Tous les signaux convergent: l’éducation et l’enseignement primaire, secondaire comme supérieur sont déjà les nouveaux terrains de jeux des Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et autres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi)

Enseignement supérieur : « La valorisation de la recherche doit être remise en haut de l’agenda politique et scientifique »

TRIBUNE

Jean-Philippe Denis

Professeur de sciences de gestion, Université Paris-Saclay

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/20/enseignement-superieur-la-valorisation-de-la-recherche-doit-etre-remise-en-haut-de-l-agenda-politique-et-scientifique_6095288_3232.html

Le professeur de sciences de gestion Jean-Philippe Denis rappelle, dans une tribune au « Monde », que la France doit mieux promouvoir ses savoirs en sciences exactes mais aussi dans les sciences humaines et sociales qui constituent un puissant levier de compétitivité pour la recherche française.

Publié aujourd’hui à 09h00 Temps de Lecture 4 min.

Tribune. Rendu public en janvier 2007 et établi notamment par Emmanuel Macron, le rapport sur la valorisation de la recherche supervisé par Henri Guillaume, inspecteur général des finances, dressait un constat sombre : « En dépit des mesures prises depuis la loi sur l’innovation et la recherche de 1999, la valorisation de la recherche ne progresse pas en France depuis quinze ans. La stagnation concerne les multiples formes de la valorisation de la recherche, entendue ici sous son aspect le plus large comme l’ensemble des relations entre la recherche publique et le monde économique (…). Pour l’essentiel, ce constat rappelle donc le bilan établi en 1998, à la veille de la loi de 1999. »

Un certain nombre de symptômes étaient soulignés. Parmi ceux-ci, une hyper-concentration à hauteur de 90 % sur trois acteurs des revenus nationaux liés à des brevets – le CNRS, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et l’Institut Pasteur. A l’exception de l’Ecole des mines de Paris ou de l’Ecole supérieure d’électricité (avec 20 % de la recherche financée par des entreprises) explicitement mentionnées, les trois quarts de l’activité de recherche contractuelle étaient concentrés sur moins de 3 % des laboratoires étudiés tandis que les universités ou le CNRS ne couvraient que 2 % en moyenne de leurs dépenses de recherche par des contrats avec les entreprises.Article réservé à nos abonnés

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Enfin, le rapport notait des retombées socio-économiques de la recherche globalement très en deçà de ce que l’on observait déjà à l’international. En cause principalement, le mille-feuille institutionnel conduisant à une faible efficacité (grandes écoles, universités, unités mixtes de recherche, organismes de recherche) mais aussi une absence de culture de la valorisation et des freins organisationnels (les structures responsables de porter la valorisation étant trop éloignées des lieux de production de la recherche).

Aucune avancée depuis quinze ans sur la valorisation

En 2020, un dossier spécial de la Revue française de gestion traitait explicitement de ce sujet de la valorisation sociétale et managériale pour le cas spécifique des sciences de gestion et du management (Thierry Verstraete et Pascal Philippart, « La valorisation sociétale et managériale de la recherche en gestion »). Près de quinze ans après le rapport « Guillaume », le constat reste très proche d’une très insuffisante politique en matière de valorisation.null

On peut ici apporter une explication : d’un côté, les investissements et les efforts considérables destinés à la restructuration du paysage institutionnel de l’enseignement supérieur et de la recherche sont salués dans les classements internationaux par les excellentes places de l’université Paris-Saclay (13e au classement de Shanghaï) ou de PSL Paris Université (40e au classement Times Higher Education 2022) ; d’un autre côté, la question de la valorisation a été la grande oubliée des réformes visant à mieux assurer la reconnaissance de la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche en France.Article réservé à nos abonnés

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Puisque l’objectif d’une meilleure reconnaissance a été atteint et que les progrès dans les divers classements internationaux ne seront plus qu’à la marge, il est urgent de remettre en haut de l’agenda politique et scientifique cette question trop délaissée : la valorisation de la recherche.

Penser avec un autre référentiel

Le sujet est d’autant plus critique que les choix effectués par exemple en faveur de la science ouverte et du libre accès à la connaissance (le « Plan S » du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation) se fondent largement sur les seules caractéristiques de la production scientifique dans le domaine des sciences dites « exactes ». Ce faisant, sont largement oubliées les particularités des sciences humaines et sociales qui constituent pourtant un enjeu majeur de soft power et un très puissant levier de valorisation comme de compétitivité pour la recherche française.

Imaginerait-on en effet des producteurs de films ou des éditeurs de romans cédant gracieusement à Hollywood les droits d’exploitation de leurs productions, surtout quand elles ont été aussi largement financées par les deniers publics (pour les universités ou le CNRS) comme par les frais de scolarité acquittés par les étudiants, leurs familles, les contribuables (dans le cas des grandes écoles) ?Article réservé à nos abonnés

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Penser stratégie de valorisation, c’est nécessairement reconnaître la nécessité de penser selon un autre référentiel : les progrès en matière d’intelligence artificielle (IA) et de traduction automatique invalident le postulat du recours obligatoire à l’anglais dans la valorisation des enseignements et des productions scientifiques ; à la rigueur de productions scientifiques évaluées dans le cadre de procédures entre pairs qui s’étalent sur plusieurs années, la valorisation appelle des modes d’organisation fondés sur des logiques de type innovation Bêta ou encore « test & learn ».

Les nouveaux terrains de jeux des Gafam

Enfin, à la fuite en avant dans la course à la nouveauté et à la prochaine « découverte », c’est bien d’abord de préservation et de valorisation des actifs, des patrimoines, des catalogues des œuvres passées qu’il convient de s’inquiéter. En ce domaine, la découverte des manuscrits inédits de l’écrivain Céline (déjà valorisés plusieurs millions d’euros) ou encore le succès de la série Lupin de Netflix à l’international (et son impact dans les librairies sur les ventes des œuvres de Maurice Leblanc) fournissent des jurisprudences à méditer.Article réservé à nos abonnés

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Plus encore qu’en 2007 si l’on en juge par les investissements consentis depuis, ne pas repenser d’urgence les voies et les moyens de la préservation de nos actifs et de leur potentiel de valorisation procéderait d’une coupable inconscience et inconsistance.

Tous les signaux convergent en effet pour indiquer qu’à l’image du sport professionnel, l’éducation et l’enseignement primaire, secondaire comme supérieur sont déjà les nouveaux terrains de jeux des Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et autres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) dans le cadre d’un processus considérablement accéléré par la crise sanitaire et les confinements successifs.

Jean-Philippe Denis(Professeur de sciences de gestion, Université Paris-Saclay)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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