Sciences Po Grenoble : un rapport administratif sans concession
L’inspection générale de l’éducation établit qu’un « conflit disproportionné » a résulté d’erreurs d’appréciation, de maladresses, et de fautes de la part de tous les acteurs de l’institut d’études politique.
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C’est un rapport précis et sévère qui dépeint un institut d’études politiques (IEP) en pleine crise, que l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) a remis, vendredi 7 mai, à la ministre de l’enseignement supérieur. Après le collage, le 4 mars, d’affiches accusant nommément deux enseignants « d’islamophobie » et de « fascisme », et diffusées sur les réseaux sociaux par des étudiants, Frédérique Vidal avait missionné deux inspecteurs afin d’établir les responsabilités et de « contribuer à rétablir la sérénité au sein de l’IEP »de Grenoble. Après la publication du rapport, la ministre s’est prononcée pour une sanction des étudiants concernés dans un entretien au Figaro, samedi 8 mai.
Alors que l’enquête de police est toujours en cours pour déterminer l’identité des poseurs d’affiches, ce rapport administratif relate, lui, un récit précis d’une controverse qui a pour origine les conditions de préparation, à distance, en novembre 2020, d’une « semaine pour l’égalité et la lutte contre les discriminations » prévue un mois plus tard. Dans l’un des groupes de travail associant huit étudiants et deux professeurs, un échange de mails « au ton virulent » a opposé un enseignant d’allemand (M. A.) qui constestait la légitimité de la notion d’« islamophobie » et sa mise sur le même pied que les notions de racisme et d’antisémitisme dans l’intitulé d’un débat, et une enseignante en histoire (Mme C.) qui affirmait que la notion d’islamophobie est « devenue évidente dans les sciences sociales », rapporte l’Igésr.
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Informée de l’incident, la directrice de l’IEP, Sabine Saurugger, a « rappelé oralement » M. A au devoir de respect d’autrui et lui a enjoint de « présenter ses excuses à sa collègue blessée par la virulence de ses messages, ce que M. A fera par deux fois, le 4 et le 16 décembre », indique le rapport. Mais les choses ne feront que s’envenimer, avec l’intervention de deux autres enseignants : l’un prenant la défense de M. A par mail et l’autre rédigeant un communiqué au nom de l’ensemble du laboratoire de sciences sociales qu’elle dirige (Pacte) pour dénoncer de la part de M. A « une forme de harcèlement et une atteinte morale violente » à l’encontre de Mme C.
Action disciplinaire contre les élus étudiants
L’affaire prendra un tour dramatique le 9 janvier, lorsque les élus étudiants de l’union syndicale (US) s’emparent de la polémique en demandant dans un mail à la directrice de l’IEP de « statuer sur [le] cas [de M. A] » et de « prendre des mesures pour lutter contre l’islamophobie dans l’établissement ». Sur les réseaux sociaux, l’US va plus loin et réclame « que des actes concrets soient pris », notamment la suppression du cours sur l’islam dispensé par M. B. (professeur qui était venu en soutien de M. A.). Le 22 février, par un « appel à témoignages » publié sur Facebook, l’US invite les étudiants à dénoncer anonymement les propos islamophobes qui auraient pu être tenus dans ce cours.Article réservé à nos abonnés
Au cours de leur mission, les deux inspecteurs n’ont relevé, parmi tous les documents collectés (échanges de mails, témoignages écrits ou oraux, support du cours sur l’islam dispensé par M. B.), « aucun propos susceptible d’être puni par la loi ou constitutif d’un manquement de caractère déontologique de la part de M. B. ». Ils estiment que ces accusations justifiaient une action disciplinaire contre les élus étudiants de l’US dans les instances de l’établissement, ce que la direction de l’IEP n’a pas fait.
L’inspection générale conclut qu’un « conflit disproportionné » a résulté « d’erreurs d’appréciation, de maladresses, de manquements et de fautes plus ou moins graves » de la part de tous les acteurs de cette affaire. Elle invite la directrice de l’IEP à « procéder sans délai à un signalement au procureur de la République des accusations d’islamophobie à l’encontre de M. B. » et à « engager sans attendre davantage une procédure disciplinaire à l’encontre de chacun des dix-sept élus étudiants de l’US dans les différentes instances de l’IEP ». Est aussi préconisé un rappel à leurs obligations de fonctionnaires à Mme C. et à M. A., tout nouveau manquement de la part de ce dernier engageant des poursuites disciplinaires.
« Faire évoluer le mode de management »
En ce qui concerne la directrice du laboratoire Pacte, la mission préconise que sa hiérarchie lui rappelle « le rôle qui est le sien, lequel ne l’autorise ni à signer un communiqué par délégation du président de l’université, ni à s’immiscer dans la gestion des ressources humaines de l’IEP autrement que par des alertes – bilatérales – à la directrice de l’Institut ». Aux inspecteurs, celle-ci avait notamment justifié son communiqué « par le contexte des multiples attaques auxquelles faisaient face les sciences humaines et sociales à ce moment-là dans le débat public (notamment les débats sur l’“islamo-gauchisme” soulevés dans l’espace public) », après les propos du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, réitérés par Frédérique Vidal en février.
L’Igésr recommande enfin à l’école de « faire évoluer son mode de management et améliorer son organisation pour permettre un pilotage plus efficace ». L’IEP doit également « s’attacher à combler des manques criants en matière de formation de ses étudiants dans le domaine des usages et des risques des communications numériques », soulignent les inspecteurs.
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