence-des-assises-de-la-sante-mentale-et-de-la-psychiatrie-721309
Nous publions ci-après un appel collectif lancé par 300 signataires dont 120 psychiatres.
Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie doivent se tenir les 27 et 28 septembre 2021, sous l’égide de la présidence d’Emmanuel Macron.
Si cette initiative peut être saluée pour mettre au coeur des débats un des parents pauvres de la santé, elle risque d’être une frustration de plus pour un secteur sinistré par des années d’appauvrissement et de pénurie.
Alors que ces Assises ont pour ambition d’être « historiques » (1) et de réunir l’ensemble des acteurs de ce champ, il est étonnant de constater le nombre de problématiques invisibilisées alors même que des textes législatifs sont actuellement en cours d’élaboration. En tant qu’acteurs et observateurs de la psychiatrie de proximité, nous attirons l’attention sur des omissions surprenantes.
Omise la réforme du financement de la psychiatrie qui impose à compter du 1er janvier 2022 la tarification à l’activité pour la totalité des établissements psychiatriques et pédopsychiatriques, alors même que la pandémie a révélé les effets délétères de ce mode de financement pour les services de médecine, chirurgie, obstétrique.
Omis le débat sur les pratiques de contention et d’isolement qui augmentent de façon exponentielle depuis les trente dernières années. Pourtant, un premier texte de loi (2) a été retoqué par le Conseil constitutionnel en juin 2021. Par ailleurs, un article a été introduit à l’intérieur de la loi de financement de la sécurité sociale, non constitutionnel et sans débat, alors que l’inflation des pratiques de contention et d’isolement témoignent de la déliquescence actuelle de la psychiatrie. Le gouvernement doit revoir sa copie avant le 1er janvier 2022 pour que la loi réponde aux attendus de la Constitution.
Omise également la réforme de l’irresponsabilité pénale alors qu’elle suscite une rupture des rapports entre justice et psychiatrie et induit un impact social majeur, qui aurait pour le moins nécessité un débat de fond.
Omises la désaffection et les fermetures toujours plus nombreuses de structures ambulatoires et hospitalières partout sur le territoire.
Omis encore la désinstitutionnalisation sauvage, le manque de lieux de soin, d’accueil et d’accompagnement, la pénurie de soignants et de professionnels prenant en soin les personnes, l’inflation des « dispositifs » spécialisés ne permettant pas une prise en charge globale.
En somme, « la bonne santé mentale », objet de ces Assises, s’acclimate très – trop – bien de la mauvaise psychiatrie.
Omis également le choc de complexification des dix dernières années et la pénétration dans le champ de la psychiatrie de diverses start up, notamment celles de la e-santé mentale, omise la bureaucratisation galopante censée répondre aux pénuries de soin par le biais de plateformes et de dispositifs « innovants » intégrés à la MDPH … Plutôt que de rééquiper en forces vives soignantes les services de soin.
Omis le travail empêché dont témoignent l’expression de la souffrance de nombreux professionnels en institutions comme en libéral ainsi que les désertions de professionnels du service public, symptomatiques d’une maltraitance institutionnelle.
Omise l’organisation instituée de la « non-rencontre », l’évitement des liens et des collectifs.
Omise la pluralité des patients et des familles.
Omis le contexte de désinvestissement par l’État du service public qui touche l’École, l’Aide Sociale à l’Enfance, la Protection Judiciaire de la Jeunesse, les services sociaux et de secteur, les lieux d’accueil, d’hospitalité et de soin.
Au vu de l’intensité de ces problématiques, nous nous étonnons du choix des intervenants qu’illustre la conclusion de ces Assises, mettant à l’honneur les start-up via France Bio Tech, aux côtés de l’Institut Montaigne et de la fondation FondaMental.
Nous appelons à ce que ces omissions fassent l’objet de réelles Assises, des Assises en chair et en os et non pas virtuelles, rassemblant une pluralité de citoyens, personnes concernées et professionnels de terrain représentant la diversité des pratiques nécessaires au soin.
(1) http://clsm-ccoms.org/wp-content/uploads/2021/09/programme_-assises_sante_mentale.pdf
(2) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000042665379
Premiers signataires:
Clélia Gasquet, Maitresse de conférences en Géographie de la Santé
Dr Loriane Bellahsen, psychiatre
Dr Benoit Blanchard, pédo-psychiatre
André Bitton, retraité, président de l’association d(ex) usagers de la psychiatrie CRPA
Laurence Bloch, mère d’une jeune adulte autiste
Adeline Antier, éducatrice spécialisée cheffe de service éducatif
Virginie Périlhou, infirmière en psychiatrie
Claire Balland, mère de malade
Catherine Rivoal, psychologue clinicienne
Jean-Pierre Geneviève, cadre de santé
Dr Alexandre Deschamps, médecin généraliste
Caroline Foucaud, psychomotricienne
Cora Benjamin,…
Abus en psychiatrie : le cri d’alarme des médecins
EXCLUSIF. Alors que s’ouvrent lundi les assises de la santé mentale, près de 90 soignants dénoncent, dans une tribune que nous dévoilons, des dérives courantes en psychiatrie, comme le recours à l’isolement et à la contention.

Par Elsa Mari Le 25 septembre 2021 à 20h41
Il va tirer un trait sur quinze ans d’hôpital. A son grand regret, Mathieu Bellahsen rendra vendredi sa blouse. « Aujourd’hui, il n’est plus possible d’être lanceur d’alerte, les représailles sont immédiates », déplore ce psychiatre grande gueule, ancien chef de pôle à l’unité d’Asnières (Hauts-de-Seine) de l’hôpital Roger-Prévot-de-Moisselles.
Alors que s’ouvrent ce lundi les assises de la santé mentale, plusieurs soignants nous racontent comment, en dénonçant des dérives comme l’isolement et la contention, ils se retrouvent « harcelés », « placardisés », « mis à pied » par leur direction. D’ailleurs, le débat sur ces pratiques, « en inflation » depuis trente ans, ne sera pas abordé lors de ces deux journées. Une omission dénoncée par 187 signataires dont 90 psychiatres, dans une tribune que nous publions.
Chambres fermées à clé
Pour le docteur Bellahsen, les ennuis ont commencé après la nuit du 7 au 8 mai 2020. Dans son service, deux patients testés positifs sont transférés en unité Covid, obligeant les autres, cas contacts, à se confiner. Mais, dans la soirée, un psychiatre de garde et la direction décident de fermer leurs chambres à clé. En l’apprenant, Mathieu Bellahsen voit rouge : « Au lieu de leur dire de bien s’isoler et de respecter les gestes barrière, ils les ont traités comme des citoyens de seconde zone, en bloquant les serrures, selon un vieux préjugé d’irresponsabilité des malades mentaux. »
Le chef de pôle prévient aussitôt la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, une autorité indépendante. Ce n’est pas la première fois qu’il reproche à la direction « ses méthodes » : en unité Covid, les patients sont « cloîtrés », dit-il, durant quatorze jours. C’est ce que constate, sur place, la contrôleuse, Adeline Hazan, qui découvre des patients « enfermés à clé 24 heures sur 24 sans que leur état clinique psychiatrique le justifie ». Son rapport édifiant révèle « une confusion absolue entre les notions de confinement sanitaire et d’isolement psychiatrique ».
Les jours s’écoulent en pyjama de papier, dans des chambres sans douche ni télé ni notion du temps. Au même moment, dans une autre unité verrouillée, une femme brise sa fenêtre de désespoir et tombe de deux étages. Mais voilà, quelques jours plus tard, la direction reçoit une lettre de l’équipe infirmière, alertant sur des difficultés de longue date avec l’encadrement médical, ciblant notamment Mathieu Bellahsen.
« Dysfonctionnements internes »
« La question de harcèlement, d’abus de pouvoir et de maltraitance se pose », écrivent les soignantes. Selon la direction, que nous avons contactée, de « nouvelles alertes de professionnels et des organisations syndicales, après enquête, ont confirmé les dysfonctionnements internes ». « Face à cette situation de blocage », le chef de pôle est alors remercié. « Il n’existe aucun lien entre le signalement effectué par le docteur Bellahsen et l’ouverture de l’enquête administrative », défend l’établissement.
Le médecin, se disant victime d’une « campagne de dénigrement », a porté plainte pour « harcèlement moral » et « dénonciation calomnieuse ». Son avocat, Jean-Marc Panfili, tacle « une enquête à charge ». Deux sénatrices s’insurgent même contre « des sanctions disciplinaires choquantes » dans un courrier adressé au ministre de la Santé.
Comme le psychiatre, Mathieu a été mis sur la touche en mai 2020. « Quand ma direction a appris que je faisais partie d’un collectif de soignants qui essayait d’apporter une parole contradictoire sur la psychiatrie, je n’ai finalement pas été titularisé, déroule cet ancien psychomotricien exerçant dans un hôpital de Haute-Savoie. Mon collègue ergothérapeute non plus. Un cadre a, lui, été muté. »
« Maltraitance involontaire »
À maintes reprises, il a alerté sa hiérarchie sur les conditions de travail à flux tendu, le manque de bras qui aboutit à « une maltraitance involontaire » : des hommes en pyjama du matin au soir, un autre, obsédé par la Seconde Guerre mondiale, à qui l’on répond : « Arrêtez de nous emmerder avec ça. » « Je me souviens d’un Monsieur qu’on laissait des heures dans son urine. » Aujourd’hui, il a engagé un recours « pour licenciement abusif », devant le tribunal administratif.
Newsletter CoronavirusLe point sur l’épidémie de Covid-19S’inscrire à la newsletterToutes les newsletters
Pour avoir critiqué le manque d’humanité, Christophe, aide-soignant dans un hôpital psychiatrique de région parisienne, a été rayé du planning pour « distance thérapeutique » il y a quatre mois, après douze ans de service. « On m’a reproché d’être trop proche des malades, pas assez dans le soin. » Lui avance une autre raison : il était devenu encombrant.
« Je remettais en cause les règles : des autistes mis en chambre d’isolement à la moindre crise, d’autres patients menacés d’y aller s’ils ne se calmaient pas. » Tout comme la fin des activités. Faute de budget, le planning des animations s’est vidé. « Ils restaient à l’hôpital sans rien faire avec une télé pour 30 résidents. Certains détenus, admis dans le service, demandaient même à retourner en prison parce que là-bas, il y avait les promenades. » Il n’aura pas eu gain de cause. Et en garde un goût amer. « L’omerta en psychiatrie est telle que dénoncer, c’est faire face à un mur. »
TRIBUNE Le Parisien . Isolement et contention : « la honte de la psychiatrie »
Les assises de la santé mentale et de la psychiatrie se tiendront les 27 et 28 septembre sans que certains thèmes majeurs n’y soient abordés.
La honte en psychiatrie, c’est l’inflation des contentions physiques (l’équivalent des camisoles de jadis) et des isolements psychiatriques. Cette honte est celle des professionnels qui attachent et qui enferment, faute de mieux. Cette honte est celle des usagers et de leurs familles qui vivent des situations indignes et traumatisantes. Attacher et isoler redouble et aggrave les isolements psychiques et sociaux des personnes déjà fragilisées par leurs troubles psychiques.
L’inflation des contentions s’est faite progressivement à mesure que les moyens matériels, physiques et humains s’amenuisaient. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté le rappelle à longueur de rapports.
Cette inflation a aussi été permise par une dé-formation des professionnels en psychiatrie qui, plutôt que de soulager les grandes angoisses avec des paroles et du lien en plus des traitements chimiques, s’est appuyée sur des procédures standardisées et déshumanisées telles qu’elles sont actuellement valorisées dans les hôpitaux.
En juin 2020, le Conseil constitutionnel a demandé au gouvernement de revoir une première fois le contrôle des prescriptions de contention et d’isolement pour se mettre en conformité avec la loi. Toute contention et isolement nécessitant l’intervention du juge des libertés. Le ministre de la Santé a fait passer ce texte de loi réformant le contrôle des isolements et contentions dans la loi de financement de la sécurité sociale en 2020… Ce qui n’a pas grand-chose à voir avec le thème, celui que tout citoyen peut se faire attacher à un lit de force de plus en plus souvent aux urgences, dans les Ehpad et en psychiatrie !
Au printemps 2021, pour la deuxième fois, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel la loi édictée par le gouvernement six mois plus tôt ! Et pour la deuxième fois, aucun débat national concernant ce qu’attacher et enfermer veut dire dans notre pays. Dans les pratiques, il est évident qu’attacher quelqu’un de force à un lit n’est jamais thérapeutique. Ce n’est pas et ce ne sera jamais un soin, au mieux c’est une mesure d’empêchement d’une atteinte physique à l’intégrité d’une personne. Enfermer quelqu’un dans une chambre n’est pas non plus un soin en tant que tel, il est ce qui peut permettre que des soins démarrent quand les personnes sont trop mal pour supporter le contact avec elle-même et avec autrui. L’enfermement peut être une amorce de ce qui permettra les soins, si la relation humaine est l’organisateur des soins. Des associations de familles tel que le fil conducteur psy appellent à une abolition de la contention. Certain pays comme l’Islande l’ont déjà fait. Sans volonté politique d’envergure et sans une obligation de moyens pour les hôpitaux psychiatriques visant à enrayer ce phénomène délétère, les sangles et les portes continueront de se resserrer et de se fermer sur nos concitoyens. Il est urgent qu’un débat national s’ouvre sur la question.
Les signataires
Dr Mathieu Bellahsen, psychiatre ; Dr Georges Yoram Federmann, psychiatre ; Martine Houlier mère de patiente schizophrène ; Jean-Philippe PERNET, Infirmier ; Laurence Bloch, maman d’une jeune adulte autiste, directrice d’hôtel ; Dr Mathilde Hamonet, interne en psychiatrie ; Yves Gigou, infirmier et auteur ; Malia Klein, psychologue clinicienne ; Clément Vaissié, étudiant en médecine, ancien infirmier en psychiatrie ; Dr Anne Enot, pédopsychiatre ; Dr Patrick Chemla, psychiatre ; Association signataire : le Fil conducteur Psy d’usagers et de soignants ; Dr Valérie Houot, psychiatre ; Dr Jean Paul ; Chardon, psychiatre ; Frédéric Pierru, sociologue ; Dr Elisabeth Lisack, pédopsychiatre ; Dr Tristan Garcia Fons, pédopsychiatre ; Dr Loriane Bellahsen, psychiatre ; Dr Parviz Denis, psychiatre ; Dr Pascale Rosenberg Psychiatre ; Dr Guy Dana, Psychiatre ; Dr Martin Pavelka, pédopsychiatre ; Linda De Zitter, psychologue clinicienne ; Cécile Neffati, psychologue ; Dr Yoann Loisel, psychiatre ; Benjamin Royer, psychologue clinicien ; Dr Anne Enot, pédopsychiatre ; Céline Matthieussent, psychologue clinicienne ; Dr Franck Drogoul, psychiatre ; Dr Hervé Bokobza, psychiatre ; Dr Virginie Cruveiller, pédopsychiatre ; Clélia Gasquet, maîtresse de conférence en géographie de la santé ; Dr Christian Sueur, psychiatre addictologue ; Céline Masson, psychanalyste, professeur des universités ; Dr Martine Garrigou, psychiatre ; Thérèse Petitpierre, psychologue ; Dr Veronique Egal, psychiatre ; Annie Topalov, psychologue clinicienne ; Christian Topalov, sociologue ; Marie Pascale Chevance Bertin, psychanalyste ; Dr Olivier Labergère, psychiatre ; Frédéric Mougeot, sociologue ; Dr Olivier Boitard, psychiatre ; Dr Pierre Zanger, Psychiatre ; Dr Maud Mainfroy, psychiatre ; Dr Pierre Paresys psychiatre ;Dr Catherine Nourry psychiatre retraité ; Dr Jean-Loup Lebreton, psychiatre ; Dr Eliane Calvet, psychiatre ; Marie-Jean Sauret, professeur émérite de psychopathologie clinique ; Dr Jean-Pierre Bouleau, psychiatre ; Dr Jean-Michel Delaroche, psychiatre ; Claire Ballongue, psychologue ; Aurore Gribos, psychologue ; Baptiste Garreau, psychologue clinicien ; André Bitton, retraité, président d’une association d’(ex-)usagers de la psychiatrie ; Dr Marie Allione, psychiatre ; Didier Donstetter, psychologue clinicien psychothérapeute ; Bénédicte Louvet, interne en psychiatrie ; Jenna Madarbaccus, psychologue ; Dr Philippe Gasser, psychiatre ; Michel Bruno, psychologue clinicien ; Pr Pierre Delion, pédopsychiatre, professeur émérite ; Dr Pascal Boissel, psychiatre ; Dr Djamila Mebtouche, psychiatre ; Dr Michele Zann, psychiatre ; Dr Pedro Serra, psychiatre ; Laure Thiérion, psychologue clinicienne ; Marie-Noëlle Godet, psychologue clinicienne; Dr Anne Groussin, psychiatre ; Dr Benoit Blanchard, pédopsychiatre ; Dr Catherine Laval, pédopsychiatre ; Jérôme Costes, infirmier en psychiatrie ; Dr Sandrine Deloche, pédopsychiatre ; Dr Laurent Delhommeau, pédopsychiatre ; Dr Anne Kummer, psychiatre ; Adeline Antier éducatrice spécialisée, cheffe de service éducatif ; Virginie Périlhou, infirmière en psychiatrie ; Patrick Estrade, infirmier en psychiatrie ; Florence Hourquebie, Infirmière ; Dr Paul Machto, psychiatre ; Maximilien Valente, interne de psychiatrie ; Marguerite Compagnat, psychologue ; Dimitri Talbot, cadre de santé ; Dr Michel Montes, psychiatre ; Dr Geneviève Hénault, psychiatre ; Fanny Lung, sociologue directrice de la SOFOR ; Catherine Skiredj Hahn, sociologue ; Dr Chantal Potart, psychiatre ; Dr Alexandra De Seguin, psychiatre ; Olivier Esnault, infirmier de secteur psychiatrique ; Dr Catherine Lemoine, psychiatre ; Amandine Vitra, psychologue clinicienne ; Dr Pascale Moins, psychiatre ; Audrey Valade, psychologue clinicienne ; David Thomas, travailleur social ; Estelle Gioan, psychologue clinicienne ; Dr Julien Prorel, psychiatre ; Peirangelo Di Vittorio, philosophe ; Maïder Leroux, psychologue clinicienne ; Jorhann Bouvier, interne en psychiatrie ; Aurélia Khorkoff, psychomotricienne ; Simon Jaunin, psychologue clinicien ;Dr Eliane Proca, psychiatre ; Fred Racine, documentaliste ; Dr Jocelyne Lengronne, psychiatre ; Valérie Waill-Blévis, psychanalyste ;Christine Lartigue, psychologue ;Mathilde Stentelaire, éducatrice spécialisée ; Valérie Joye, psychologue ;Dr Danielle viterbo, psychiatre ; Humberto Estevez Duran, psychologue ; Danièle Silva, psychologue clinicienne ; Dr Delphine Glachant, psychiatre ; Emmanuelle Forner, psychanalyste ; Caroline Bernard, psychologue clinicienne ; Dr Philippe Bichon, psychiatre ; Dr Charles-Olivier Pons, pédopsychiatre ; Dr Christophe du Fontbaré, psychiatre ; Elsa Benetos, interne en psychiatrie ; Edwige Landault, psychologue clinicienne ; Charlotte Barcet, psychologue ; Dr Géraldine Delcambre, psychiatre ; Patrice Marteil, psychologue clinicien ; Flore Verga, psychologue ; Myriam Naval, cadre bancaire ; Dr Emmanuel Venet, psychiatre ; Dr Pierre Jarlan, pédopsychiatre ; Liliana Gonzalez, psychologue clinicienne ; Dr Fatma Farah, psychiatre ; Céline Lefebvre-Israël, psychologue clinicienne ; Dr Paola Velasquez, pédopsychiatre ; Dr Irène Kaganski, psychiatre ; Dr Pascale Beau, psychiatre ; Élise Gauthier, psychologue clinicienne ; Charlotte Clermont , psychologue ; Da’ad de Gunzbourg, psychanalyste ; Dr Nawal Souissi, psychiatre ; Amaury Marecaux, psychologue ; Anne Bourgain, psychologue ; Sabine Hamza, psychomotricienne ; Stéphane de Crépy, psychologue clinicien ; Dr Jean-Christophe Maccotta, pédopsychiatre ; Rosangela, Ribeiro dos Santos, psychologue clinicienne ; Dr Nadia Baba, psychiatre ; Dr Maud Mainfroy, psychiatre ; Monique Zerbib, psychologue clinicienne ; Dr Yves Kaufmant, psychiatre ; Dr Anne Marie Kaufmant, psychiatre ; Brigitte Bonnel, psychologue clinicienne ; Dr Sophie Slovak, pédopsychiatre ; Dr Dominique Bertin, pédopsychiatre ; Dr Morgane Derijard-Kummer, pédopsychiatre ; Dr Fethi Brétel, psychiatre ; Dr Bruno Tournaire Bacchini, psychiatre ; Dr Jean-Pierre Martin, psychiatre ; Dr Laurine Mechali Ringenbach, psychiatre ; Dr Véronique Spahr, pédopsychiatre ; Pr Alain Vanier, psychiatre, professeur émérite des universités ; Dr Jean-Christophe Maccotta, pédopsychiatre ; Dr Roger Ferreri, psychiatre ; Dr Nathalie Lambert, pédopsychiatre ; Dr Stéphane Daure, psychiatre ; Dr Audrey Vanel, psychiatre ; Nelly Derabours, infirmière de secteur psychiatrique ; Jean-Claude Chaise, psychologue et Christine Chaise, enseignante retraitée, parents de malade psychique ; Audrey Le Quilliec, infirmière ; Michel Bruno, psychologue clinicien ; Christina Vincent, psychologue clinicienne ; Maxime Martin, psychologue clinicien ; Anne Élodie Bronisz, psychologue ; Mazet Nadine, psychologue ; Marion Minari, psychologue clinicienne ; Anaïs Ravaud, psychologue clinicienne ; Florent Gabarron-Garcia, psychologue ; Dorine Bertrand, psychologue clinicienne ; Alain Gutton, praticien en hypnose ; Charlotte Clermont , psychologue ; Anne Bourgain, psychanalyste ; Amandine Bachelery, psychopedagogue ; Elizabeth Serin, psychologue clinicienne ; Françoise Sellier, psychologue ; Cécile Pinaire, psychologue clinicienne ; Rhadija Lamrani Tissot, psychanalyste ; Sylvain Bourg, éducateur spécialisé ; Françoise Attiba, psychologue ; Olivier Brisson, psychomotricien.
Lettre ouverte au Président de la République :
****Pour des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie participatives et ouvertes à toutes et tous !
Paris, le 3 juin 2021
Nos 16 associations adhérentes de l’Uniopss et associations membres du groupe de concertation santé mentale, rassemblant des personnes concernées, des familles, des professionnels et des bénévoles souhaitent alerter sur la méthode d’élaboration des Assises de la santé et de la psychiatrie. Ces Assises, annoncées en janvier par le président de la République, et prévues pour fin juin ne sont pas organisées en concertation avec nos associations alors que depuis plusieurs mois nous interpellons les pouvoirs publics afin d’y participer et d’y contribuer. Seules deux associations de représentants de personnes et de familles sont intégrées au comité d’orientation des assises, composé majoritairement de représentants du monde médical. Par ailleurs, la consultation en ligne, lancée début mai, ne permet qu’une participation individuelle des personnes, des usagers, des familles et des professionnels. Certaines de nos organisations n’ont pas été associées ni même informées de cette consultation. Alors que la représentation des acteurs du système de santé mentale est également limitée au sein de la Commission Nationale de la Psychiatrie, nous attendons des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie participatives et ouvertes à toutes et tous. A un mois de la tenue de ces assises, nous regrettons l’absence de retour des pouvoirs publics, de visibilité sur le programme et l’organisation, et même sur la date. Nous représentons des associations de représentants d’usagers et de familles en santé mentale, des associations gestionnaires d’établissements de santé mentale et d’établissements et services sociaux et médico-sociaux dans le champ du handicap psychique, ainsi que des acteurs de la prévention, promotion, de la santé et du secteur de l’addictologie, des soins de ville et de la lutte contre l’exclusion. Les transformations de l’offre en psychiatrie ne peuvent se penser qu’en articulation avec les offres sociales et médico-sociales et en prenant en compte les besoins et attentes des personnes et de leur proches, dans le respect de leurs droits. La crise sanitaire, sociale et économique a mis en lumière des constats pré-existants : des besoins en augmentation, l’insuffisance et l’inadaptation de l’offre. Elle a accru les problématiques de santé mentale des publics les plus vulnérables. 9 thématiques prioritaires ont été annoncées pour ces Assises, sur lesquelles nous avons des propositions dans le plaidoyer collectif élaboré en 2020. Nous regrettons que soient absents du programme le respect des droits des personnes, ainsi que l’accompagnement social et médico-social. Les personnes connaissant des troubles psychiatriques ont besoin tout autant de soins médicaux que de soutiens et d’accompagnements pour un accès à la vie sociale, un logement autonome, et à l’emploi. Nous nous tenons prêts à participer et à contribuer à ces Assises, pourvu qu’une place soit faite à tous les acteurs par les pouvoirs publics. Marie-Jeanne RICHARD Présidente de l’UNAFAM Patrick DOUTRELIGNE Président de l’Uniopss Dr Jean-Michel DELILE Président de la Fédération Addiction Eric WYNCKEL Administrateur de l’AFTOC Pascal MARIOTTI Président de l’AdESM Claude FINKELSTEIN Présidente de la FNAPSY Pascal BRICE Président de la Fédération des acteurs de la solidarité Léonard NZITUNGA Président de la Fédération Santé-Habitat Roland DYSLI Vice-président de l’AIRe Geneviève LAURENT Présidente de l’ANECAMSP Albert LAUTMAN Directeur général de la Fédération nationale de la Mutualité Française Denis LEGUAY Président de Santé Mentale France Pierre MICHELETTI Président d’Action contre La Faim Philippe GUERARD Président d’Advocacy France Hélène COLOMBANI Présidente de la Fédération nationale des centres de santé Bernard BASSET Président d’Addictions France
La psychiatrie refoulée des Assises de la santé mentale
- 24 SEPT. 2021
- PAR MATHIEU BELLAHSEN ET PIERRE DARDOT
- BLOG : LE BLOG DE MATHIEU BELLAHSEN ET PIERRE DARDOT
Dans les prochains jours se tiendront les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Or, la psychiatrie est la grande absente de ces Assises. Refoulée à l’arrière-plan, ses problématiques seront reléguées dans l’opacité des cabinets ministériels. Il est de notre devoir de citoyen de remettre au centre de la psychiatrie l’accueil de la personne souffrante, sa famille, ses rêves, ses petites et ses grandes histoires.
Dans les prochains jours se tiendront les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Si cette dernière est reléguée au deuxième plan de l’intitulé, cela correspond à vingt ans d’un travail acharné pour aller « de la psychiatrie vers la santé mentale »i et faire « de la santé mentale l’affaire de tous »ii.
Santé mentale qui n’a désormais que peu à voir avec les souffrances et les soins car elle se concentre désormais sur « le bien-être » et « la qualité de la vie ».
Si la santé mentale est en apparence liée à la santé, en réalité elle s’est instituée depuis le milieu des années 2000 comme une des pièces maîtresses du dispositif économique : « avoir une population en bonne santé mentale pour remplir les objectifs stratégiques de l’Union Européenne »iii expliquait le Livre Vert de 2005. Faire de « la santé mentale positive » un enjeu rappelait le commissariat d’état à l’économie numérique en 2009iv.
Depuis, cette poussée s’est accentuée. Le covid aura permis de renforcer le brouillage des pistes en parlant de la « mauvaise santé mentale » des français, des étudiants et d’autres populations fragilisées. La société s’est remise à croire en une santé mentale liée aux soins à laquelle il faudrait son lot de dispositif d’accompagnements, de soins, de numéros verts et de télé-consultations.
Or, mieux vaut parler de souffrances psychiques ou de santé psychique que de santé mentale car la santé mentale induit deux processus.
Le premier est d’identifier les souffrances à un problème mental ce qui correspond dans l’imaginaire de l’époque à un problème cérébral. Le cerveau est devenu le lieu privilégié d’intervention transformant la psychiatrie en cérébrologie. L’effet sur les pratiques est le délaissement progressif et de plus en plus violent des personnes malades, de l’écoute nécessaire et du temps jamais prévu par avance qu’il s’agit de leur accorder.
La conclusion qu’en tirent les cérébrologues est toujours la même : demander un financement accru de la recherche sur le cerveau en espérant que les découvertes de laboratoire se transposeront sur le terrain. Cet engloutissement de l’argent public ne peut que nourrir de faux espoirs car il part d’un postulat oubliant que les troubles psychiatriques sont aussi une affaire humaine, existentielle. Le lien de l’individu avec son milieu, la société dans laquelle il vit, sont tout aussi importants, voire plus surdéterminant que les potentiels marqueurs cérébraux des troubles individuels.
Le deuxième processus est d’articuler la santé mentale aux coûts pour la société, ce qui est entretenu en permanence par les tenants du santé-mentalismev : « la santé mentale coûte chère », « 3 à 4 % du PIB »vi.
Le coeur du problème est de réduire ces coûts (pour la société et pour l’économie) tout en créant des dispositifs lucratifs.
Nous assistons à l’essor d’un marché de la santé mentale par le biais d’applications numériques, de plateformes et de « dispositifs innovants », marché qui, s’il est réservé au plus grand nombre, exclut les plus en souffrance et en marge. Ce sont précisément ces deux processus qui sous-tendent les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Les thématiques et les intervenants sont identiques aux grands congrès de psychiatrie organisés par les laboratoires pharmaceutiques depuis quinze ans avec le même flou entretenu sur les liens entre santé mentale et psychiatrie.
Or, la psychiatrie est la grande absente de ces Assises. Refoulée à l’arrière-plan, ses problématiques seront reléguées dans l’opacité des cabinets ministériels.
L’arrivée de l’équivalent de la tarification à l’acte en psychiatrie et la gestion pénurique de ses finances ne seront pas abordées. Idem pour la réforme du contrôle judiciaire des contentions et des isolements psychiatriques, taxés par deux fois d’inconstitutionnalité. Idem pour la réforme de l’irresponsabilité pénale qui est l’une des constructions apportée par les Lumières et qui aurait pu avoir le droit à un minimum de débat sur les liens entre troubles psychiatriques et citoyenneté… Idem pour la désertion de la psychiatrie publique par les médecins et les infirmiers ne pouvant plus accueillir et soigner correctement les personnes malades.
Encouragée par les autorités de tutelles par l’application méthodique d’un plan de non-attractivité, cette désertion des professionnels est encouragée par l’étouffement des réalités de terrain et par la répression des lanceurs d’alerte qui mettent en lumière l’indignité des conditions d’accueil et de soins des patients, les privations de liberté indues, l’infantilisation des professionnels et des usagers.
À cette désertion des professionnels répond l’abandon des patients et des familles. Antonin Artaud rappelait : « Toutes nos idées sur la vie sont à reprendre à une époque où rien n’adhère plus à la vie. Et cette pénible scission est cause que les choses se vengent, et la poésie qui n’est plus en nous et que nous ne parvenons plus à retrouver dans les choses ressort, tout à coup, par le mauvais côté des choses ; et jamais on n’aura vu tant de crimes, dont la bizarrerie gratuite ne s’explique que par notre impuissance à posséder la vie »vii.
Si ces Assises de la Santé Mentale font scission avec la psychiatrie, il est de notre devoir de citoyen de remettre au centre de la psychiatrie l’accueil de la personne souffrante, sa famille, ses rêves, son milieu, ses petites et ses grandes histoires.
Dr Mathieu Bellahsen (psychiatre et auteur)
Pierre Dardot (philosophe et auteur)
1-https://www.vie-publique.fr/rapport/24799-de-la-psychiatrie-vers-la-sante-mentale
3-https://ec.europa.eu/health/archive/ph_determinants/life_style/mental/green_paper/mental_gp_fr.pdf
5-M. Bellahsen, La santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle, La Fabrique, 2014.
6-M. Leboyer et P.M Llorca, Psychiatrie : état d’urgence, Odile Jacob, 2018.
7-A. Artaud, Le théâtre et son double, Gallimard, 1938.
Voir aussi:
Les contributions aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie des 27 et 28 septembre 2021: https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/sante-mentale/article/contributions-aux-assises-de-la-sante-mentale-et-de-la-psychiatrie-des-27-et-28?fbclid=IwAR13jH7CLd6nERyu-b7tCQSi-2BbdERu0MqOeUNAT0laduKcqqB0InekcQg
QUELQUES PROPOSITIONS DES PROFESSIONNELS DE PSYCHIATRIE DU COLLECTIF INTER HOPITAUX POUR UNE REFONTE DE LA PSYCHIATRIE PUBLIQUE: https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/contribution_asmp_collectifinterhopitaux.pdf
Pour le Printemps de la psychiatrie « UNE MASCARADE DE PLUS »