Publié le 20/09/2021
Les défis de la télépsychiatrie ou comment préserver le « colloque singulier »

N’ayant échappé ni à la pandémie de Covid-19 ni aux protocoles de distanciation sociale institués pour la contrer, l’Australie a donc connu, comme plusieurs pays, un essor important de la télémédecine. Et deux universitaires de Canberra (la capitale de l’Australie) rappellent que les psychiatres ont été à l’avant-garde des prestations de télésanté, en raison de leur utilité pour les patients. Cependant, la mise en œuvre de la télémédecine pour les sujets atteints de troubles psychotiques pose, précisent les auteurs, « des défis considérables. »
En effet, l’intrusion d’une médiation technologique dans le fameux colloque singulier entre soignant et soigné peut susciter ou réactiver un délire, ou au moins certains troubles perceptifs déconcertants chez des personnes déjà vulnérables ou/et « technophobes. » D’autre part, même si les communications téléphoniques ou par ordinateur permettent d’évaluer en partie la prosodie émotionnelle, on doit reconnaître que le manque d’indices visuels du langage corporel peut parfois empêcher l’évaluation de l’humeur et des affects, surtout en l’absence d’une liaison vidéo de bonne qualité.
Quand des patients psychotiques sont invités à s’exprimer sur l’offre de télémédecine, ils avancent, notent les auteurs, des réponses allant de l’acceptation ou une légère réticence à la peur, l’agitation et la suspicion, souvent associées à des délires de persécution concernant la communication électronique, la technologie et Internet.
Plutôt des consultations en face à face pour les nouveaux patients et les « technophobes »
Autre inconvénient des consultations à distance : la difficulté d’apprécier certains critères cliniques, comme le tonus musculaire, l’activité motrice, l’akathisie, les dyskinésies, les tremblements (pouvant notamment évoquer un syndrome extrapyramidal secondaire aux neuroleptiques)… À la limite, à moins d’obtenir certaines précisions (poids, indice de masse corporelle), les auteurs estiment que le suivi médical des traitements antipsychotiques est parfois « compromis, en l’absence de consultations en face à face. »
Ces difficultés inhérentes à la télémédecine ont en particulier un « impact négatif sur la détection précoce et la gestion continue du syndrome métabolique », avec une incidence préjudiciable sur les décisions thérapeutiques (choix des médicaments, posologies). En pratique, il est préférable de recourir à la télépsychiatrie pour des patients « chroniques » ou/et stabilisés mais de proposer, dans la mesure du possible, une consultation en face-à-face pour les nouveaux patients et pour ceux présentant « des délires technologiques ou des phobies. » Consultation en « présentiel » imposant, rappellent les auteurs, le respect des gestes barrières et de protection (hygiène des mains, masques) désormais routiniers.
Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCE
Maguire PA et coll.: COVID-19 telehealth challenges for patients with schizophrenia and other psychoses. Australian & New Zealand Journal of Psychiatry 2021; 55(09): 923.
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