la marque Le Pen, ripolinée aux couleurs marinistes, prospère alors que les partis qui prétendaient la contenir bataillent pour leur survie

« La marque Le Pen prospère alors que les partis qui prétendaient la contenir bataillent pour leur survie »

CHRONIQUE

Françoise FressozEditorialiste au « Monde »

Il serait injuste de mettre sur le dos de la gauche et de la droite la progression continue du lepénisme. On peut cependant reprocher aux deux camps d’avoir sous-estimé l’ampleur du décrochage, après 2002, observe Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 01h45, mis à jour à 10h24    Temps de Lecture 4 min. https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/27/la-marque-le-pen-ripolinee-aux-couleurs-marinistes-prospere-alors-que-les-partis-qui-pretendaient-la-contenir-bataillent-pour-leur-survie_6078172_3232.html

Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national, à l’Assemblée nationale, à Paris, en 2019.
Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national, à l’Assemblée nationale, à Paris, en 2019. BENOIT TESSIER / REUTERS

Chronique. Le 21 avril, la Fondation Jean-Jaurès a publié une note intitulée 2022 : évaluation du risque Le Pen. La date n’a pas été choisie par hasard : dix-neuf ans plus tôt, le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen était parvenu à se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle en devançant le candidat socialiste, Lionel Jospin, alors premier ministre de cohabitation du président Jacques Chirac. L’événement avait été vécu comme un séisme, déclenchant, en retour, de puissantes manifestations et la constitution d’un front républicain derrière le président sortant, réélu avec 82,2 % des suffrages exprimés. Le message était clair : plus jamais ça !

Lire aussi : 2002 : « Comme un coup de tonnerre »

Aujourd’hui, la marque Le Pen, ripolinée aux couleurs marinistes, prospère alors que les partis qui prétendaient la contenir bataillent pour leur survie. Dans leur livre Impressions et lignes claires (JC Lattès, 378 pages, 21,90 euros), Edouard Philippe et Gilles Boyer racontent le choc causé lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017 par l’élimination du candidat Fillon au terme d’une campagne lugubre, marquée par une mise en examen et de profondes divisions.

« Nous revoilà en 2002, la boucle est bouclée », écrivent les deux juppéistes, en actant l’échec de ce qu’avait tenté leur mentor, Alain Juppé, pour faire barrage au Front national : rassembler les familles RPR, libérale et centriste dans une formation unique, l’UMP, sur un positionnement européen. « Quinze ans après, éclatée, droitisée, rabougrie », la droite apparaît « disqualifiée », déplorent-ils.

Des raisons pas propres à la France

Le même constat aurait pu être dressé par la gauche, minée au même moment par d’insurmontables contradictions face à l’épreuve du pouvoir. Cette décomposition des deux camps allait favoriser l’ascension éclair d’Emmanuel Macron autour d’une tentative de rapprochement des modérés de droite et de gauche. Le caractère inédit de l’aventure, la tonalité dégagiste de la campagne menée par l’ancien ministre de l’économie de François Hollande, l’optimisme qui en émanait alors allaient servir d’antidote au lepénisme sans pour autant le contenir.

Quatre ans plus tard, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se retrouvent au coude-à-coude dans les sondages d’intentions de vote pour la présidentielle de 2022, alors que le pays, fracturé, peine à sortir d’une lancinante crise sanitaire.

 Lire aussi  Présidentielle 2022 : le duel Macron-Le Pen éclipse les opposants

Il serait injuste de mettre sur le dos de la gauche et de la droite l’inexorable montée de Marine Le Pen. De profondes raisons, qui ne sont pas propres à la France, expliquent la prospérité d’un populisme qui se nourrit de l’insécurité économique et culturelle liée à la mondialisation. L’ébranlement des classes moyennes, l’« archipélisation » de la société française, la dévitalisation des villes moyennes, la peur du déclassement, le sentiment exprimé par une part non négligeable de la population de ne plus compter et de ne plus être représentée, la crainte d’une concurrence liée à l’immigration ont été mis en valeur par le travail minutieux des sociologues et des politistes. On peut cependant reprocher aux deux camps d’avoir sous-estimé l’ampleur du décrochage.

La droite a péché par arrogance, en considérant que les électeurs lepénistes reviendraient naturellement vers elle, moyennant un discours fort sur les questions de sécurité, d’identité nationale et de valorisation de la valeur travail. L’OPA menée en 2007 par Nicolas Sarkozy a failli réussir. La synthèse entre un libéralisme économique assumé et un discours national fort n’a cependant pas résisté aux effets de la crise économique de 2008. Depuis, la surenchère est essentiellement menée sur le front du terrorisme, de la sécurité et de l’immigration. Elle tourne à l’avantage de l’extrême droite au prix d’un affaiblissement du front républicain.

Envie d’en savoir plus sur le Rassemblement national ?Test gratuit

Propos prémonitoire

Durant la campagne d’entre-deux-tours de la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy a considéré que Marine Le Pen était « compatible avec la République »alors que, dix ans plus tôt, Jacques Chirac avait jugé le projet de Jean-Marie Le Pen « contraire à ses valeurs ». Et lors de l’entre-deux-tours de 2017, Laurent Wauquiez, alors patron du parti Les Républicains, a refusé d’appeler explicitement à voter pour Emmanuel Macron, tout en demandant aux électeurs de ne pas choisir Marine Le Pen.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  A un an de l’élection présidentielle, le front républicain contre l’extrême droite est de plus en plus fragilisé

La gauche, elle, s’est aveuglée en centrant presque exclusivement le combat sur le plan de la morale et des valeurs. Honte à la droite lorsque celle-ci était tentée de pactiser ! Sauf que la montée du lepénisme ne concernait pas que ce camp. Elle touchait aussi les électeurs de gauche, dans la foulée du déclin du Parti communiste français.

En 2011, le socialiste Olivier Ferrand, qui dirigeait le think tank Terra Nova, avait suscité un beau tollé en constatant que « le cœur électoral de la gauche n’était plus la classe ouvrière »Il fallait désormais partir à la conquête d’un nouveau noyau d’électeurs lié par « des valeurs culturelles ouvertes et positives » et composé « des jeunes, des quartiers populaires, des minorités et des femmes ». Le propos était prémonitoire mais indicible à l’époque. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, le score de Marine Le Pen a dépassé 30 % chez les ouvriers et les employés. Les derniers sondages d’intention de vote tendent à montrer qu’elle est parvenue à fidéliser cet électorat.

Lire aussi  « En quoi Marine Le Pen serait pire ? » : ces jeunes qui voteront pour l’extrême droite en 2022

La question qui se pose aujourd’hui à tous ses opposants est de savoir si l’électorat populaire qui constitue le cœur de la classe moyenne peut ou non être reconquis. Aucun des signaux émis jusqu’à présent ne montre que la question est sérieusement abordée, sinon la réindustrialisation du pays ou l’aménagement du territoire figurerait déjà au palmarès de la précampagne. Celle-ci se limite pour le moment à un match sécuritaire serré au sein du seul camp progressiste pour savoir qui sera le moins mal placé pour battre Marine Le Pen. L’aveuglement continue.

Françoise Fressoz(Editorialiste au « Monde »)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire