Un collectif d’universitaires met en garde contre la tentation de faire de la laïcité « un outil répressif, de contrôle et d’interdiction, en contradiction totale avec la loi de 1905 ».

« Les menaces sur l’Observatoire de la laïcité cachent mal une dangereuse récupération idéologique » : 119 universitaires protestent

TRIBUNE

Collectif

« Ne faisons pas de l’Observatoire de la laïcité un bouc émissaire », appelle, dans une tribune au « Monde », un collectif d’universitaires parmi lesquels Jean Baubérot et Valentine Zuber. Ils mettent en garde contre la tentation de faire de la laïcité « un outil répressif, de contrôle et d’interdiction, en contradiction totale avec la loi de 1905 ».

Publié aujourd’hui à 01h40, mis à jour à 13h50    Temps de Lecture 4 min. 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/07/les-menaces-sur-l-observatoire-de-la-laicite-cachent-mal-une-dangereuse-recuperation-ideologique-119-universitaires-protestent_6075787_3232.html

Des militantes féministes à Montreuil (Seine-Saint-Denis), en octobre 2020.
Des militantes féministes à Montreuil (Seine-Saint-Denis), en octobre 2020. – / AFP

Tribune. La laïcité repose sur trois piliers. Le premier : la liberté de conscience, le droit de croire, de ne pas croire, de ne plus croire, de changer de religion, de pratiquer sa religion en privé comme en public sans troubler l’ordre public établi par la loi (article 10 de la Déclaration de 1789). Le deuxième : la séparation des Eglises et de l’Etat, qui entraîne l’obligation de neutralité de l’Etat en matière religieuse et sa parfaite impartialité pour garantir l’égalité de tous, quelles que soient les convictions ou croyances (loi du 9 décembre 1905). Le troisième : la citoyenneté, qui concourt à l’idéal républicain de fraternité – nous sommes toutes et tous, citoyennes et citoyens, à égalité de droits et de devoirs, nous respectons l’autre dans sa croyance ou sa conviction, tout en défendant le libre débat et la critique.

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La laïcité n’est pas une vieille lune. Au contraire, sa force réside dans le potentiel universel des principes de liberté qu’elle garantit à tous et à chacun. La loi de 1905 constitue un trésor républicain. Bien sûr, il n’est pas interdit de procéder aux adaptations nécessaires. Mais, pour assurer la cohésion nationale, il faut maintenir l’équilibre entre la possibilité d’un exercice réel des libertés et le respect du cadre collectif. Bref, l’important consiste à rester fidèle à l’esprit conciliateur témoigné par son principal auteur, Aristide Briand, qui l’avait déjà pensée pour une société intensément plurielle.

Dans le débat actuel, une tendance s’exprime bruyamment pour élargir, sous prétexte de laïcité, le domaine d’application de la neutralité du seul Etat à la société en son entier. Cela pourrait inclure les usagers des services publics, les entreprises privées, les associations d’intérêt général, les voies publiques, les parents accompagnateurs de sorties scolaires… La liste n’est pas limitative !

Récupération politicienne

Cela reviendrait aussi à faire des croyances et des convictions, y compris irréligieuses, une affaire intime, condamnées à disparaître de l’espace démocratique. Au-delà des obstacles constitutionnels et conventionnels qu’affronterait ce changement radical d’interprétation du principe de laïcité, ces restrictions de l’expression des convictions dans l’espace public provoqueraient, par ricochet, la réduction progressive d’autres droits et libertés, qui nous sont pourtant si chers. Cette « nouvelle laïcité » deviendrait un outil répressif, de contrôle et d’interdiction, en contradiction totale avec son projet initial et avec la loi de 1905.

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C’est à cette tendance voulant renforcer le contrôle des cultes et rendre invisible la religion dans l’espace public que s’oppose, depuis son installation, l’Observatoire de la laïcité.

Cette instance, délibérément voulue diverse, interministérielle et transpartisane par ses initiateurs, se trouve aujourd’hui menacée de fermeture à l’occasion de la fin du mandat de son président Jean-Louis Bianco, à en croire les récentes déclarations d’une ministre du gouvernement. Cette dernière a proposé de le remplacer par une« administration de la laïcité » (sous quelle tutelle ?), alors même qu’existe déjà un bureau central des cultes et que, pour tout ce qui concerne les réponses quotidiennes à apporter aux acteurs de terrain et aux administrations, l’Observatoire de la laïcité est reconnu de tous comme un excellent opérateur, donnant suite aux questions posées dans un délai minimal.

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A côté de cette nouvelle « administration », dont on peut craindre une récupération politicienne, serait installé un « haut conseil à la laïcité » chargé de conseiller le gouvernement, dont les membres seraient également nommés par lui…

Or, c’est précisément la diversité des membres de l’Observatoire de la laïcité et leur autonomie responsable (représentants de tous les ministères, parlementaires de l’opposition et de la majorité, personnalités qualifiées issues du Conseil d’Etat, de l’éducation nationale, du monde de la recherche, de celui du travail, etc.) qui permet la mise en œuvre efficace et rapide d’innombrables politiques publiques sur le sujet (obligation de formation à la laïcité pour certains ministres du culte, abrogation du délit de blasphème en Alsace-Moselle et évolution du droit local dérogatoire, formation de plus de 350 000 acteurs de terrain, mobilisation des procureurs contre les atteintes à la laïcité, etc.). Tout cela avec un budget de moins de 60 000 euros par an, ce qui en fait la commission ayant, selon le ministère des finances, le « meilleur ratio coût/activité ».

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Vigilance pour le maintien des libertés

Certes, face aux menaces de division politique de la société, au terrorisme idéologique et islamiste, il importe que nous nous dotions des ressources et des outils nécessaires pour pouvoir mieux les prévenir. Dans son champ, l’Observatoire de la laïcité remplit pleinement sa mission, et plus encore, en étant sans cesse sur le terrain. Cette présence, ce soutien apporté au quotidien sont salués par les mouvements d’éducation populaire, les associations de défense des droits de l’homme, des syndicats d’enseignants, des acteurs de la politique de la ville, du secteur socio-éducatif et hospitalier et de nombreuses collectivités territoriales ou associatives.

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Ne faisons pas de l’Observatoire de la laïcité un bouc émissaire facile pour faire oublier ce qui n’a pas été fait (et a pourtant été demandé par cette même instance) pour assécher le terrain sur lequel se développe ledit séparatisme.

Pensons notamment au nécessaire renforcement de la mixité sociale, au soutien à ceux qui sont en première ligne, tels les enseignants. Et ne faisons pas porter à l’Observatoire, et à la laïcité en général, ce qui n’en relève pas, à savoir la lutte directe contre le terrorisme.

Nous devons faire preuve de vigilance pour le maintien des libertés. Pour l’immédiat, nous aurions tort de nous en tenir de façon incantatoire à la seule invocation de la laïcité et au rappel de « valeurs républicaines » imposées par le haut et que l’on renoncerait à traduire réellement en actes politiques forts.

Liste complète des signataires de la tribune sur l’Observatoire de la Laïcité by LeMonde.fr on Scribd

https://fr.scribd.com/embeds/501787401/content?start_page=1&view_mode=scroll&access_key=key-TWGxMWUxLc7i5Re4ynUL

Collectif

iste complète des signataires de la tribune sur l’Observatoire de la laïcitéOlivier Abel, professeur à l’IPT de Montpellier, Fonds Ricœur,Frédéric Alexandre, professeur de géographie à l’université Sorbonne Paris NordJean-Christophe Attias, directeur d’études à l’EPHE (PSL)Brigitte Basdevant, professeur émérite à l’université de Paris Saclay Arnaud Baubérot, maître de conférences à l’université Paris-Est CréteilJean Baubérot, directeur d’études honoraire à l’EPHE (PSL)Christian Baudelot, professeur émérite à l’ENS (PSL) Anne-Cécile Bégot, maître de conférences à l’UPEC Alfonsina Bellio, directrice d’études à l’EPHE (PSL), GSRL (CNRS)Rachid Benzine, chercheur au Fond Ricœur à l’IPT de ParisCéline Béraud, directrice d’étude à l’EHESSChristophe Bertossi, chercheur au centre Migrations et Citoyenneté de l’IFRIFrançois Bizet, maître de conférences à l’université de TokyoPascal Boniface, directeur de l’IRISLaurent Bonnefoy, chercheur au CNRSHubert Bost, directeur d’études à l’EPHE (PSL) Alexandre Boza, agrégé d’histoire, doctorant à Sciences Po (CHSP)Julie Brock, professeure au Kyôto Institute of Technology (KIT)Yves Bruley, maîtres de conférences HDR et Vice-président de l’EPHE (PSL)Laurence Burgorgue-Larsen, professeur à l’université de Paris I Panthéon-SorbonneJean-Michel Butel, professeur à l’INALCO Alain Caillé, professeur émérite à l’université Paris Ouest Nanterre, directeur de La Revue du MAUSSBarbara Cassin, directrice de recherche émérite au CNRS, Académie françaiseJocelyne Cesari, professeure à l’université de BirminghamGérald Chaix, professeur émérite à l’université de Tours, ancien Président de l’IESR (EPHE)Françoise Champion, chercheure honoraire au CNRSOlivier Christin, directeur d’études à l’EPHE (PSL), professeur à l’université de NeuchâtelCorina Combet-Galland, professeur honoraire à l’IPT (Paris)Martine Cohen, chercheure au CNRS (GSRL),

Édouard Coquet, chercheur associé à Sorbonne université (Centre de recherche en histoire du XIXe siècle)Philippe Corcuff, maître de conférences de science politique à l’IEP de LyonMarie-Françoise Courel, directrice d’études et ancienne Présidente de l’EPHE (PSL)Sonia Dayan-Herzbrun, professeure émérite à l’université de ParisMagalie Della Sudda, chercheure au CNRS et à Sciences Po BordeauxChristine Delphy, directrice de recherches honoraire au CNRSFrançois Dubet, professeur émérite à l’université de Bordeaux, directeur d’études à l’EHESSJean-Daniel Dubois, directeur d’études émérite à l’EPHE (PSL)Jean-Pierre Dubois, professeur honoraire à l’université de Paris-Saclay, président d’honneur de la Ligue des droits de l’hommeJean-Dominique Durand, professeur émérite à l’université Jean-Moulin Lyon IIOdile Dussud, professeur à l’université Waseda à TokyoDidier Fassin, professeur à l’Institute for Advanced Study de PrincetonÉric Fassin, professeur à l’université Paris 8 Vincennes – Saint-DenisSébastien Fath, chargé de recherches au CNRSFrançois Flahault, directeur de recherches émérite au CNRSVincente Fortier, directrice de recherche au CNRS, directrice de Droit, religion, Entreprise et sociétéÉtienne Fouilloux, professeur émérite à l’université Lumière-Lyon 2Brigitte Foulon, professeure à l’université Paris III – Sorbonne NouvelleFranck Fregosi, directeur de recherche au CNRSClaire de Galembert, chercheure CNRS, ENS Paris-SaclayNadia Garnoussi, maître de conférences en sociologie à l’université de LilleBéatrice de Gasquet, maîtresse de conférences, Université de Paris Vincent Geisser, chercheur au CNRSVincent Génin, post-doctorant à l’EPHE (PSL)Vincent Goossaert, directeur d’études à l’EPHE (PSL), Membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-LettresNilufer Göle, directrice d’études à l’EHESSNacira Guénif, professeure à l’université Paris 8 Vincennes – Saint-DenisFrançois Héran, professeur au Collège de France, Stéphanie Hennette Vauchez, professeure à l’université Paris-Ouest Nanterre, IUFMarc Humbert, professeur émérite d’économie politique université de Rennes, Vice-président de l’association des convivialistes Anne Claire Husser, maître de conférences à l’université Claude Bernard, Inspé de l’académie de LyonDominique Iogna Prat, directeur d’études à l’EHESSPierre Kahn, professeur des universités à l’université de CaenFarhad Khosrokhavar, directeur d’études à l’EHESSYves Krumenacker, professeur à l’université Jean-Moulin – Lyon IIICécile Laborde, professeur de Théorie Politique à l’université d’OxfordVanille Laborde, Doctorante en science politique à l’IEP d’Aix-en-ProvenceDenis Lacorne, directeur de recherche émérite à Sciences PoStéphane Lacroix, chercheur à Sciences Po (CERI)Pierre Lassave, sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS (Césor)Serge Latouche, professeur émérite à l’université d’Orsay,Christine Lazerges, professeure émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,  Ancienne présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)Pierre-Olivier Léchot, maître de conférences à l’IPT de ParisPhilippe Levillain, professeur émérite à l’université Paris-Ouest Nanterre, IUF, Académie des sciences morales et politiquesChristine Levy, maître de conférences honoraire à l’université de Bordeaux-Montaigne, CRAO.Raphael Liogier, professeur à Sciences-Po Aix en Provence, Columbia UniversityFrançoise Lorcerie, directrice de Recherche émérite au CNRS, Aix-Marseille universitéPierre Lory, directeur d’études émérite à l’EPHE (PSL)Béatrice Mabilon Bonfils, professeure des université CY Cergy Paris universitéDorra Mameri-Chaambi, docteure associée (GSRL)Jean-Paul Martin, maître de conférences honoraire université de LilleNadia Marzouki, chercheure au CNRS (Sciences Po CERI)Séverine Mathieu, directrice d’Étude à l’EPHE (PSL)Xavier Mellet, professeur associé à l’université Waseda à TokyoNonna Mayer, chercheure à Sciences Po (Centre d’études européenne de politique comparée), Charles Mercier, maître de conférences HDR à l’université de Bordeaux, IUFPatrick Michel, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESSPierre-Olivier Monteil, chercheur associé au Fonds Ricœur, IPT de ParisIlan Nguyên, maître de conférences associé à l’université des arts de TokyoValérie Orange, chercheure associée à l’IREMAM, Aix en ProvencePaul Paumier, professeur à l’université de RouenCéline Pauthier, professeur à l’université de Strasbourg, Responsable du D.U. Droit Société et Pluralité des religionsRémi Pech, professeur émérite et président honoraire de l’université de Toulouse Jean JaurèsDenis Pelletier, directeur d’Etudes à l’EPHE (PSL)Bruno Péquignot, professeur émérite à l’université Paris III – Sorbonne Nouvelle Alain Policar, chercheur associé à Sciences Po (CEVIPOF)François de Polignac, directeur d’études à l’EPHE (PSL), ancien doyen de la section des sciences religieuse de l’EPHEPhilippe Portier, directeur d’études à l’EPHE (PSL)Didier Poton, professeur émérite à l’université de la RochelleJean-Yves Pranchère, professeur au centre de théorie politique à l’université Libre de BruxellesClaude Proeschel, maître de conférences à l’université de LorraineFlorence Rochefort, chercheure au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (CNRS)Patrice Rolland, professeur émérite à université Paris Est Val de MarneKathy Rousselet, directrice de Recherche à Sciences Po (CERI)Guillaume Roux, chercheur en sciences politiques à l’IEP GrenobleOlivier Roy, directeur de recherche au CNRSJean-Louis Schlegel, sociologue des religions, ancien directeur de la revue EspritHaoues Seniguer, maître de conférences à Sciences Po LyonJean Fabien Spitz, professeur émérite à l’université de Paris I Panthéon SorbonneEmmanuel Tawil, maître de conférences à l’université Paris II Panthéon-AssasJohn Tolan, professeur d’Histoire à l’université de Nantes, membre de l’Academia EuropæaDetelina Tocheva, chercheure au CNRSVirginie Vaté, chercheure au CNRS, Géraldine Vaughan, maître de conférences HDR à l’université de Rouen, IUFMichel Vieillard-Baron, professeur à l’INALCOJean-Paul Willaime, directeur d’études émérite à l’EPHE (PSL)Michel Wieviorka, directeur d’études à l’EHESSMichelle Zancarini Fournel, professeure émérite à l’université de Lyon 1Jean-François Zorn, professeur émérite d’histoire du christianisme à l’IPT de Montpellier Valentine Zuber, directrice d’études à l’EPHE (PSL)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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