La fin de vie : un débat nécessaire
ÉDITORIAL
Le Monde
L’Assemblée nationale devrait, jeudi, examiner la proposition de loi du député Olivier Falorni pour une « fin de vie libre et choisie ». Or les quelque 3 000 amendements déposés risquent de compromettre l’examen du texte et les discussions parlementaires qu’imposent un tel enjeu.
Publié hier à 10h50, mis à jour hier à 10h59 Temps de Lecture 2 min.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/07/la-fin-de-vie-un-debat-necessaire_6075837_3232.html
Editorial du « Monde ». Récurrente, douloureuse, mais fondamentale et rebelle à tout manichéisme, la question de la fin de vie revient à l’ordre du jour avec l’examen, jeudi 8 avril, à l’Assemblée nationale, de la proposition de loi du député Olivier Falorni « donnant le droit à une fin de vie libre et choisie ». Seize ans après la loi Leonetti, qui avait prohibé l’acharnement thérapeutique et reconnu le droit du malade à refuser un traitement ; cinq ans après la loi Claeys-Leonetti, qui a permis au malade de demander une « sédation profonde et continue jusqu’au décès », le nouveau texte propose de franchir un cap jusqu’à présent écarté en France, celui qui sépare l’euthanasie passive de l’euthanasie active.
La proposition de loi Falorni prévoit la possibilité pour une personne « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable (…) lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable », de « disposer d’une assistance médicalisée permettant, par une aide active, une mort rapide et sans douleur ».
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Le destin parlementaire de ce texte est plus qu’incertain. Le dépôt de plus de 3 000 amendements, principalement par ses opposants, risque d’empêcher son examen, qui se limite à une journée, dans le cadre d’une « niche parlementaire », où les députés sont maîtres de l’ordre du jour. D’autant que le gouvernement estime que la crise sanitaire n’est « pas un moment opportun » pour ce débat.
Une évolution de la loi souhaitée
Certes, la pandémie et son cortège quotidien de victimes rendent la question de la mort plus présente et sensible qu’en temps ordinaire. Mais les drames liés au Covid-19 n’en rendent pas moins nécessaire cette discussion réclamée par un grand nombre d’élus de toutes tendances. En ces temps où l’usage des institutions par l’exécutif tend à marginaliser dangereusement le Parlement, il serait paradoxal que soit étouffé ce débat, alors que, selon plusieurs sondages, une large majorité de Français, y compris les catholiques pratiquants, souhaite une évolution de la loi.
Les partisans de la proposition débattue jeudi dénoncent l’hypocrisie de la législation en vigueur, qui, selon eux, invite à pratiquer une euthanasie masquée en prétendant maintenir l’interdit. Ils mettent en avant le droit de chacun à choisir sa mort et soulignent que des milliers de Français exercent clandestinement leur « droit de mourir dans la dignité » en France, ou sont contraints de franchir les frontières belge ou suisse.
De leur côté, les adversaires du texte insistent sur les progrès qui restent à accomplir en matière de soins palliatifs. Ils s’inquiètent de la nouvelle norme sociale que pourrait introduire l’euthanasie active et des risques liés à son application, permise par la proposition de loi, à des personnes incapables de s’exprimer, en application de « directives anticipées ».
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C’est un fait : la mort est un événement sur lequel les individus souhaitent de plus en plus exercer leur liberté. La loi, garante de la vie sociale, doit-elle pour autant privilégier l’autonomie sur la protection des plus fragiles, au point d’accepter que l’on puisse aider activement à mourir ? Il faudra davantage qu’une simple journée de débat parlementaire pour parvenir, éventuellement, à un nouvel équilibre. Une évaluation sérieuse de la loi de 2016 est nécessaire. Mais tous ceux qui ont eu à connaître les souffrances insupportables et la volonté de mourir d’un proche en fin de vie savent que le déni n’est pas une option.
Le Monde
*Le débat sur la fin de vie à l’Assemblée nationale entravé par une manœuvre parlementaire
Avec près de 3 000 amendements déposés, dont 2 300 de la part de cinq députés du groupe Les Républicains, la proposition de loi « donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie », examinée jeudi, n’aura probablement pas le temps d’être votée.
Publié hier à 18h00, mis à jour à 05h53
Par Mariama Darame

Un débat très attendu puis vite occulté ? Tel est le chemin que semble emprunter la proposition de loi « donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie », examinée jeudi 8 avril à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe d’opposition de centre gauche, Libertés et Territoires.
La raison en est simple. Près de 3 000 amendements ont été déposés sur ce texte inspiré de la loi belge sur l’euthanasie. Cette proposition de loi a pour ambition d’autoriser « une assistance médicalisée active à mourir » pour « toute personne capable et majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, provoquant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable ».
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A l’origine de cette manœuvre parlementaire, cinq députés du groupe Les Républicains (LR) ont déposé à eux seuls plus de 2 300 amendements. Parmi eux, l’élu du Bas-Rhin Patrick Hetzel. Ce dernier soutient qu’un tel débat sur un sujet aussi sensible ne peut avoir lieu en quelques heures, dans le cadre d’une journée réservée à l’opposition. « C’est un signal qu’on envoie. Je considère qu’on doit laisser du temps à ce vrai débat de société », estime-t-il, en se déclarant « hostile sur le fond » au texte d’Olivier Falorni, député (Libertés et Territoires) de Charente-Maritime.
La tactique est imparable. Elle condamne les parlementaires à ne pas finir l’examen du texte pour pouvoir le voter jeudi avant minuit. De quoi effarer en premier lieu son auteur, M. Falorni, qui s’activait depuis plusieurs semaines à coaliser l’ensemble des groupes autour de sa proposition de loi. « Le droit d’amendement est sacré (…). Mais là vous empêchez les députés de voter alors qu’il y a une majorité de conscience à l’Assemblée nationale », a-t-il lancé lors d’une conférence de presse au Palais-Bourbon réunissant les représentants des neuf groupes.
« Négation du travail parlementaire »
Chez les détracteurs du texte, on invoque également la fragilité de l’expertise parlementaire sur laquelle s’appuient les cinq articles de la proposition de loi. Ni l’avis du Conseil d’Etat ni aucune étude d’impact n’accompagnent ce texte a contrario des projets de loi du gouvernement. Un argument dérisoire pour l’ensemble des parlementaires soutenant la proposition de loi, l’une des cinq déposées sur la fin de vie depuis 2017. Dans cet élan transpartisan, certains rappellent que la dernière avancée législative sur la fin de vie, la loi Claeys-Leonetti adoptée en 2016, est elle-même née d’une proposition des parlementaires.
Mardi 6 avril, les accusations d’obstruction à l’encontre des cinq députés LR ont fusé de tous les rangs de l’Hémicycle et même de ceux de la droite. « Ce n’est pas très respectueux de l’institution parlementaire et de la démocratie », estime leur collègue (LR) des Alpes-Maritimes Marine Brenier. Une tribune signée par 272 députés de tout bord dans les colonnes du Journal du dimanche du 4 avril, dénonçait ainsi « la négation du travail parlementaire », en réaffirmant la volonté de ces élus de vouloir débattre et voter ce texte.
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Car ce n’est pas la première fois que ces députés s’illustrent dans ce type de guérilla. Fin janvier, ils avaient déjà déposé des milliers d’amendements sur une proposition de loi du groupe socialiste visant à allonger le délai légal d’avortement de douze à quatorze semaines. « L’obstruction parlementaire est un droit, et j’y tiens, sauf que vous avez là une opposition qui fait de l’obstruction contre une autre opposition. C’est totalement incohérent », souligne la députée (La France insoumise, LFI) de Meurthe-et-Moselle Caroline Fiat. « On ne peut pas se résigner à voir cette avancée bloquée », a insisté son collègue (La République en marche, LRM) du Rhône Jean-Louis Touraine.
Même le président du groupe LR, Damien Abad, a semblé un brin embarrassé dans la défense de ses députés. « Je ne partage pas l’ensemble de leurs convictions mais je les respecte. (…) Sur un sujet comme celui de la fin de vie, on ne peut pas légiférer comme ça sur un coin de table », a-t-il justifié en proposant dans la foulée que le gouvernement mette en place « des états généraux sur la fin de vie, comme sur la loi bioéthique, pendant un an ».
En commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le texte avait pourtant été adopté dans un large consensus.
Divergences profondes
Début mars, le Sénat se penchait déjà sur une proposition de loi sur la fin de vie, de la sénatrice socialiste de Paris Marie-Pierre de La Gontrie, rejetée à dix-neuf voix près.
Depuis, les parlementaires jouent la carte du rapport de force à coups de tribunes et d’interviews en prenant à témoin l’opinion publique. « Nous ne sommes pas en train de légiférer au doigt mouillé, en faisant abstraction d’un débat de société, estime le député (ex-LRM) des Deux-Sèvres Guillaume Chiche. La réalité, c’est qu’une fois de plus les pouvoirs publics ont un temps de retard sur ce qui se passe dans la société. »
Ce débat reste éminemment sensible. Si une majorité de députés se dit favorable pour avancer sur le sujet, des nuances voire des divergences profondes subsistent. Entre ceux qui estiment que le moment est mal choisi pour légiférer en pleine pandémie, ceux qui souhaitent un débat d’envergure sur la question ou encore ceux qui préfèrent donner davantage de temps et de moyens pour améliorer l’application de la loi Claeys-Leonetti, les positions sont très variées.
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« Ce sont des sujets où personne n’a raison ou tort, ça reste de l’intime », analyse le député (LR) de Seine-Saint-Denis Alain Ramadier. Une telle réforme divise tous les groupes à tel point qu’aucune consigne de vote n’a été donnée et que l’Hémicycle s’annonce rempli pour le débat de jeudi, chaque élu voulant défendre ses convictions.
Mais cette « obstruction parlementaire » ne saurait occulter une autre opposition, celle du gouvernement. L’exécutif reste foncièrement dévaforable à l’ouverture d’un tel débat, jugé inopportun en pleine crise sanitaire. Le ministre de la santé et des solidarités, Olivier Véran, avait ainsi annoncé, en parallèle des discussions au Sénat autour de la proposition de loi de Mme de La Gontrie, « un nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie » pour avril.
Sentant le piège politique se refermer sur la majorité, le président du groupe LRM à l’Assemblée nationale, Christophe Castaner, avait proposé en mars une réunion avec Matignon pour trouver une porte de sortie. Une demande restée lettre morte. « Il faut considérer que c’est un premier temps d’un débat plus large », a affirmé, mardi, devant ses troupes, M. Castaner.
Si jeudi le texte ne parvenait pas à aboutir, le député (LRM) Jean-Louis Touraine, auteur d’une proposition de loi similaire a celle de M. Falorni, a de nouveau demandé que l’exécutif se positionne pour reprendre un texte sur la fin de vie. Avant d’en faire une ligne de programme pour 2022.
Sans surprise, le débat sur la fin de vie ne trouve pas d’issue à l’Assemblée
Au terme de sept heures de discussions souvent enflammées, jeudi, la bataille d’amendements sur la proposition de loi du député Olivier Falorni n’a pas permis d’examiner l’ensemble du texte avant minuit.
Publié aujourd’hui à 09h23, mis à jour à 11h22 Par Mariama Darame
Temps de Lecture 4 min.

Les députés de la majorité, comme ceux des oppositions, se sont massés, jeudi 8 avril, à l’Assemblée nationale pour débattre de la proposition de loi (PPL) « donnant et garantissant une fin de vie libre et choisie » du député Olivier Falorni (Charente-Maritime, Libertés et Territoires). Les discussions souvent enflammées, ponctuées d’anecdotes personnelles et d’avis très contrastés, ont abouti in extremis à l’adoption du premier article de cette proposition de loi qui vise à autoriser « l’assistance médicalisée active à mourir » pour les personnes atteintes « d’affection grave et incurable ». Mais, sans surprise, au bout de sept heures de discussions, la bataille d’amendements n’a pas permis d’examiner l’ensemble du texte avant minuit, rendant impossible l’adoption de cette PPL. Le vote sur l’article premier n’aura donc été que symbolique.
L’adoption de cet article a été un vrai coup de force, tant les débats ont été jusqu’au bout paralysé par une poignée de députés Les Républicains (LR), opposés aux mesures présentées par M. Falorni. Déjà auteur de près de 2 300 amendements pour la séance, les députés Marc Le Fur, Julien Ravier, Xavier Breton ou encore Patrick Hetzel ont de nouveau déposé plusieurs centaines de sous-amendements, jeudi matin, pour empêcher l’adoption du premier article de la proposition de loi.
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« Il est clair que ce texte nous invite à une rupture, à la transgression d’un interdit majeur de notre société : ne pas provoquer délibérément la mort », a défendu le député LR de l’Ain, Xavier Breton. Impensable pour eux de traiter un sujet aussi délicat dans le cadre d’une niche parlementaire, qui limite à une journée les discussions sur les propositions de loi choisies par les groupes d’opposition. Chez LR, d’autres députés ont fait part de leur désaccord avec ce groupe d’irréductibles. « Si l’occasion m’est donnée de pouvoir voter, je voterai pour ce texte », a affirmé le député LR de l’Oise, Eric Woerth.
Débattre, puis voter. La majorité des élus ne souhaitait que cela. Pour sa première prise de parole devant l’Hémicycle, Olivier Falorni n’a pas lésiné sur la mise en scène. Deux piles imposantes de dossiers contenant les 4 000 amendements du texte ont été placées devant lui, à la tribune. « Ces feuilles n’ont qu’un but : empêcher l’Assemblée nationale, empêcher les représentants de la nation, les députés, de voter ici, souverainement ! », a t-il clamé. « Les premières discussions sur l’euthanasie sur ces bancs datent de 1978. (…) Laissez-nous voter ! », a renchéri son homologue de La France insoumise (LFI), Caroline Fiat. Ovationné, M. Falorni a lui-même fait applaudir tour à tour ses collègues Jean-Louis Touraine (LRM), Caroline Fiat et Marine Brenier (LR), tous auteurs de plusieurs PPL similaires depuis 2017.
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Un casus belli en perspective
Le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, s’est, lui, montré beaucoup moins expansif. Tout juste a-t-il avoué regretter l’attitude de ces députés LR, en affirmant que « l’obstruction parlementaire d’aujourd’hui, [c’était] souvent les grandes victoires parlementaires de demain ». A travers lui, la position du gouvernement se voulait claire : « A l’heure où notre pays est engagé dans une course contre la montre pour vacciner les Français et vaincre un virus [le SARS-CoV-2] qui a déjà fait tant de victimes, je ne suis pas convaincu (…) qu’il nous faille ouvrir aujourd’hui un débat de cette envergure », a-t-il défendu, en soulignant pourtant que « le débat [méritait] d’avoir lieu ». M. Véran a donc formulé un avis de sagesse, s’en remettant à la décision des élus, notamment ceux de la majorité, très investis dans les débats.
A la reprise de la séance, la tactique parlementaire a repris le pas sur le débat. Les députés LR ont monopolisé le temps de parole pour défendre leurs amendements et compromettre l’adoption du premier article, évoquant, ad nauseam, les mêmes raisons pour faire valoir leur opposition. De quoi agacer le groupe Libertés et Territoires, qui avait prévu d’examiner une troisième proposition de loi sur la spéculation foncière en Corse, après celle sur les langues régionales adoptée en milieu d’après-midi.
Deux camps se sont affrontés : les partisans d’une « ultime liberté » pour le choix de la fin de vie face aux défenseurs du cadre législatif actuel, voyant dans le texte de M. Falorni « une rupture éthique ». M. Véran, pour sa part, a confirmé le lancement « d’un nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie » dans les prochains jours. « Mieux faire connaître la loi actuelle aux professionnels et aux accompagnants sera le fil conducteur de ce plan », a-t-il précisé. « Reconnaissez que les doutes sont aussi largement partagés sur ces bancs et à l’extérieur de l’Hémicycle », a lancé la députée LRM des Yvelines, Aurore Bergé. Ce sont 25 députés LRM qui ont voté pour la suppression de l’article 1er du texte, dans un scrutin où 256 députés ont voté contre et 56 pour, soit une écrasante majorité.
Malgré les annonces d’Olivier Véran, une partie de la majorité reste en effet convaincue qu’il est nécessaire de légiférer avant la fin du quinquennat. Un casus belli en perspective pour le président du groupe LRM, Christophe Castaner, sous la pression de certains de ces députés qui veulent exiger de Matignon un texte sur le sujet dans les prochains mois. Plusieurs députés, dont Jean-Louis Touraine, ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils ne lâcheraient pas cette position. « L’heure est venue de légiférer sur la fin de vie. Il n’est pas possible de repousser ce sujet lors de la prochaine campagne présidentielle », a déclaré M. Touraine à la tribune de l’Assemblée. « Ce texte si essentiel peut être voté rapidement. Il suffit que le gouvernement le reprenne et le fixe à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il le doit », a ajouté sur Twitter le vice-président LRM de l’Assemblée nationale, Hugues Renson.
**Le débat sur la fin de vie transcende les clivages au Parlement
Une nouvelle proposition de loi en faveur de l’euthanasie doit être examinée le 8 avril à l’Assemblée nationale. Des parlementaires de tous bancs s’allient face aux réticences du gouvernement.
Temps de Lecture 5 min.
Il y a des passages vers l’ailleurs qui sont parfois accompagnés d’un dernier message. Celui laissé par l’ancienne secrétaire d’Etat Paulette Guinchard-Kunstler est éthique et politique. Souffrant d’une maladie incurable, l’ex-députée socialiste a décidé de mourir par recours au suicide médicalement assisté, le 4 mars, en Suisse. En 2005, elle s’opposait pourtant à ce que l’euthanasie soit légalisée en France, dans une tribune publiée dans Le Monde.
Pour Olivier Falorni, député du groupe Libertés et territoires, « son courage dans la souffrance et sa manière d’assumer son évolution de point de vue rappellent qu’il y a urgence à légiférer sur la fin de vie, pour que puissent choisir celles et ceux qui sont condamnés ». Alors que l’euthanasie active a été légalisée jeudi 18 mars en Espagne, M. Falorni portera le 8 avril dans l’hémicycle une proposition de loi très attendue à ce sujet. Pour la défendre se dresse avec lui un front parlementaire d’élus de tous bords, de La France insoumise (LFI) jusqu’au parti Les Républicains (LR).
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Le combat autour de la fin de vie n’est pas nouveau. Il gagne en revanche du terrain au sein des deux Chambres parlementaires. Rien que depuis 2017, quatre élus ont déposé des propositions de lois très proches : l’« insoumise » Caroline Fiat (en 2017), le « marcheur » et président du comité de réflexion sur la fin de vie Jean-Louis Touraine (en 2017), la sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie (en 2020) et la députée LR Marine Brenier (en 2020).
Le débat infuse de plus en plus, y compris au sein de la droite conservatrice. « Le rejet de la proposition socialiste au Sénat, par une courte majorité de 19 voix, le 11 mars, démontre qu’une évolution d’opinion majeure a eu lieu », soutient MmeBrenier. Si l’union est rendue possible, c’est en raison d’un constat partagé sur la loi Claeys-Leonetti, adoptée en 2016, renforçant la loi de 2005 sur l’euthanasie passive. « Elle ne suffit pas. Le texte a certes permis des avancées, mais il n’a pas donné sa voix au patient, laissant de côté nombre de souffrances », résume M. Touraine, professeur de médecine.
L’opinion très favorable
Pour convaincre du besoin de faire évoluer la législation, les élus présentent d’abord les chiffres qui témoignent d’un soutien très fort de l’opinion publique au principe d’euthanasie active. « Quatre-vingt-seize pour cent des Français se disent favorables à une évolution du droit en la matière, au-delà des considérations politiques et religieuses de chacun », avance Marie-Pierre de La Gontrie, d’après un sondage Ipsos de 2019.
Autre argument avancé, celui du retard accusé par la France sur ses voisins européens. Alors que la Belgique, la Suisse et les Pays-Bas ont été précurseurs en matière de droit et d’accompagnement à la fin de vie depuis vingt ans, que l’Espagne vient de légiférer et qu’une loi vient d’être examinée au Parlement portugais, le député Jean-Louis Touraine estime qu’« il est inconcevable que le pays des droits de l’homme se saisisse avec une telle lenteur et frilosité du sujet ». En proposant de compléter les dispositifs déjà existants, l’objectif est aussi d’éviter les dérives. « Quand on sait que la Belgique commence à refuser les trop nombreux patients français qui viennent s’exiler pour mourir », appuie Caroline Fiat, et que « 2 000 à 4 000 euthanasies clandestines ont lieu chaque année en France, indique Olivier Falorni, notre combat vise simplement à instaurer une liberté supplémentaire ».
Caroline Fiat fustige « les fausses excuses récurrentes du gouvernement »
L’avenir de la proposition de loi se jouera dans la majorité. De nombreux députés La République en marche (LRM) ont déjà annoncé leur intention de voter le texte de M. Falorni, alors qu’ils siègent dans un autre groupe. En 2021, ils étaient 167 à avoir cosigné la proposition de loi portée par leur collègue Jean-Louis Touraine, « très proche de celle qui arrive bientôt ». Ces députés sont aujourd’hui enclins à amender la proposition de loi du député Falorni et à la voter.
Mais l’exécutif serre les dents. Le premier ministre et le ministre de la santé ont fait savoir, jeudi 11 mars devant le Sénat, qu’ils ne souhaitaient pas, aujourd’hui, appuyer une telle mesure. Arguant vouloir plus de recul sur la loi Claeys-Leonetti, Olivier Véran a annoncé le lancement d’un « cinquième plan national de développement des soins palliatifs », et a ajouté que la période de crise sanitaire n’était « pas un moment opportun » pour légiférer sur l’euthanasie. Un argument jugé irrecevable par les parlementaires.
« Depuis un an, nous sommes confrontés quotidiennement à la mort, cela fait remonter sans cesse la question de la dignité dans la fin de vie », rétorque Mme de La Gontrie. Caroline Fiat dénonce ainsi « les fausses excuses récurrentes du gouvernement » avancées pour tenter de bloquer « toute initiative législative portée hors de la majorité ».
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Rendez-vous manqué pour le président ?
Certains macronistes, comme Christophe Castaner, se retrouvent en position d’inconfort, coincés entre leur opinion personnelle favorable et leur rapport avec le gouvernement. Le président du groupe LRM de l’Assemblée souhaite appliquer un principe de précaution éthique. « C’est un sujet bioéthique qui heurte une partie de la population. Certes petite, mais qui heurte quand même. Il faut donc se laisser le temps de débattre », estime M. Castaner. Même s’il prône « la liberté de vote » du groupe sur ce texte « de conscience », il a annoncé la tenue, samedi 20 mars, d’un débat en son sein.
Un échange qui arrive « bien tard », selon Jean-Louis Touraine. Il déplore une occasion politique manquée par Emmanuel Macron sur cette question de société. « Contrairement à la question de l’IVG, du mariage pour tous ou encore de la peine de mort, ce sujet n’attise pas des passions contraires. En le portant, le chef de l’Etat aurait donné une image d’un président à l’écoute des Français », affirme le député.
Convaincu que la loi aboutira, Olivier Falorni affirme de son côté que « 2021 sera à la fin de vie ce que 1974 a été à l’IVG ». Selon Marine Brenier, le seul souci reste d’éviter l’accident politique de l’obstruction parlementaire, notamment au sein de son groupe (LR). La présidente (LRM) de la commission des lois de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, qui a apporté son soutien au texte, salue en tout cas ce dépassement des clivages parlementaires, qui est, selon elle, « celui qui permet d’acter chaque grande avancée de société ».
Si les députés LRM votent la proposition de loi le 8 avril, le texte ira-t-il au bout de la procédure parlementaire ? L’engouement médiatique et les dernières prises de position de personnalités, de l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoë à la chanteuse Françoise Hardy, peuvent peut-être y aider. Sous l’impulsion du Parlement et la pression de l’opinion, le gouvernement pourrait être tenté de revoir sa position.
***« Nous sommes parlementaires Les Républicains (LR) et nous sommes favorables à l’aide active à mourir »
TRIBUNE
Collectif
Alors que l’euthanasie devrait revenir en débat à l’Assemblée nationale, un collectif de députés et sénateurs Les Républicains, à l’initiative de Marine Brenier, députée des Alpes-Maritimes, se déclare, dans une tribune au « Monde », favorable à l’évolution de la loi vers une « aide active à mourir ».
Publié le 29 mars 2021 à 13h55 Temps de Lecture 2 min.
Tribune. Nous sommes parlementaires Les Républicains (LR) et nous sommes favorables à l’aide active à mourir. Nous militons pour la liberté. Celle qui permet à une personne de décider de mettre fin à ses souffrances dignement, entourée des siens. Car il n’est pas acceptable que, dans le pays des droits de l’homme, nous continuions d’ignorer la douleur de ceux, de plus en plus nombreux, qui décident de traverser nos frontières pour aller mourir en Belgique ou en Suisse.
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Entre 89 % et 96 % des Français se disent favorables au fait d’accorder ce droit à qui le souhaite. Nous devons leur répondre, tout en encadrant une décision qui reste intime, personnelle, dans le respect de la liberté de conscience de nos soignants. Suivons l’exemple de l’Espagne, du Portugal, de la Belgique, des Pays-Bas et de la Suisse.
Une opportunité législative s’offre à nous
En France, nous mourons mal. Notre pays connaît le plus haut taux de suicide d’Europe chez nos aînés. Entendons ce cri d’alerte ! Depuis plusieurs mois, nous soutenons cette avancée, à travers le dépôt d’une proposition de loi et l’organisation d’un voyage parlementaire, au cours duquel nous avons consulté des responsables médicaux, associatifs, politiques et spirituels belges qui ont engagé cette discussion il y a près de vingt ans, afin d’avoir le retour nécessaire pour nos futurs débats.
Nous recevons des centaines de témoignages nous réclamant cet acte d’humanité et ils méritent d’être entendus ! Aujourd’hui, une opportunité législative s’offre à nous. Le Sénat, lors de son récent vote sur le sujet, fait état d’un faible écart entre les différentes positions, ce qui laisse entrevoir un réel espoir quant à l’issue du texte prochainement débattu à l’Assemblée nationale.
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Nous devons défendre notre positionnement et ce en quoi nous croyons. Engageons-nous pour une fin de vie digne et pour offrir une liberté nouvelle à ceux qui le souhaitent, dans le respect des convictions de chacun.
Les signataires de cette tribune sont rattachés au groupe parlementaire Les Républicains : Edith Audibert, députée de la 3e circonscription du Var ; Bruno Belin, sénateur de la Vienne ; Sandra Boëlle, députée de la 14e circonscription de Paris ; Sylvie Bouchet Bellecourt, députée de la 2e circonscription de la Seine-et-Marne ; Marine Brenier, députée de la 5e circonscription des Alpes-Maritimes ; Patricia Demas, sénatrice des Alpes-Maritimes ; Marc Laménie, sénateur des Ardennes ; Frédérique Meunier, députée de la 2e circonscription de Corrèze ; Maxime Minot, député de la 7ecirconscription de l’Oise ; Bérengère Poletti, députée de la 1re circonscription des Ardennes ; Nathalie Porte, députée de la 3e circonscription du Calvados ; Robin Reda, député de la 7e circonscription de l’Essone ; Laurence Trastour-Isnart, députée de la 6e circonscription des Alpes-Maritimes ; Cédric Vial, sénateur de Savoie ; Stéphane Viry, député de la 1re circonscription des Vosges.
Collectif
Loi sur la fin de vie : « Nous refusons d’être le bras armé de cette idéologie mortifère »
TRIBUNE
Gisèle Chvetzoff
Oncologue, professeure de médecine palliative, Centre Léon-Bérard, Lyon
A toujours évoquer la dignité quand il s’agit de la mort choisie et anticipée, on finira par ancrer dans l’inconscient collectif que seule cette façon de mourir est respectable, écrit un collectif de médecins et soignants emmené par la professeure de médecine palliative Gisèle Chvetzoff, dans une tribune au « Monde ».
Publié aujourd’hui à 15h00 Temps de Lecture 4 min.
Tribune. Alors que le paysage médiatique tout entier est accaparé par la lutte contre la pandémie, que les autorités sont sommées de faire disparaître tout risque de mourir du Covid-19, y compris au prix d’une restriction des libertés jamais égalée depuis la seconde guerre mondiale, voici que revient devant les parlementaires une proposition de loi visant à autoriser, dans certaines conditions, une aide active à mourir.
Cette proposition se fonde précisément sur la liberté de décider pour soi, la capacité de chacun de considérer que sa vie vaut ou non la peine d’être encore vécue, et sur la petite musique martelée à l’envi depuis plusieurs années, « on meurt mal en France », encore reprise en entame de l’exposé des motifs soumis aux parlementaires.
Peur de souffrir
Meurt-on mal en France ? C’est hélas parfois vrai, en particulier quand les structures ou les professionnels qui reçoivent les patients n’ont pas été amenés à penser ni à intégrer la question de la fin de vie dans leur activité, quand le personnel manque, quand la formation initiale est si pauvre et la formation continue trop rare.
C’est même parfois vrai dans les services spécialisés, parce qu’aucun service ni aucun professionnel ne peut prétendre avoir une réponse toujours ajustée, toujours satisfaisante, ni avoir la capacité, comme le dit pourtant la loi Claeys-Leonetti (2016), d’« éviter toute souffrance ». La souffrance existe, nous la rencontrons quotidiennement et vouons notre vie professionnelle à l’atténuer et à l’accompagner.
Nos patients demandent-ils à mourir ? Extrêmement peu en font une demande répétée. Quand cette demande persiste, quelles en sont les motivations ? Les rapports officiels des Etats dans lesquels l’euthanasie est possible montrent que c’est la perte d’autonomie, la perte de sens, le sentiment d’indignité, le sentiment d’être une charge, la peur de le devenir ou de souffrir qui en sont le moteur, bien plus que les symptômes physiques, sans compter le nombre croissant de patients américains qui demandent à recourir au suicide assisté par manque de moyens pour assumer le coût de leurs soins…
Marionnettes du (néo)libéralisme
Tout cela est en effet source de souffrance, et pouvoir l’entendre honnêtement est nécessaire et difficile. Mais la seule réponse « digne » est-elle la suppression de celui qui le vit ? Le seul « courage » est-il le passage à l’acte ? Qui parle aujourd’hui du courage et de la dignité de ceux que nous accompagnons et qui forcent notre respect, de l’écrasante majorité des personnes en fin de vie qui ne demandent pas à accélérer les choses mais vivent, tout simplement, portées encore par l’essentiel de la vie, la relation humaine, avec leurs proches ou avec leurs soignants ? Sont-ils des égoïstes qui imposent à leurs proches le poids de leur maladie, et à la société la charge de leurs soins ? Encombrent-ils les hôpitaux, comme on l’a entendu récemment des malades du Covid en réanimation ? Vaut-il mieux « débarrasser le plancher » ?
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A toujours évoquer la dignité quand il s’agit de la mort choisie et anticipée, on finira par ancrer dans l’inconscient collectif que seule cette façon de mourir est respectable et digne, quand on a cessé ou que l’on va bientôt cesser d’être jeune, performant et rentable.
Après l’hôpital-entreprise, dont on paie aujourd’hui le prix fort, après les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à but lucratif comme source de placement à fort rendement, dont on a vu au printemps dernier les conséquences, faudra-t-il maintenant que les patients deviennent les autoentrepreneurs de leur propre mort, en demandant l’euthanasie ? Ceux qui demandent le changement de la loi au nom du libéralisme « sociétal », ou « progressiste », et, nous n’en doutons pas, avec la volonté de bien faire, ne voient-ils donc pas qu’ils sont les marionnettes du (néo)libéralisme économique ?
Une option
On ne peut plus faire semblant de croire que l’enjeu n’est qu’individuel. La souffrance l’est, elle mérite absolument notre plus grand respect, notre présence et nos efforts continus. Mais lorsque la médecine est sommée de guérir, ou sinon de faire mourir, c’est bien de biopouvoir qu’il s’agit et bien plus abouti que ne l’avait pensé le philosophe Michel Foucault (1926-1984).
L’écrivain suédois Carl-Henning Wijkmark (1934-2020) l’avait déjà imaginé dès 1978 dans son roman La Mort moderne, que tous les parlementaires devraient lire avant de voter. Nous en voulons pour preuve aujourd’hui les évolutions observées en Belgique, où des médecins proposent l’euthanasie comme option à des patients qui ne demandent rien.
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Nous en voulons pour preuve également cette phrase mise en exergue d’un article du New England Journal of Medicine, la plus prestigieuse revue médicale internationale, en 2015, au moment du changement de la loi au Canada, et intitulé, bien entendu, « Unanimité sur la mort dans la dignité » : « Les sociétés sont en train de changer et, dans les prochaines décennies, les populations âgées, avec une affluence et une incidence croissante de maladies chroniques, vont de plus en plus questionner l’orthodoxie médicale et légale concernant la fin de vie. »
Nous sommes médecins, oncologues, professionnels de soins palliatifs, soignants, philosophes de la santé. Nous refusons d’être le bras armé de cette idéologie mortifère. Nous ne pratiquerons pas ni ne cautionnerons ce geste.
Retrouvez ici liste des cosignataires de la tribune.
Gisèle Chvetzoff(Oncologue, professeure de médecine palliative, Centre Léon-Bérard, Lyon)
Loi sur la fin de vie : « Cette proposition de loi ne peut être considérée comme la seule réponse à cet enjeu »
Réactions à cet article:
- Voici une tribune du Monde intéressante pour le débat sur la loi sur la fin de vie. En tant que citoyen et gériatre, j’en partage le contenu. (Julien Vernaudon Gériatre)
- Merci pour la transmission de cette tribune.Le combat me semble aussi dans ces prises de positions courageuses qui permettent de ne pas replier nos pensées sur ce dont on est abreuvés quotidiennement, et d’ouvrir au contraire les fenêtres en grand, de ne pas se satisfaire de ce qui nous est présenté comme une « évidence naturelle ». (Nathalie Ferrand Chirurgien dentiste)
- Ben oui, le libre arbitre c’est bien, mais reste à savoir si c’est un absolu ou s’il faut savoir protéger les gens d’eux-mêmes quand le contexte les conduit à exprimer des choix contingent. Le libre arbitre c’est aussi la métaphysique du bourreau (je crois que c’est de Nietzsche mais je ne suis pas sûr). L’euthanasie comme limite du biopouvoir ou comme extension du domaine du biopouvoir? J’ai tendance à pencher pour la seconde solution. Quelle est cette bizarrerie qui contre l’évidence fait que tant de nos concitoyens croient que l’acharnement et plus fréquent que la désespérante limitation des soins (du cure autant que du care), et surtout dans ces temps de choix tragiques rationalisés par les -croyances sur la qualité de vie et l’utilité sociale? Je partage aussi cette trib une. (Jean-Pascal Devailly Réadaptation fonctionnelle)
- Quand la loi Léonetti dit « abréger toute souffrance » c’est illusoire, la souffrance existentielle existe et la médecine n’y peut rien : regret de terminer sa vie (qui passe si vite), regret de ne pas avoir aimé quelqu’un, de ne pas le lui avoir dit, regret d’une vie gâchée avec quelqu’un et de le lui avoir dit, regret des actes manqués, etc… On donne à la médecine beaucoup trop de pouvoir… La souffrance physique, quant à elle, n’est pas assez traitée et prise en compte : combiens de gens meurent sans assistance médicamenteuse suffisante (morphine, BZD), sans oxygène (Covid ou autre), sans personne pour tenir la main, embrasser ou caresser la joue….etc…Le manque cruel de personnels fait que la mort est brutale et violente pour beaucoup d’agonisants….à cause du capitalisme. Nous devons nous battre contre ce système barbare. Mais quand un patient est au bout du bout, cachectique et peu soulagé, je n’ai aucun scrupule à avancer plus vite le pousse seringue, en accord bien sûr avec l’équipe soignante et la famille, quand elle est là…est-ce de l’euthanasie ? Peut-être, si vous voulez mettre des étiquettes… un simple geste d’humanité pour abréger la souffrance finale inutile ? Oui. Et d’expérience, souvent, le patient meurt dans les heures suivantes après un coma, au bout de 2-5-10-15 ou max 24h. Chaque patient est différent. C’est un sujet où la généralisation est erronée. N’oublions pas que ceux qui font actuellement de l’obstruction à l’Assemblée sont des LR avec un courant réactionnaire de catholiques intégristes pour qui toute souffrance est bonne car rédemptrice, à l’image du Christ sur la croix et qui ont voté tous les plans de restriction des services publics, notamment hospitaliers. Donc les positions extrêmes sur ce sujet d’un côté ou de l’autre sont à bannir : d’un côté les partisans de l’euthanasie, exterminateurs en puissance (comme les nazis), de l’autre, les religieux pour qui les soins palliatifs seuls suffisent, y compris dans l’inconfort et la douleur soi-disant rédemptrice. Je suis en désaccord avec ces deux positions extrêmes. Il faut de la nuance, des moyens et beaucoup de présence, de l’humanité. Mon père n’a pas bénéficié de soignants très réactifs en EHPAD ; un jour qu’il était cyanosé car en détresse respiratoire (pneumopathie), ils ont mis des heures à le mettre sous oxygène et il a souffert dans les derniers mois de sa maladie d’Alzheimer. Il n’était bien qu’en présence de sa femme ou de nous parfois, ses fils, sauf dans les dernières heures où je pense, il ne recevait plus de signes de l’extérieur… On devrait soigner nos patients comme on prend soin des nôtres, avec amour et la collectivité devrait donner tous les moyens matériels pour atténuer le plus possible l’angoisse d’un manque de moyens. patrickdubreil@free.fr
TRIBUNE
Alain Claeys – Parlementaire honoraire, coauteur de la loi sur la fin de vie de 2016
En quatorze ans, de 2002 à 2016, le législateur a voté trois lois qui ont significativement renforcé les droits des malades. Alors qu’une proposition de loi sera débattue le 8 avril à l’Assemblée nationale, Alain Claeys, coauteur de la loi sur la fin de vie de 2016, revient dans une tribune au « Monde » sur les progrès accomplis et ceux qu’il reste à faire.
Publié hier à 14h10 Temps de Lecture 3 min.
Tribune. Mourir dans la dignité : personne ne souhaite le contraire. La question est de savoir comment y parvenir. Aborder un tel sujet nécessite une grande modestie, un refus de toute simplification, une volonté constante de respecter l’autonomie de la personne, et la nécessité absolue d’une solidarité collective. En quatorze ans, de 2002 à 2016, le législateur a voté trois lois qui ont significativement renforcé les droits des malades.
Ces lois ont posé le principe de consentement éclairé du patient aux actes et traitements, proscrivent l’obstination déraisonnable. La loi de 2016 a, notamment, clarifié les conditions de l’arrêt des traitements au titre du refus de l’obstination déraisonnable, instauré un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme, et rendu les directives anticipées du patient opposables. Elles ont aidé à approfondir les rapports entre patient, famille et médecin.
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Assurément, ces trois lois ont renforcé la place du citoyen dans le système de santé, elles clarifient l’accompagnement médical dont il bénéficiera. Leurs élaborations ont surtout marqué un « changement de paradigme », car elles sont nées d’une large concertation : associations de patients, familles, chercheurs, communauté médicale, association « pour le droit à mourir dans la dignité », courants philosophiques, autorités religieuses…
Les inégalités territoriales ou sociales dans la prise en charge
Parallèlement, le Comité consultatif national d’éthique a été amené à réfléchir à plusieurs reprises sur ces questions au cours de ces vingt dernières années. Il a ainsi recommandé « la nécessité de faire cesser toutes les situations d’indignité qui entourent trop souvent la fin de vie ». Ces dispositions législatives nécessitent plus que jamais une campagne d’information au plus près de nos concitoyens et une évaluation précise.
En effet, ne nous cachons pas la vérité : nous connaissons tous, parmi nos familles et nos proches, des femmes et des hommes qui ont une fin de vie indigne. Les raisons en sont multiples. Elles sont parfois accentuées par les inégalités territoriales ou sociales dans la prise en charge.
Des progrès ont été réalisés mais ils doivent être aujourd’hui significativement accentués. Prenons le renforcement des soins palliatifs. Le Centre national des soins palliatifs, créé par Marisol Touraine en 2016, connaît toujours, malgré les efforts réalisés, un accès inégalitaire : vingt-six départements ne disposent pas d’unités de soins palliatifs, des disparités existent au sein du secteur sanitaire, ainsi qu’entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social.
Mise en place rapide du plan national sur les soins palliatifs
Si d’indéniables progrès ont été permis, de nettes améliorations demeurent donc nécessaires. Les progrès ont privilégié les structures hospitalières : il est indispensable que l’offre de soins palliatifs se développe de façon importante dans les structures médico-sociales. S’agissant des Ehpad, il est prioritaire de donner aux équipes mobiles de soins palliatifs les moyens d’intervenir plus encore. Bien entendu, la formation des personnels soignants doit être renforcée.
Mieux répondre à l’exigence de mourir dans la dignité : tel a été l’objectif du législateur depuis 2002. Nous devons aujourd’hui concentrer toutes nos énergies à ce que les mesures adoptées se traduisent dans les faits. Cela passe par un renforcement des liens entre l’hôpital, les équipements médico-sociaux, le domicile. Le 11 mars 2021, le ministre de la santé et des solidarités, Olivier Véran, a annoncé un nouveau plan national de développement des soins palliatifs, et des mesures pour améliorer la formation des professionnels de santé sur la thématique de la fin de vie. Ce plan devra être mis en place au plus vite.
Je pense que le Parlement a également un rôle éminent à jouer dans l’évaluation de cette politique, et je suis convaincu qu’à l’épreuve du réel le cadre législatif évoluera. Aujourd’hui, un certain nombre de parlementaires ont déposé une proposition de loi sur l’euthanasie (« assistance médicale active à mourir »), proposition qui sera débattue en séance publique ce jeudi 8 avril à l’Assemblée nationale.
Approfondir la notion « d’exception d’euthanasie »
Ce débat provoquera des tensions et des simplifications, d’autant plus vives que les parlementaires débattent dans un temps extrêmement court. Le moment imposé par le calendrier parlementaire n’est donc pas des plus opportuns. Cette proposition de loi ne peut être considérée comme la seule réponse à cet enjeu.
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De même que la loi de 2005 a fait l’objet d’une évaluation par le Parlement, la loi de 2016 nécessitera la même évaluation. A cette occasion, les soins palliatifs et la formation du personnel soignant devront être examinés. La notion « d’exception d’euthanasie », qui permettrait un traitement au cas par cas sans pour autant dépénaliser l’euthanasie, devra être à nouveau approfondie.
C’est au regard de cette évaluation que le Parlement pourra apporter les modifications législatives pour toujours mieux répondre à la demande de nos concitoyens à mourir dans la dignité.
Alain Claeys(Parlementaire honoraire, coauteur de la loi sur la fin de vie de 2016)
Suicide assisté : « Il suffirait que le seul produit qui permette une mort douce soit susceptible d’être prescrit par les médecins pour que tout obstacle disparaisse »
TRIBUNE
François Galichet – Universitaire
Le philosophe François Galichet rappelle, dans une tribune au « Monde », que si l’assistance au suicide est légale en France, il n’est pas possible aujourd’hui de fournir aux patients le pentobarbital.
Publié le 17 mars 2021 à 05h00 – Mis à jour le 17 mars 2021 à 09h03 Temps de Lecture 4 min.
Tribune. Dix membres de l’association Ultime liberté, dont moi-même, viennent d’être mis en examen pour avoir aidé des personnes, après avoir vérifié leur volonté et leur lucidité, à se procurer à l’étranger du pentobarbital, le produit permettant de quitter la vie dignement.
Il y a là un paradoxe. Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, l’assistance au suicide est légale en France. D’abord pour des raisons de principe : le suicide n’étant pas un délit, l’assistance à un acte qui n’est pas un délit ne saurait en être un. C’est pourquoi les poursuites à ce sujet ont toujours recouru au subterfuge juridique d’un autre article du code pénal : celui qui punit la « non-assistance à personne en danger ».
Mais ici encore, les difficultés sont grandes. L’aide à une personne qui se met volontairement en danger, en pleine conscience de ce qu’elle fait, n’est pas punissable, sinon, il faudrait poursuivre les moniteurs d’alpinisme, les fournisseurs de matériel d’escalade et autres sports extrêmes ! On suppose donc que la personne est en danger, non du fait de sa propre volonté, mais du fait d’une maladie qui altère son jugement (dépression, schizophrénie, etc.) ou de pressions insistantes qu’elle aurait subies (« abus de faiblesse »).
Jurisprudence bien établie
Si l’on peut prouver la pleine lucidité et capacité de jugement de la personne, alors il ne saurait y avoir de délit. C’est ce qu’a jugé, en novembre 2016, la cour d’appel de Lyon (jugement confirmé en cassation). Il a acquitté Jean Mercier, qui avait aidé sa femme à prendre les médicaments lui permettant de mourir quand elle l’a souhaité. C’est ce qu’a estimé l’officier de police judiciaire qui, à Grenoble, a décidé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre les proches d’André Béranger, un enseignant et militant très populaire dans son quartier. Ils l’avaient assisté pareillement ; il avait annoncé publiquement son intention de se suicider, du fait d’une grave maladie dégénérative.
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C’est enfin ce que semblent avoir estimé les juges du parquet de Paris, qui poursuivent les dix membres de l’association Ultime liberté, dont je suis, pour « complicité d’acquisition et d’importation de substances illicites » et « propagande en faveur d’un produit susceptible d’entraîner la mort ». Ils n’ont pas retenu l’incrimination d’avoir été présents « jusqu’au bout » auprès de personne ayant décidé librement de quitter la vie – alors que nous n’avions pas caché ce point lors de nos gardes à vue.
Il semble donc y avoir désormais une jurisprudence bien établie pour considérer que l’assistance au suicide est légale, si la volonté et la lucidité du jugement de la personne aidée sont clairement prouvées par son adhésion à l’association, par un écrit qu’elle laisse après sa mort, par les témoignages de proches, par l’accompagnement que nous menons auprès d’elle, etc.
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Et c’est bien là que le bât blesse. Dans l’état actuel du droit français, on peut aider une personne à mourir, par exemple en se tirant un coup de fusil, à condition de ne pas appuyer sur la détente, ou en se jetant par la fenêtre, à condition de ne pas la pousser. Mais on ne peut pas l’aider en lui procurant le seul produit permettant une mort douce, non violente, non traumatisante pour les autres, préservant sa lucidité jusqu’au bout (contrairement à la sédation terminale de la loi Claeys-Leonetti), entourée de ses proches auxquels elle aurait tout le temps de dire adieu.
Carence des pouvoirs publics
Il suffirait que le pentobarbital soit susceptible d’être prescrit par les médecins, comme c’est le cas en Suisse et en Belgique, pour que tout obstacle disparaisse et que la France se retrouve, sans voter aucune loi, dans la situation de la Suisse. Car l’autorisation de prescrire un médicament ne relève pas de la loi, mais de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). En France, le pentobarbital a été prescriptible durant des décennies comme tranquillisant. Si on l’a interdit, ce n’est pas seulement parce que d’autres médicaments plus performants sont apparus sur le marché ; c’est aussi et surtout parce qu’à forte dose il permettait de se donner la mort – acte encore une fois parfaitement légal.
L’ANSM est une autorité indépendante. Son conseil d’administration comprend 27 membres et fixe « les orientations de la politique de l’agence ». Les voix sont réparties à parité entre les représentants de l’Etat (9 membres, 18 voix) et les 18 autres membres, parmi lesquels des parlementaires, des professionnels de santé et des représentants des patients. Rien ne les empêche de décider la remise sur le marché du pentobarbital.Article réservé à nos abonnés
S’il était à nouveau autorisé dans la médecine humaine, comme en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas, son usage à des fins létales serait contrôlé par le fait que seul un médecin pourrait le prescrire. Ce médecin, choisi par le demandeur, pourrait être assisté, comme en Suisse, par la personne de confiance et des bénévoles membres d’une association agréée, chargés d’accompagner la personne dans sa réflexion et la vérification de sa volonté. Et comme en Suisse, un contrôle a posteriori, éventuellement assuré par un juge, pourrait s’assurer que les conditions de volonté et de lucidité de la personne ont été respectées. Ce serait nettement mieux pour la santé publique que la situation actuelle où des centaines de personnes cherchent à se procurer le produit à l’étranger via Internet, au risque d’être victimes d’escroqueries et de recevoir un produit frelaté.
En aidant et accompagnant certaines d’entre elles, les membres d’Ultime liberté n’ont fait que suppléer à une carence des pouvoirs publics. Loin d’être poursuivis, ils devraient au contraire être félicités pour avoir évité les dérives que la situation actuelle provoque inévitablement ! Leur mise en examen ne peut que mettre l’Etat face à ses responsabilités : ou bien laisser se prolonger une situation dangereuse du point de vue sanitaire et douloureuse du point de vue moral ; ou bien prendre les mesures, réglementaires ou législatives, pour permettre un usage raisonné et contrôlé du pentobarbital.
François Galichet est ancien vice-président de l’association Ultime liberté et professeur honoraire à l’université de Strasbourg. Il a notamment écrit « Qu’est-ce qu’une vie accomplie ? » (Odile Jacob, 2020).
François Galichet (Universitaire)
POINT DE VUE. « Euthanasie : on doit s’interroger sur la nature de la liberté »
Jacques Ricot, auteur de Penser la fin de vie (Hygée, 2019), revient sur la question de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté.
Ouest-France Jacques Ricot.Publié le 02/04/2021 à 07h01
Le pays, dans un choix assumé de remarquable humanité, a donné la priorité absolue à la protection de ses membres les plus vulnérables. Mais alors que tant d’autres questions graves et pressantes liées à la pandémie mobilisent les énergies, certains parlementaires choisissent de procéder à une offensive visant à obtenir la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté.
Ce n’est pas un mince paradoxe. La question n’avait pas fait l’objet d’une promesse de campagne de l’actuel président de la République. Où serait donc l’urgence ? A-t-on bien mesuré l’effet produit par l’ouverture d’un tel débat dans le moment présent sur le moral des personnes que l’âge, la maladie, le handicap ont fragilisées ? N’y a-t-il pas une contradiction, et même une indécence, à leur délivrer un bien étrange message : nous nous battons quoi qu’il en coûte
pour protéger votre vie, même très avancée, même très diminuée, mais si vous le désirez, nous vous offrons le moyen de choisir de disparaître ?https://d-16300185864015451609.ampproject.net/2103261048002/frame.html
Personne n’osera dire à voix haute que cette dernière option soulagerait les services de réanimation, engendrerait des économies et donc serait finalement assez altruiste
. C’est pourtant bien là le résultat de l’ouverture de cette alternative, résultat dissimulé derrière le nouvel argument désormais allégué, celui d’un nouveau droit à quitter la vie, droit que devraient honorer, l’État, la société, le corps soignant.
Développer une culture palliative
Mais on doit s’interroger sur la nature de la liberté de la personne qui n’aperçoit pas d’autre choix possible que celui de se supprimer ou d’être supprimée. On est aussi en droit de se demander si le concours du corps social à l’exercice de ce qui se présente comme une liberté ne conduit pas, en réalité, à proposer une offre
singulière et mortifère aux personnes en détresse. Ce droit de quitter la vie serait bien sûr encadré dans une première étape, mais nul ne peut douter que sa dynamique conduirait à demander constamment l’extension de ses indications. Nous devrions être alertés par les témoignages de soignants belges accablés par les dérives de leur législation (1)
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On ne sait pas assez que l’interdiction par la loi de l’obstination déraisonnable permet de laisser la mort survenir sans intervention maltraitante sous le fallacieux prétexte de prolonger une vie qui ne demande qu’à s’éteindre. On ignore trop souvent que les traitements destinés au soulagement de la douleur sont un devoir du médecin même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie
, selon les termes gravés dans le marbre de la loi. Il y a tant à faire pour développer une culture palliative dans la totalité de l’exercice médical et d’appliquer enfin ce que le législateur a exigé depuis si longtemps : l’accès aux soins palliatifs.
Hostile à la légalisation de l’euthanasie, Robert Badinter (homme de gauche) a préfacé avec bienveillance un livre de Jean Leonetti (homme de droite) parce que, disait-il, les sujets de la vie et de la mort transcendent les oppositions
(2). Et c’est le député communiste, le regretté Michel Vaxès, qu’il faut entendre lorsqu’il déclarait à la tribune de l’Assemblée nationale : Je refuse d’inscrire dans notre droit que la mort puisse être rangée parmi les ultimes thérapeutiques
.
(1) T. Devos (dir.) Euthanasie, l’envers du décor, Mols, 2019.
(2) J. Leonetti, C’est ainsi que les hommes meurent, Plon, 2015.
Fin de vie : « Il faut arrêter avec ce climat de suspicion d’euthanasie »
Véronique Fournier, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, souligne l’importance du rôle des généralistes.
Quel regard portez-vous sur la situation de ce médecin généraliste normand mis en examen et interdit d’exercice pour avoir administré illégalement du midazolam à des patients en fin de vie ?
Je ne comprends pas pourquoi il a été interdit d’exercice. Jusqu’à preuve du contraire, il n’a rien fait de criminel. Il n’est écrit nulle part que les médecins généralistes n’ont pas le droit de prescrire du midazolam. Simplement, ce médicament n’est pas disponible en pharmacie de ville. Le médecin doit préciser sur son ordonnance qu’il faut aller le chercher à la pharmacie de l’hôpital. La seule chose que l’on peut reprocher à ce médecin est donc de s’être procuré lui-même du midazolam pour en faire bénéficier ses patients, plutôt que de leur délivrer une ordonnance. Qu’y a-t-il de répréhensible à cela ? Quel médecin de ville n’a pas dans sa besace quelques médicaments indispensables pour soulager ses patients en cas d’urgence ? Autrefois, tous avaient un peu de Valium dans leur trousse. C’était la molécule que l’on utilisait pour apaiser l’angoisse des patients en fin de vie. Aujourd’hui, on préfère le midazolam. Suspendre ce médecin, c’est envoyer un message à la population et aux médecins qui ne va pas arranger la prise en charge de la fin de vie à domicile.
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Quel message est, selon vous, envoyé par la justice dans cette affaire ?
Derrière cette mise en cause, je vois une fois de plus une suspicion permanente de mauvaise pratique et de pratique euthanasique. Le midazolam n’est pas un médicament euthanasique. C’est une molécule que l’on donne maintenant quasi systématiquement en association avec la morphine en fin de vie : la morphine pour soulager, le midazolam pour apaiser l’angoisse et endormir. C’est « la » molécule de la sédation en fin de vie. La loi de 2016 est très claire : elle précise que l’accès à la sédation et notamment à la sédation profonde et continue doit être possible même à domicile. Si on ne donne pas les moyens aux médecins de ville de prescrire le midazolam, alors on fragilise la loi. On la vide d’une grande partie de son intérêt.
Quels retours avez-vous sur l’usage de ce produit ?
Aujourd’hui, ce que nous constatons au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, c’est plutôt une sous-prescription qu’une sur-prescription de midazolam. Les médecins n’utilisent le plus souvent le médicament qu’à toutes petites doses, insuffisantes, tellement ils ont peur d’être accusés d’euthanasie. Il faut arrêter avec ce climat de suspicion. Ce sont les patients qui en font les frais.A
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Vous soutenez donc la demande formulée par un collectif de médecins de faciliter l’accès à ce sédatif ?
Il faut absolument rendre possible l’accès au midazolam en pharmacie de ville, comme c’est le cas pour la morphine. C’est une des premières demandes que j’ai fait remonter aux instances concernées dès l’automne 2016, quelques mois après mon arrivée au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Mais depuis, rien n’a changé.
Des médecins en soins palliatifs font valoir que le midazolam est un produit difficile à manier, qui nécessite une formation spécifique et un suivi important auprès du patient…
C’est vrai que c’est une molécule plus nouvelle que d’autres. Elle est aussi particulièrement « volatile », elle s’évapore vite et les doses utiles varient assez fortement d’un patient à l’autre… Mais quand on a fait dix ans de médecine, ce n’est pas très compliqué d’apprendre vite à se servir d’un nouveau médicament. On n’a pas forcément besoin de connaissances très sophistiquées pour aider un patient à s’endormir sereinement en fin de vie. Il ne faudrait pas que cette molécule devienne la propriété d’une spécialité ou d’un ensemble de médecins. On n’aura jamais un médecin de soins palliatifs derrière chaque personne qui va mourir à domicile, ce n’est pas possible… Et par ailleurs, il est essentiel que l’accompagnement de fin de vie continue d’être investi par les médecins généralistes. C’est l’un des beaux côtés de leur métier. Il faut les aider à s’y intéresser plutôt que de tout faire pour les en dissuader.
Voir aussi:
https://jscheffer81.wordpress.com/2020/01/11/debats-sur-la-fin-de-vie-a-domicile/
https://jscheffer81.wordpress.com/2020/01/05/fin-de-vie-sortir-le-midazolam-du-milieu-hospitalier/
https://jscheffer81.wordpress.com/2018/02/28/le-debat-sur-la-fin-de-vie-relance/
A Puteaux, les soins palliatifs se veulent « un vivoir », pas un « mouroir »
L’unité du centre hospitalier Rives-de-Seine soulage la douleur des malades en fin de vie. Les soignants s’assurent aussi et surtout qu’en dépit de la maladie, les patients aient la meilleure vie possible.
Temps de Lecture 8 min.

« Alors monsieur G., c’est fini ! » : la docteure Nathalie de Soultrait s’avance lentement et d’une voix douce s’adresse au défunt : « Monsieur G., on va vous enlever votre pacemaker. » Elle fait le tour du lit, s’approche et répète : « Monsieur G. On va vous enlever votre pacemaker. » La chambre plongée dans la pénombre est décorée d’une orchidée blanche et d’un bromélia rouge. Elle sort. La porte restera entrouverte. Le corps ne sera pas soustrait au regard des visiteurs ou des patients qui passent dans le couloir. Ils verront son visage apaisé à la lueur d’une bougie blanche.
La mort n’est pas cachée à l’unité de soins palliatifs du centre hospitalier Rives-de-Seine à Puteaux (Hauts-de-Seine). « On ne la combat pas. On ne la fuit pas non plus. On la considère comme un processus naturel qui fait partie de la vie », confie Ségolène Perruchio, chef de ce service de douze lits où 250 patients entrent chaque année et dont seul un sur cinq ressort vivant. Deux cents y meurent, soit deux décès tous les trois jours.
Ici, l’ennemie n’est pas la mort mais la douleur. Atteints d’un cancer en phase terminale, d’une maladie incurable, bien des patients requièrent des doses de morphine qui feraient frémir la plupart des services hospitaliers. Malgré l’arsenal de stupéfiants à sa disposition, chaque soignant du service a entendu une fois au moins dans la bouche d’un patient : « Je veux que vous m’aidiez à partir. » « La demande est formulée, observe Marie Simian, psychologue au sein de l’unité. Mais, pour l’immense majorité des patients, elle disparaît dès que la douleur s’apaise. »
Etienne Prache, bénévole aux Petits Frères des pauvres, recueille depuis vingt ans les confidences des patients du lieu : « S’il n’y a plus de souffrance physique, la demande d’euthanasie s’arrête », confirme ce publicitaire à la retraite. « Vous savez que l’unité est un cinq-étoiles des soins palliatifs, s’exclame-t-il. Ici, les malades sont cocoonnés, choyés, entourés. Ils se sentent en sécurité. Dès lors qu’ils n’ont plus mal, ils deviennent comme vous et moi, et même joyeux parfois ! »
Souffrance psychique
Ségolène Perruchio reconnaît qu’« une infime minorité persistent à demander l’euthanasie ». Le plus souvent, ce sont des patients qui ne supportent pas l’idée de la déchéance de leur corps. Certains souffrent de la maladie de Charcot, d’autres de cancers. « Mais dès qu’on leur dit qu’on ne va pas les tuer, que la loi l’interdit, notre réponse provoque paradoxalement un regain d’envie de vivre chez certains », observe-t-elle.
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Se fondant sur ces expériences, Edith De Sa Moreira, médecin à l’unité de soins palliatifs, récuse l’idée que « beaucoup de personnes en fin de vie voudraient être endormies pour ne pas avoir à supporter la mort. Ce n’est pas une réalité à partir du moment où on est disponibles et où on les accompagne ». Toute loi qui créerait le droit au « suicide assisté » supprimerait, soutient-elle, « l’espace qui existe aujourd’hui pour permettre au médecin d’aider le patient à surmonter la peur de mourir, crainte inhérente à toute fin de vie ».
« L’objectif n’est pas que les patients vivent le plus longtemps possible, mais que leur vie soit la meilleure possible », Séglène Perruchio, chef de service
La « sédation profonde et continue jusqu’au décès », autorisée par la loi Claeys-Leonetti de 2016 est-elle davantage demandée ? Pas plus que « deux fois par an », révèle Mme Perruchio. « On ne laisse pas les gens arriver au stade où ils la demandent. On a le plus souvent les moyens de les soulager avec des antalgiques ou des sédations proportionnées pour leur permettre de se réveiller en étant plus confortables. »
Si « l’envie d’en finir » est indexée sur la douleur physique, reste la souffrance psychique. Comment « raccrocher à la vie des gens qui sont morts dans leur tête avant d’être morts dans leur corps ? C’est là notre grand challenge », reconnaît la chef de service. « L’objectif n’est pas que les patients vivent le plus longtemps possible, précise-t-elle, mais que leur vie, malgré la maladie, soit la meilleure possible. » A Puteaux, le défi se relève de plusieurs façons.Article réservé à nos abonnés
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D’abord, il y a le décor des lieux : la teinte taupe des portes des chambres, les chambranles framboise, les fauteuils club en cuir du salon des familles font qu’une fois franchi le seuil la déréliction tend à disparaître. Chaque mercredi, l’odeur du clafoutis ou de la tarte aux pommes contribue aussi à chasser toute idée morbide.
« Non-réponses »
Dans la cuisine, ce 31 mars, une patiente a posé ses cannes de marche pour éplucher les fruits. La fille d’un autre patient prépare un gâteau surprise. Monsieur M. a pris son déambulateur pour aller jeter un œil à l’atelier pâtisserie. « J’en ai fait des hôpitaux, soupire ce Nanterrien. Jamais je n’ai vu une telle disponibilité, une telle gentillesse. Il y a chez les soignants une humanité impressionnante. Cela a forcément un impact positif sur mon état. »
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La tarte aux pommes encore chaude circule de chambre en chambre. Les assiettes sur le chariot sont en porcelaine. « On mange avec les yeux », sourit Malika Ourdi, agent des services hospitaliers. A l’office, elle montre fièrement les plats, verres, ramequins qui permettent de dresser le couvert des patients « comme à la maison ». Chacun déjeune ou dîne à l’heure de son choix. Les repas sont à la carte.
« Ici, on n’accueille pas des malades mais des personnes », insiste Nathalie de Soultrait. « Les gens se rendent compte au bout de quelque temps que l’unité de soins palliatifs n’est pas un mouroir mais au contraire un “vivoir”, presque un endroit gai… » , sourit Mme Perruchio. « Parmi tous les services où j’ai travaillé, assure Juliette Isla, psychomotricienne, l’unité de soins palliatifs de Puteaux est celui où j’ai ressenti le plus de vie. Dans la plupart des services, la mort n’existe pas, du coup, il n’y a pas de vie. Ici, la mort est présente, du coup, il y a de la vie aussi. »

Ce mercredi 31 mars, après sa tournée des chambres, Marie Simian prend le temps d’une pause avec quelques soignants dans le petit local autour d’un café. « En soins palliatifs, confie la psychologue, on est confrontés aux pires angoisses d’abandon, de solitude, de déliaison. On est face à l’impensable, à la catastrophe qui peut survenir à tout instant. Face à cela, on est souvent dans des non-réponses. L’objectif n’est pas de trouver la meilleure solution, c’est d’appliquer la moins mauvaise. » Pour y parvenir, « on se réunit beaucoup, on discute entre nous. On réfléchit tout le temps ».
Travail en binôme
Vendredi 2 avril, la pendule indique 9 heures dans la salle de soins, l’heure des transmissions. Douze blouses blanches font le bilan de la veille et de la nuit, préparent les admissions. Monsieur F., 69 ans, est attendu en fin de matinée. Il arrive sur un brancard. Mme de Soultrait l’accompagne dans sa chambre. « Je vais défaillir », dit soudain le nouvel arrivant, 48 kilos pour 1,72 mètre, avant de demander un jus d’orange ou de pomme avec une paille. Dans l’unité, les pailles sont proscrites pour éviter les fausses routes, mais que faire si cela rassure ce patient ? Avec une aide-soignante, Caroline Sanpaio, l’infirmière, fabrique pour lui une paille avec un tube de plastique. « D’habitude, nous sommes toujours deux ou trois pour accueillir les patients », glisse Mme de Soultrait.
« Dans la plupart des services, la mort n’existe pas, du coup, il n’y a pas de vie. Ici, la mort est présente, du coup, il y a de la vie », Juliette Isla, psychomotricienne
Accueil, toilette, soins : chaque acte s’accomplit en « binôme » pour « croiser les regards » entre différents corps de métier. « Quand elles sont deux, elles arrivent aussi à rire. Quand elles sont seules, c’est plus difficile », observe Françoise Philippe, l’autre bénévole au sein de l’unité de soins palliatifs.
Noémie, une infirmière, s’est aperçue que chanter Dalida et Céline Dion avec une patiente rendait sa toilette plus facile à réaliser. Grâce à l’hypnose, la médecin Mélanie Monribot aide les infirmières à manipuler des patients « douloureux ». Masser les corps pour qu’ils retrouvent des sensations est un art que pratique Juliette Isla, la psychomotricienne.
Le travail en binôme implique près de deux fois plus de personnels que dans un service de gériatrie aiguë : l’unité de soins palliatifs de Puteaux compte une aide-soignante et une infirmière pour six patients. Un encadrement qui a un coût et qui explique le faible nombre de ces services spécialisés en France. Le pays compte 164 unités de soins palliatifs pour un total de 1880 lits. Pourtant, bien des services gagneraient à s’inspirer de la « culture des soins palliatifs », estime la chef de service, Ségolène Perruchio, qui intervient à la tête d’une antenne mobile au sein des hôpitaux alentour.
Un immense sourire
Outre le travail en binôme, les soins palliatifs consistent à « écouter ». « On pose le moins de questions possible aux malades. En revanche, on prend le temps de s’asseoir avec eux et avec leur famille », résume la médecin.

A 15 h 30 ce vendredi, Sonia B. et sa fille Laura ont rendez-vous avec Mélanie Monribot et Marie Simian. Lorsqu’elle retrace les étapes de la maladie de son mari, jusqu’à son arrivée dans le service, Sonia laisse couler ses larmes. « On est là pour s’occuper de votre mari et de ton papa, dit d’une voix posée Mme Monribot, pour lui apporter ce qu’il faut pour le soulager. Et vous permettre de passer du temps avec lui. »
Après cet entretien, Laura échange un « check » avec son père. « De quoi as-tu besoin ? », demande Sonia à son mari, 74 ans, ex-chanteur et grand amateur de rock. « Tu veux que je ramène ta guitare ? » « Non », répond-il d’un air triste. La conversation roule pourtant sur la musique. Marie Simian quitte alors la chambre. La psychologue revient avec sa propre guitare basse. Elle pose l’instrument sur le lit. Il caresse les cordes de l’instrument. Son visage s’illumine d’un immense sourire. Celui que Marie Simian guettait depuis son arrivée dans le service.
La journée s’achève. Ce jour-là, l’équipe n’a pas réussi à organiser un « temps bonsaï », cette réunion hebdomadaire qui permet aux soignants de parler des patients décédés, de faire le deuil. « Ici, glisse Marie Simian, on est dans l’éphémère. Quand on rentre le soir chez nous, on ne sait pas qui on va retrouver le lendemain. » Le bonsaï est symbole d’éternité pour les Japonais. Il est l’arbre que le service a pour habitude de placer dans la chambre de chaque défunt.