L’Espagne a limité la casse sans restrictions drastiques.

Covid-19 : les succès de l’Espagne, miracle ou mirage ?

Pour les épidémiologistes, une quatrième « petite vague » a sans doute été freinée par les restrictions mais surtout par l’avancée de la vaccination et par l’immunité collective. 

Par Sandrine Morel(Madrid, correspondante)Publié hier à 11h37, mis à jour hier à 15h11  

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Un homme lit un livre sous un poster « COVID-19, ouvrez les yeux » à Barcelone (Espagne), le 19 avril 2021.
Un homme lit un livre sous un poster « COVID-19, ouvrez les yeux » à Barcelone (Espagne), le 19 avril 2021. NACHO DOCE / REUTERS

Devant le montage du Lac des cygnes du chorégraphe français Angelin Preljocaj, les spectateurs madrilènes sont d’autant plus conquis, en ce mois d’avril, que le ballet ne figurait pas, initialement, au programme de la saison 2021 des Théâtres du Canal. « La directrice, Blanca Li, m’a appelé après un désistement : c’est un grand bonheur pour nous de remonter sur scène, pour la première fois depuis le mois d’octobre, explique au Monde M. Preljocaj, qui a vu s’annuler les unes après les autres les représentations prévues à la biennale de Lyon, à Vienne ou au Palais de Chaillot, du fait de la pandémie. J’ai l’impression que, plutôt que d’attendre la fin de la pandémie, le maître mot ici, c’est d’essayer vraiment de vivre avec le virus ».

Théâtres ouverts, restaurants aussi, couvre-feu à 22 heures ou 23 heures selon les régions, des écoles qui n’ont jamais fermé depuis septembre 2020, et un taux d’incidence de 112 cas pour 100 000 habitants sur les sept derniers jours – un des moins élevés d’Europe. L’Espagne connaît-elle un miracle, comme le titrait le journal italien Corriere della Sera, le 9 avril : « Le miracle de Madrid, elle ne ferme pas et a moins de victimes que Milan » ? Ou s’agit-il plutôt d’un mirage ?

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Sans doute ni l’un ni l’autre. Ou un peu des deux. Le pays connaît ce que le directeur du Centre de contrôle des alertes sanitaires, Fernando Simon, a qualifié de « petite vague », associée au relâchement de la population durant le week-end de Pâques, fin mars, et déjà, semble-t-il, en phase de stabilisation. Pour les épidémiologistes, celle-ci a sans doute été freinée par les restrictions, en vigueur depuis janvier, qui empêchent notamment les déplacements entre les régions et les réunions dans les domiciles privés, mais surtout par l’avancée de la vaccination (23 % de la population a reçu au moins une dose, et 8,5 % deux doses), et par l’immunité collective acquise durant les précédentes vagues – puisque cette « minivague » est ici, déjà, la quatrième. « Nous voyons la lumière au bout du tunnel », a assuré M. Simon, le 27 avril, se disant « optimiste ».

Troisième vague plus précoce

Avec près de 78 000 décès du Covid recensés officiellement depuis le début de la pandémie, une surmortalité estimée à 90 000 décès, et encore 117 morts recensés le 27 avril, l’Espagne, pays de 47 millions d’habitants, a subi de plein fouet la pandémie. Et s’il connaît à présent davantage de répit que ses voisins, c’est sans doute aussi parce que le pays a déjà eu une troisième vague, plus précoce.

Virulente, elle a fait près de 19 000 morts en janvier et février. Le taux d’incidence était alors monté à près de 1 000 cas pour 100 000 habitants sur quatorze jours, et près de 5 000 personnes occupaient les unités de soins intensifs, saturées dans la plupart des régions, obligeant les hôpitaux à annuler de nouveau toutes les opérations considérées comme non urgentes, et à ouvrir des chambres dans les cafétérias et même une chapelle d’hôpital, à Valence. Aux premiers jours du mois de février, il a été recensé jusqu’à 724 décès du Covid-19 en une seule journée.

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« L’Espagne a connu sa deuxième vague à la fin de l’été, bien avant les autres pays d’Europe. Nous avons été comme un canari dans une mine de charbon, les premiers à en faire les frais. Maintenant, c’est un peu l’inverse, car on est plus avancé », résume l’épidémiologiste Antoni Trilla, médecin à l’hôpital Clinico de Barcelone.

S’il n’y a pas de miracle, reste un mystère. Comment le pays est-il parvenu à résister sans avoir recours aux confinements, fermetures de classes et autres restrictions drastiques prises dans de nombreux pays d’Europe ? Selon le ministère de la santé, la possibilité donnée aux régions de fermer les commerces et l’hôtellerie, et de restreindre la mobilité à l’échelle de la région, du canton ou de la commune, associée au couvre-feu fixé au plus tôt à 22 heures, est suffisante. Et pour des raisons sociales et économiques, à aucun moment, un nouveau confinement dur n’a été de nouveau envisagé.

« Saturation des hôpitaux » madrilènes

Pour le porte-parole de la Société espagnole de santé publique, Manuel Franco, le premier confinement, extrêmement dur, quand il était interdit de sortir de chez soi sauf motif impérieux, pas même pour une promenade d’une heure, « a laissé la population et les politiques sans force ». Les « queues de la faim » comme on a appelé les immenses files d’attente qui se sont formées devant les soupes populaires, la fermeture des écoles, qui n’ont rouvert qu’en septembre, et l’effondrement de l’économie, ont marqué le pays durablement. Et les régions, dont dépend la santé publique, ont donc été appelées à prendre leurs propres mesures dans un cadre relativement ouvert.

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Mais si la plupart ont fermé l’hôtellerie et les commerces non essentiels quand elles ont été frappées par les précédentes vagues, Madrid a fait figure d’exception en laissant tout ouvert, avec une jauge à 50 % en intérieur, ne concédant à la pression des médecins qu’une avancée du couvre-feu à 22 heures et la fermeture des bars à 21 heures, durant un peu plus de trois semaines. « Il ne faut pas confondre Madrid et l’Espagne : ses décisions sont d’une irresponsabilité totale, sans fondements scientifiques, et les soignants sont désespérés par la saturation des centres de santé de ville et des hôpitaux », assure M. Franco.

Si 23 % des unités de soins intensifs du pays sont actuellement occupées par des malades du Covid, ce pourcentage s’élève à 45 à Madrid. « Nous devons encore faire des études sur l’impact de la déprogrammation des interventions chirurgicales sur la mortalité non-Covid », prévient d’ailleurs Javier Segura del Pozo, porte-parole de l’Association madrilène de santé publique.

Des « mesures sur trois axes »

« Après un an de gestion de la pandémie, nous savons quelles mesures sont utiles et lesquelles non seulement apportent peu de bénéfices, mais entraînent de graves problèmes socio-économiques. Or, l’hôtellerie ne représente que 2 % ou 3 % des cas, se défend le vice-ministre régional de santé publique et du plan Covid-19 de Madrid, Antonio Zapatero, ex-président de la Société espagnole de médecine interne. Nous préférons fonder nos mesures sur trois axes : la fermeture des quartiers où le taux d’incidence dépasse de beaucoup la moyenne, la réalisation de tests antigéniques, plus rapides que les PCR, et le contrôle des eaux usées, comme outil de prévention. »

« Je ne vais pas à l’intérieur des restaurants, j’ai fêté mon anniversaire seul… C’est une question de responsabilité », Jorge Sanchez, designer graphique

La région se rassure en soulignant que, malgré les restrictions plus dures appliquées par d’autres régions durant la seconde et la troisième vague, leur situation n’a guère été meilleure. Les unités de soins intensifs sont en effet occupées à 40 % par des malades du Covid-19 au Pays basque, et à 38 % en Catalogne. Et le système de santé de la capitale, très mal en point, a résisté, tant bien que mal. Quant au débat sur les morts évitables, il a été évité. « Le virus a des cycles de huit à dix semaines, qui s’activent après des épisodes de grande mobilité, et dont la magnitude dépend des restrictions et de la densité de population », analyse froidement M. Zapatero.

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« C’est vrai que l’on vit mieux si la ville est ouverte, mais combien de personnes âgées mortes en plus cela vaut-il ? Une ? Deux ? Vingt ? », se demande Jorge Sanchez, designer graphique madrilène de 48 ans, qui, comme beaucoup, s’est imposé des autorestrictions : « Je ne vais pas à l’intérieur des restaurants, j’ai fêté mon anniversaire seul… C’est une question de responsabilité. » Quant au port du masque dans tous les lieux publics, il est strictement respecté.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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